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Décisions | Chambre civile

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C/8160/2020

ACJC/744/2023 du 07.06.2023 sur JTPI/10496/2022 ( OO ) , CONFIRME

Recours TF déposé le 12.07.2023, 4A_373/2023
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8160/2020 ACJC/744/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 7 JUIN 2023

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, Arabie Saoudite, appelante d'un jugement rendu par la 12ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le
6 septembre 2022, comparant par Me Jacques BARILLON, avocat, Rue du Rhône 29, 1204 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ (SUISSE) SA, sise ______ [ZH], intimée, comparant par
Me Louis BURRUS, avocat, Schellenberg Wittmer SA, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement du 6 septembre 2022 (JTPI/10496/2022), communiqué pour notification le 14 septembre 2022, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) s'est déclaré incompétent ratione loci pour connaître de la demande formée le 1er mai 2020 par A______ à l'encontre de B______ (SUISSE) SA (ch. 1 du dispositif), a déclaré en conséquence irrecevable la demande formée le 1er mai 2020 par A______ à l'encontre de B______ (SUISSE) SA (ch. 2), a arrêté les frais judiciaires à 12'500 fr., les a mis à la charge de A______, les a compensés avec l'avance de frais de 50'000 fr. versée par elle et a ordonné à l'ETAT DE GENEVE, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, de restituer le montant de 37'500 fr. à A______ (ch. 3), a condamné A______ à verser à B______ (SUISSE) SA le montant de 13'000 fr. à titre de dépens (ch. 4), a libéré en faveur de B______ (SUISSE) SA la garantie bancaire n° 1______ émise par la banque C______ le 21 juin 2021, à hauteur de 13'000 fr. (ch. 5) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 9, recte 6).

En substance, le Tribunal a retenu, en application notamment des règles de conflit de loi eu égard aux éléments d'extranéité du dossier, qu'il n'existait aucun for à Genève permettant de fonder sa compétence, l'intimée ayant son siège à Zurich. Par ailleurs, la cliente ne pouvait pas se prévaloir du for réservé en faveur des consommateurs. Il n'y avait en outre pas de for découlant d'un acte illicite, l'intimée se prévalant d'une violation contractuelle d'une part et d'autre part en l'absence de succursale à Genève de l'intimée. Enfin, l'intimée n'avait pas procédé au fond sans faire de réserve, ayant soulevé une exception d'incompétence ratione loci dès son premier acte de procédure.

B.            a. Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 octobre 2022, A______ a formé appel contre ce jugement concluant à son annulation, à la constatation de la compétence du Tribunal pour connaître de la procédure et au renvoi de la cause au Tribunal pour qu'il se prononce sur le fond.

En substance, elle considère que le Tribunal a constaté les faits pertinents de manière incomplète n'ayant pas retenu [dans son état de faits] des éléments qui ressortaient des pièces produites qu'elle estime pertinents à la résolution du litige. Elle soutient en outre que le Tribunal aurait violé la loi en ne retenant pas que l'intimée avait tacitement accepté sa compétence pour connaitre de la cause. Par ailleurs, elle lui reproche d'avoir violé les art. 114 et 120 LDIP en ne retenant pas qu'elle pouvait se prévaloir de la protection octroyée aux consommateurs. Le Tribunal avait enfin violé l'art. 129 LDIP en retenant que la demande n'était pas basée sur des actes illicites mais sur une violation contractuelle alléguée.

b. Par mémoire de réponse déposé au greffe de la Cour le 6 janvier 2023, l'intimée a conclu au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement attaqué sous suite de frais et dépens.

En substance, elle soutient que le Tribunal n'a ni constaté les faits de manière incomplète ni violé le droit. En particulier elle n'avait jamais accepté tacitement la compétence du Tribunal, ayant pris d'entrée de cause des conclusions en irrecevabilité de la demande. Celui-ci devait quoiqu'il en soit et en tout état se déclarer incompétent en l'absence de succursale de la banque à Genève. En outre, l'appelante ne peut se prévaloir du for des consommateurs. Pas plus n'y a-t-il de for découlant d'un acte illicite.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué par écritures des 9 février et 10 mars 2023, persistant dans leurs conclusions respectives.

En date du 28 mars 2023, elles ont été informée que la cause était gardée à juger.

C. Ressortent pour le surplus de la procédure les faits pertinents suivants :

a. A______ est une personne physique, dont on ignore la nationalité, domiciliée à D______, en Arabie Saoudite.

B______ (SUISSE) SA est une société anonyme suisse nouvellement créée en ______, dont le siège est à Zurich et dont le but est l'exploitation d'une banque.

B______ (SUISSE) SA est une filiale de B______ SA, société anonyme suisse dont le siège est à Bâle et à Zurich.

B______ (SUISSE) SA et B______ SA sont deux entités juridiques distinctes, toutes deux inscrites séparément dans les Registres du commerce des cantons concernés.

B______ (SUISSE) SA dispose de plusieurs centaines d'agences sur le territoire suisse dans lesquelles elle fournit des services bancaires.

Elle dispose notamment de locaux à l'adresse ______, à E______ [GE], ainsi que d’autres adresses dans le canton.

Aucune succursale de B______ (SUISSE) SA n'est inscrite au Registre du commerce du canton de Genève.

b. F______ était une filiale de B______ SA au Bahreïn de 2002 à 2006 opérant sous sa propre raison sociale et offrant des prestations bancaires conformes à la loi islamique de la Charia.

En 2006, F______ a été dissoute et entièrement intégrée au sein de B______ SA.

Dans le courant de l'année 2005, B______ SA et F______ avaient identifié une offre d'investissement "très attractive" visant à acquérir une importante propriété immobilière à H______, France (ci-après: la "Propriété).

A ces fins, B______ SA a notamment créé un fonds de placement, soit le fonds "L______(SAS I______)".

La création de ce fonds de placement supposait la mise en place d'un réseau complexe de plusieurs entités juridiques sises dans diverses juridictions étrangères et liées entre elles par différents contrats.

L’investissement dans le fonds s’effectuait par la prise de parts dans deux sociétés d'investissement : J______ LTD (ci-après: "J______") sise à Singapour et K______ LTD (ci-après: "K______") sise aux Îles Caïmans.

La Propriété était directement détenue par la société française SAS I______.

c. Le 26 mai 2005, A______ a conclu avec F______, laquelle agissait en qualité d'agent pour le compte de J______ et K______, un "Share Purchase Agreement" (ci-après: le "SPA") ayant pour objectif l'acquisition pour elle de parts des sociétés J______ et K______ pour un montant de 1'750'000 euros.

Le SPA est soumis au droit et à la compétence des tribunaux des Îles Caïmans.

Dans le cadre du SPA, J______ et K______ agissaient en tant que "venderesses", A______ en tant qu'"acquéreuse" et F______ en tant qu'"agent".

F______ était par ailleurs désignée "asset manager" de la Propriété en vertu d'un "Asset Management Agreement" (ci-après: le Mandat de gestion) conclu entre F______ et SAS I______ le 26 mai 2005.

L'"Asset Management Agreement" est soumis au droit suisse et prévoit un for à Zurich.

Conformément à ce mandat, F______ s'engageait à fournir des services relatifs à l'acquisition de la Propriété par SAS I______ et aux investissements qui y seraient effectués.

d. Dans le courant de l'année 2006, en vue de la dissolution de F______ et de son intégration au sein de B______ SA, cette dernière a repris les engagements de F______ en vertu du Mandat de gestion, devenant ainsi "asset manager" de la Propriété.

En janvier 2015, B______ SA a informé A______ que ses comptes bancaires seraient repris par B______ (SUISSE) SA, société nouvellement créée en ______, comme dit plus haut.

Le Mandat de gestion repris par B______ SA a été résilié au début du deuxième trimestre de 2017.

e. Au début de l'année 2018, B______ (SUISSE) SA a annoncé à A______ la mise en place d'un processus de liquidation du fonds L______(SAS I______).

Le montant que A______ pouvait espérer récupérer au terme de cette liquidation était de 24'500 fr.

f. Après plusieurs vains échanges épistolaires avec des employés de B______ (SUISSE) SA à Genève, par demande en paiement du 2 décembre 2020, déposée préalablement en conciliation le 1er mai 2020, A______ a actionné en paiement B______ (SUISSE) SA, sise ______ [ZH], "dont l'établissement B______ [du quartier de] M______ est sis ______ E______ [GE]". Elle a conclu, principalement, à ce que le Tribunal ordonne à B______ (SUISSE) SA de lui restituer un montant de 1'845'488 fr. 75 ayant fait l'objet d'un investissement initial conformément au SPA du 25 mai 2005, avec intérêts à 5% l'an dès le jour de l'entrée en liquidation du fonds de placement L______(SAS I______) et condamne B______ (SUISSE) SA à lui payer les arriérés des dividendes exigibles depuis l'année 2015 et dont le montant totalise au minimum 700'000 fr.

Elle a notamment exposé que le fonds de placement L______(SAS I______) était géré et administré depuis la Suisse par l'établissement B______ M______, ______ E______ dans le canton de Genève, sur délégation expresse de B______ (SUISSE) SA sise à Zurich.

g. Le 26 mars 2021, B______ (SUISSE) SA a requis la fourniture de sûretés en garantie des dépens, octroyées par ordonnance du 27 mai 2021 du Tribunal à hauteur de 57'000 fr.

Les sûretés ont été déposées en date du 21 juin 2021. Le délai pour répondre à la demande a été prolongé au 17 septembre 2021 et finalement suspendu par ordonnance du 27 août 2021.

h.a. Par courrier du 20 août 2021, B______ (SUISSE) SA avait en effet soulevé une exception d'incompétence à raison du lieu des tribunaux genevois. Elle avait également contesté sa légitimation passive dans le cadre de la présente cause. Elle avait ainsi sollicité du Tribunal qu'il limite la procédure à la question de sa compétence ratione loci et à celle de sa propre légitimation passive.

Le 30 septembre 2021, A______ s'est opposée à la demande de limitation de la procédure.

Par ordonnance du 11 octobre 2021, le Tribunal a limité la procédure à la question de sa compétence ratione loci et à celle de la légitimation passive de B______ (SUISSE) SA et imparti un délai à cette dernière pour déposer une réponse limitée à ces questions.

h.b. Dans sa réponse (ainsi circonscrite) du 12 novembre 2021, B______ (SUISSE) SA a conclu, principalement, à ce que le Tribunal constate l'absence de sa légitimation passive et cela fait, rejette la demande en paiement. Subsidiairement, elle a conclu à ce que le Tribunal constate son incompétence pour connaître de la demande et la déclare irrecevable.

B______ (SUISSE) SA a notamment soutenu qu'elle ne possédait aucune succursale et que ses agences, exclusivement contrôlées par B______ (SUISSE) SA, dont l'agence sise ______ E______, ne disposaient d'aucune autonomie. L'agence de B______ (SUISSE) SA située ______ à E______ n'était par ailleurs pas inscrite au Registre du commerce. B______ (SUISSE) SA n'avait aucunement créé l'impression que l'agence de E______ était une succursale. Si l'action de la demanderesse trouvait son fondement dans le droit des contrats, alors le SPA contenait une élection de for en faveur des tribunaux des Îles Caïmans. Si l'élection de for n'était pas applicable, alors la demanderesse devait actionner dans l'Etat où se situe son siège, en Suisse, à Zurich. Si l'action était fondée sur le droit des sociétés, aucun for n'existait à Genève. La demande devait donc être déclarée irrecevable faute de for à Genève. B______ (SUISSE) SA a également soulevé qu'elle n'avait à aucun moment été impliquée dans la stratégie d'investissement relative à la Propriété, ni dans la gestion de celle-ci. Elle n'avait jamais été "asset manager" de la Propriété, n'avait jamais été partie ni au SPA, ni au mandat de gestion. Seules F______, puis, B______ SA en leur qualité d'"asset manager" avaient fourni les prestations prévues dans le Mandat de gestion. B______ (SUISSE) SA n'avait donc pas la légitimation passive dans le cadre de la présente procédure.

h.c. Par déterminations du 14 janvier 2022, A______ a conclu à ce que le Tribunal déboute B______ (SUISSE) SA de toutes les conclusions prises à l'appui de sa requête en simplification du procès du 20 août 2021; dise que le Tribunal est compétent pour connaître de la présente cause; dise que B______ (SUISSE) SA dispose de la qualité pour défendre et déboute B______ (SUISSE) SA de toutes autres ou contraires conclusions.

A______ a tout d'abord soutenu que B______ (SUISSE) SA aurait tacitement renoncé à se prévaloir de l'exception d'incompétence par le dépôt d'une conclusion principale portant sur la légitimation passive, qui était une question de droit de fond. Ensuite elle a indiqué que le fondement de son action était double, contractuel, mais également fondé sur la commission d'actes illicites, de sorte qu'il convenait d'appliquer le for résultant d'un cumul d'actions. Elle a exposé également que B______ (SUISSE) SA disposait certes d'un siège à Zurich, toutefois les bureaux sis ______ à E______ constituaient de fait, par leur taille et l'ampleur de leur activité, un établissement situé dans le canton de Genève. B______ (SUISSE) SA possédait ainsi un établissement de fait à Genève depuis lequel la majorité de l'activité de gestion du fond de placement L______(SAS I______) aurait été réalisée. Sur le plan contractuel, A______ aurait conclu avec F______ un contrat de consommation, de sorte que l'élection de droit serait exclue. Le for serait ainsi en Suisse et les Tribunaux du lieu de l'établissement de B______ (SUISSE) SA à Genève seraient compétents. Sur le plan délictuel, la responsabilité de B______ (SUISSE) SA serait engagée en raison des graves manquements dans la gestion du fonds L______(SAS I______). S'agissant de la légitimation passive, A______ a soutenu qu'il y aurait une "confusion des sphères" entre B______ (SUISSE) SA et B______ SA, rendant ainsi responsable tant l'une que l'autre des manquements dans la gestion du fonds L______(SAS I______).

h.d. Dans ses déterminations du 25 février 2022, B______ (SUISSE) SA a modifié l'ordre de ses conclusions et a conclu, principalement, à ce que le Tribunal constate son incompétence pour connaître de la demande et la déclare irrecevable. Subsidiairement, elle a conclu à ce que le Tribunal constate l'absence de sa légitimation passive et rejette la demande.

Elle a contesté avoir renoncé à son exception d'incompétence, dans la mesure où elle avait soulevé ce point dès son premier acte de procédure et ainsi dès la "première manifestation de défense" et avait émis des réserves s'agissant de la compétence tout le long de la procédure. Les conclusions formulées le 12 novembre 2021 avaient été prises spécifiquement dans le cadre de la réserve émise par la Banque s'agissant de l'incompétence à raison du lieu, puisqu'elles figuraient dans ses déterminations limitées précisément à cette question ainsi qu'à celle de la légitimation passive. Elle avait procédé ainsi dans l'hypothèse où le Tribunal trancherait les deux questions, une décision de rejet de la demande étant plus favorable pour elle qu'une décision d'irrecevabilité, pour des motifs d'autorité de la chose jugée. Elle a également contesté que le SPA soit un contrat de consommation excluant l'élection de for.

h.e. Par déterminations du 30 mars 2022, A______ a soutenu que B______ (SUISSE) SA ne pouvait pas être autorisée à modifier le contenu et l'ordre de ses conclusions à ce stade de la procédure comme elle l'avait fait dans ses déterminations du 25 février 2022. Le Tribunal devait se fonder uniquement sur ses conclusions du 20 août 2021 et en déduire que par acte concluant elle avait renoncé à ce que le Tribunal examine sa compétence.

i. Le Tribunal a gardé la cause à juger sur la question de la compétence ratione loci, voire sur la question de la légitimation passive de B______ (SUISSE) SA à l'issue de son audience du 20 mai 2022, puis rendu le jugement querellé.

EN DROIT

1. 1.1 Interjeté dans le délai utile et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 142, 143 et 311 al. 1 CPC) à l’encontre d’une décision finale de première instance, rendue dans un litige dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est supérieure à 10’000 fr. (art. 308 al. 2 CPC) et par devant l'instance cantonale appelée à en connaître (art. 120 al.1 lit. a LOJ), l’appel est formellement recevable.

1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d’examen (art. 310 CPC). Elle applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

2. En tant que l'appelante soutient que le Tribunal aurait omis des faits pertinents, la Cour se fonde sur son propre état de faits établi sur la base des éléments qui découlent de la procédure qui lui est soumise.

3. L'appelante fait grief en premier lieu au Tribunal de ne pas avoir retenu que l'intimée aurait accepté tacitement sa compétence en procédant sans réserve.

3.1 La cause présente à tout le moins un élément d'extranéité, l'appelante étant domiciliée en Arabie saoudite. Par conséquent, les règles du droit international privé suisse s'appliquent, notamment à la compétence des autorités judiciaires suisses et au droit applicable (art.1 de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP – RS 291)).

Selon l'art. 6 LDIP, en matière patrimoniale, le tribunal devant lequel le défendeur procède au fond sans faire de réserve est compétent, à moins qu'il ne décline sa compétence dans la mesure où l'art 5 al. 3 le lui permet. Cette disposition stipule que le tribunal suisse élu ne peut décliner sa compétence si une partie est domiciliée, a sa résidence habituelle ou un établissement dans le canton où il siège, ou si en vertu de la loi, le droit suisse est applicable.

Pour que le défendeur puisse se voir imposer une acceptation tacite de compétence, il faut qu'il soit entré en matière. Il faut dès lors que son comportement soit celui d'un plaideur qui procède au fond sans faire de réserve. On en déduira que le défendeur peut se déterminer à titre éventuel sur le fond, pour le cas où l'exception d'incompétence ne serait pas admise, sans que pareil comportement vaille acceptation tacite de la compétence du tribunal (DUTOIT, Droit international privé suisse, commentaire LDIP, 5e éd. 2016, nos 1 et 2 ad art. 6). Il faut que l'acceptation ait lieu sans réserve, de sorte qu'elle n'existe pas lorsque le défendeur excipe de l'incompétence du tribunal avant ou en même temps que ses déterminations sur le fond de la cause (VASELLA/KUNZ, Basler Kommentar, Internationales Privatrecht, 4. Aufl., 2021, no 11 ad Art.6).

3.2 Dans le cas d'espèce, il ressort sans ambiguïté de la procédure que l'intimée a pris d'entrée de cause et dans sa première écriture par devant le juge de première instance des conclusions tant en rejet qu'en irrecevabilité du fait de l'incompétence alléguée du Tribunal. Elle s'est dès lors, indépendamment du fait que l'ordre de ses conclusions était différent de celui de celles déposées par la suite, conformée à l'exigence de devoir soulever le déclinatoire de compétence avant ou au plus tard en même temps que la prise de conclusions en rejet de l'action. En tous les cas il doit être retenu qu'elle n'a, de ce fait, à l'évidence pas procédé au fond sans faire de réserve, de sorte que l'on aurait pu lui imposer un for par acceptation tacite de compétence.

Ce grief doit être rejeté.

Dans la mesure où il n'y a pas eu acception tacite de compétence au sens de l'art. 6 LDIP, il n'y a pas à se poser la question de savoir si l'art. 5 al. 3 LDIP pouvait ou non trouver application. En effet, l'art. 5 al. 3 LDIP peut trouver application dans deux hypothèses. Soit les parties ont élu un for à Genève au sens de l'art. 5 LDIP ce qui n’est pas le cas, soit l'une d'elles a accepté tacitement un for au sens de l'art. 6 LDIP, ce qui n'est pas le cas non plus en l'espèce comme vu ci-dessus. Par conséquent, l'application de l'art. 5 al. 3 LDIP n'entrant pas en matière, la discussion relative à l'existence d'un établissement (art. 5 al. 3 lit. a LDIP) de l'intimée à Genève dans ce cadre est vaine.

4. L'appelante soutient en outre qu'elle devrait pouvoir bénéficier des règles de compétence découlant de la protection des consommateurs et fait grief au Tribunal de ne pas l'avoir retenu, violant par-là selon elle les art. 114 et 120 LDIP.

4.1 Selon l'art. 120 al. 1 LDIP, les contrats portant sur une prestation de consommation courante destinée à un usage personnel ou familial du consommateur et qui n'est pas en rapport avec l'activité professionnelle ou commerciale du consommateur sont régis par le droit de l'Etat de la résidence habituelle du consommateur ( ).

L'art. 114 al. 1 LDIP stipule quant à lui que dans les contrats qui répondent aux conditions énoncées par l'art. 120 al. 1, l'action intentée par un consommateur peut être portée, au choix de ce dernier, devant le tribunal suisse de son domicile ou de sa résidence habituelle (a) ou du domicile ou à défaut de domicile de la résidence habituelle du fournisseur. L'al. 2 de cette disposition prescrit que le consommateur ne peut pas renoncer d'avance au for de son domicile ou de sa résidence habituelle.

Apparaît déterminant dans le cadre de la définition du contrat conclu avec un consommateur le critère fondamental de l'usage personnel ou familial (DUTOIT, op. cit, no 2 ad art. 120). En matière financière en particulier, le Tribunal fédéral a considéré que le champ d'application des dispositions spéciales en matière de for pour les contrats conclus avec des consommateurs devait être compris de manière étroite, la protection sociale voulue par le législateur se limitant exclusivement aux consommateurs privés et aux prestations couvrant les besoins courants (ATF 132 III 268/272 c.2.2.2). Cette jurisprudence a été confirmée par la suite (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 4A_229/2018 c.9).

4.2 Dans le cas d'espèce, l'appelante, reprochant au premier juge un raisonnement lapidaire sur la question, se contente pour sa part de soutenir sans autre explication avoir dû conclure le "Share purchase agreement" pour ses besoins personnels.

Or, outre le fait qu’on ne sait rien de son activité professionnelle, elle ne donne ce faisant aucun détail sur le fait que cette opération servait ses besoins courants. Quoiqu'il en soit, conformément aux principes rappelés ci-dessus, une telle opération, d'ampleur (plus d'un million de francs), complexe (achat de parts d’investisseurs dans un fonds), portant sur un investissement international, sort manifestement du champ d'application de la protection sociale voulue par le législateur dans le cadre de l’adoption des règles exceptionnelles de for destinées aux contrats conclus avec des consommateurs. Soutenir le contraire frise la témérité.

Ce grief doit être rejeté sans autre.

5. En dernier lieu, l'appelante reproche au Tribunal d'avoir violé la règle de compétence découlant de l'art. 129 LDIP relative à la compétence en matière d'acte illicite. Elle fait grief au premier juge d'avoir notamment retenu qu'elle n'invoquait pas de commission d'acte illicite comme fondement de sa demande mais une violation contractuelle exclusivement.

5.1 Aux termes de l'art. 129 LDIP, les tribunaux suisses du domicile ou, à défaut de domicile, ceux de la résidence habituelle du défendeur sont compétents pour connaître des actions fondées sur un acte illicite. Sont en outre compétents les tribunaux suisses du lieu de l'acte ou du résultat et, pour connaître des actions relatives à l'activité de l'établissement en Suisse, les tribunaux du lieu de l'établissement.

5.2 En l'espèce, le Tribunal a considéré, outre le fait qu'il n'existait pas d'établissement de l'intimée à Genève, que l'appelante n'avait pas invoqué d'acte illicite de l'intimée susceptible de créer un for fondé sur une action délictuelle. L'appelante soutient que ce n'est pas parce qu'elle ne s'était pas prévalue d'actes illicites commis par l'intimée que les faits présentés par elle ne pouvaient pas également constituer la base à une qualification d'action délictuelle puisque iura novit curia.

Il est incontesté que le tribunal applique le droit d'office (art. 57 CPC). Cela étant, il le fait sur la base des faits allégués par les parties qui fondent le cadre du litige soumis au juge. Lorsque, comme dans le cas d'espèce, la demande est fondée sur des faits ressortant d'une relation contractuelle ou prétendue telle, il n'appartient pas au juge de compléter le cas échéant lesdits faits de manière à tenter d'envisager un nouveau fondement juridique à la demande, in casu de manière en outre à tenter de fonder un nouveau point de rattachement susceptible de créer un for.

L'ensemble des faits présentés dans la demande de l'appelante vise à tenter de démontrer des manquements dans la gestion, prétendument par l'intimée, du fonds L______(SAS I______) et en sa qualité d'Asset manager. Or, indépendamment du fait que ces faits relèvent de rapports contractuels allégués entre les parties, on doit constater que les éventuels actes illicites qui pourraient en découler sont des actes de tiers et non de l'intimée dans la mesure où d'une part celle-ci n'a jamais été Asset manager de la propriété et que c'est B______ SA, à Bâle et Zurich, qui avait repris les engagements de F______.

Dans la mesure, dès lors, où il n'y a pas de quoi envisager un for pour une action délictuelle à Genève, la question de savoir s'il existe un établissement de l'intimée dans ce canton au sens de l'art. 129 LDIP n'a pas à être examinée à ce stade non plus.

6. Comme elle succombe, l'appelante supportera les frais d'appel fixés à 3'500 fr., compensés partiellement avec l'avance de frais de 1'000 fr. versée par elle qui reste acquise à l'Etat.

Des dépens d'appel seront mis à sa charge en 4'000 fr. en faveur de l'intimée.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre le jugement JTPI/10496/2022 rendu le 6 septembre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/8160/2020.

Au fond :

Le rejette.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d’appel à 3'500 fr., les met à charge de A______ et les compense partiellement avec l’avance de frais versée par elle de 1'000 fr., qui demeure acquise à l’Etat de Genève.

Condamne A______ à verser 2'500 fr. à l’Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne A______ à verser à B______ (SUISSE) SA 4’000 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.