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Décisions | Chambre civile

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C/14588/2022

ACJC/136/2023 du 31.01.2023 sur OTPI/558/2022 ( SCC ) , CONFIRME

Normes : CC.556.al1; CO.23; CO.31.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/14588/2022 ACJC/136/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 31 JANVIER 2023

 

Pour

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'une ordonnance rendue par le Tribunal de première instance de ce canton le 25 août 2022, comparant en personne.

 

 

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/558/22 rendue le 25 août 2022, notifiée à A______ le 31 août 2022, le Tribunal de première instance (ci-après, le Tribunal) a rejeté la requête formée par A______ en annulation de la répudiation de la succession de feu B______ (chiffre 1 du dispositif) et arrêté les frais judiciaires à 300 fr., mis à la charge de A______ et compensés avec l'avance versée (ch. 2).

B. a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice (ci-après, la Cour) le 9 septembre 2022, A______ a formé appel de cette décision. Elle a conclu à ce que la Cour lui restitue "le délai concernant la possibilité de radiation de la répudiation [qu'elle avait] faite".

Elle a produit des pièces nouvelles.

b. Par avis du 11 octobre 2022, la Cour a informé A______ de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les éléments pertinents suivants résultent du dossier :

a. L'époux de A______, née le ______ 1930, B______, est décédé le ______ 2013 à C______ (GE).

b. Par déclaration de répudiation du 21 novembre 2013, A______ a répudié la succession de son mari. Leurs deux fils ont fait de même.

c. Par acte expédié au Tribunal le 26 juillet 2022, A______ a sollicité l'annulation de dite répudiation.

Elle a exposé être illettrée et âgée. Elle avait répudié la succession de son mari, car les époux ne possédaient aucun bien en Suisse. Elle avait cru que la répudiation ne concernait ainsi pas un appartement en Espagne, que les époux avaient acquis "avec beaucoup de sacrifices". Ce bien n'avait pas été "déclaré". Elle souhaitait vendre ce bien pour rembourser des sommes réclamées par le Service des prestations complémentaires.

Selon un courrier du 3 juillet 2020, ledit Service avait repris le calcul des prestations complémentaires versées à A______ et à feu son mari, en raison de l'existence d'un bien immobilier qui n'avait pas été déclaré en violation du droit applicable. Elle devait donc restituer 115'436 fr. 25 sous trente jours.

A______ a en outre produit un courrier de la Justice de paix, concernant l'absence de testament émanant de feu B______, ainsi qu'une copie de son permis C.

d. Sur ordonnance du Tribunal du 10 août 2022, A______ a produit une copie de sa déclaration de répudiation, puis la cause a été gardée à juger.

D. Dans l'ordonnance entreprise, le Tribunal a constaté que la demande de remboursement du Service des prestations complémentaires semblait être à l'origine de la décision de A______ d'obtenir l'annulation de la répudiation de la succession de feu son mari. Or, ce courrier datait de juillet 2020. Des démarches avaient en outre été effectuées en juin 2021 auprès de la Justice de paix. Ainsi, pour autant que l'erreur puisse être qualifiée d'essentielle, le délai d'un an prévu à l'art. 31 al. 2 CO était échu. Elle était donc forclose à demander l'annulation de la répudiation.

EN DROIT

1. 1.1 Interjeté contre une décision finale (308 al. 1 let. a CPC), dans une affaire patrimoniale dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), dans le délai utile de dix jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1, 142 al. 1, 248 let. e et 314 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.2 La présente cause relève de la procédure gracieuse et est donc soumise à la procédure sommaire (art. 248 let. e CPC).

Dans les procédures relevant de la juridiction gracieuse, le tribunal établit les faits d'office (art. 255 let. b CPC).

L'appel peut être formé pour violation du droit ou constatation inexacte des faits (art. 310 let. a et b CPC).

2. L'appelante a produit des pièces nouvelles en appel.

2.1 A teneur de l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b). Les deux conditions sont cumulatives (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_436/2020 du 5 février 2021 consid. 4.3).

Les conditions de l'art. 317 al. 1 CPC sont applicables même lorsque la cause est soumise à la maxime inquisitoire simple (ATF 142 III 413 consid. 2.2.2; 138 III 625 consid. 2.2) par opposition à la maxime inquisitoire illimitée, où la jurisprudence est plus souple à cet égard (arrêt du Tribunal fédéral 5A_636/2018 du 8 octobre 2018 consid. 3.3.3).

2.2 En l'espèce, l'appelante a produit des déclarations de répudiation émanant vraisemblablement de ses petits-enfants, datées et apostillées en 2020, ainsi qu'un courrier de la Justice de paix de la même époque et un courriel partiellement reproduit datant de mai 2022. Elle a aussi produit des documents médicaux datant de décembre 2021 et une attestation médicale datée du 7 septembre 2022, mais portant sur la période échéant au 22 mars 2022.

Il s'ensuit que toutes les pièces susmentionnées, de même que les faits qui s'y rapportent, auraient pu être soumis au premier juge avant la clôture de la procédure de première instance. Bien que l'attestation médicale soit datée du 7 septembre 2022, elle vise des faits antérieurs à mars 2022, de sorte que ces faits auraient pu eux aussi être soumis au premier juge.

De plus, la demande de restitution de délai formée par l'appelante porte sur l'erreur essentielle dont elle se prévaut - soit une période comprise entre 2020 et mai 2022 -, mais non sur sa capacité à soumettre les pièces susmentionnées au Tribunal. L'appelante n'a ainsi pas apporté de justification à son retard à les produire.

Les pièces nouvelles produites en appel, de même que les faits qui s'y rapportent, sont ainsi irrecevables.

3. L'appelante estime avoir été victime d'une erreur essentielle, car âgée et induite en erreur par les personnes qui l'avaient conseillée, sur les conséquences de la répudiation de la succession de son mari. Elle demande que le délai pour se prévaloir de son erreur essentielle lui soit restitué.

3.1
3.1.1
A teneur de l'art. 566 al. 1 CC, les héritiers légaux ou institués ont la faculté de répudier la succession.

La répudiation est un acte unilatéral, sujet à réception, par lequel un héritier rend caduque son acquisition de la succession. Il s'agit d'un acte formateur et irrévocable (arrêt du Tribunal fédéral 5A_594/2009 du 20 avril 2010 consid. 2.1 ; Pradervand-Kernen, La répudiation - Questions choisies, Journée de droit successoral 2023, p. 68).

Si une révocation de la répudiation n'est ainsi pas envisageable, la déclaration de répudiation, à l'instar de tout acte juridique, doit pouvoir être annulée pour vice de la volonté (art. 7 CC et 23 et suivants CO ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_594/2009 du 20 avril 2010 consid. 2.1; Pradervand-Kernen, loc. cit.).

3.1.2 A teneur de l'art. 23 CO, appliqué par analogie, l'acte juridique n'oblige pas celle des parties qui, au moment de l'émettre, était dans une erreur essentielle.

Il y a erreur lorsqu'il existe une divergence entre la réalité et ce que croyait la victime, ou - en d'autres termes - lorsque représentation de la réalité et réalité ne coïncident pas. L'erreur doit porter sur des faits qui empêchent la formation correcte de la volonté au moment de l'émission de la déclaration de volonté. Les doutes qui précèdent ou suivent ce moment ne sont pas pertinents puisqu'ils n'influencent pas directement la formation de la volonté; il en va de même d'une simple appréciation subjective de la réalité. L'erreur qui porte uniquement sur les motifs ne permet pas l'invalidation du contrat (art. 24 al. 2 CO). Seule l'erreur qualifiée autorise l'invalidation. Une telle erreur doit donc porter sur des circonstances de fait qui, subjectivement, forment la condition sine qua non de l'acte juridique litigieux (condition subjective) et qui, objectivement, doivent être considérées comme essentielles selon la loyauté commerciale (condition objective). S'agissant cependant en l'espèce de l'invalidation d'un acte juridique unilatéral, c'est seul le point de vue de l'errans qui doit être apprécié (arrêt du Tribunal fédéral 5A_594/2009 du 20 avril 2010 consid. 2.2).

Il n'y a pas d'erreur essentielle lorsque l'errans a conscience de l'incertitude liée à l'étendue et à la valeur des actifs et des passifs d'une succession; une incertitude sur une situation juridique n'est pas non plus suffisante puisqu'il incombe alors à l'intéressé de peser les avantages et les inconvénients de la répudiation (ATF 129 III 305 consid. 4.3). De même, l'errans ne peut se prévaloir d'une erreur portant sur les effets juridiques accessoires d'un acte, par exemple la perte de la faculté de se subroger dans les droits du de cujus dans un procès en cours (arrêt du Tribunal fédéral 5P.38/2007 du 5 avril 2007 consid. 4). Ainsi, lorsque les héritiers ont tous les éléments en mains pour apprécier la situation, ils ne peuvent pas se prévaloir de leur erreur pour n'avoir pas examiné suffisamment les conséquences de leur déclaration (arrêt du Tribunal fédéral 5A_594/2009 du 20 avril 2010 consid. 2.2).

3.1.3 A teneur de l'art. 31 al. 1 CO, le contrat entaché d'erreur ou de dol, ou conclu sous l'empire d'une crainte fondée, est tenu pour ratifié lorsque la partie qu'il n'oblige point a laissé s'écouler une année sans déclarer à l'autre sa résolution de ne pas le maintenir, ou sans répéter ce qu'elle a payé.

Après l'écoulement du délai d'un an, la ratification intervient ex lege. Le délai pour déclarer l'invalidation ne connaît ni interruption ni suspension, puisqu'il est péremptoire. Il commence à courir au moment où la victime a pris clairement connaissance du dol ou de l'erreur, ou au moment où la crainte fondée cesse (Schmidlin/Campi, Commentaire Romand - CO I, 3ème éd. 2021, n. 38 ad art. 31 CO).

3.2 En l'espèce, l'appelante, dans la majeure partie de son appel, apporte des éléments factuels complémentaires, lesquels sont irrecevables. Ce faisant, elle reconnaît qu'elle connaissait l'existence du bien immobilier en Espagne et des droits de propriété de feu son mari sur celui-ci, au moment de la répudiation et dès avant juillet 2020, puis avoir, dès cette époque, procédé à toutes sortes de démarches pour le vendre. Elle invoque ne pas avoir agi de mauvaise foi lors de la répudiation : elle n'avait pas compris les conséquences de son acte. Elle était persuadée que la répudiation n'aurait pas d'effet sur le bien situé en Espagne.

Au vu de ce qui précède, l'appelante ne remet pas en cause le raisonnement du premier juge qui porte sur la péremption de son droit de se prévaloir d'un vice de la volonté, après l'échéance du délai d'une année suivant la découverte de l'erreur. Ce délai était largement échu en 2022 lorsqu'elle a initié son action, étant donné qu'elle a découvert sa prétendue erreur à l'été 2020 au plus tard. La demande de restitution de délai formée dans l'appel est sans portée, puisque le délai ne peut connaître ni interruption, ni suspension.

Pour cette raison déjà, l'ordonnance entreprise doit être confirmée.

De toute manière, il ne saurait être retenu que l'appelante a été victime d'une erreur essentielle. Comme elle l'admet, elle avait connaissance, au moment de la répudiation, de l'existence d'un bien immobilier en Espagne sur lequel son défunt mari avait des droits de propriété. Ainsi, la représentation factuelle de l'appelante était conforme à la réalité, puisqu'elle avait connaissance de tous les éléments pertinents pour prendre sa décision. L'appelante croyait cependant que sa répudiation n'aurait pas d'effet sur ce bien. Elle a par conséquent éventuellement mal apprécié les conséquences de ses actes, mais, ainsi que l'enseigne la jurisprudence constante, cette circonstance n'est pas de nature à fonder un motif d'invalidation de la répudiation. La volonté de l'appelante n'était pas viciée.

Par conséquent, les griefs de l'appelante, pour peu qu'ils soient recevables, seront rejetés.

4. Les frais judiciaires de l'appel seront arrêtés à 300 fr. (art. 26 et 35 RTFMC), mis à la charge de l'appelante qui succombe (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec l'avance de frais qu'elle a versée et qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ le 9 septembre 2022 contre l'ordonnance OTPI/558/22 rendue le 25 août 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14588/2022.

Au fond :

Confirme l'ordonnance entreprise.

Déboute A______ de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 300 fr., le met à charge de A______ et les compense avec l'avance de frais qu'elle a versée et qui demeure acquise à l'Etat de Genève.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Valérie BOCHET MARCHAND, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.