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Décisions | Chambre civile

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C/13879/2020

ACJC/614/2021 du 06.05.2021 sur OTPI/795/2020 ( SCC ) , CONFIRME

Normes : CPC.47.al1.letf
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13879/2020 ACJC/614/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 6 MAI 2021

 

Entre

A______ LTD., sise c/o B______ LTD, ______[XX], Iles Caïmans, recourante contre une ordonnance rendue par la délégation du Tribunal civil de ce canton le 22 décembre 2020, comparant par Me Alexander TROLLER, avocat, Lalive SA, rue de la Mairie 35, case postale 6569, 1211 Genève 6, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

BANQUE C______ SA, sise ______[ZH], intimée, comparant par Me Daniel TUNIK, avocat, Lenz & Staehelin, route de Chêne 30, case postale 615, 1211 Genève 6, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par ordonnance du 22 décembre 2020, la délégation du Tribunal civil a rejeté la requête en récusation formée par A______ LTD à l'encontre de la juge D______ (ch. 1 du dispositif) et condamné la première citée à verser à l'Etat de Genève un émolument de décision de 1'000 fr., compensé partiellement avec l'avance de 500 fr. versée (ch. 2).

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 18 janvier 2021, A______ LTD a formé recours contre cette décision. Elle a conclu, avec suite de frais, à son annulation et, cela fait, à la récusation de la juge D______, subsidiairement au renvoi de la cause à la délégation du Tribunal civil.

b. Invitée à se déterminer, la juge D______ a conclu au rejet du recours.

BANQUE C______ SA a également conclu au rejet du recours, avec suite de frais.

c. A______ LTD a répliqué et persisté dans ses conclusions.

d. En l'absence de duplique, les parties ont été informées par avis de la Cour du 24 mars 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. Par demande datée du 31 octobre 2014, reçue le 9 décembre 2014 par le Tribunal, A______ LTD a conclu au paiement en sa faveur d'une somme totale de 29'443'410 USD, plus intérêts dès le 10 mai 2010, par BANQUE C______ SA, réduite par la suite.

A______ LTD reproche, en substance, à BANQUE C______ SA, en sa qualité de successeur de E______ (SUISSE) SA, d'avoir violé ses obligations en qualité de banque dépositaire, de gestionnaire et de créancière-gagiste et de s'être placée dans une situation de conflit d'intérêts en cumulant toutes ces qualités vis-à-vis du Fonds.

b. Le 9 janvier 2017, A______ LTD a requis la production de diverses pièces par BANQUE C______ SA.

c. Par ordonnance ORTPI/444/2018 du 1er juin 2018, le Tribunal de première instance a ordonné à BANQUE C______ SA de produire d'ici au 13 juillet 2018 diverses pièces, à savoir des relevés de portefeuille dans les livres de E______ (SUISSE) SA, des relevés de compte et des avis d'opérations, débouté pour le surplus A______ LTD de ses conclusions en production de pièces.

d. Cette ordonnance a été annulée par arrêt de la Cour du 12 mars 2019 et la cause a été retournée au Tribunal pour décision sur la demande en reddition de compte. Selon la Cour, en choisissant de traiter comme une requête procédurale les prétentions de droit matériel en reddition de compte formulées par A______ LTD, et en manifestant ainsi son refus de statuer sur ces prétentions alors que leur examen relevait de sa compétence, le premier juge avait commis un déni de justice formel. La cause devait ainsi être retournée au Tribunal pour qu'il soit statué, si nécessaire après instruction, sur les prétentions matérielles en reddition de compte invoquées par A______ LTD.

e. A la suite de ce renvoi, par jugement du 29 juin 2020, le Tribunal, statuant sur reddition de compte, a, après instruction, condamné BANQUE C______ SA à remettre à A______ LTD d'ici au 31 décembre 2020 divers documents, à savoir les relevés de portefeuille de la relation bancaire 1______ au 28 avril 2010, 7, 11 et 28 mai 2010 ainsi qu'au 10 juin 2010, les relevés mensuels des comptes de la relation bancaire n° 1______ du 9 décembre 2008 au 31 mars 2010, les avis d'opérations établis dans la relation bancaire n° 1______ du 9 décembre 2008 au 31 mars 2010 ainsi que les instructions données à E______ (SUISSE) SA du 9 décembre 2008 au 31 décembre 2015 en lien avec les opérations effectuées sur les comptes bancaires et le portefeuille de la relation bancaire n° 1______.

A______ LTD a formé un appel contre ce jugement, lequel est actuellement pendant devant la Cour.

f. Par requête adressée au Tribunal civil le 13 juillet 2020, A______ Ltd a requis la récusation de la juge D______ qui a rendu les décisions du Tribunal précitées. Elle a fondé cette requête sur trois motifs. En premier lieu, la description des faits retenus par le Tribunal serait biaisée et prématurée à ce stade de la procédure et révèlerait un parti pris en faveur de BANQUE C______ SA, avant même l'administration des preuves. Ensuite, le raisonnement juridique de la juge du Tribunal serait délibérément faux et reviendrait à refuser de traiter du fond de la question de la reddition de comptes. Le Tribunal aurait adopté une qualification juridique indéfendable et se serait livré à des multiples "restrictions" qui n'avaient de fondement ni dans la doctrine, ni dans la jurisprudence. Enfin, le délai de six mois accordé à BANQUE C______ SA pour fournir les quelques documents dont la production était ordonnée serait arbitrairement long, alors qu'ils devaient être facilement accessibles au sein de la banque et l'instruction risquait de se poursuivre durant le second semestre de 2020 sans qu'elle dispose des documents requis.

g. La juge D______ a conclu au rejet de la requête en récusation, aucune des causes prévues à l'art. 47 CPC n'étant réalisée.

h. BANQUE C______ SA a également conclu au rejet de la requête en récusation. Elle a considéré que l'affaire était complexe et qu'une requête en récusation n'était pas le forum adéquat pour traiter les questions juridiques qu'elle soulevait.

i. A______ LTD a répliqué en indiquant que sa requête en récusation était motivée par le profond malaise résultant d'un jugement "copié-collé" du dispositif de la précédente décision de la même magistrate, basé sur un raisonnement juridique tellement erroné qu'il ne pouvait plus dissimuler le parti pris de l'intéressée en faveur de la banque.

j. Dans sa décision du 22 décembre 2020, la délégation du Tribunal civil a rejeté la requête en récusation au motif que l'ensemble des griefs détaillé par la requérante à l'encontre du jugement était appellatoire, remettant en cause soit l'appréciation des faits, soit l'application du droit en sa défaveur. Ces critiques ne relevaient clairement pas de sa compétence. Aucun indice de prévention ne ressortait par ailleurs de la procédure.

EN DROIT

1. 1.1 Les décisions statuant sur une demande de récusation sont uniquement susceptibles de faire l'objet d'un recours, écrit et motivé, auprès de la Chambre civile de la Cour de justice dans un délai de 10 jours à compter de leur notification (art. 50 al. 2 et 321 al. 1 et 2 CPC; art. 13 al. 2 LaCC).

La procédure sommaire est applicable (arrêt du Tribunal fédéral 4A_475/2018 du 12 septembre 2019 consid. 3.3; Wullschleger, in Kommentar zur schweizerischen Zivilprozessordnung, Sutter-Somm/ Hasenböhler/ Leuenberger (éd.), 3ème éd., 2016, n. 5 ad art. 50 CPC; Tappy, Commentaire romand, Code de procédure civile commenté, 2ème éd., 2019, n. 21 ad art. 50 CPC).

1.2 En l'espèce, le recours a été formé dans le délai légal et selon la forme requise, de sorte qu'il est recevable.

1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits
(art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait.

2. La recourante se plaint en premier lieu de ce que l'ordonnance attaquée ne contient pas une motivation suffisante. Celle-ci ne comprenait aucune discussion du contenu ou du bien-fondé des griefs qu'elle avait invoqués.

2.1 La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu consacré par l'art. 29
al. 2 Cst. l'obligation pour le juge de motiver ses décisions. L'autorité n'a toutefois pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, lui paraissent pertinents (parmi plusieurs: ATF 143 III 65 consid. 5.2; 142 II 154 consid. 4.2; 134 I 83 consid. 4.1). Savoir si la motivation présentée est convaincante est une question distincte de celle du droit à une décision motivée. Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé le juge, le droit à une décision motivée est respecté (arrêt 4A_344/2018 du 27 février 2019 consid. 2.3.1; cf. ATF 126 I 97 consid. 2c). Une autorité judiciaire ne commet un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. que si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre
(ATF 143 III 65 consid. 5.2; 142 II 154 consid. 4.2; 141 V 557 consid. 3.2.1).

2.2 En l'espèce, la délégation du Tribunal civil a mentionné les trois griefs invoqués par la recourante dans sa requête en récusation et a considéré qu'ils ne relevaient pas de sa compétence. Dans la mesure où la délégation arrivait à cette conclusion, elle n'avait pas besoin d'en examiner le bien-fondé. Cette seule indication était suffisante en l'espèce et devait permettre à la recourante de comprendre pour quelle raison sa requête était rejetée.

Le grief de violation du droit d'être entendue de la recourante n'est dès lors pas fondé.

3. La recourante soutient qu'à suivre la décision attaquée, la récusation d'un magistrat ne serait jamais possible après qu'il a rendu une décision sujette à appel. Elle soutient à nouveau que le Tribunal a repris dans une large mesure les allégués de l'intimée, que le jugement attaqué adopte une conception du droit à la reddition de compte si éloignée des règles applicables que cela n'en constitue pas qu'un simple motif d'appel et que le jugement rendu ne reprend que servilement la précédente décision rendue, en dépit de son annulation par la Cour, ce qui dénotait une volonté délibérée de trancher en sa défaveur.

3.1
3.1.1
Selon l'art. 47 al. 1 let. f CPC, les magistrats se récusent lorsqu'ils pourraient être prévenus de toute autre manière que celles mentionnées aux let. a à e. L'art. 47 al. 1 let. f CPC concrétise les garanties découlant de l'art. 30 al. 1 Cst., qui a, de ce point de vue, la même portée que l'art. 6 § 1 CEDH. La garantie d'un juge indépendant et impartial permet de demander la récusation d'un magistrat dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité (ATF 140 III 221 consid. 4.2; 134 I 20 consid. 4.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_674/2016 du 20 octobre 2016 consid. 3.1; 5A_171/2015 du 20 avril 2015 consid. 6.1).

La récusation ne s'impose pas seulement lorsqu'une prévention effective est établie, parce qu'une disposition relevant du for intérieur ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence d'une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Cependant, seules les circonstances objectivement constatées doivent être prises en compte, les impressions purement subjectives de la partie qui demande la récusation n'étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 142 III 732 consid. 4.2.2; 142 III 521 consid. 3.1.1; 140 III 221 consid. 4.1). Le risque de prévention ne saurait être admis trop facilement, sous peine de compromettre le fonctionnement normal des tribunaux (ATF 144 I 159 consid. 4.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_998/2018 du 25 février 2019, consid. 6.2; 5A_98/2018 du 10 septembre 2018 consid. 4.2).

3.1.2 Des décisions ou des actes de procédure viciés, voire arbitraires, ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention (arrêts du Tribunal fédéral 5A_171/2015 précité et 4A_377/2014 du 25 novembre 2014 consid. 6.1). En raison de son activité, le juge est contraint de se prononcer sur des questions contestées et délicates; même si elles se révèlent par la suite erronées, des mesures inhérentes à l'exercice normal de sa charge ne permettent pas encore de le suspecter de parti pris. Même lorsqu'elles sont établies, des erreurs de procédure ou d'appréciation commises par un juge ne suffisent pas à fonder objectivement un soupçon de partialité; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent justifier une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances corroborent à tout le moins objectivement l'apparence de prévention (ATF 138 IV 142 consid. 2.3 et les références). C'est aux juridictions de recours normalement compétentes qu'il appartient de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises; le juge de la récusation ne saurait donc examiner la conduite du procès à la façon d'une instance d'appel (ATF 143 IV 69 consid. 3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_998/2018 du 25 février 2019, consid. 6.2; 1B_545/2018 du 23 avril 2019, consid. 5.1; 5A_749/2015 du 27 novembre 2015 consid. 4.1).

3.2 En l'espèce, la décision attaquée ne nie pas le droit de la recourante de requérir la récusation de la juge après qu'elle a rendu sa décision, contrairement à ce que soutient la recourante, mais constate uniquement qu'en l'espèce, les griefs soulevés ne constituent pas des motifs de récusation.

Quant aux motifs invoqués à l'appui de la requête en récusation, la recourante indique que des "pans entiers du jugement" auraient été rédigés sur la seule base des allégués et moyens de preuve de la banque, sans toutefois indiquer à quels passages du jugement en particulier elle se réfère. Le seul fait que le Tribunal se fonde sur des alléguées et éléments de preuve de l'intimée n'est par ailleurs pas encore apte, en lui-même, à démontrer une quelconque prévention de la juge envers la recourante. Il ne peut dès lors être considéré que les faits ont été établis ou les preuves appréciées d'une manière telle qu'elle dénoterait une prévention de la juge. Le grief relatif à l'établissement des faits ou l'appréciation des preuves ne relève pas, au vu de la motivation fournie, de la récusation.

La recourante n'indique pas davantage quel passage en particulier du jugement rendu comporterait "une conception du droit à la reddition de compte si éloignée des règles applicables" que cela n'en constituerait pas qu'un simple motif d'appel. Il ne peut être considéré d'emblée, dans le cadre du présent recours, que ledit jugement est manifestement contraire aux principes essentiels en matière de reddition de comptes et contiendrait ainsi des erreurs particulièrement graves dénotant une prévention de la juge. Le grief de mauvaise application des principes relatifs à la reddition de compte relève donc également de la procédure d'appel, et non de la procédure en récusation, et devra être examiné dans ce cadre.

Enfin, la durée du délai imparti à l'intimée pour produire les documents n'est pas de nature à démontrer en elle-même une quelconque prévention à l'égard de la recourante, étant relevé que cette dernière ne soutient par exemple pas que la juge aurait profité de ce délai pour poursuivre son instruction à son détriment et qu'elle en aurait subi un préjudice.

Au vu de ce qui précède, les griefs soulevés ne sont pas fondés. Le recours sera dès lors rejeté.

4. La recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais judiciaires du recours, arrêtés à 800 fr. (art. 19 et 38 ss du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile - RTFMC) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Elle sera également condamnée à verser à l'intimée la somme de 800 fr. à titre de dépens débours et TVA compris (art. 106 al. 1 CPC, art. 20, 25 et 26 LaCC; art. 84, 86, 87 et 90 RTFMC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ LTD. contre l'ordonnance OTPI/795/2020 rendue le 22 décembre 2020 par la délégation du Tribunal civil dans la cause C/13879/2020-4.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judicaires à 800 fr., les met à la charge de A______ LTD et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne A______ LTD à verser 800 fr. à BANQUE C______ SA à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Paola CAMPOMAGNANI et Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Camille LESTEVEN

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.