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Décisions | Chambre civile

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C/3735/2021

ACJC/1485/2021 du 12.11.2021 sur OTPI/441/2021 ( SCC ) , CONFIRME

Normes : CPC.47; CPC.48; CPC.49
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/3735/2021 ACJC/1485/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du 12 novembre 2021

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, Grande-Bretagne, recourante contre une ordonnance rendue par la délégation du Tribunal civil de ce canton le 15 juin 2021, comparant par Me Alexandre BÖHLER, avocat, KAISER BÖHLER, rue des Battoirs 7, case postale 284, 1211 Genève 4, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______, sise ______, Russie, intimée, comparant par Me Guillaume FATIO, avocat, BMG AVOCATS, avenue de Champel 8C, 1206 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance du 15 juin 2021, la délégation du Tribunal civil a déclaré irrecevable la requête en récusation formée par A______ à l'encontre de C______ (ch. 1 du dispositif) et condamné la première citée à verser un émolument de décision de 500 fr., compensé avec l'avance fournie (ch. 2).

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 1er juillet 2021, A______ a formé recours contre cette ordonnance. Elle a conclu à son annulation et au prononcé de la récusation de C______ dans la cause C/1______/2020.

b. B______ s'en est rapportée à justice quant au sort du recours.

c. La Présidente du Tribunal civil s'en rapportée aux considérants de l'ordonnance attaquée.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. Le 26 août 2020, B______ a formé devant le tribunal une action en contestation de la prétention du tiers revendiquant à l'encontre de A______. Elle a conclu à ce que la revendication formée parA______ sur les avoirs déposés sur le compte n° 2______ ouvert auprès de la banque D______ & CIE soit écartée, en vue de leur réalisation à son profit.

b. Par ordonnance du 14 octobre 2020, la juge C______ a imparti à A______ un délai au 27 novembre 2020 pour répondre à cette demande.

c. Par courrier adressé à C______ le 16 février 2021, A______ a exposé qu'elle avait consulté le jour même le dossier de la procédure pénale P/3______/2015 dans laquelle elle revêtait la qualité de prévenue. Elle s'était aperçue à cette occasion que C______, en sa qualité alors de représentante du Ministère public, avait ouvert ladite procédure pénale et ordonné le séquestre de ses avoirs bancaires. Elle ne pouvait concevoir que le juge de l'action ouverte à son encontre par B______ soit la procureure qui avait instruit la procédure à son encontre. Elle pouvait comprendre que la juge ne se soit pas souvenue d'elle lorsque la procédure civile lui avait été attribuée, mais elle requérait sa récusation en application de l'art. 47 al. let. b, subsidiairement let. f CPC.

d. Invitée à se déterminer sur cette requête, C______ a considéré que A______ aurait dû demander sa récusation à réception de l'ordonnance lui impartissant un délai pour répondre à la demande, au mois d'octobre 2020. La requête en récusation, formée en février 2021, était ainsi tardive. Par surabondance, le fait qu'elle ait ouvert la procédure pénale P/3______/2015 et ordonné, le 18 juin 2015, le séquestre des avoirs de l'intéressée auprès de la banque D______ & CIE ne constituait pas un motif de récusation au sens de l'art. 47 al. let. b, subsidiairement let. f CPC.

B______ s'en est rapportée à justice quant au sort de cette requête.

e. A______ a répliqué, persistant dans ses conclusions. Elle a précisé que la procédure pénale avait été ouverte du chef de blanchiment d'argent et que le séquestre de son compte ouvert auprès de la banque D______ & CIE avait été ordonné au vu du soupçon qu'il avait été alimenté par l'argent d'un crime. La juge qui avait ordonné le séquestre pénal était désormais en charge de la procédure civile, laquelle portait sur le même état de fait et concernait le même compte auprès de la banque D______ & CIE dont B______ contestait sa revendication de la propriété des fonds s'y trouvant.

f. Dans son ordonnance du 15 juin 2021, la délégation du Tribunal civil a considéré que quatre mois s'étaient écoulés entre le moment où A______ avait reçu, en octobre et novembre 2020, des ordonnances signées par la juge C______ et le dépôt de sa requête en récusation et ce, alors qu'elle savait depuis 2015 que la précitée avait été en charge de la procédure pénale.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions statuant sur une demande de récusation sont uniquement susceptibles de faire l'objet d'un recours, écrit et motivé, auprès de la Chambre civile de la Cour de justice dans un délai de dix jours à compter de leur notification (art. 50 al. 2 et 321 al. 1 et 2 CPC; art. 13 al. 2 LaCC).

La procédure sommaire est applicable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2018 du 12 septembre 2019 consid. 3.3; Wullschleger, Kommentar zur schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 5 ad art. 50 CPC; Tappy, Commentaire romand - CPC, 2ème éd. 2019, n. 21 ad art. 50 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours a été formé dans le délai légal et selon la forme requise, de sorte qu'il est recevable.

1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait.

2. La recourante conteste la tardiveté de sa demande en récusation. Elle soutient qu'il ne peut lui être reproché de ne pas se souvenir de tous les magistrats qui sont intervenus dans la procédure pénale depuis 2015. Elle n'avait jamais été convoquée à une audience par la juge C______ dans le cadre de ladite procédure et aucune communication ne lui avait été adressée par cette dernière. Le motif de récusation n'était apparu que lorsque son conseil – qui ne s'était constitué dans le cadre de la procédure pénale qu'après le départ de la juge C______ du Ministère public – avait consulté le dossier pénal le 12 février 2021. Sa requête n'était dès lors pas tardive. De plus, le motif de récusation était grave et la juge devait se récuser en application de l'art. 48 CPC.

2.1
2.1.1
L'art. 47 CPC dresse une liste exhaustive des motifs de récusation. Les magistrats et fonctionnaires judiciaires sont récusables dans les cas énumérés à l'art. 47 al. 1 let. a-e CPC. Ils sont aussi récusables, selon l'art. 47 al. 1 let. f CPC – qui constitue une clause générale –, s'ils sont " de toute autre manière " suspects de partialité (arrêt 4A_576/2020 du 10 juin 2021 consid. 3.1.2).

L'art. 47 al. 1 let. f CPC concrétise les garanties découlant de l'art. 30 al. 1 Cst., qui a, de ce point de vue, la même portée que l'art. 6 § 1 CEDH. La garantie d'un juge indépendant et impartial permet de demander la récusation d'un magistrat dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité (ATF 140 III 221 consid. 4.2; 134 I 20 consid. 4.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_674/2016 du 20 octobre 2016 consid. 3.1; 5A_171/2015 du 20 avril 2015 consid. 6.1).

La récusation ne s'impose pas seulement lorsqu'une prévention effective est établie, parce qu'une disposition relevant du for intérieur ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence d'une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seules les circonstances objectivement constatées doivent être prises en compte, les impressions purement subjectives de la partie qui demande la récusation n'étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 142 III 732 consid. 4.2.2; 142 III 521 consid. 3.1.1; 140 III 221 consid. 4.1). Le risque de prévention ne saurait être admis trop facilement, sous peine de compromettre le fonctionnement normal des tribunaux (ATF 144 I 159 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_998/2018 du 25 février 2019, consid. 6.2; 5A_98/2018 du 10 septembre 2018 consid. 4.2).

2.1.2 Conformément à l'art. 48 CPC, le magistrat ou le fonctionnaire judiciaire concerné fait état en temps utile d'un motif de récusation possible et se récuse lorsqu'il considère que le motif est réalisé. Lorsque les conditions sont remplies, il doit dès lors se récuser d'office (arrêt du Tribunal fédéral 4A_576/2020 du 10 juin 2021, consid. 3.1.4).

2.1.3 Aux termes de l'art. 49 al. 1, 1ère phr., CPC, la partie qui entend obtenir la récusation d'un magistrat ou d'un fonctionnaire judiciaire la demande au tribunal aussitôt qu'elle a eu connaissance du motif de récusation. À défaut, elle est déchue du droit de s'en prévaloir ultérieurement (ATF 141 III 210 consid. 5.2; 139 III 120, consid. 3.2.1; 138 I 1, consid. 2.2; 136 I 207, consid. 3.4; 134 I 20, consid. 4.3.1; arrêt 4A_576/2020 précité, consid. 3.1.5). Il est, en effet, contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré de la composition irrégulière du tribunal pour ne l'invoquer qu'en cas d'issue défavorable de la procédure (ATF 139 III 120, consid. 3.2.1; 136 III 605, consid. 3.2.2).

Le Tribunal fédéral n'a pas tranché la question de savoir si "aussitôt" pouvait signifier plus de dix jours (arrêt du Tribunal fédéral 4A_600/2015 du 1er avril 2016, consid. 6.3). Il a en revanche jugé qu'une requête formée 40 jours après la connaissance du motif de récusation était manifestement incompatible avec l'art. 49 al. 1 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_104/2015 du 20 mai 2015, consid. 6).

La partie qui entend obtenir la récusation d'un magistrat ou d'un fonctionnaire judiciaire doit rendre vraisemblables les faits qui motivent sa demande (art. 49 al. 1, 2e phr., CPC). Le fardeau de la preuve qui lui incombe vaut tant pour le(s) motif(s) de récusation invoqué(s) que pour les autres conditions légales de la récusation, dont fait partie le respect du délai prévu à l'art. 49 al. 1, 1ère phr., CPC (arrêt du Tribunal fédéral 4A_576/2020 précité, consid. 3.1.6 et les références citées).

Au vu notamment de l'art. 48 CPC et des garanties constitutionnelles et conventionnelles d'un tribunal indépendant et impartial, le vice que constitue un cas grave de récusation doit toutefois être apprécié avec plus de rigueur qu'une éventuelle tardiveté de la demande de récusation (ATF 134 I 20, consid. 4.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_576/2020 précité, consid. 3.1.6 et les références citées).

2.2 En l'espèce, le fait qu'un magistrat pénal exerce par la suite en matière civile n'est pas particulièrement insolite dans le canton de Genève et la recourante ne pouvait ainsi pas exclure que la juge C______, qui a exercé la charge de procureur au Ministère public, avait été en charge de la procédure pénale la concernant. Il lui appartenait dès lors de se renseigner à cet égard si elle l'estimait nécessaire. Son conseil est par ailleurs également constitué dans la procédure pénale, dont il a ainsi connaissance, et il n'allègue pas que cette constitution serait récente. En ne sollicitant la récusation de la juge C______ qu'en février 2021, alors qu'elle savait déjà depuis octobre 2020 que cette dernière était en charge de la procédure civile, la recourante est donc déchue de son droit de requérir la récusation.

De plus, la procédure pénale et la procédure civile ne peuvent être considérées comme une même cause au sens de l'art. 47 al. 1 let. b CPC. La recourante invoque que le compte séquestré dans le cadre de la procédure pénale est le même que celui qui a été alimenté par les transferts litigieux dans le cadre de la procédure civile. Le fait que le même compte soit concerné n'est toutefois pas à lui seul et en lui-même suffisant. La procédure civile vise à établir qui est le propriétaire des fonds déposés sur le compte ouvert auprès de la banque D______ & CIE alors que la procédure pénale vise à déterminer si une infraction de blanchiment peut être reprochée à la recourante, ce qui constitue un objet différent en l'absence d'explications suffisantes de la recourante à cet égard permettant de retenir le contraire.

Le fait que la recourante, comme elle le relève, n'a jamais été convoquée à une audience par C______ et qu'aucune communication ne lui a été adressée par cette dernière dans la procédure pénale tend également à démontrer que l'activité de la juge a été très limitée dans ce cadre. Il ne ressort pas des éléments figurant à la présente procédure que son activité serait allée au-delà d'ouvrir la procédure et de séquestrer immédiatement le compte de la recourante à l'ouverture de la procédure pénale. Il est dès lors vraisemblable que dans l'exercice de sa charge de procureur, la juge n'a eu qu'une connaissance très limitée de l'affaire, laquelle doit présenter une certaine complexité puisqu'elle dure depuis plusieurs années. La juge du tribunal n'est dès lors pas susceptible d'être prévenue au sens de l'art. 47 al. 1 let. f CPC.

Dans ces circonstances, il ne peut être considéré que la juge du tribunal devait se récuser en application de l'art. 48 CPC.

Au vu de ce qui précède, le recours est infondé, de sorte qu'il sera rejeté.

3. La recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais judiciaires du recours, arrêtés à 800 fr. (art. 19 et 38 et suivants RTFMC) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il ne sera pas alloué de dépens à la partie intimée, qui s'est limitée à s'en rapporter à justice quant au sort du recours.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ contre l'ordonnance OTPI/441/2021 rendue le 15 juin 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/3735/2021.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judicaires de recours à 800 fr., les met à la charge de A______ et les compense avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Paola CAMPOMAGNANI, Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Camille LESTEVEN

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.