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Décisions | Chambre civile

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C/8242/2019

ACJC/1233/2021 du 24.09.2021 sur ORTPI/105/2021 ( OO ) , RENVOYE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/8242/2019 ACJC/1233/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU VENDREDI 24 SEPTEMBRE 2021

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______[GE], appelante d'une ordonnance rendue par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 1er février 2021, comparant par Me Manuel BOLIVAR, avocat, BOLIVAR BATOU & BOBILLIER, rue des Pâquis 35, 1201 Genève, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______[GE], intimé, comparant par Me Jean-Pierre WAVRE, avocat, Etude WAVRE & KVICINSKY, route de Florissant 64, 1206 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance ORTPI/105/2021 du 1er février 2021, reçue le lendemain par A______, le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) a dit que les époux A______ et B______ étaient mariés depuis le ______ 1993 (chiffre 1 du dispositif), réservé le sort des frais (ch. 2) et réservé la suite de la procédure (ch. 3).

B. a. Par acte expédié le 4 mars 2021 au greffe de la Cour de justice, A______ interjette appel contre cette ordonnance.

Elle a conclu à l'annulation de celle-ci, cela fait, à ce qu'il soit dit que les époux A______ et B______ sont mariés depuis le ______ 1976, n'ont jamais été divorcés et que le "divorce" prononcé le ______ 1982, respectivement le ______ 1988, ne peut être reconnu en Suisse car contraire à l'ordre public et à ce que les rectifications nécessaires soient ordonnées auprès du registre de l'état civil, avec suite de frais judiciaires et dépens.

À titre préalable, elle a requis l'audition des parties et celle des leurs enfants C______ et D______.

b. Dans sa réponse du 12 avril 2021, B______ a conclu, sous suite de frais judiciaires et dépens, à ce que A______ soit déboutée de toutes ses conclusions.

Il a allégué des faits nouveaux et déposé des pièces non soumises au Tribunal.

c. Dans leurs réplique et duplique respectives, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

A______ a déposé une pièce nouvelle à l'appui de sa réplique.

d. Par plis du 28 mai 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______, née le ______ 1956, et B______, né le ______ 1950, ont contracté un mariage célébré par l'Eglise orthodoxe éthiopienne le ______ 1976 à E______ (alors en Ethiopie, actuellement en Erythrée).

De l'union des parties sont nés quatre enfants, dont C______, née le ______ 1980 et D______, né le ______ 1981.

b. B______ a quitté l'Ethiopie pour la Suisse en tant que requérant d'asile en 1982.

c. À teneur d'un document intitulé "Attestation de divorce" et daté du 17 décembre 1988, des "Sages" mandatés par les deux époux ont prononcé leur divorce en date du ______ 1982 et statué sur les effets accessoires de celui-ci.

L'attestation retient que le divorce a été prononcé après six mois de séparation et l'échec des tentatives de conciliation.

Ce document a été signé par B______ le 5 octobre 1989. Il est muni du timbre cantonal genevois.

d. Dès 1987, B______ a entrepris des démarches auprès de l'état civil suisse afin de se marier avec F______. Dans ce cadre, il s'est notamment prévalu de l'attestation de divorce du 17 décembre 1988 pour justifier de son état civil.

Le mariage de B______ et F______ a été célébré le ______ 1989.

e. B______ et F______ ont divorcé le ______ 1992.

f. A______ est arrivée en Suisse en été 1991.

g. A______ et B______ se sont mariés une seconde fois à G______ (GE) le ______ 1993.

À teneur du livret de famille, l'état civil des deux parties avant ce mariage était "divorcé".

h. Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 juillet 2012, A______ a requis le prononcé de mesures protectrices de l'union conjugale.

Elle a notamment allégué qu'elle-même et B______ s'étaient mariés à E______ le ______ 1976 et que son époux s'était remarié avec une autre personne alors qu'elle-même ignorait tout d'un éventuel divorce.

i. Dans sa réponse sur mesures protectrices de l'union conjugale, B______ a notamment allégué qu'après son départ pour la Suisse en 1982, il avait insisté à maintes reprises auprès de son épouse pour mettre un terme à leur union, mais que celle-ci avait toujours refusé.

j. Le 9 avril 2019, B______ a saisi le Tribunal d'une demande unilatérale de divorce, assortie d'une requête de mesures provisionnelles. Il a notamment conclu à ce que le Tribunal dissolve par le divorce le mariage contracté le ______ 1993 à G______ [GE].

Il a notamment allégué que les parties s'étaient mariées une première fois religieusement en Érythrée le ______ 1976, puis une seconde fois à G______ [GE] le ______ 1993.

k. Dans sa réponse du 27 septembre 2019, A______ a notamment conclu à ce que le Tribunal dissolve par le divorce le mariage contracté par les époux, sans en mentionner la date.

Elle a notamment allégué que le mariage célébré le ______ 1976 était valable et que B______ avait acquis, en 1988, un immeuble à G______ [GE], qui devait être partagé dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial.

Elle a offert, en preuve de son ignorance du divorce prononcé en Ethiopie et du mariage contracté en Suisse par B______ avec F______, l'audition des parties et celle de C______ et D______.

l. À l'audience de débats d'instruction du 4 décembre 2019, A______ a indiqué que l'audition de D______ pouvait être réservée à l'issue de l'audition d'autres témoins.

m. Par ordonnance du 19 février 2020, le Tribunal a limité la procédure à la question de la détermination de la date du mariage des parties.

n. À l'audience de débats principaux et de plaidoiries du 3 juin 2020, A______ a conclu, préalablement, à ce que le Tribunal sollicite de la part de l'Office de l'état civil tout document faisant état des communications et démarches de B______ en lien avec la célébration de son second mariage, persisté dans sa requête d'actes d'instructions en lien avec la validité du mariage et, sur le fond, conclu à ce que le mariage conclu en 1976 en Erythrée soit reconnu par le Tribunal.

B______ a notamment admis les allégués de la réponse selon lesquels il était encore marié avec A______ au moment de l'acquisition de l'immeuble de G______ [GE], ainsi qu'au moment où le divorce d'avec F______ avait été prononcé. Il n'a pas consacré de développement à la requête d'audition des parties et des témoins.

o. Par ordonnance de preuve du 6 juillet 2020, le Tribunal a invité le Service de l'état civil à lui transmettre tous documents et communications en sa possession en lien avec le mariage de B______ avec F______ en ______ 1988. Il n'a pas consacré de développement à la requête d'audition des parties et des témoins.

Le 13 juillet 2020, le Service de l'état civil a notamment transmis l'attestation de divorce du ______ 1988 et des explications de la représentation suisse à ______ (Ethiopie) concernant la validité du divorce prononcé par les "Sages".

p. Dans ses déterminations du 11 septembre 2020, A______ a persisté dans ses conclusions antérieures. Elle a allégué qu'elle n'avait jamais été informée de la demande de conciliation, respectivement de la demande de divorce formée par son époux auprès des "Sages". Elle n'avait jamais été informée de la procédure, n'avait jamais mandaté ni requis les "Sages" éthiopiens, n'avait pas pu s'exprimer et n'avait pas été entendue dans cette procédure. Elle a offert en preuve de ces allégués l'audition des parties et celle de leurs enfants C______ et D______. Dans ces conditions, le divorce prononcé en 1982 ne pouvait pas être reconnu en Suisse. Par conséquent, le Tribunal devait rectifier d'office les registres de l'état civil.

q. Dans son ordonnance, le Tribunal a retenu que la dissolution du premier mariage des époux A/B______ prononcée le ______ 1982 figurait au registre d'état civil suisse. Cette inscription créait une présomption de validité dudit divorce.

Le Tribunal ne s'est pas prononcé sur l'offre de preuves de A______ portant sur son allégué d'ignorance du divorce de 1982 tout en retenant que celle-ci, qui avait la charge de la preuve, n'avait pas établi que le divorce n'aurait pas été prononcé valablement.

A______ avait fourni certains indices, notamment les allégations de son époux dans le cadre de la procédure de mesures protectrices de l'union conjugale. Ceux-ci ne suffisaient toutefois pas à renverser la présomption découlant de l'inscription au registre d'état civil. Par ailleurs, A______ se considérait elle-même valablement divorcée puisqu'elle s'était remariée avec B______ le ______ 1993. Au surplus, l'inscription du divorce des époux A/B______ avait été précédée d'investigations approfondies menées par le Service de l'état civil, qui avaient conduit les autorités suisses à procéder à l'inscription du divorce et à autoriser B______ à se marier avec F______.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et incidentes de première instance, dans les causes non patrimoniales ou dont la valeur litigieuse, au dernier état des conclusions devant l'autorité inférieure, est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 1 let. a et al. 2 CPC).

En l'espèce, l'ordonnance attaquée constitue une décision finale en tant qu'elle tranche définitivement la question de savoir si le mariage célébré entre les parties en 1976 a été dissous ou si les parties sont au contraire encore liées par cette union. Pour le surplus, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. et l'acte d'appel a été déposé dans le délai et selon la forme prescrits (art. 130, 131, et 311 al. 1 CPC). L'appel est dès lors recevable.

1.2 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit (art. 310 CPC).

La maxime des débats s'applique à la procédure concernant le régime matrimonial et les contributions d'entretien après le divorce (art. 277 al. 1 CPC). Si nécessaire, le Tribunal requiert des parties la production des documents manquants pour statuer sur les conséquences patrimoniales du divorce (art. 277 al. 2 CPC).

L'art. 277 al. 2 CPC n'atténue la maxime des débats prévue par l'art. 277 al. 1 CPC que dans la mesure où il impose au juge d'aviser les parties lorsqu'il manque des pièces nécessaires pour statuer sur les conséquences patrimoniales du divorce. Cette disposition ne fonde en revanche aucune obligation du tribunal de faire procéder à une amélioration lorsqu'une partie n'a pas suffisamment formulé un allégué de fait concernant ces conséquences (arrêt du Tribunal fédéral 5A_18/2018 du 16 mars 2018 consid. 5).

1.3 La Cour examine d'office la recevabilité des faits et moyens de preuve nouveaux ainsi que des conclusions nouvelles en appel (Reetz/Hilber, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3e éd. 2016, n. 26 ad art. 317 CPC).

Selon l'art. 317 al. 2 CPC, la demande ne peut être modifiée que si les conditions fixées à l'art. 227 al. 1 CPC sont remplies (let. a) et si la modification repose sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux (let. b). L'art. 227 al. 1 CPC autorise la modification de la demande si la prétention nouvelle ou modifiée relève de la même procédure et présente un lien de connexité avec la dernière prétention ou, à défaut d'un tel lien, si la partie adverse consent à la modification de la demande.

En l'espèce, l'appelante a pris des conclusions qu'elle n'avait pas formulées devant le Tribunal, tendant au constat que les parties sont mariées depuis le 12 novembre 1976, à la non-reconnaissance du divorce prononcé en Ethiopie le 31 mai 1982 et à la rectification de l'état civil.

La première conclusion de l'appelante est dirigée directement contre la décision prise par le Tribunal; celle-ci s'inscrit dans le cadre des conclusions prises par les parties en première instance. Cette conclusion n'est donc pas nouvelle et est, partant, recevable.

Les conclusions tendant à la non-reconnaissance du divorce prononcé le 31 mai 1982 et à la rectification de l'état civil sont en revanche irrecevables dans la mesure où elles ne reposent pas sur des faits ou des moyens de preuve nouveaux. L'appelante n'en subit toutefois pas de préjudice puisque ces prétentions doivent être examinées à titre préjudiciel (consid. 2 infra).

1.4 Les parties ont déposé des pièces nouvelles et allégué des faits nouveaux devant la Cour.

1.4.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

En ce qui concerne les pseudo nova, il appartient au plaideur qui entend les invoquer devant l'instance d'appel de démontrer qu'il a fait preuve de la diligence requise, ce qui implique notamment d'exposer précisément les raisons pour lesquelles le moyen de preuve n'a pas pu être produit en première instance (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1; 143 III 42 consid. 4.1). Les conditions de l'art. 317 al. 1 CPC sont applicables même lorsque la cause est soumise à la maxime inquisitoire sociale (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1; 142 III 413 consid. 2.2.2).

1.4.2 En l'espèce, les allégués et pièces nouveaux concernent des faits antérieurs à la clôture des débats de première instance. Les parties n'expliquent pas en quoi elles auraient été empêchées de formuler leurs allégués et produire leurs titres devant le Tribunal.

Les allégués nouveaux des parties et les pièces nouvelles qu'elles ont déposées sont par conséquent irrecevables.

2. L'appelante soutient que le divorce prononcé en Ethiopie ne serait pas susceptible d'être reconnu en Suisse et que, partant, le mariage célébré le ______ 1976 n'aurait pas été dissous.

Elle sollicite, à titre préalable, l'audition des parties et celle de leurs enfants. Cette mesure probatoire avait été requise en première instance à l'appui des allégués relatifs à la procédure de divorce intervenue en Ethiopie. Dans la décision attaquée, le Tribunal n'a pas exposé les motifs pour lesquels il n'y a pas donné de suite.

2.1 Aux termes de l'art. 45 al. 1 LDIP, un mariage valablement célébré à l'étranger est reconnu en Suisse.

A teneur de l'art. 65 al. 1 LDIP, un jugement de divorce étranger est reconnu en Suisse lorsqu'il a été rendu dans l'Etat du domicile ou de la résidence habituelle, ou dans l'Etat national de l'un des époux, ou s'il est reconnu dans l'un de ces Etats. Cette disposition doit être lue en relation avec les normes générales posées aux art. 25 ss LDIP; en particulier, la décision doit avoir été rendue par une autorité compétente et sa reconnaissance ne doit pas contrevenir manifestement à l'ordre public suisse (ATF 126 III 327 consid. 2a; arrêt du Tribunal fédéral 5A_54/2016 du 15 juin 2016 consid. 2.4).

2.1.1 En matière d'état civil, c'est la transcription du jugement de divorce étranger dans les registres d'état civil qui constitue la reconnaissance d'une telle décision (cf. art. 32 LDIP). L'inscription ne fait toutefois pas obstacle à une action tendant à obtenir la radiation ou la modification de l'inscription en question (arrêt du Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 5A_214/2016 du 26 août 2016 consid. 5.2 et les références citées). En effet, la décision administrative d'inscription n'est que la condition de l'inscription dans les registres de l'état civil mais n'apporte pas la preuve irréfragable des faits qu'elle constate et dont l'art. 9 al. 1 CC permet expressément de prouver l'inexactitude. Cette décision ne préjuge en rien de la compétence du tribunal pour statuer sur la validité du fait constaté par l'inscription. Elle a uniquement une valeur déclarative et n'acquiert pas la force de chose jugée au sens matériel (ATF 117 II 11 consid. 4). Par conséquent, quand bien même le changement d'état obtenu à l'étranger a déjà été transcrit dans le Registre suisse d'état civil, le juge du divorce n'est pas lié par cette décision (Othenin-Girard, La transcription des décisions et des actes étrangers à l'état civil, in Revue de l'état civil (REC) 1998, p. 163 ss, 166). Il peut dès lors examiner à titre préjudiciel la question du maintien, en dépit d'un jugement de divorce étranger, du lien conjugal dont la dissolution est demandée (art. 29 al. 3 LDIP; ATF 117 II 11 consid. 4; 114 II 1 consid. 1). Le cas échéant, il peut faire rectifier l'inscription en application de l'art. 42 al. 1 CC (ATF 126 III 257 consid. 4b; arrêts du Tribunal fédéral 5A_214/2016 du 26 août 2016 consid. 5.2; 5A_756/2015 du 16 juin 2016 consid. 3); le jugement sera alors communiqué aux autorités de l'état de civil en vue de la rectification (ATF 91 III 364 consid. 5).

2.1.2 La notion de "décision étrangère de divorce" s'entend dans un sens large (ATF 126 III 327 consid. 2a; 122 III 344 consid. 2b). Le Tribunal fédéral a admis que la simple réception, par l’autorité, d’un divorce consensuel purement privé selon le droit coutumier, dans la mesure où cela constitue la forme ordinaire de dissolution du mariage dans l’Etat d’origine, pouvait être reconnue : il convient de prendre en compte cette institution, en la soumettant toutefois à un contrôle minutieux au regard de l’ordre public (art. 27 LDIP) s’agissant de l’existence du consentement des époux (ATF 122 III 344 consid. 3b : divorce coutumier du droit ghanéen; cf. Othenin-Girard, in Commentaire pratique, Droit matrimonial, 2015, n. 175 ad annexe Ie; Bucher, Commentaire romand, Loi sur le droit international privé – Convention de Lugano, 2011, n. 3 ad art. 65 LDIP)

2.1.3 En vertu de l'art. 27 al. 1 LDIP, la reconnaissance d'une décision étrangère doit être refusée en Suisse si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public suisse, c'est-à-dire lorsqu'elle heurte de manière intolérable les principes fondamentaux de l'ordre juridique suisse (ATF 143 III 51 consid. 3.2.2; 142 III 180 consid. 3.2; 134 III 661 consid. 4.1).

En tant que clause d'exception, la réserve de l'ordre public est d'interprétation restrictive; tel est le cas, en particulier, dans le domaine de la reconnaissance et de l'exécution des actes ou jugements étrangers, où sa portée est plus étroite que pour l'application directe du droit étranger (effet atténué de l'ordre public); la reconnaissance de la décision étrangère constitue la règle, dont il ne faut pas s'écarter sans de bonnes raisons (ATF 142 III 180 consid. 3.1; 126 III 101 consid. 3b).

Une décision est contraire à l'ordre public matériel lorsqu'elle viole des principes fondamentaux du droit matériel au point de ne plus être conciliable avec l'ordre juridique et le système de valeurs déterminants (ATF 138 III 322 consid. 4.1). Il ne suffit pas que la solution retenue dans la sentence étrangère s'écarte du droit suisse ou soit inconnue en Suisse. Le contrôle du respect de l'ordre public ne doit pas conduire à réexaminer le bien-fondé de cette sentence, mais à en apprécier le résultat par comparaison (ATF 141 III 328 consid. 5.1; 126 III 101 consid. 3b).

Un jugement réglant les effets accessoires du divorce d'une façon fort différente d'un jugement qui aurait été rendu en Suisse ne heurte pas, par là-même, l'ordre public suisse (Othenin-Girard, op. cit., n. 172 ad annexe Ie). Un divorce conventionnel prononcé sans que l'autorité ait vérifié que les deux époux avaient la volonté de divorcer est susceptible de violer l'ordre public matériel suisse (ATF 131 III 182 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 5C.297/2001 du 4 mars 2002 consid. 3c). Le cas échéant, l'ordre public s'oppose à la reconnaissance suisse même si l'un des époux s'est déjà remarié (ATF 122 III 344 consid. 4c). Cependant, un jugement de divorce prononcé pour un motif en soi choquant pourra néanmoins être reconnu si la rupture de la vie conjugale est établie (ATF 103 Ib 69 consid. 3b; Othenin-Girard, op. cit. n. 172 ad annexe Ie; Bucher, op. cit., n. 12 ad art. 65 LDIP). Un tel échec ne saurait être présumé après une séparation de six mois seulement (ATF 103 Ib 69 consid. 3; Bucher, op. cit., n. 10 ad art. 65 LDIP).

L'autorité requise examine d'office la conformité de la décision avec l'ordre public matériel suisse (ATF 122 III 344 consid. 4c). La partie qui s'oppose à la reconnaissance doit être entendue et peut produire tous les moyens de preuve dont il résulte que l'ordre public matériel suisse est violé (art. 29 al. 2 LDIP; Müller-Chen, in Zürcher Kommentar, IPRG, 3e éd. 2018, n. 16 ad art. 27 LDIP).

Une décision peut être incompatible avec l'ordre public suisse non seulement à cause de son contenu, mais également en raison de la procédure dont elle est issue (ATF 126 III 327 consid. 2b; 116 II 625 consid. 4a). En particulier, aux termes de l'art. 27 al. 2 LDIP, la reconnaissance doit être refusée notamment si une partie établit qu'elle n’a été citée régulièrement, ni selon le droit de son domicile, ni selon le droit de sa résidence habituelle, à moins qu’elle n’ait procédé au fond sans faire de réserve (let. a) ou que la décision a été rendue en violation de principes fondamentaux ressortissant à la conception suisse du droit de procédure, notamment que ladite partie n’a pas eu la possibilité de faire valoir ses moyens (let. b).

Le juge de la reconnaissance n'examine pas d'office la violation de l'ordre public procédural, mais seulement lorsqu'elle est invoquée par une partie (ATF 116 II 625 consid. 4). Lorsque la preuve doit porter sur des faits négatifs, il peut être attendu de la partie adverse qu'elle collabore à l'établissement des faits (cf. ATF 119 II 305 consid. 1b/aa; Müller-Chen, op. cit., n. 48 ad art. 27 LDIP; Bucher, op. cit., n. 17 ad art. 27 LDIP).

2.1.4 Le droit à la preuve est une composante du droit d'être entendu garanti par l'art. 29 al. 2 Cst.; il se déduit également de l'art. 8 CC et trouve désormais une consécration expresse à l'art. 152 CPC (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2; 138 III 374 consid. 4.3.1). Il confère au justiciable le droit de faire administrer les moyens de preuve adéquats qu'il propose régulièrement et en temps utile à l'appui de faits pertinents pour le sort du litige (ATF 140 I 99 consid. 3.4; 133 III 295 consid. 7.1; 129 III 18 consid. 2.6). En revanche, le droit à la preuve n'est pas mis en cause lorsque le juge, par une appréciation anticipée, arrive à la conclusion que la mesure requise n'apporterait pas la preuve attendue, ou ne modifierait pas la conviction acquise sur la base des preuves déjà recueillies (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2; 141 I 60 consid. 3.3; 138 III 374 consid. 4.3.2; 129 III 18 consid. 2.6).

2.2 En l'espèce, il est établi que les parties se sont mariées en Ethiopie le ______ 1976. Les "Sages" mentionnés dans l'attestation de divorce du ______ 1988 sont des "family arbitrators" au sens de l'art. 666 du code civil éthiopien en vigueur en 1982, habilités à prononcer un divorce conventionnel. Ce point n'est pas contesté.

L'appelante allègue qu'elle n'a pas été informée de la procédure devant les "Sages" éthiopiens, n'a pas pu s'exprimer et n'a pas été entendue dans ce cadre.

Il est difficile de déterminer si l'appelante a été correctement citée et a été entendue dans le cadre de la procédure de divorce éthiopienne, qui n'est documentée que par l'attestation du ______ 1988, dont il ressort que les "Sages" auraient été mandatés par les deux parties. Compte tenu de ce que la procédure était de nature privée et de l'ancienneté des faits, il paraît douteux que l'intimé aurait pu être en mesure de fournir la preuve positive du fait que l'appelante aurait été correctement citée et entendue par les "Sages". Cependant, l'intimé a lui-même allégué, dans le cadre de la procédure de mesures protectrices de l'union conjugale, que son épouse s'était toujours opposée au divorce. Par ailleurs, dans la présente cause, il s'est abstenu d'alléguer l'existence du divorce de 1982 et n'a pas contesté les allégués de l'appelante selon lesquels celle-ci n'avait pas pu prendre part à la procédure de divorce en Éthiopie; il a même admis les allégués dont il résulte qu'il était toujours marié au moment d'acheter l'immeuble de G______ [GE] en 1988. À cette date, l'intimé n'avait pas encore contracté d'union avec F______, de sorte qu'il ne s'exposait pas à admettre une supposée bigamie, ce qui pourrait expliquer son admission des faits à cette époque. À l'inverse, comme l'a relevé le Tribunal, l'appelante a accepté de se remarier en 1993, ce qui pourrait indiquer qu'elle ne contestait pas le divorce. Ces éléments contradictoires ne permettent pas de tirer d'enseignement définitif quant au respect des droits de procédure de l'appelante.

En tout état, le Tribunal devait donner à l'appelante l'occasion de prouver les faits dont il résulterait que le divorce de 1982 viole l'ordre public suisse; la règle de preuve découlant de l'art. 9 CC ne pouvait s'appliquer que si l'appelante échouait à apporter la preuve de l'inexactitude du registre d'état de civil sur ce point. Or l'appelante a offert, en première instance, l'audition des parties et de deux enfants communs à l'appui de ses allégués selon lesquels elle ignorait tout du divorce prononcé en 1982 et du mariage de l'intimé avec une autre femme. En refusant, sans indication de motif, d'entendre les parties sur ces faits, le Tribunal a violé le droit à la preuve de l'appelante. Au demeurant, l'on ne saurait à ce stade exclure, par une appréciation anticipée des preuves, que l'interrogatoire des parties soit susceptible de lever les contradictions relevées ci-dessus. L'offre de preuve consistant dans l'audition de C______ et D______, âgés de deux ans, respectivement de six mois au moment de la procédure de divorce éthiopienne, n'apparaît pas pertinente pour ce pan du litige; en revanche, il ne peut être exclu à ce stade qu'ils puissent apporter un éclairage sur les circonstances ultérieures des relations entre leurs parents.

Cette violation du droit de l'appelante d'être entendue concerne des faits essentiels pour l'issue de la cause puisqu'ils déterminent la mesure dans laquelle les biens des époux seront partagés dans le cadre de liquidation du régime matrimonial. La cause n'étant, partant, pas en état d'être jugée, il se justifie d'annuler l'ordonnance attaquée, puis de renvoyer la cause en première instance (art. 327 al. 3 la. a CPC) pour instruction complémentaire et nouvelle décision sur la date du mariage des parties. Il reviendra au Tribunal de procéder à l'interrogatoire des parties, en vue d'établir les faits pertinents pour apprécier, d'une part, si les droits de procédure de l'appelante ont été respectés et, d'autre part – cet aspect devant être examiné d'office –, si les "Sages" se sont assurés de la volonté de divorcer des parties ou, du moins, si la rupture du lien conjugal peut être établie d'une autre manière. Le Tribunal examinera si l'objet du litige commande de statuer par décision séparée sur la persistance d'un éventuel lien conjugal entre 1982 et 1993.

3. Selon l'art. 106 CPC, les frais sont mis à la charge de la partie succombante (al. 1). Lorsqu'aucune des parties n'obtient entièrement gain de cause, les frais sont répartis selon le sort de la cause (al. 2).

L'issue du litige étant incertaine, la répartition des frais de la procédure d'appel sera déléguée à la juridiction précédente conformément à l'art. 104 al. 4 CPC.

Les frais judiciaires de l'appel seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 17 et 35 RTFMC).

Eu égard à la valeur litigieuse, au caractère non final de la procédure d'appel et à l'activité déployée par les conseils des parties, les dépens d'appel seront arrêtés à 1'500 fr., débours et TVA inclus (art. 95 al. 3 CPC; art. 85, 87 et 90 RTFMC; art. 20, 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté par A______ contre l'ordonnance ORTPI/105/2021 rendue le 1er février 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/8242/2019.

Au fond :

Annule l'ordonnance susvisée.

Renvoie la cause au Tribunal pour complément d'instruction et nouvelle décision.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires de l'appel à 1'000 fr. et les dépens d'appel à 1'500 fr.

Délègue la répartition des frais judiciaires de l'appel et des dépens d'appel au Tribunal de première instance.

Siégeant :

Madame Nathalie RAPP, présidente; Madame Sylvie DROIN et Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.