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Décisions | Chambre civile

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C/418/2021

ACJC/879/2023 du 27.06.2023 sur JTPI/8866/2022 ( OO ) , CONFIRME

Normes : CO.398
En fait
En droit
Par ces motifs

 

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/418/2021 ACJC/879/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 27 JUIN 2023

 

Entre

A______ SA, SOCIETE FIDUCIAIRE, sise ______, appelante d'un jugement rendu par la 1ère Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 20 juillet 2022, comparant par Me Julien WAEBER, avocat, WAEBER MAITRE, quai
Gustave-Ador 2, case postale 3021, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié c/o Monsieur C______, ______, intimé, comparant par Me D______, avocat, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.


EN FAIT

A.            Par jugement JTPI/8866/2022 du 20 juillet 2022, notifié à A______ SA, SOCIETE FIDUCIAIRE le 27 juillet 2022, statuant par voie de procédure ordinaire et à titre incident selon l'art. 237 CPC, le Tribunal de première instance (ci-après: le Tribunal) a préalablement rectifié les qualités de la partie défenderesse de "A______ SA" en "A______ SA, SOCIETE FIDUCIAIRE" (ch. 1 du dispositif), constaté que A______ SA, SOCIETE FIDUCIAIRE avait violé de manière fautive ses obligations de mandataire à l'égard de B______ de la manière décrite à la lettre D. de la partie en droit de ce jugement (ch. 2) et réservé le sort des frais à la décision finale (ch. 3).

B.            a. Par acte expédié à la Cour de justice le 14 septembre 2022, A______ SA, SOCIETE FIDUCIAIRE (ci-après : A______ SA) appelle de ce jugement, dont elle sollicite l'annulation.

Elle conclut, sous suite de frais judiciaires et dépens, à ce qu'il soit dit qu'aucune violation contractuelle ne lui est imputable.

b. Dans sa réponse du 30 novembre 2022, B______ conclut au rejet de l'appel, sous suite de frais judiciaires et dépens.

c. Dans leurs réplique et duplique respectives, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

d. Par avis du 14 mars 2023, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.            Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. B______, qui possède la double nationalité suisse et française, est domicilié à Genève depuis le 1er janvier 2005. Il exerce une activité lucrative en tant qu'artiste humoriste à titre indépendant, principalement en France, ainsi qu'en Suisse.

b. A______ SA est une société sise à Genève, dont le but social consiste en l'exploitation d'une fiduciaire. E______ en est l'administrateur président directeur.

c. Au début des années 2000, B______ a mandaté A______ SA pour établir, chaque année, sa comptabilité et ses déclarations fiscales en lien avec son activité indépendante.

Aucun contrat écrit n'a été conclu entre les parties.

d. A______ SA a notamment établi les déclarations fiscales genevoises de B______ pour les années 2007, 2008 et 2009 et les a adressées à l'Administration fiscale cantonale.

e. Le 17 mai 2010, B______ a reçu un avis d'examen contradictoire par les autorités françaises au sujet de sa situation fiscale personnelle pour les années 2007, 2008 et 2009.

A l'issue de ce contrôle, il a été constaté que B______ n'avait pas rempli de déclarations d'impôt en France durant ces trois années et qu'il exerçait son activité d'artiste humoriste de manière occulte dans ce pays. Les autorités françaises ont engagé des procédures de recouvrement de l'impôt à son encontre.

f. Par courrier du 25 juin 2010 à l'attention des autorités fiscales françaises, A______ SA a accusé réception de leur avis du 17 mai 2010 précité, en indiquant que celui-ci était parvenu à B______ à l'adresse de sa résidence secondaire en France. Elle a affirmé, au sujet de ce dernier : "L'ensemble de ses revenus sont déclarés en Suisse, lieu de son domicile, et nous ne comprenons pas pourquoi vous lui reprochez de ne pas remplir une déclaration en France".

Par télécopie du 18 août 2011, A______ SA a déclaré aux autorités fiscales françaises pouvoir démontrer que B______ était d'une totale bonne foi, et qu'il était prêt à trouver une solution pour être en règle, tant avec la Suisse, son pays de domicile, que la France, où il se produisait en spectacle. Elle a ajouté que son client ne pourrait en aucun cas "admettre une double imposition".

g. En décembre 2017, B______ a reproché à A______ SA d'avoir commis une erreur dans l'exécution de son mandat, en omettant de distinguer l'origine étrangère de ses revenus lors de son imposition à Genève, et en ne déclarant ses revenus qu'en Suisse. Il a mis A______ SA en demeure d'annoncer le cas à son assurance responsabilité civile, précisant que le dommage résultant du litige avec les autorités françaises s'élevait alors à EUR 332'915, frais de poursuites suisses et honoraires de son conseil en sus.

D.            a. Par demande du 6 janvier 2021, déclarée non conciliée le 3 mars 2021 et introduite devant le Tribunal le 22 avril 2021, B______ a conclu principalement, sous suite de frais judiciaires et dépens, à ce que A______ SA soit condamnée à lui verser les sommes de EUR 74'298, correspondant à 80'239 fr. 80 selon le taux de change au 6 janvier 2021, avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 2007, au titre de dommages-intérêts pour la déclaration d'impôts de l'année fiscale 2007, de EUR 64'320, correspondant à 69'463 fr. 80 selon le taux de change au 6 janvier 2021, avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 2008, au titre de dommages-intérêts pour la déclaration d'impôts de l'année fiscale 2008, et de EUR 65'480, correspondant à 70'716 fr. 60 selon le taux de change au 6 janvier 2021, avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 2009, au titre de dommages-intérêts pour la déclaration d'impôts de l'année fiscale 2009.

Il a également conclu à ce que A______ SA soit condamnée à lui verser les sommes de EUR 1'320, correspondant à 1'425 fr. 56 selon le taux de change au 6 janvier 2021, avec intérêts à 5% dès le 2 août 2013 au titre de dommages-intérêts, correspondant aux honoraires du cabinet d'expertise comptable F______, et de EUR 20'804, correspondant à 22'467 fr. 70 selon le taux de change au 6 janvier 2021, avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 2016 au titre de dommages-intérêts pour les honoraires de ses conseils français.

B______ a en substance allégué que A______ SA lui avait indiqué que, malgré le fait qu'il donnait des spectacles en France, il n'était imposable qu'en Suisse, ce qui s'était avéré être faux.

b. Par mémoire de réponse du 5 novembre 2021, A______ SA a conclu au déboutement de B______ de toutes ses conclusions, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Elle a allégué qu'elle n'avait jamais été mandatée pour "s'occuper des affaires françaises de B______". Elle n'avait jamais donné de conseils fiscaux d'aucune sorte à ce dernier, qui n'en avait d'ailleurs jamais sollicité. Elle n'avait eu pour mandat que de remplir les déclarations fiscales suisses de B______ après avoir au préalable établi ses états financiers d'indépendant. Son mandat avait ainsi été correctement rempli d'année en année. A______ SA ne faisait pas du tout de la fiscalité internationale, son activité étant limitée aux déclarations à l'administration fiscale genevoise.

c. Par courrier de son conseil du 10 mars 2022, B______ a transmis au Tribunal deux arrêts du 21 janvier 2022 de la Cour administrative d'appel de G______ [France] et expliqué avoir été déchargé d'une partie importante des compléments d'impôts, pénalités et charges de TVA réclamés.

d. Lors de l'audience du 29 avril 2022, le Tribunal a procédé à l'audition des parties.

d.a B______ a confirmé qu'il n'avait pas demandé à A______ SA de faire de déclaration fiscale en France. Il lui avait en revanche demandé s'il était correct de déclarer ses revenus exclusivement à Genève, ce que E______ lui avait confirmé; en tant que citoyen suisse résidant en Suisse, il devait déclarer ses revenus en Suisse. Avant le contrôle, il n'avait pas consulté de conseiller français pour savoir s'il était nécessaire de déclarer, en France, les revenus réalisés dans ce pays; il avait confiance en l'expertise de E______. Il se souvenait que son cousin vivant à H______ [France] lui avait un jour demandé s'il ne devait pas déclarer ses revenus français en France. Son cousin avait eu l'air surpris lorsque B______ lui avait rapporté les propos de E______, si bien qu'il avait questionné une nouvelle fois ce dernier à ce sujet, lequel avait réaffirmé qu'il devait payer ses impôts en Suisse.

B______ a indiqué disposer de deux propriétés en France, soit une maison depuis 2005 et un appartement qu'il louait depuis 2006. Les revenus tirés de cette location n'avaient pas été déclarés en Suisse, E______ lui ayant dit qu'il n'était pas nécessaire de le faire, ni en France. Ils étaient désormais déclarés en Suisse.

B______, qui avait transmis à A______ SA les informations relatives à l'intégralité de ses revenus, a reproché à celle-ci de ne pas avoir indiqué l'origine de ses revenus dans les déclarations fiscales établies à Genève.

d.b Pour le compte de A______ SA, E______ a déclaré avoir répondu à B______ qu'en tant que suisse résidant en Suisse, il devait payer ses impôts en Suisse, s'agissant de son activité d'indépendant. Il aurait conseillé à B______ de s'adresser à un conseiller français si celui-ci lui avait demandé s'il devait ou non payer des impôts en France, précisant que B______ était résolu à ne payer des impôts qu'en Suisse.

Selon E______, il était en principe nécessaire d'indiquer, dans une déclaration d'impôts, l'éventuelle origine étrangère des revenus, mais B______ avait souhaité que ses revenus suisses et français apparaissent sans distinction, tant dans ses bilans que dans ses déclarations fiscales. A la question, posée à deux reprises, de savoir s'il ne lui appartenait pas de dire à B______ qu'il devait procéder à cette distinction dans sa déclaration fiscale, E______ a répondu qu'il avait certainement dû lui dire qu'il devait s'adresser à quelqu'un côté français. Distinguer l'origine des revenus de B______ dans sa déclaration fiscale en Suisse n'aurait rien changé; il aurait aussi été contrôlé côté français. Il était par ailleurs faux, selon E______, de prétendre que le fisc genevois aurait restitué la part d'impôt prélevée sur les revenus français si leur origine avait été mentionnée dans la déclaration.

E______ a exposé n'avoir jamais été chargé de s'occuper de la TVA ou des activités côté français de B______. Il ignorait que celui-ci avait des revenus immobiliers, mais savait en revanche qu'il donnait des spectacles en France, le voyant sur les factures qu'il se voyait remettre. B______ était son seul client indépendant qui réalisait des revenus en France et A______ SA ne faisait pas du tout de fiscalité internationale. Son activité était même limitée à des déclarations à l'Administration fiscale genevoise.

A______ SA avait effectivement annoncé un sinistre à son assurance RC, à la demande de B______, quand bien même elle considérait ne pas être responsable.

e. A l'issue de l'audience, le Tribunal a ordonné des plaidoiries finales écrites sur le principe de la responsabilité de A______ SA.

f. Les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives dans leurs plaidoiries finales écrites du 3 juin 2022.

g. La cause a été gardée à juger sur la question de l'existence d'une violation contractuelle imputable à faute.

E.            Dans le jugement entrepris, le Tribunal a retenu que les parties étaient liées par un contrat de mandat, par lequel A______ SA s'était obligée à établir, contre rémunération, les déclarations d'impôts de B______ à l'attention des autorités fiscales suisses.

Le Tribunal a constaté que B______ aurait dû être imposé en France sur les revenus qu'il réalisait dans ce pays. A______ SA devait, en sa qualité de fiduciaire active à Genève et traitant d'un client qui avait des revenus des deux côtés de la frontière franco-suisse, connaître les règles visant à éliminer la double imposition éventuelle entre ces deux pays, ce qui n'avait pas été le cas.

Le Tribunal a estimé ne pas être convaincu par les indications de A______ SA selon lesquelles elle aurait eu pour instruction d'établir les déclarations d'impôts sans distinguer les revenus suisses et français, au motif que B______ était résolu à ne payer des impôts qu'en Suisse. Ces affirmations, élevées pour la première fois au stade des enquêtes, contredisaient le contenu des courriers envoyés en 2010 et 2011 par A______ SA aux autorités françaises, dans lesquels elle avait déclaré ne pas comprendre pourquoi B______ devait remplir une déclaration d'impôts en France et que ce dernier était de bonne foi.

En substance, A______ SA n'avait non seulement pas attiré l'attention de B______ sur les règles de la convention précitée, mais avait elle-même omis d'en tenir compte lors de l'établissement des déclarations fiscales suisses, en ne mentionnant pas l'origine des revenus. Il ne pouvait par conséquent qu'être constaté que A______ SA avait violé ses devoirs de mandataire de manière fautive, et que cette faute lui était entièrement imputable.

EN DROIT

1.             1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance, lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC).

En l'espèce, le jugement entrepris est une décision incidente et la valeur litigieuse devant le Tribunal s'élève à plus de 200'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 Interjeté dans le délai utile de trente jours et suivant la forme prescrits par la loi (art. 130, 131, 142 al. 1, 145 al. 1 let. b et 311 al. 1 CPC) auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), l'appel est recevable.

1.3 La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs qui sont formulés devant elle (ATF 142 III 413 consid. 2.2.4). Elle applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

2.             L'appelante reproche au premier juge d'avoir considéré, à tort, qu'elle avait violé ses devoirs de mandataire en établissant les déclarations fiscales de l'intimé. Elle fait valoir que l'intimé ne souhaitait payer des impôts qu'en Suisse et que celui-ci l'avait instruite en ce sens, en lui demandant de ne pas indiquer l'origine, principalement française, de ses revenus dans ses déclarations d'impôt.

2.1.1 En vertu de l'art. 398 al. 1 CO, qui renvoie à l'art. 321e al. 1 CO, le mandataire répond du dommage qu'il cause au mandant intentionnellement ou par négligence. Sa responsabilité est subordonnée aux quatre conditions suivantes, conformément au régime général de l'art. 97 CO: (1) une violation des obligations qui lui incombent en vertu du contrat, notamment la violation de ses obligations de diligence et de fidélité (art. 398 al. 2 CO; ATF 134 III 534 consid. 3.2.2; 127 III 357 consid. 1); (2) un dommage; (3) un rapport de causalité (naturelle et adéquate) entre la violation du contrat et le dommage; et (4) une faute.

Le client mandant supporte le fardeau de l'allégation objectif (objektive Behauptungslast) et le fardeau de la preuve (Beweislast) des trois premières conditions conformément à l'art. 8 CC (arrêts du Tribunal fédéral 4A_175/2018 du 19 novembre 2018 consid. 4.1 et 4A_588/2011 du 3 mai 2012 consid. 2.2.2); il incombe en revanche au mandataire de prouver qu'aucune faute ne lui est imputable ("à moins qu'il ne prouve... "; arrêt du Tribunal fédéral 4A_350/2019 du 9 janvier 2020 consid. 3.1), étant précisé que la faute est présumée (arrêt du Tribunal fédéral 4A_594/2017 du 13 novembre 2018 consid. 4.3.2).

2.1.2 Le mandataire est tenu à la bonne et fidèle exécution du mandat (art. 398 al. 2 CO). Ce devoir de diligence impose au mandataire l'obligation d'informer et de conseiller le mandant (Werro, Commentaire romand, Code des obligations I, n. 13 ad art. 398 CO).

En vertu de l’obligation d’information (Aufklärungspflicht), le cocontractant doit aviser l’autre partie de tout ce qui est important en relation avec le contrat [de mandat]. Afin d’être utile au mandant, l’information doit être complète, exacte et dispensée à temps. Le mandataire doit notamment renseigner le mandant des risques (y compris des risques financiers) et avantages des mesures et des actes envisagés ainsi que de l’exécution du mandat en général. L’information doit ainsi permettre au mandant de dispenser les instructions adéquates (Werro, op. cit., n. 17 ad art. 398 CO).

Plus que l’obligation d’informer, les obligations de conseil et de mise en garde (Beratungs- und Warnpflichten) exigent une intervention active du mandataire. Celui-ci doit, d’une part, indiquer laquelle des mesures correspond (à son avis) le mieux à l’intérêt du mandant et, d’autre part, mettre celui-ci en garde contre les risques que comportent certaines mesures, notamment lorsqu’il est lui-même un spécialiste et que le mandant ne l’est pas (Werro, op. cit., n. 18 ad art. 398 CO).

En particulier, un expert fiscal s'oblige à examiner la question qui lui est soumise avec la diligence commandée par les circonstances. En consultant des documents ou en se renseignant à bonne source, il doit déterminer les règles légales ou jurisprudentielles déterminantes et, le cas échéant, la pratique administrative (ATF 128 III 22 consid. 2c; arrêt du Tribunal fédéral 4A_63/2011 du 6 juin 2011 consid. 2).

2.1.3 En vertu de l'art. 397 al. 1 CO, le mandataire qui a reçu des instructions précises ne peut s'en écarter qu'autant que les circonstances ne lui permettent pas de rechercher l'autorisation du mandant et qu'il y a lieu d'admettre que celui-ci l'aurait autorisé s'il avait été au courant de la situation.

Des instructions dûment acceptées lient le mandataire. S'il les enfreint, il engage en principe sa responsabilité, à moins que ces instructions ne soient viciées. Le mandataire ne saurait accepter des instructions illicites ou contraires aux mœurs, ou des instructions déraisonnables. Une instruction illicite ou contraire aux mœurs est nulle : le mandataire qui l'aurait acceptée n'en répond pas à l'égard du mandant, mais il peut néanmoins engager sa responsabilité civile et pénale vis-à-vis de tiers. Il reste nonobstant tenu par un certain nombre d'obligations, par exemple celles d'informer le mandant du fait que l'instruction est illicite ou contraire aux mœurs, et de restituer ce qu'il a obtenu en vue de l'exécution d'une instruction nulle (Werro, op. cit., n. 5 et 9 ad art. 397 CO).

2.1.4 En vertu de l'art. 19 par. 1 de la Convention entre la Suisse et la France en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscale (ci-après : CDI; RS 0.672.934.91), les revenus qu'un résident d'un Etat contractant tire de ses activités personnelles exercées dans l'autre Etat contractant en tant qu'’artiste du spectacle, tel qu'un artiste de théâtre, de cinéma, de la radio ou de la télévision, ou qu'un musicien, ou en tant que sportif, sont imposables dans cet autre Etat.

Lorsqu'un résident de Suisse reçoit des revenus ou possède de la fortune qui, conformément aux dispositions de la convention, sont imposables en France, la Suisse exempte de l'impôt ces revenus (à l'exception des dividendes, intérêts et redevances) ou cette fortune, mais peut, pour calculer le montant de l'impôt sur le reste du revenu ou de la fortune de ce résident, appliquer le même taux que si les revenus ou la fortune en question n'avaient pas été exemptés (art. 25 let. b ch. 1, 1ère phrase, CDI).

De ces deux dispositions, il découle que les revenus obtenus sur le territoire français par un artiste de spectacle indépendant résidant en Suisse, doivent être imposés en France. Dans sa déclaration fiscale suisse, ledit artiste est tenu de déclarer tous ses revenus, soit également ceux obtenus en France, ce afin de permettre la détermination du taux d'imposition de son revenu.

2.2 En l'espèce, il est avéré qu'entre 2007 et 2009, l'intimé était domicilié en Suisse et exerçait une activité lucrative indépendante principalement en France. La CDI était par conséquent applicable à cette situation, de sorte que l'intimé devait être imposé en France sur ces revenus.

La mandataire, qui était au courant que son client réalisait une partie de ses revenus en France, ne conteste pas lui avoir indiqué qu'il devait payer ses impôts en Suisse, s'agissant de son activité d'indépendant. Il est par ailleurs constant que l'appelante n'a pas opéré de distinction sur l'origine des revenus dans la déclaration fiscale genevoise, estimant, à tort, que cela n'aurait rien changé. Avec le premier juge, il convient ainsi de retenir que l'appelante a méconnu les règles de la CDI, qui font partie de l'ordre juridique suisse, lorsqu'elle a rempli les déclarations fiscales de l'intimé.

Cette méconnaissance est encore apparue dans les réponses de l'appelante aux autorités françaises, lorsqu'elle a affirmé qu'elle ne comprenait pas pourquoi son client, qui était domicilié en Suisse, devait remplir une déclaration fiscale en France, ainsi que dans ses déclarations en audience, selon lesquelles l'intimé était le seul de ses clients à réaliser des revenus en France.

L'appelante tente en vain de justifier ses manquements par le fait qu'il appartenait à l'intimé de s'enquérir de ses éventuelles obligations fiscales en France, elle-même n'étant pas une experte de fiscalité internationale. Elle semble ce faisant ignorer que son mandat implique un devoir d'informer, de conseiller et de mettre en garde activement ses clients. Elle aurait par conséquent dû attirer l'attention de l'intimé sur les risques inhérents à la problématique de la double imposition et au fait que ses revenus d'indépendant réalisés en France étaient imposables dans ce pays, étant rappelé que cela résulte de l'application d'une convention de double imposition qui fait partie intégrante du droit suisse et qu'un fiscaliste, surtout à Genève, canton frontière, se doit de connaître.

L'appelante soutient que l'intimé ne voulait pas payer d'impôts en France et qu'il l'aurait donc instruite de ne pas distinguer les revenus réalisés en Suisse de ceux réalisés en France, preuve en serait le fait que l'intimé lui aurait caché l'existence de revenus immobiliers et d'une fortune immobilière en France.

Ces affirmations ne sont pas convaincantes. Elles supposent en premier lieu que l'appelante aurait en pleine connaissance de cause renoncé à opérer la distinction de l'origine des revenus dans la déclaration fiscale suisse, sur instruction de son client, alors qu'il a été retenu ci-dessus qu'elle méconnaissait les obligations résultant de la CDI. Elles supposent également qu'en tant que mandataire diligent, elle aurait mis en garde le client sur les risques d'une telle démarche, ce qu'elle n'allègue même pas, soutenant au contraire qu'elle avait dû dire à l'intimé de s'adresser à "quelqu'un du côté français". De plus, l'appelante semblait être au courant de l'existence à tout le moins d'une résidence secondaire de l'intimé en France, à laquelle elle a fait allusion dans un courrier aux autorités françaises. Le fait que l'intimé aurait par hypothèse omis de renseigner l'appelante sur l'entier de son patrimoine immobilier en France ne saurait être compris comme étant une instruction de ne pas distinguer ses revenus de l'activité indépendante réalisés en France.

Le fait que l'intimé ait demandé à plusieurs reprises à l'appelante s'il devait payer ses impôts en Suisse (sur les revenus réalisés en France) est plutôt révélateur de la volonté de client d'être en règle sur le plan fiscal concernant les éléments de revenus qu'il a portés à la connaissance de la fiduciaire.

Aussi, il n'est pas établi que l'intimé a instruit l'appelante de faire fi de la CDI et de ne pas distinguer l'origine de ses revenus d'indépendant dans ses déclarations d'impôts, pour ne pas payer (du tout) d'impôts en France.

Aussi, c'est à raison que le Tribunal a retenu que l'appelante a violé ses devoirs de mandataire et que cette violation contractuelle est imputable à faute.

L'appel sera par conséquent rejeté et le jugement entrepris confirmé.

3.             Les frais judiciaires d'appel, arrêtés à 1'000 fr. (art. 96 et 105 al. 1 CPC; art. 19 LaCC; art. 23 et 36 RTFMC), seront mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais du même montant versée par cette dernière, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L'appelante sera en outre condamnée à verser à l'intimé 1'500 fr. à titre de dépens d'appel (art. 95 al. 3 let. b, 96 et 105 al. 2 CPC; art. 85, 87 et 90 RTFMC), TVA et débours compris (art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 14 septembre 2022 par A______ SA, SOCIETE FIDUCIAIRE contre le jugement JTPI/8866/2022 rendu le 20 juillet 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/418/2021-1.

Au fond :

Confirme ce jugement.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de A______ SA, SOCIETE FIDUCIAIRE et les compense avec l'avance de frais fournie par elle, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ SA, SOCIETE FIDUCIAIRE à verser à B______ la somme de 1'500 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Sandra CARRIER, greffière.

 

La présidente :

Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.