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Décisions | Chambre civile

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C/16062/2020

ACJC/1406/2021 du 27.10.2021 sur JTPI/6670/2021 ( OS ) , RENVOYE

Descripteurs : PATERN;COHABI;FARPRE;VRAISE;MAXINQ;RENVOI
Normes : CC.262.al1; CPC.296.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/16062/2020 ACJC/1406/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MERCREDI 27 OCTOBRE 2021

 

Entre

Mineur A______, domicilié c/o Mme B______, Foyer E______, route ______, ______ [GE], appelant d'un jugement rendu par la 13ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 25 mai 2021, représenté par Madame C______, curatrice, p.a. Service de protection des mineurs, boulevard Saint-Georges 16, 1205 Genève, en les bureaux de laquelle il fait élection de domicile,

et

Monsieur D______, domicilié ______, France, intimé, comparant en personne.


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/6670/2021 du 25 mai 2021, reçu par le mineur A______ le 1er juin 2021, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure simplifiée, a débouté le précité des fins de sa demande de paternité et de son action alimentaire (ch. 1 du dispositif), a arrêté les frais judiciaires à 500 fr., mis à la charge de A______ à raison d'une moitié et à la charge de D______ à raison de la seconde moitié, la part du premier nommé étant provisoirement laissée à la charge de l'Etat, condamné le second nommé à verser à l'Etat de Genève le montant de 250 fr. (ch. 2), a dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3) et a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

En substance, le Tribunal a retenu que si A______ avait allégué la cohabitation entre D______ et sa mère, celle-ci n'avait pas confirmé cette allégation. Elle avait au contraire affirmé avoir cessé toute relation sexuelle avec le précité dès la fin du mois de février 2018, soit avant la période légale de conception.

B. a. Par acte déposé au greffe universel le 24 juin 2021, A______, représenté par sa curatrice, a formé appel de ce jugement, sollicitant son annulation. Il a conclu, sous suite de frais et dépens, à ce que la Cour mandate le Centre Universitaire Romand de Médecine Légale pour effectuer une expertise ADN, décerne une commission rogatoire à l'autorité française compétente, constate la paternité de D______, ordonne la transcription de la paternité dans les registres de l'état civil et condamne le précité à lui verser, par mois et d'avance, allocations familiales non comprises, en mains de B______, une contribution à son entretien échelonnée dans le temps.

Il a fait valoir de nouveaux allégués.

b. D______ ne s'est pas déterminé dans le délai fixé par la Cour.

c. Les parties ont été avisées par plis du greffe du 1er septembre 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. B______, née le ______ 1990, de nationalité guinéenne, a donné naissance le ______ 2018 à F______ (France) à l'enfant A______.

b. Lors d'un entretien téléphonique avec le Service de protection des mineurs (ci-après : SPMi), elle a désigné D______ comme étant le père de A______ .

c. Par acte déposé au Tribunal de première instance le 11 août 2020, le mineur A______, représenté par sa curatrice, a formé une action en paternité et une action alimentaire à l'encontre de D______.

Il a conclu à ce que la paternité de D______ à son égard soit constatée et que celui-ci soit condamné à verser, par mois et d'avance, en mains de B______ ou de tout autre ou futur représentant légal, allocations familiales ou d'études non comprises, à titre de contribution à son entretien, avec clause usuelle d'indexation, 120 fr. de l'année qui précède le dépôt de la requête jusqu'à la rentrée scolaire, 130 fr. jusqu'à l'âge de 6 ans, 150 fr. jusqu'à l'âge de 10 ans, 200 fr. jusqu'à l'âge de 12 ans et 250 fr. jusqu'à l'âge de 18 ans, voire au-delà en cas d'apprentissage ou d'études sérieuses et suivies.

Le mineur A______ a notamment allégué que B______ avait déclaré avoir entretenu des relations sexuelles avec D______ de janvier 2018 à mars 2018.

d. Par ordonnance du 7 septembre 2020, le Tribunal a transmis à D______ la demande et les pièces produites et lui a imparti un délai au 7 octobre 2020 pour répondre à la demande, délai prolongé au 6 novembre 2020 en application de l'art. 223 CPC, compte tenu de l'absence de réponse déposée.

e. D______ n'a pas déposé de réponse ni comparu à l'audience du 11 janvier 2021 ni à l'audience suivante.

f. Par ordonnance du 9 mars 2021, le Tribunal a imparti à D______ un délai au 13 avril 2021 pour élire un domicile de notification en Suisse, faute de quoi les notifications se feraient par voie édictale.

D______ n'a pas élu de domicile en Suisse.

g. Entendue lors de l'audience du 11 janvier 2021 en qualité de témoin et rendue attentive aux conséquences d'un faux témoignage, B______ a indiqué avoir commencé à entretenir des relations sexuelles avec D______ plus ou moins en janvier 2018. A la fin du mois de février 2018, ils avaient cessé d'avoir des relations intimes. Elle avait ensuite revu le père de sa fille G______, avec lequel elle avait eu une relation sexuelle à une reprise.

h. Le 1er mars 2021, le mineur A______ a sollicité du Tribunal l'établissement d'une expertise ADN.

i. Par ordonnance du 27 avril 2021, le Tribunal a rejeté la requête du mineur A______ tendant à la mise sur pied d'une expertise ADN et a cité les parties à comparaître à une audience de plaidoiries finales.

j. Le recours formé par le mineur A______ contre ladite ordonnance a été déclaré irrecevable par arrêt de la Cour du 29 juin 2021 (ACJC/859/2021).

k. Lors de l'audience de plaidoiries finales du 21 mai 2021, le mineur A______ a persisté dans ses conclusions sur le fond et sur la requête d'expertise ADN.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

EN DROIT

1. 1.1. L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC), dans les causes non patrimoniales et dans les causes patrimoniales dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC). Le délai pour l'introduction de l'appel est de trente jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC).

En l'espèce, la décision attaquée constitue une décision finale de première instance. Les dernières conclusions des parties devant le premier juge portaient, d'une part, sur une prétention non patrimoniale (demande en constatation de la filiation paternelle) et, d'autre part, sur une prétention patrimoniale dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (demande en fixation d'une contribution d'entretien dont les conclusions, capitalisées selon l'art. 92 al. 2 CPC, sont supérieures à 10'000 fr.). La voie de l'appel est donc ouverte.

1.2. Interjeté en temps utile et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 et 313 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

1.3. L'appelant est représenté dans le cadre de la présente procédure par son curateur, valablement nommé à cette fin par le Tribunal tutélaire (art. 309
al. 1 CC).

2. La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).

3. L'appelant a formé de nouveaux allégués.

3.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas l'être devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

3.2 En l'espèce, l'appelant a nouvellement allégué que sa mère aurait indiqué, lors d'une conversation téléphonique avec la curatrice, que celle-ci ne se souvenait pas des dates précises de ses relations intimes avec l'intimé et que son fils ressemblait à ce dernier.

La recevabilité de ces allégations peut souffrir de demeure indécise compte tenu de ce qui suit.

4. L'appelant reproche au Tribunal d'avoir considéré implicitement qu'il n'avait pas rendu vraisemblable la cohabitation entre l'intimé et sa mère durant la période légale de conception et d'avoir également à tort refusé d'ordonner une expertise ADN.

4.1 La paternité est présumée lorsque, entre le trois centième et le cent quatre-vingtième jour avant la naissance de l'enfant, le défendeur a cohabité avec la mère (art. 262 al. 1 CC). La présomption cesse lorsque le défendeur prouve que sa paternité est exclue ou moins vraisemblable que celle d'un tiers (art. 262
al. 3 CC).

Par cohabitation, au sens très spécifique du droit de la filiation, il faut entendre tout rapport sexuel susceptible d'entraîner une fécondation (Meier/Stettler, Droit de la filiation, 2014, n. 172; Guillod, Commentaire Romand – Code Civil I, n. 3 ad art. 262 CC).

Le juge ne peut conclure à la cohabitation lorsque celle-ci n'est que vraisemblable, mais il recourra largement à la preuve par indices, la multiplication de ceux-ci lui permettant de se forger une intime conviction (Meier/Stettler, op. cit., n.175).

S'agissant du fardeau de la preuve, il incombe à la partie demanderesse d'établir le fait de la paternité sur lequel elle fonde son action en justice (art. 8 CC; arrêts du Tribunal fédéral 5A_906/2020 du 9 juillet 2021 consid. 5.6; 5A_492/2016 du 5 août 2016 consid. 2.1).

La preuve de la cohabitation incombe à la partie demanderesse. Toutefois, lorsque la partie demanderesse ne parvient pas à faire naître la présomption de paternité par le moyen de la preuve de la cohabitation ou lorsque la partie défenderesse rend sa paternité moins vraisemblable que celle d'un tiers (art. 262 al. 3 CC), c'est toujours à la partie demanderesse à l'action en paternité de faire la preuve que c'est bien le défendeur qui est le père de l'enfant (art. 8 CC; ATF 101 II 13; arrêts du Tribunal fédéral 5C.28/2004 du 26 mars 2004 consid. 5.1 et 5C.93/2003 du 29 octobre 2003 consid. 3.1 et les réf. citées).

La preuve de la paternité ne peut être administrée qu'au moyen d'expertises scientifiques (arrêt du Tribunal fédéral 5C.179/2000 du 11 janvier 2001 consid. 6b).

La possibilité d'apporter cette preuve directe de paternité n'est toutefois admise que si la partie demanderesse a rendu la cohabitation au moins vraisemblable ou a donné un caractère plausible à la paternité par un autre moyen, afin d'éviter qu'elle ne désigne un père potentiel de manière totalement fantaisiste. Compte tenu toutefois de la facilité de procéder à une expertise ADN au regard du désagrément plus important d'une action en justice, il convient d'admettre de manière libérale l'accès à cette expertise (Meier/Stettler, op. cit., p. 84 no 176; Guillod,
op. cit., n. 9 ad art. 262 CC).

Dans une jurisprudence récente, le Tribunal fédéral a retenu qu'en présence d'une relation sentimentale inscrite sur la durée (près de trois ans), il n'apparaissait pas insoutenable de considérer comme vraisemblable que, malgré une séparation intervenue un mois avant, une rencontre entre les protagonistes le mois suivant - quand bien même elle aurait initialement dû demeurer strictement professionnelle - aurait pu donner lieu à une brève cohabitation (arrêt du Tribunal fédéral 5A_906/2020 précité consid. 5.1).

4.2 A teneur de l'art. 296 al. 1 CPC, le tribunal établit les faits d'office, ce qui renvoie à la maxime inquisitoire réservée à l'art. 55 al. 2 CPC. Il s'agit de la maxime inquisitoire au sens strict, ce qui habilite le tribunal à établir les faits d'office et à administrer toutes mesures probatoires nécessaires à cet effet, peu importe que les faits soient allégués ou non, admis ou contestés. Le juge doit rechercher et prendre en considération toutes les circonstances propres à mener à une décision qui réponde au mieux à la nécessité de sauvegarder le bien de l'enfant (Jeandin, op. cit., n. 2 et 3 ad art. 296 CPC), étant en outre rappelé que l'art. 296 al. 2 CPC fait obligation aux parties de se prêter aux examens nécessaires à l'établissement de la filiation et y collaborer, dans la mesure où leur santé n'est pas mise en danger.

4.3 L'autorité cantonale renvoie la cause au premier juge lorsque l'instruction à laquelle celui-ci a procédé est incomplète sur des points essentiels (art. 318 al. 1 let. c ch. 2 CPC; ATF 138 III 374 consid. 4.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_906/2012 du 18 avril 2013 consid. 5.1.2 et 5A_939/2012 du 8 mars 2013 consid. 4.2).

4.4 Dans le présent cas, il est constant que la période légale de conception s'étend du 28 février au 28 juin 2018, l'appelant étant né le ______ 2018.

Le Tribunal a, dans une brève motivation, retenu que l'appelant n'avait pas rendu vraisemblable la cohabitation entre sa mère et l'intimé durant la période légale de conception.

Cela étant, l'audition de la mère de l'appelant ne permet pas de déterminer si elle a entretenu ou non des rapports intimes avec l'intimé le 28 février 2018, date du premier jour de la période légale de conception. En effet, les déclarations de celle-ci sont vagues et imprécises. En particulier, la Cour ignore notamment si la mère de l'appelant et l'intimé ont eu des rapports sexuels protégés ou non, à quelle date précise leur cohabitation a cessé, quand celle-ci a entretenu une relation intime avec le père de sa fille. Des investigations complémentaires sont par conséquent nécessaires.

4.5 Dans ces circonstances, le jugement entrepris sera annulé et la cause renvoyée au premier juge afin qu'il procède à nouveau à l'audition de la mère de l'appelant, cas échéant entende d'autres témoins sur les points essentiels évoqués supra, et rende une nouvelle décision.

5. 5.1 Dès lors que la cause est renvoyée au premier juge pour instruction complémentaire et nouvelle décision, le Tribunal sera invité à statuer sur l'ensemble des frais judiciaires et dépens de première instance dans le jugement qu'il rendra au terme de la procédure de renvoi.

5.2 Vu les circonstances du cas d'espèce, la Cour renoncera à la perception de frais judiciaires d'appel, qui seront laissés à la charge de l'Etat de Genève (art. 107 al. 2 CPC).

Compte tenu de la nature familiale du litige, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel (art. 107 al. 1 let. f CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 24 juin 2021 par A______ contre le jugement JTPI/6670/2021 rendu le 25 mai 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/16062/2020.

Au fond :

Annule ce jugement.

Renvoie la cause au Tribunal pour instruction au sens des considérants et nouvelle décision.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Renonce à la perception de frais judiciaires d'appel.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI et Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.