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Décisions | Chambre civile

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C/20354/2020

ACJC/18/2023 du 10.01.2023 sur ORTPI/947/2022 ( OO ) , MODIFIE

Normes : CPC.126.al1; CPP.263
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/20354/2020 ACJC/18/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du mardi 10 janvier 2023

 

Entre

A______ LTD, sise ______, Îles Vierges Britanniques, recourante contre une ordonnance rendue par la 2ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 26 août 2022, comparant par Me Vincent TATTINI, avocat, Watt law Sàrl, route de Malagnou 6, case postale 441, 1211 Genève 12, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______, sise ______ [GE], intimée, comparant par Mes David BITTON et
Yves KLEIN, avocats, Monfrini Bitton Klein, place du Molard 3, 1204 Genève, en l'Étude desquels elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance ORTPI/947/2022 du 26 août 2022, notifiée le 29 du même mois, le Tribunal de première instance a ordonné la suspension de la procédure en paiement opposant A______ LTD à [la banque] B______ jusqu'à droit jugé dans le cadre de la procédure pénale no 1______ devant le Ministère public de la Confédération et a renvoyé le sort des frais à la décision finale.

B. a. Par acte expédié le 9 septembre 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ LTD a formé recours contre cette ordonnance. Après avoir préalablement sollicité l'apport de l'entier du dossier de première instance, elle a conclu, sous suite de frais, à ce que la Cour annule l'ordonnance attaquée, dise que la cause n'est pas suspendue, déboute B______ de toutes ses conclusions en suspension de la procédure et impartisse à cette dernière un délai de 30 jours pour déposer une réponse écrite à la demande en paiement dirigée contre elle.

b. Aux termes de son mémoire de réponse du 6 octobre 2022, B______ a conclu, sous suite de frais, au rejet du recours.

c. A______ LTD a spontanément répliqué le 21 octobre 2022, persistant dans les conclusions de son recours.

d. B______ a renoncé à son droit de dupliquer.

e. Le 10 novembre 2022, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier :

a. Au mois de février 2012, A______ LTD a ouvert un compte bancaire, enregistré sous no 2______, auprès de B______, lequel était géré par une société de gestion externe.

b. Par demande en paiement déposée en conciliation le 14 octobre 2020 et introduite devant le Tribunal de première instance le 16 décembre 2020, A______ LTD a requis que B______ soit condamnée à lui payer une somme totale de 2'366'064.83 USD avec intérêts.

A______ LTD reproche à B______ d'avoir procédé au mois de mars 2020 à une transaction financière non autorisée depuis le compte bancaire précité en violation de ses obligations contractuelles et sollicite la restitution des sommes perdues consécutivement à cette transaction. Elle allègue que l'employé qui a procédé à la transaction illicite a falsifié certains documents, qu'il a été suspendu de ses fonctions avec effet immédiat par B______ et que des plaintes pénales ont été déposées à son encontre par les parties.

c. Par ordonnance de séquestre du 17 novembre 2020 rendue dans le cadre de la procédure pénale 1______, le Ministère public de la Confédération a, sur la base des art. 263 et ss CPP, ordonné le blocage immédiat du compte no 2______ ouvert au nom de A______ LTD, donnant ordre à B______ de ne verser aucun montant ou de ne délivrer aucun autre élément de fortune en lien avec ce compte. Le séquestre est intervenu en raison de l'existence de soupçons que les avoirs concernés auraient été obtenus par le biais d'actes pénalement répréhensibles (corruption d'agents publics étrangers [art. 322septies CP] et blanchiment d'argent [art 305bis al. 1 et 2 CP]).

Selon ladite ordonnance, un ingénieur ukrainien est soupçonné d'avoir versé, entre 2012 et 2014, des pots-de-vin d'un montant d'environ 10 millions de francs au directeur de l'époque de la société nationale des chemins de fer ukrainiens afin d'obtenir des contrats relatifs à des projets d'infrastructures, lesquels auraient été transférés sur des relations bancaires en Suisse, dont l'épouse du directeur, utilisée comme prête nom, est l'ayant droit économique.

Le Tribunal a retenu, sans être contredit par les parties, que la créance alléguée par A______ LTD tombait sous le coup du séquestre.

d. Après avoir sollicité une prolongation du délai pour répondre à la demande en paiement, B______ a, en lieu et place, déposé une requête de sûretés en garantie des dépens, à laquelle le Tribunal a, après deux échanges d'écritures, donné une suite favorable par ordonnance du 21 octobre 2021 en condamnant A______ LTD à fournir des sûretés de 47'300 fr.

e. A______ LTD a fourni les sûretés requises et un nouveau délai a été fixé à B______ pour déposer ses écritures responsives.

f. Après avoir sollicité et obtenu une nouvelle prolongation de délai, B______ a, le 18 février 2022, soit dans le délai imparti, sollicité la suspension de la procédure en paiement jusqu'à droit connu dans la procédure pénale 1______, subsidiairement tant que le séquestre pénal visant le compte no 2______ était maintenu.

Elle a notamment fait valoir que si un juge pénal devait confirmer la commission des infractions de corruption et de blanchiment d'argent, A______ LTD ne disposerait plus d'aucun droit sur les fonds séquestrés ou perdus et devrait en conséquence être déboutée de sa demande en paiement faute de légitimation active.

g. A______ LTD s'est opposée à la suspension de la procédure.

Elle a notamment fait valoir que la procédure en paiement ne présentait aucun lien de connexité avec la procédure pénale et qu'il n'existait en conséquence pas de risque de décisions contradictoires, que le juge civil n'était pas lié par un jugement pénal et enfin que le fait de savoir si elle recouvra la libre disposition des biens séquestrés n'était pas pertinent pour la résolution du litige, B______ étant tenue de restituer les fonds perdus indépendamment de l'entité qui en bénéficiera selon les futures décisions des autorités pénales. Elle a également fait valoir que le prononcé d'une suspension contreviendrait au principe de célérité et que la demande de suspension de B______ était constitutive d'un abus de droits, le but poursuivi étant de retarder l'issue de la procédure afin d'échapper à ses obligations.

h. D'autres échanges d'écritures s'en sont suivis aux termes desquels les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.

EN DROIT

1. 1.1 Interjeté dans le délai utile de dix jours et suivant la forme prescrite par la loi, à l'encontre d'une ordonnance de suspension au sens de l'art. 126 al. 1 CPC, laquelle entre dans la catégorie des ordonnances d'instruction (ATF 141 III 270 consid. 3) pouvant, conformément à l'art. 126 al. 2 CPC, faire l'objet du recours de l'art. 319 let. b ch. 1 CPC, le présent recours est recevable (art. 130, 131, 142 et 321 al. 1 et 2 CPC).

1.2 La cognition de la Cour est limitée à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2. La Cour de céans demandant, en cas de recours, d'office le dossier de première instance à l'autorité précédente conformément à l'art. 327 al. 1 CPC, la requête de la recourante tendant à la production dudit dossier est sans objet.

3. Dans la mesure où aucune des parties n'invoque que le premier juge aurait constaté les faits de manière manifestement inexacte, il n'y a pas lieu de s'écarter de l'état de fait arrêté en première instance.

4. Dans le cadre de l'ordonnance entreprise, le Tribunal a retenu, après avoir souligné que le compte no 2______ n'était plus à la libre disposition de la recourante en raison de la mesure de séquestre pénal ordonnée, que dans l'hypothèse où les valeurs séquestrées étaient, à l'issue de la procédure pénale, utilisées pour garantir des frais de procédure, des peines pécuniaires et des indemnités ou restituées à la partie lésée, la créance alléguée de la recourante suivrait, en sa qualité de valeur patrimoniale, le même sort, de sorte qu'elle ne pourrait plus en réclamer le paiement. Il y avait ainsi lieu, par économie de procédure, de considérer que la décision qui sera rendue dans le cadre de la procédure pénale initiée par le Ministère public de la Confédération quant au sort des valeurs patrimoniales liées au compte no 2______, créances comprises, aura une influence déterminante quant à l'issue de la présente cause. Les exigences de célérité prévues par la Constitution étaient en outre suffisamment garanties par les mécanismes propres du droit de procédure pénale, l'art. 267 al. 1 CPP concrétisant le respect du principe de la proportionnalité, tant quant à l'étendue que quant à la durée du séquestre pénal.

4.1 La recourante reproche au premier juge d'avoir violé l'art. 126 CPC en considérant que l'issue de la procédure pénale 1______ pourrait avoir une influence déterminante sur la présente procédure civile. Elle fait valoir que le compte no 2______ ouvert à son nom fait l'objet d'un séquestre et non d'une confiscation, de sorte qu'elle demeure propriétaire des avoirs séquestrés et donc titulaire des droits qui en découlent. Elle conserve ainsi le droit d'agir en responsabilité contre l'intimée et d'obtenir une décision à ce sujet quand bien même les valeurs séquestrées ne lui seraient finalement pas restituées. En outre, un risque de décisions contradictoires est exclu dans la mesure où la présente procédure civile a pour objet la restitution de fonds perdus par l'intimée à la suite d'une opération financière non autorisée alors que la procédure pénale fait suite à l'existence de soupçons quant à une origine criminelle des avoirs du compte bancaire no 2______. Ainsi, une éventuelle confiscation future des valeurs séquestrées ne saurait avoir de conséquence sur la responsabilité de la banque pour la perte d'avoirs alléguée. Si le soupçon de blanchiment d'argent devait se confirmer, les sommes récupérées augmenteront le solde du compte no 2______ et pourront être affectées au paiement des frais de procédure, des amendes ou des indemnités.

La recourante fait également valoir que la suspension ordonnée viole l'exigence de célérité. La procédure pénale n'a pas avancé depuis presque deux ans, aucun acte d'accusation n'a encore été établi par le Ministère public de la Confédération et la procédure est amenée à durer encore plusieurs années, compte tenu de la présence de plaintes pénales contre inconnu, de la commission d'une partie des supposées infractions à l'étranger et de l'interruption des procédures d'entraides judiciaires avec le pays étranger concerné. En outre, contrairement à ce qui a été retenu, les mécanismes du droit de procédure pénale ne permettent pas de garantir le respect du principe de célérité, des avoirs pouvant rester séquestrés des années avant qu'une procédure pénale aboutisse.

Enfin, la recourante soutient que la demande de suspension de l'intimée est abusive au motif qu'elle a pour unique but de ralentir la procédure. L'intimée a en effet, depuis le début de la procédure, usé de divers moyens pour ne pas répondre à la demande en paiement, notamment en sollicitant une prolongation de délai pour répondre pour finalement déposer une requête en sûretés, puis en requérant une seconde prolongation de délai pour demander, cette fois-ci, une suspension de la procédure.

4.2 Selon l'art. 126 al. 1 CPC, le tribunal peut ordonner la suspension de la procédure si des motifs d'opportunité le commandent; la procédure peut notamment être suspendue lorsque la décision dépend du sort d'un autre procès. Le juge bénéficie d'un large pouvoir d'appréciation en la matière (arrêt du Tribunal fédéral 4A_683/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1).

Dès lors qu'elle contrevient à l'exigence de célérité de la procédure, imposée par les art. 29 al. 1 Cst et 124 al. 1 CPC, la suspension ne peut être ordonnée qu'exceptionnellement, en particulier lorsqu'il s'agit d'attendre le jugement principal d'une autorité compétente permettant de trancher une question de nature préjudicielle. Elle doit répondre à un besoin réel et être fondée sur des motifs objectifs. Elle ne saurait être ordonnée à la légère, les parties ayant un droit à ce que les causes pendantes soient traitées dans des délais raisonnables. Le juge doit procéder à une pesée des intérêts des parties, l'exigence de célérité l'emportant en cas de doute (ATF 135 III 127 consid. 3.4; 119 II 386 consid. 1b; arrêts du Tribunal fédéral 4A_683/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1; 9C_293/2014 du 16 octobre 2014 consid. 2.2.2 et 5A_218/2013 du 17 avril 2013 consid. 3.1; Frei, in Berner Kommentar, 2012, n. 1 ad art. 126 CPC).

Une suspension dans l'attente de l'issue d'un autre procès peut se justifier en cas de procès connexes, même s'il n'est pas nécessaire que l'objet du litige ou les parties soient les mêmes. Il s'agit en effet d'éviter des décisions contradictoires ou incohérentes (Gschwend/Bornatico, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd., 2017, n. 11 ad art. 126 CPC; Frei, op. cit., n. 3 ad art. 126 CPC). En outre, la seconde procédure, dont l'issue sera déterminante pour le sort de la procédure suspendue, doit être déjà bien avancée faute de quoi, en règle générale, la suspension ne sera pas compatible avec l'exigence de célérité (Frei, op. cit., n. 5 ad art. 126 CPC).

Comme le juge civil n'est pas lié par le jugement pénal (art. 53 CO), l'existence d'une procédure pénale ne justifiera qu'exceptionnellement la suspension de la procédure civile. Le Tribunal fédéral a ainsi confirmé le refus de suspendre une procédure prud’homale jusqu’à droit connu au pénal, au motif que la procédure pénale était encore loin d’aboutir puisque, au moment où l’autorité précédente avait statué, l’acte d’accusation n’avait même pas été établi. En outre, le Tribunal fédéral a relevé que le juge civil était tout aussi à même d’entendre les témoins, d’apprécier leurs déclarations et les pièces tirées du dossier pénal, puis d’établir les faits pertinents pour le sort de la cause. La seule existence d’un rapport de connexité très étroit entre les deux procédures ne suffisait pas à justifier la suspension (arrêt du Tribunal fédéral 4A_683/2014 du 17 février 2015 consid. 2.1 et 2.2).

4.2.1 Selon la jurisprudence, en l'absence de mandat de gestion de fortune, la banque ne peut effectuer une opération déterminée sur le compte de son client que sur instructions ou avec l'accord de ce dernier (arrêt du Tribunal fédéral 4A_262/2008 du 23 septembre 2008 consid. 2.1).

Si la banque effectue des opérations bancaires sans instructions ou sans l'accord de son client, elle répond du dommage qui en résulte pour celui-ci selon les règles de la gestion d'affaires sans mandat (art. 419 ss CO). L'inexécution ou la mauvaise exécution des ordres d'achat ou de vente de titres donnés par le client sont régies par les règles du contrat de commission (art. 425 ss CO et, par renvoi de l'art. 425 al. 2 CO, art. 398 al. 2 et 97 ss CO), les règles des art. 425 ss CO étant applicables par analogie lorsque l'ordre d'achat ou de vente ne porte pas sur des papiers-valeurs, mais sur d'autres instruments financiers (par exemple sur des options). Lorsque l'on se trouve en présence de détournements des avoirs du client commis par un employé de la banque, qui ont donc été exécutés sans instructions et sans l'accord du client, le dommage est subi par le client et la banque en est responsable conformément aux art. 398 al. 2 et 97 ss CO. Dans une telle situation, ni les règles sur la gestion d'affaires sans mandat (parfaite ou imparfaite), ni celles sur le contrat de commission ne peuvent être appliquées directement. On est en présence d'actes illicites au sens de l'art. 41 CO commis par l'employé de la banque et, si le client bénéficie certes du concours de l'action délictuelle et de l'action contractuelle, la banque répond contractuellement des actes de son auxiliaire en vertu de l'art. 101 CO (arrêt du Tribunal fédéral 4A_407/2021 du 13 septembre 2022 consid. 4.2).

4.2.2 Le séquestre pénal est prononcé en principe sur la base de l'art. 263 CPP. Cette disposition permet de mettre sous séquestre des objets et des valeurs patrimoniales appartenant au prévenu ou à des tiers, lorsqu'il est probable qu'ils seront utilisés comme moyens de preuves (art. 263 al. 1 let. a CPP), qu'ils seront utilisés pour garantir le paiement des frais de procédure, des peines pécuniaires, des amendes et des indemnités (art. 263 al. 1 let. b CPP), qu'ils devront être restitués au lésé (art. 263 al. 1 let. c CPP) ou qu'ils devront être confisqués (art. 263 al. 1 let. d CPP). Le séquestre en couverture des frais est subsidiaire au séquestre en vue de restitution au lésé et au séquestre conservatoire (Julen Berthod, Commentaire romand CPP, 2ème éd., 2019, n. 15 ad art. 263 CPP).

L'art. 70 al. 1 CP autorise le juge à confisquer des valeurs patrimoniales qui sont le résultat d'une infraction, si elles ne doivent pas être restituées au lésé en rétablissement de ses droits. Inspirée de l'adage selon lequel "le crime ne paie pas", cette mesure a pour but d'éviter qu'une personne puisse tirer avantage d'une infraction (ATF 139 IV 209 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Lorsque l'avantage illicite doit être confisqué, mais que les valeurs patrimoniales en résultant ne sont plus disponibles - parce qu'elles ont été consommées, dissimulées ou aliénées -, le juge ordonne le remplacement par une créance compensatrice de l'Etat d'un montant équivalent (art. 71 al. 1 CP). Le but de cette mesure est d'éviter que celui qui a disposé des objets ou valeurs à confisquer soit privilégié par rapport à celui qui les a conservés (ATF 129 IV 107 consid. 3.2).

Le séquestre pénal est une mesure conservatoire provisoire, fondée sur la vraisemblance, qui se rapporte à des faits non encore établis, respectivement à des prétentions encore incertaines. Ce n'est que dans le cadre du jugement au fond que seront éventuellement prononcées une confiscation, une créance compensatrice ou une restitution au lésé. Tant que l'instruction n'est pas achevée et que subsiste l'une de ces possibilités, la mesure conservatoire doit être maintenue (ATF
140 IV 57 consid. 4.1.2; Julen Berthod, op. cit., n. 3 ad art. 263 CPP).

La réalisation des conditions du séquestre doit être régulièrement vérifiée par l'autorité compétente, avec une plus grande rigueur à mesure que l'enquête progresse (ATF 122 IV 91 consid. 4). Conformément à l'art. 267 al. 1 CPP, si le motif du séquestre disparaît, le ministère public ou le tribunal lève la mesure et restitue les objets et valeurs patrimoniales à l'ayant droit (arrêt du Tribunal fédéral 1B_323/2013 du 28 novembre 2013 consid. 4.1).

Contrairement à la confiscation, qui soustrait la propriété des biens ou valeurs séquestrés à la personne concernée contre sa volonté, le séquestre pénal a pour seul effet de la priver temporairement du droit d'en disposer. Il laisse intact les rapports de droit civil relatifs à la propriété des objets ou valeurs séquestrés (Julen Berthod, op. cit., n. 3 ad art. 263 CPP; Moreillon/Parein-Reymond, Petit commentaire CPP, 2ème éd., 2016, n. 3 ad rem. prél. aux art. 263 à 268 CPP; Hirsig-Vouilloz, Commentaire romand CP I, 2ème éd., 2021, n. 3 ad art. 69 CP).

4.2.3 La notion de valeurs patrimoniales s'étend aussi bien aux droits réels restreints qu'aux créances, aux droits immatériels ainsi qu'à tout avantage économique susceptible d'appréciation (Moreillon/Parein-Reymond, op. cit, n. 10 ad art. 263 CPP).

4.3 En l'espèce, la présente procédure en paiement a pour objet la restitution par l'intimée d'avoirs déposés sur le compte bancaire no 2______ dont elle aurait été dépossédée par l'effet d'une transaction financière non autorisée. La procédure pénale à l'origine de la demande de suspension tend, quant à elle, à déterminer si les fonds déposés sur le compte concerné sont le produit d'une infraction en vue de leur éventuelle restitution au lésé, respectivement de leur confiscation. L'issue de la procédure pénale n'apparaît ainsi pas déterminante pour statuer sur la demande en paiement de la recourante. En effet, une banque peut être tenue responsable du dommage causé à un client en raison de l'exécution d'opérations financières non autorisées indépendamment de l'origine des avoirs en cause.

En revanche, ainsi que le souligne le premier juge, l'issue de la procédure pénale est susceptible d'influer sur le sort de la présente procédure civile dans l'hypothèse où une restitution au lésé des valeurs patrimoniales séquestrées, comprenant les créances liées au compte no 2______, ou une confiscation de celles-ci devait être prononcée dans le cadre du jugement pénal au fond.

Si le procès civil est encore en cours au moment d'un prononcé pénal en ce sens, la recourante, qui se verrait alors privée de son droit de propriété sur lesdites valeurs, perdrait le droit de faire valoir sa créance en paiement à l'égard de l'intimée et devrait en conséquence être déboutée de ses conclusions. Une influence du procès pénal sur la présente cause doit ainsi être admise, sans qu'il soit nécessaire de déterminer si, comme le soutient l'intimée, en cas d'admission de la commission des infractions de corruption et de blanchiment d'argent, le contrat la liant à la recourante serait nul ou si la demande en paiement initiée par celle-ci serait constitutive d'un abus de droit.

Par ailleurs, si l'intimée est condamnée à verser à la recourante le montant qu'elle réclame avant la levée de l'ordonnance de séquestre pénal du 17 novembre 2020, des problèmes d'exécution de la décision du juge civil pourraient se poser, puisque les dispositifs de ces deux décisions seraient contradictoires. Cette difficulté pourrait, comme le propose la recourante, être résolue si le Tribunal ordonnait à l'intimée de verser le montant réclamé par la recourante sur son compte bancaire no 2______. Cela étant, les conclusions en paiement prises en l'état par la recourante ne précisent pas sur quel compte la somme qu'elle réclame doit être versée.

Dans la pesée des intérêts, il convient cependant de prendre en compte le fait que, plus de deux ans après son ouverture, la procédure pénale n'en est encore qu'à ses débuts, aucun acte d'accusation n'ayant été établi. Des actes d'entraide judiciaire seront en outre vraisemblablement nécessaires dans la mesure où une partie des infractions s'est déroulée en Ukraine. Or, ce pays étant en situation de guerre, la procédure risque d'être prolongée. Plusieurs années vont ainsi encore s'écouler avant qu'un jugement pénal définitif ne soit rendu. Une éventuelle perte par la recourante de la titularité de la créance alléguée à l'encontre de l'intimée ne constitue en conséquence qu'une hypothèse lointaine et incertaine.

A cela s'ajoute que, puisque la réalisation des conditions du séquestre pénal doit être régulièrement vérifiée, une levée de la mesure de séquestre avant l'achèvement de la présente procédure civile ne peut être exclue.

Il apparaît dès lors contraire à l'exigence de célérité de d'ores et déjà paralyser la présente action civile alors que la procédure pénale semble encore très loin d'aboutir à un jugement définitif.

Partant, dans la mesure où la suspension de la procédure ne peut être ordonnée qu'exceptionnellement et où l'exigence de célérité l'emporte en cas de doute, il se justifie d'annuler l'ordonnance attaquée et de rejeter la requête de suspension formée par l'intimée.

La question pourra toutefois, cas échéant, être réexaminée ultérieurement, une décision différente étant susceptible d'être prise suivant la manière dont se déroule la procédure pénale.

Une fois le présent arrêt devenu définitif, il incombera au premier juge de fixer à l'intimée un délai pour répondre à la demande en paiement de la recourante.

Au vu de la solution retenue, il n'est pas nécessaire d'examiner si la demande de suspension formée par l'intimée revêt un caractère abusif, comme le soutient la recourante.

5. 5.1 Si l'instance d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de la première instance (art. 318 al. 3 CPC).

Le Tribunal a réservé le sort des frais de première instance à la décision finale. Cette décision étant conforme à la loi (art. 104 al. 1 CPC) et n'étant pas critiquée par les parties, il n'y a pas lieu de la revoir.

5.2 Les frais judiciaires de la procédure d'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 41 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile [RTFMC]) et mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec l'avance de frais, d'un montant correspondant, fournie par la recourante, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC). L'intimée sera en conséquence condamnée à verser à la recourante la somme de 1'000 fr. à titre de frais judiciaires.

L'intimée sera également condamnée à s'acquitter des dépens de la recourante, lesquels seront arrêtés à 2'000 fr., débours inclus (art. 84, 85, 87 et 90 RTFMC, 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ LTD contre l'ordonnance ORTPI/947/2022 rendue le 26 août 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/20354/2020-2.

Au fond :

Annule l'ordonnance entreprise en tant qu'elle ordonne la suspension de la procédure et, statuant à nouveau sur ce point :

Rejette la requête de suspension formée le 18 février 2022 par B______.

Confirme l'ordonnance entreprise pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de la procédure d'appel à 1'000 fr., les met à la charge de B______ et dit qu'ils sont compensés avec l'avance de frais fournie par A______ LTD, laquelle reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ à verser à A______ LTD les sommes de 1'000 fr. à titre de frais judiciaires et de 2'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX,
Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Sandra CARRIER, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Sandra CARRIER

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.