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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2903/2020

JTAPI/652/2021 du 24.06.2021 ( LCI ) , ADMIS

ADMIS par ATA/554/2022

Descripteurs : BRUIT;VALEUR LIMITE D'IMMISSIONS;VALEUR LIMITE D'EXPOSITION;AUTORISATION DÉROGATOIRE(PERMIS DE CONSTRUIRE)
Normes : OPB.31.al1; OPB.31.al2; LAT.22
Parties : BRUNEL Xavier, ERDT Caroline, COMMUNE DE GENTHOD, ERBEA Luigi / DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2903/2020 LCI

JTAPI/652/2021

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 24 juin 2021

 

dans la cause

 

Monsieur Xavier BRUNEL et Madame Caroline ERDT, représentés par Me Jean-Daniel BORGEAUD, avocat, avec élection de domicile

COMMUNE DE GENTHOD

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE

 


EN FAIT

1.             Madame Caroline ERDT et Monsieur Xavier BRUNEL sont copropriétaires de la parcelle n°1469 sise sur la commune de Genthod, d'une surface de 856 m2, exempte de toute construction.

Cette parcelle se situe en zone de développement 5 et en zone de fond agricole. Selon le plan d'attribution des degrés de sensibilité (DS) au bruit OPB n° 29'322A-520 adopté par le Conseil d'Etat le 6 mai 2009 et actuellement en vigueur, le DS II est applicable à cette parcelle.

2.             Mme ERDT et M. BRUNEL habitent actuellement dans la maison érigée sur la parcelle n°1467, voisine de la parcelle n°1469.

3.             Le 13 mai 2019, Mme ERDT et M. BRUNEL ont déposée auprès du département du territoire (ci-après : le DT ou le département) une requête en autorisation de construire portant sur la réalisation d'une maison familiale individuelle et d'un garage avec réduit et installation de panneaux solaires photovoltaïques sur leur parcelle n°1469.

4.             Dans le cadre de l'instruction de cette requête, les préavis suivants ont notamment été émis:

-          office de l'urbanisme du 24 mai 2019: préavis défavorable en raison des nuisances sonores. Conformément à la fiche A20 du plan directeur cantonal (ci-après: PDCn), l'art. 31 al. 2 de l'ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41) ne devait pas s'appliquer afin d'éviter la concentration de population dans les secteurs exposés au bruit aérien;

-          Aéroport de Genève (ci-après: l'aéroport): préavis défavorable du 17 juin 2019 au vu des courbes d'exposition au bruit du trafic aérien (cadastre du bruit 2009), étant précisé qu'il s'attachait uniquement à l'exposition au bruit de la parcelle, sans tenir compte des performances acoustiques des bâtiments.

Le 31 octobre 2019, l'aéroport a transmis un second préavis défavorable;

-          service de l'air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après: SABRA) du 13 juin 2019: favorable sous conditions. Il a retenu que les valeurs d'immissions (ci-après: VLI) étaient légèrement dépassées, 1dB(A) pour la période diurne et 1 à 2 dB(A) pour la période nocturne: le dépassement était de faible intensité et des mesures d'ordre typologique (orientation des bâtiments et des pièces) avaient été prises de façon à ce que les locaux à usage sensible au bruit de trouvassent dans une direction perpendiculaire ou opposée à la source du bruit des avions. Cette configuration permettait de résorber les faibles dépassements (inférieurs à 2 dB) et donc de permettre le respect de l'art. 31 OPB. Il demandait que la norme SIA 181 soit respectée.

Le SABRA a rendu un second préavis le 17 octobre 2019, réévaluant le précédent préavis en prenant en compte les nouvelles courbes de bruit admissibles publiées par l'office fédéral de l'aviation civile (OFAC) le 18 septembre 2019, lequel était défavorable. En se référant aux valeurs du nouveau bruit admissible du trafic aérien, il pouvait anticiper que les valeurs limites d'immission de l'OPB correspondant au degré de sensibilité DS Il seraient dépassées de +2 à +3 dB(A) pour la période nocturne 22-23h et de +3 à +4 dB(A) pour la période nocturne 23-24h au niveau de la parcelle: les exigences de l'art. 31 al. 1 OPB n'étaient ainsi pas respectées. Seul un assentiment de l'autorité compétente, au sens de l'art. 31 al. 2 OPB, pouvait permettre l'acceptation de l'autorisation de construire. Si tel était le cas, des mesures devaient être mises en place, conformément à l'art. 22 de la loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 (loi sur la protection de l’environnement - LPE - RS 814.01) et le respect de la norme SIA 181 édition 2006 (exigences renforcées) devrait être assuré pour l'isolation de l'enveloppe du bâtiment.

5.             Le département a refusé de délivrer l'autorisation de construire le 17 juillet 2020 (DD 112'634).

Compte tenu de l'imposant dépassement des VLI, que celui-ci se situait durant la phase de l'endormissement qui méritait d'être particulièrement protégée selon la jurisprudence et la politique cantonale restrictive en la matière, il faisait sien les préavis défavorables rendus et considérait qu'il n'existait aucun intérêt prépondérant au sens de l'art. 31 al. 2 OPB justifiant l'octroi d'une dérogation.

De surcroît, quand la zone de fond était agricole, l'octroi d'une dérogation à l'obligation d'adopter un plan localisé de quartier pour délivrer directement une autorisation de construire portant sur un objet conforme à la zone à bâtir contreviendrait à l'obligation de planifier tirée de l'art. 2 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700).

6.             Par acte du 14 septembre 2020, accompagné d'un chargé de pièces, Mme ERDT et M. BRUNEL ont recouru contre la décision de refus auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) concluant préalablement à pouvoir compléter leur recours, principalement à l'annulation de la décision et à la délivrance de l'autorisation, subsidiairement à ce que le tribunal prenne acte de leur engagement à réaliser divers aménagements et leur imposât des charges, le tout sous suite de frais et dépens.

Le « Projet AIG du bruit admissible 2022 » contenait les niveaux de bruit figurant dans la demande d'approbation des plans de l'aéroport présentée à l'OFAC: cette demande avait été mise à l'enquête publique le 17 septembre 2019. Ces niveaux de bruit n'étaient de loin pas encore entrés en force et ne pouvaient servir de référence opposable aux tiers. Le projet de construction était ainsi conforme aux art. 31 al. 1 OPB et 11 al. 2 LPE au regard de l'application des courbes du cadastre du bruit en vigueur et le refus était uniquement fondé sur l'application très contestée des éventuelles futures courbes dudit projet, dont rien n'indiquait par ailleurs qu'elles entreraient en vigueur dans un avenir proche.

Ils avaient fait appel à un bureau d'acoustique afin de régler au mieux le dépassement de 1 dB(A) de 22h à minuit sur la parcelle, lequel avait préconisé une orientation des locaux sensibles permettant, grâce à l'effet d'écran de la construction, de diminuer d'au moins 1.5 dB(A) le volume sonore par rapport aux valeurs du cadastre. De plus, le SABRA n'avait pas expliqué ou démontré dans son second préavis les raisons pour lesquelles l'orientation projetée du bâtiment ne serait pas à même d'absorber les 2 ou 3 dB(A) de dépassement des VLI.

Les émissions de bruit générés par l'aéroport étaient illicites pour les tranches horaires nocturnes et aucune décision d'allègement n'était en force prévoyant d'accorder un allègement, en tout cas pas de l'ampleur sollicitée dans la demande de fixation du bruit admissible.

Lorsqu'une parcelle, comme dans le cas d'espèce, était insérée dans un tissu déjà bâti, la fiche A20 du PDCn prévoyait la délivrance de l'autorisation de construire moyennant des mesures constructives d'isolation phonique adéquate.

Le département aurait dû faire application de l'art. 31 al. 2 OPB et délivrer l'autorisation de construire. En effet, la parcelle concernée constituait une brèche dans le milieu bâti et la fiche A20 du PDCn prévoyait alors la délivrance de l'autorisation moyennant des mesures constructives. L'intérêt public à protéger les futurs habitants des nuisances sonores existait mais restait retreint du fait qu'il s'agissait de la construction d'une seule villa pour cinq habitants; par contre leur droit à la propriété était gravement atteint, ils avaient un intérêt à ce que les droits à bâtir de leur parcelle ne fussent pas durablement paralysés sans compensation financière correspondante et avaient travaillé avec un acousticien pour trouver une solution susceptible d'être acceptée.

Par ailleurs, l'autorisation de construire aurait pu être délivrée en l'assortissant de charges: elle respectait dès lors le critère de la nécessité.

Enfin, pour la réalisation d'une villa sur une parcelle de 856 m2 sis en zone de développement et incluse dans un quartier de villas intégralement bâti, une planification n'était pas nécessaire. Par ailleurs, il n'existait aucun intérêt public à restaurer une affectation agricole à la parcelle n° 1649.

7.             Le 6 octobre 2020, la commune de Genthod, partie intervenante, a indiqué au tribunal réitérer son préavis favorable du 4 juin 2019. Elle rappelait l'importance que revêtait pour elle de construire dans la zone et d'offrir des opportunités de renouvellement de la population gentousienne.

Le cadastre de bruit sur lequel le SABRA avait fondé son second préavis n'avait pas encore été adopté.

8.             Les recourants ont complété leur recours le 15 octobre 2020 en y joignant un chargé de pièces complémentaire contenant notamment un rapport acoustique établi par AAB du 13 octobre 2020 et de nouveaux plans d’architecte adaptés afin de mettre en œuvre les mesures préconisées dans ledit rapport.

La typologie du bâtiment et les mesures constructives prévues permettaient d'absorber le dépassement de 3 dB(A) pour les tranches horaires 22h-23h et 23-minuit du « Projet AIG du bruit admissible 2022 », comme cela ressortait du rapport d'expertise acoustique réalisée par le bureau Atelier Acoustique du Bâtiment. Ainsi la diminution du volume sonore du séjour était de 15 dB(A), de 10 dB(A) pour les chambres des parents, et des enfants 1 et 2 et de 9dB(A) pour la chambre enfant 3. Les plans d'architecte avaient été modifiés afin de mettre en œuvre les mesures préconisées. En conclusion, le projet respectait les exigences de l'art. 31 al. 1 OPB.

9.             Le département a répondu au recours et produit son dossier le 20 novembre 2020. Il a conclu au rejet du recours, sous suite de frais.

Le fait d'avoir suivi le préavis du SABRA du 17 octobre 2019 et non celui du 13 juin 2019 relevait de l'opportunité que le tribunal ne pouvait examiner qu'avec une certaine retenue. En outre, en vertu du principe de précaution, c’était à juste titre que le SABRA s’était fondé sur le nouveau cadastre du bruit. Enfin, il était nécessaire de prendre en compte l’évolution prévisible de l’exposition au bruit dans les processus de planification et les décisions relatives aux autorisations de construire. Ainsi, il n'avait pas abusé de son pouvoir d’appréciation ni excédé celui-ci en se fondant sur le préavis du SABRA du 17 octobre 2019 pour rendre sa décsion.

Le dépassement des VLI était passé d’une intensité modérée au vu du cadastre 2009 à un dépassement important au regard du bruit admissible du trafic aérien publié le 18 septembre 2019 ; ainsi la pratique du SABRA faisant preuve d’une certaine souplesse en permettant de prendre en compte les mesures d’ordre typologique proposées ne s’appliquait pas au cas d’espèce puisqu’il ne s’agissait plus de faible dépassement (inférieur à 2 dB). Les mesures constructives proposées, à savoir la pose de fenêtres fixes, l’installation d’un déflecteur s’agissant de la chambre enfant 3 ou, subsidiairement, la pose d’une fenêtre automatique au sens de l’art. 31a OPB ainsi qu’un avant-toit au rez-de-chaussée, au-dessus des trois portes fenêtre du séjour ne faisaient pas partie des mesures de construction ou d’aménagement visées à l’art 31 al. 1 let. b OPB. Par ailleurs, aucune mesure de protection concernant la cuisine ouverte sur le salon n’était prévue. Dès lors, les mesures proposées ne pouvaient qu’être prises en considération au stade de l’éventuel octroi d’une dérogation au sens de l’art. 31 al. 2 OPB : c’était donc à raison que le SABRA avait estimé que le projet ne pouvait être autorisé sur la base de l’art. 31 al. 1 OPB et que seul un assentiment de l’autorité compétente, au sens de l’art. 31 al. 2 OPB pouvait permettre l’acceptation de l’autorisation de constuire.

Au regard de la jurisprudence et compte tenu de l’importance des dépassements des VLI durant la période d’endormissement, l’intérêt public à la construction d’un seul logement et l’intérêt privé des recourants, purement financier – ces derniers pouvant continuer de demeurer dans leur maison actuelle -, ne pouvaient pas primer sur l’intérêt des futurs occupants à être protégés contre le bruit des avions : c’était donc à juste titre qu’il n’avait pas octroyé de dérogation au sens de l’art. 31 al. 2 OPB au motif qu’il s’agirait d’une brèche dans le milieu bâti et ce refus ne violait pas le principe de proportionnalité.

10.         Les recourants ont répliqué le 21 janvier 2021, persistant dans l’argumentation et les conclusions de leur recours.

Seule la question de la portée juridique des courbes de bruit du « Projet AIG du bruit admissible 2022 » se pose : il s’agissait ainsi d’une question de droit que le tribunal pouvait revoir librement. Par ailleurs, le DT ne contestait pas, dans sa réponse, le rapport acoustique dont les mesures prévues permettaient d’absorber le dépassement des VLI de manière à ce qu’elles soient respectées fenêtre ouverte dans les locaux à usage sensible du bruit.

Un refus d’autorisation ne pouvait pas se fonder sur de simples courbes de bruit, un cadastre de bruit en force devait exister, ce qui n’était pas le cas des courbes découlant du « Projet AIG du bruit admissible 2022 » - lequel ne constituait pas « un nouveau cadastre de bruit 2019 ».

Le département n’indiquait pas les raisons pour lesquelles l’effet d’écran du bâtiment serait limité de 1 à 1.5 dB(A) alors que le rapport acoustique produit démontrait qu’il s’élevait de 2 à 10 dB(A) pour la construction envisagée. Les mesures envisagées constituaient des mesures constructives au sens de l’art. 31 al. 1 let. b OPB – soit des barrières entre la source de bruit et le local à usage sensible au bruit à protéger.

Pour terminer, leurs intérêts avaient une consistance importante présentant un poids prédominant au regard de l’intérêt public concret qui était modeste : dès lors, les conditions d’une dérogation en application de l’art. 31 al. 2 OPB étaient réalisées.

11.         Le département a dupliqué le 15 février 2021, persistant également dans ses observations et conclusions.

Le rapport acoustique venait confirmer d’une part l’effet limité de l’orientation des fenêtres, soit 2 dB(A) au niveau de la chambre 3. Les mesures supplémentaires n’étant toutefois pas prévues dans le projet refusé, elles dépassaient le cadre du litige sachant que, de toute manière, elles ne visaient pas à atténuer le bruit à proximité du bâtiment mais dans la construction projetée.

Il était exact que le SABRA avait considéré que des mesures d’ordre typologique permettaient de résorber des faibles dépassements de bruit (inférieur à 2 dB(A) au niveau des fenêtres. Toutefois, l’enquête publique intervenue en septembre 2019 annonçant pour la parcelle des dépassements plus importants durant la nuit, il avait considéré qu’il y avait lieu de ne pas utiliser comme lieu de détermination du bruit le milieu des fenêtres ouvertes mais au contraire l’environnement immédiat du bâtiment projeté comme le permettait l’art. 39 al. 1 2è phrase OPB. En l’espèce, les mesures typologies envisagées ne pouvaient qu’aboutir à des diminutions insuffisantes.

Par ailleurs, les mesures de construction ou d’aménagement visés à l’art. 31 al. 1 let. b OPB n’étaient habituellement pas aptes à protéger un bâtiment contre le bruit des avions.

Enfin, il n’entrait aucunement en matière pour une dérogation selon l’art. 31 al. 2 OPB pour des projets tel que celui déposé, conformément à sa pratique fondée sur son plan directeur cantonal (fiche A20), les intérêts publics défendus prévalant (santé publique, etc ).

12.         Les recourants ont encore déposé, le 1er mars 2021, des observations spontanées, lesquelles ont été transmises au département.

13.         Les arguments des parties et le contenu des pièces seront repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l'art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_107/2016 du 28 juillet 2016 consid. 9).

Commet un excès positif de son pouvoir d'appréciation l'autorité qui exerce son appréciation alors que la loi l'exclut, ou qui, au lieu de choisir entre les deux solutions possibles, en adopte une troisième. Il y a également excès du pouvoir d'appréciation dans le cas où l'excès de pouvoir est négatif, soit lorsque l'autorité considère être liée, alors que la loi l'autorise à statuer selon son appréciation, ou qu'elle renonce d'emblée, en tout ou partie, à exercer son pouvoir d'appréciation (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; 116 V 307 consid. 2 et les références citées ; arrêts du Tribunal fédéral 5A_472/2016 du 14 février 2017 consid. 5.1.2 ; 1C_263/2013 du 14 mai 2013 consid. 3.1), par exemple en appliquant des solutions trop schématiques ne tenant pas compte des particularités des cas d'espèce, que l'octroi du pouvoir d'appréciation avait justement pour but de prendre en considération ; on peut alors estimer qu'en refusant d'appliquer les critères de décision prévus explicitement ou implicitement par la loi, l'autorité viole directement celle-ci (cf. Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 514 p. 179).

4.             Selon l'art. 1 al. 1 LCI, sur tout le territoire du canton, nul ne peut notamment, sans y avoir été autorisé :

a)      élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail ;

b)      modifier même partiellement le volume, l'architecture, la couleur, l'implantation, la distribution ou la destination d'une construction ou d'une installation ;

c)      démolir, supprimer ou rebâtir une construction ou une installation ;

d)     modifier la configuration du terrain.

e)      Dès que les conditions légales sont réunies, le département est tenu de délivrer l'autorisation de construire (art. 1 al. 6 LCI), mais aucun travail ne doit être entrepris préalablement (art. 1 al. 7 LCI).

5.             La loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700) soumet l'octroi d'une autorisation de construire à la condition que la construction ou l'installation soit conforme à la zone et que le terrain soit équipé (art. 22 al. 2 LAT). Elle réserve par ailleurs les autres conditions posées par le droit fédéral et le droit cantonal (art. 22 al. 3 LAT).

6.             La législation fédérale sur la protection de l'environnement fixe des conditions supplémentaires à l'octroi d'une autorisation de construire dans les zones affectées par le bruit. Selon l'art. 22 al. 1 LPE, les permis de construire de nouveaux immeubles destinés au séjour prolongé de personnes ne seront délivrés, sous réserve de l'al. 2, que si les VLI ne sont pas dépassées. Dans le cas contraire, les permis de construire ne seront délivrés que si les pièces ont été judicieusement disposées et si les mesures complémentaires de lutte contre le bruit qui pourraient encore être nécessaires ont été prises (art. 22 al. 2 LPE).

7.             Cette disposition est précisée à l'art. 31 al. 1 OPB dans les termes suivants : lorsque les valeurs limites d'immission sont dépassées, les nouvelles constructions ou les modifications notables de bâtiments comprenant des locaux à usage sensible au bruit, ne seront autorisées que si ces valeurs peuvent être respectées par la disposition des locaux à usage sensible au bruit sur le côté du bâtiment opposé au bruit (let. a) ou des mesures de construction ou d'aménagement susceptibles de protéger le bâtiment contre le bruit (let. b).

8.             Sont notamment des locaux à usage sensible au bruit les pièces d'habitations, à l'exclusion des cuisines sans partie habitable, des locaux sanitaires et des réduits (art. 2 al. 6 let. a OPB).

9.             L'art. 31 al. 2 OPB prévoit une exception au principe du respect des VLI lorsque l'édification d'un bâtiment présente un intérêt prépondérant. Pour qu'un permis de construire soit délivré, alors que les VLI sont dépassées, l'intérêt à la construction doit être plus important que celui de la protection contre le bruit extérieur (ATA/546/2005 précité consid. 9a et les références citées). L'octroi d'une autorisation de construire fondée sur cette disposition dépend en effet de la pesée des intérêts en présence et requiert un intérêt à réaliser la construction projetée primant celui des futurs occupants à être protégés contre le bruit extérieur. Cet intérêt peut être public ou privé, l'intérêt du propriétaire à pouvoir utiliser sa parcelle conformément à l'affectation de la zone dans laquelle elle se trouve, n'étant toutefois pas suffisant à lui seul, puisqu'il reviendrait à accorder dans tous les cas une autorisation (arrêt du Tribunal fédéral 1C_196/2008 précité consid. 2.5). Un intérêt public prépondérant à la délivrance de l'autorisation de construire doit en principe exister (arrêt du Tribunal fédéral 1C_451/2010 précité consid. 5).

10.         Dans cette pesée des intérêts, il convient de considérer la destination de la zone dans laquelle prendrait place le projet et l'importance quantitative du dépassement des VLI. Les valeurs d'alarme doivent en particulier être observées. L'autorité doit tenir compte de la possibilité de déclasser la parcelle d'un degré de sensibilité au bruit en application de l'art. 43 al. 2 OPB. Des motifs d'aménagement du territoire peuvent également entrer en considération, notamment lorsque le terrain concerné constitue un espace non bâti dans un quartier déjà construit (en d'autres termes une « brèche dans le milieu bâti » ; ATF 134 II 152 du 14 avril 2008 consid. 11.1) et qu'à cet endroit, la création de nouveaux logements répond à un impératif d'urbanisme. De même, des considérations liées à la protection des sites ou du patrimoine peuvent justifier l'application de l'art. 31 al. 2 OPB (arrêt du Tribunal fédéral 1C_196/2008 précité consid. 2.5).

11.         Le département dispose d'un important pouvoir d'appréciation dans l'octroi d'une dérogation fondée sur l'art. 31 al. 2 OPB, dont les autorités de recours doivent tenir compte lorsqu'elles sont appelées à revoir l'application de cette disposition (arrêt du Tribunal fédéral 1C_196/2008 du 13 janvier 2009 consid. 2.6; ATA/448/2013 du 30 juillet 2013 consid. 3g in fine), la jurisprudence considérant néanmoins, de façon générale, que les dérogations ne peuvent être accordées ni refusées d'une manière arbitraire (cf. ATA/824/2013 du 17 décembre 2013 consid. 6 ; ATA/537/2013 du 27 août 2013 consid. 6b et les références citées).

12.         Selon la jurisprudence, une décision est arbitraire lorsqu'elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité ; il ne suffit pas qu'une autre solution paraisse concevable, voire préférable ; pour que cette décision soit annulée, encore faut-il qu'elle se révèle arbitraire non seulement dans ses motifs, mais aussi dans son résultat (ATF 138 III 378 consid. 6.1 ; 138 I 305 consid. 4.3 ; 137 I 1 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_180/2013, 2C_181/2013 du 5 novembre 2013 consid. 3). La notion d'arbitraire ne se confond donc pas avec ce qui apparaît discutable ou même critiquable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_88/2012 du 17 août 2012 consid. 5.1).

13.         Dans le cadre de son large pouvoir d'appréciation, le DT peut statuer « en opportunité », en fonction, notamment, de la politique particulière qu'il entend mettre en œuvre (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n° 500 s. p. 166). De façon générale, le choix en opportunité est celui qui est fait entre plusieurs solutions, qui, par définition, sont toutes conformes au droit. Ainsi, l'opportunité est l'espace de liberté qui reste à l'administration une fois que celle-ci a strictement respecté le cadre légal et qu'elle a tenu compte de tous les principes juridiques qui s'imposent à elle à l'intérieur de ce cadre (Ibid., n° 519 p. 172). Il en résulte donc, comme déjà indiqué plus haut, que l'autorité n'est pas libre d'agir comme bon lui semble, puisqu'elle ne peut pas faire abstraction des principes constitutionnels régissant le droit administratif (ATA/366/2013 du 11 juin 2013 consid. 3a ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n° 512 p. 170). Concrètement, cela signifie que le tribunal qui contrôle la conformité au droit d'une décision doit vérifier si l'administration a, dans l'exercice du pouvoir d'appréciation que lui confère la loi, respecté ces principes, mais s'abstenir d'examiner si les choix faits à l'intérieur de la marge de manœuvre laissée par ces principes sont « opportuns » ou non (cf. art. 61 al. 2 LPA ; Ibid., n° 525 p. 175 et la jurisprudence citée).

14.         Les autorités de recours doivent examiner avec retenue les décisions par lesquelles l’administration accorde ou refuse une dérogation et sont tenues de contrôler si une situation exceptionnelle justifie l’octroi de ladite dérogation, notamment si celle-ci répond aux buts généraux poursuivis par la loi, qu’elle est commandée par l’intérêt public ou d’autres intérêts privés prépondérants ou encore lorsqu’elle est exigée par le principe de l’égalité de traitement, sans être contraire à un intérêt public (ATA/824/2013 du 17 décembre 2013 consid. 6 ; ATA/537/2013 du 27 août 2013 consid. 6b ; ATA/147/2011 du 8 mars 2011 consid. 5 et les références citées).

15.         Les dispositions exceptionnelles ou dérogatoires sont interprétées selon les méthodes d'interprétation ordinaires sans nécessairement l'être de manière restrictive. Une dérogation importante peut se révéler indispensable pour éviter les effets rigoureux de la réglementation ordinaire. En tous les cas, la dérogation doit servir la loi ou, à tout le moins, les objectifs recherchés par celle-ci : l'autorisation exceptionnelle doit permettre d'adopter une solution reflétant l'intention présumée du législateur s'il avait été confronté au cas particulier. L'octroi d'une dérogation suppose une situation exceptionnelle et ne saurait devenir la règle, à défaut de quoi l'autorité compétente pour délivrer des autorisations se substituerait au législateur cantonal ou communal par le biais de sa pratique dérogatoire. L'autorité ne doit pas, en faisant un usage trop laxiste de ce pouvoir, vider de son sens la notion d'autorisation exceptionnelle ou dérogatoire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_159/2007 du 14 septembre 2007 consid. 3.3).

16.         L'octroi d'une dérogation implique une pesée entre les intérêts publics et privés de tiers au respect des dispositions dont il s'agirait de s'écarter et les intérêts du propriétaire privé à l'octroi d'une dérogation (arrêt du Tribunal fédéral 1C_159/2007 du 14 septembre 2007 consid. 3.3). L'octroi d'une dérogation peut ainsi s'imposer, suite à une pesée de tous les intérêts pertinents, en vertu du principe de proportionnalité ou d'égalité de traitement, ce dernier principe ne devant pas à nouveau conduire à transformer l'exception en règle (Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 294 s et les références citées).

17.         Pour qu'une mesure soit conforme au principe de la proportionnalité, il faut qu'elle soit apte à parvenir au but visé, que ce dernier ne puisse être atteint par une mesure moins incisive et qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 132 I 229 consid. 11.3 ; 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; ATA/569/2015 du 2 juin 2015 consid. 24c et les arrêts cités).

18.         En vertu de l'art. 38 OPB concernant les méthodes de détermination, les immissions de bruit sont déterminées sous forme de niveau d'évaluation Lr ou de niveau maximum Lmax sur la base de calculs ou de mesures (al. 1) ; les immissions de bruit des avions sont en principe déterminées par calcul ; les calculs doivent être effectués conformément à l'état admis de la technique ; l'OFEV recommande des méthodes de calcul appropriées (al. 2) ; les exigences en matière de modèles de calcul et d'appareils de mesure seront conformes à l'annexe 2 (al. 3).

19.         Pour les bâtiments, les immissions de bruit seront mesurées au milieu de la fenêtre ouverte des locaux à usage sensible au bruit, celles des avions pouvant également être déterminées à proximité des bâtiments (art. 39 al. 1 OPB).

20.         En matière de bruit du trafic aérien, les VLI sont celles fixées dans l'annexe 5 de l'OPB, à savoir 60 dB(A) de 6h à 22h, 55 dB(A) de 22h à 23h et 50 dB(A) de 23h à 24h et de 5h à 6h.

21.         De jurisprudence constante, l'autorité de recours doit appliquer les normes en vigueur au jour où elle statue (ATA/227/2018 consid. 5; ATA/1235/2017 consid. 3e).

22.         En l’espèce, les valeurs d'exposition au bruit actuellement en vigueur à la hauteur du projet litigieux découlent du cadastre du bruit du trafic aérien établi par l'OFAC en mars 2009.

Si certes, le 14 novembre 2018, le Conseil fédéral a adopté la fiche du plan sectoriel de l'infrastructure aéronautique (PISA) pour l'aéroport de Genève, permettant l'engagement de la procédure pour fixer le bruit admissible et ensuite l'actualisation du cadastre du bruit, il n'en demeure pas moins que les nouvelles valeurs ne sont pas en vigueur.

Dès lors, ce sont bien les valeurs déterminées par le cadastre de 2009 qui doivent être respectées, celles du « Projet AIG du bruit admissible 2022 » n’étant actuellement pas applicables. C’est du reste ce que le tribunal de céans avait retenudans son jugement du 9 mars 2021 (JTAPI/238/2021), lequel n’avait pas été contesté par le département devant la chambre administrative de la Cour de justice.

23.         Le département soutient cependant que l’application des nouvelles normes devrait se faire par application du principe de précaution.

24.         Selon l'art. 11 al. 2 LPE, indépendamment des nuisances existantes, il importe, à titre préventif, de limiter les émissions dans la mesure que permettent l'état de la technique et les conditions d'exploitation et pour autant que cela soit économiquement supportable. Cette disposition peut notamment justifier de procéder à l'étude d'une autre variante d'un projet ou d'un site préférable et disponible en vue d'assurer une réduction des immissions (ATF 141 II 476 consid. 3.2 p. 480; Anne-Christine FAVRE, la protection contre le bruit dans la LPE, 2002, p. 118; arrêt du Tribunal fédéral 1C_54/2019 du 11 novembre 2019, consid. 2.1.1).

25.         Il apparait ainsi que ce principe vise à limiter les risques de nuisances qui proviendraient de l’exploitation d’une nouvelle construction ou installation – soit d’une source de nuisances -, et non à empêcher l’utilisation ou la construction d’un bâtiment ou d’une installation qui, en eux-mêmes, ne provoquent aucune nuisance, comme c’est le cas de la villa projetée.

26.         Au vu de ce qui précède, c’est à tort que le département a refusé de délivrer l’autorisation de construire sollicitée du fait du dépassement des VLI contenues dans le « Projet AIG du bruit admissible en 2022 ».

La décision litigieuse sera donc annulée et le dossier renvoyé au département pour instruction de la demande d’autorisation sur la base du cadastre du bruit établi par l’OFAC en 2009.

27.         Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d'émolument.

L'avance de frais de CHF 900.- versée à la suite du dépôt du recours sera dès lors restituée aux recourants.

28.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 2’500.-, à la charge de l'Etat de Genève, soit pour lui le département, sera allouée au recourant (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2020 par Madame Caroline ERDT et Monsieur Xavier BRUNEL contre la décision du département du territoire du 27 juillet 2020 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision du département du 27 juillet 2020 ;

4.             renvoie le dossier au département pour nouvelle instruction au sens des considérants ;

5.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument et ordonne la restitution aux recourants, pris conjointement et solidairement, de l'avance de frais de CHF 900.- ;

6.             condamne l'Etat de Genève, soit pour lui le département du territoire, à verser aux recourants une indemnité de procédure de CHF 2'500.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Bénédicte MONTANT et Aurèle MULLER, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière