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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/302/2012

ATA/366/2013 du 11.06.2013 sur JTAPI/1438/2012 ( LCI ) , REJETE

Parties : VILLE DE GENEVE DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DE L'AMENAGEMENT / REALPLAN SECURITY S.A., SAUNA PRADIER, OLIVIA CLAVEL-PETITPIERRE, SIMOND Jean, DEPARTEMENT DE L'URBANISME, SIMOND Michèle, DEPARTEMENT DE L'INTERIEUR, DE LA MOBILITE ET DE L'ENVIRONNEMENT - DGM
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/302/2012-LCI ATA/366/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 11 juin 2013

2ème section

 

dans la cause

 

VILLE DE GENÈVE

contre

REALPLAN SECURITY S.A.

SAUNA PRADIER

soit pour elle Madame Olivia CLAVEL-PETITPIERRE

Madame Michèle et Monsieur Jean SIMOND
représentés par Me Guy Zwahlen, avocat

 

et

 

DÉPARTEMENT DE L’INTÉRIEUR, DE LA MOBILITÉ ET DE L’ENVIRONNEMENT

et

DÉPARTEMENT DE L’URBANISME

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 novembre 2012 (JTAPI/1438/2012)


EN FAIT

En décembre 2001, la Ville de Genève (ci-après : la ville) avait le projet de procéder au réaménagement du square Pradier, appartenant au domaine public communal et situé sur son territoire. La demande d’autorisation de construire déposée par la ville le 17 décembre 2001 auprès du département compétent visait la mise en place d’une plateforme en bois sur la partie centrale du square, impliquant la suppression de 48 places de parking. Parallèlement, une procédure d’approbation de la loi sur les routes du 28 avril 1967, portant sur le même réaménagement, avait été engagée.

Le square Pradier est situé entre les quartiers de Saint-Gervais et des Pâquis, dans le périmètre du règlement spécial Mont-Blanc-Cornavin approuvé par le Conseil d’Etat le 14 août 1991. Il est délimité par la rue Pradier, la rue Chaponnière, la rue du Mont-Blanc et la rue des Alpes.

L’autorisation de construire précitée a été délivrée le 26 juillet 2004, puis, sur recours de l’association des commerçants du centre-rive droite notamment, et d’autres commerçants du secteur, confirmée par arrêt du 29 novembre 2005 du Tribunal administratif, devenu depuis le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) (ATA/811/2005 du 29 novembre 2005).

Ce projet n’a jamais été concrétisé et le square est resté dans l’état qui était le sien alors.

La ville a mandaté le bureau CITEC Ingénieurs-Conseils S.A. (ci-après : le bureau CITEC) aux fins de réaliser une étude de circulation et de stationnement concernant ledit square. Ce bureau a rendu son rapport en juillet 2009. En se fondant sur des statistiques établies en 2007, le bureau CITEC a considéré en substance que la zone étudiée représentait une surface d’environ 1 hectare, étant délimitée par la place Cornavin, la rue des Alpes, la rue de Berne, la rue du Mont-Blanc et le square lui-même, bordé par les rues Pradier et Chaponnière. Au vu du faible taux de motorisation des habitants du périmètre concerné et des charges de trafic très basses résultant des comptages effectués, une « piétonisation » du square, au moins partielle, était appropriée. Les résultats de l’enquête de stationnement avaient révélé une part importante de stationnements illicites dans le temps. Les places de parking supprimées pouvaient être compensées par les places libres « en ouvrage » se trouvant dans les quatre parkings publics souterrains situés à proximité (Cornavin, Cygnes, Alpes et Arcades). Les places de parking ne faisaient pas partie de l’offre de stationnement diurne pour les habitants du quartier puisqu’elles étaient toutes à horodateur avec une utilisation limitée à nonante minutes.

Dans le cadre de l’enquête publique publiée dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 20 juillet 2009, divers commerçants du secteur, soit Korab International S.A., Realplan Security S.A., Sauna Pradier, soit pour elle Madame Olivia Clavel-Petitpierre, ainsi que Madame Michèle et Monsieur Jean Simond, ont formé opposition auprès du département de l’intérieur et de la mobilité, devenu depuis le département de l’intérieur, de la mobilité et de l’environnement (ci-après : DIME), contre ledit projet d’arrêté, en invoquant le fait que ce projet supprimait toutes les places de stationnement existant dans le square Pradier, sans compter celles supprimées nouvellement dans le square Chantepoulet tout proche, ce qui représenterait un total de 123 places de stationnement. La piétonisation complète du square Pradier reporterait le trafic en particulier sur la place Cornavin, déjà engorgée. Un marché dans le square Pradier serait peu attractif.

Parallèlement, la ville a sollicité le 11 mai 2010 de la direction générale de la mobilité (ci-après : DGM) du DIME qu’elle prenne un arrêté de circulation pour le square Pradier en se fondant sur la variante 4 de l’étude du bureau CITEC de juillet 2009.

Le 22 novembre 2010, la ville a déposé auprès du département des constructions et des technologies de l’information, devenu le département de l’urbanisme (ci-après : le DU), une demande définitive d’autorisation de construire, enregistrée sous numéro DD 104’074-4, portant sur le réaménagement dudit square, destiné à devenir entièrement piétonnier, toutes les places de stationnement étant supprimées. Seul un accès était réservé pour les véhicules du feu et pour ceux devant accéder au marché, qu’il était projeté d’organiser périodiquement dans ledit square. Ce réaménagement impliquait l’abattage de 13 arbres, pour lequel la ville avait requis du DIME une autorisation en date du 22 novembre 2010.

Les personnes précitées ont fait valoir les mêmes arguments que ceux développés dans l’enquête publique à l’encontre de l’autorisation de construire.

Dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation de construire précitée, les préavis techniques, tels que ceux du service de la planification de l’eau ou de la police du feu, étaient favorables. Celui de la direction générale de la nature et du paysage (ci-après : DGNP) était favorable, sous réserve des conditions de mise à l’autorisation d’abattage et sous réserves du fait que les fosses pour les nouvelles plantations soient conformes aux directives cantonales en la matière. Quant au préavis du service de l’aménagement et de la mobilité du département, il était favorable. Il convenait néanmoins de transmettre à la DGM avant l’ouverture du chantier un support informatique comportant le projet et les marquages conformes à l’ordonnance sur la circulation routière et approuvé par la DGM. Lors de la transmission du plan de marquage, un complément devait être fourni « sur la nouvelle gestion des livraisons ». Enfin, la publication de cette autorisation dans la FAO devait être coordonnée avec celle de l’arrêté de circulation y relatif. Enfin, le préavis émis le 15 février 2011 par la sous-commission d’architecture (ci-après : SCA) de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS) était favorable sous réserve. La SCA relevait que ce nouveau projet, contrairement au précédent, proposait que le square soit entièrement dédié aux piétons, sous réserve des accès des véhicules du feu et de ceux nécessaires à la tenue d’un marché. Elle était favorable également à l’installation d’un tel marché, pour que ce square reprenne une fonction vivante. Elle espérait également que la ville soutienne l’extension de terrasses pour les divers restaurants des rues Pradier et Chaponnière. Elle prenait note du remplacement des arbres existants et suggérait certaines essences. Enfin, sa seule réserve tenait à ce qu’avant commande des travaux, les détails d’exécution, ainsi que les teintes et matériaux lui soient soumis pour approbation.

Le 22 décembre 2011, le DU a délivré à la ville l’autorisation sollicitée DD 104’074-4 pour aménager le square Pradier, et le même jour, la DGNP a délivré l’autorisation d’abattage d’arbres, à condition que des arbres pour un montant d’au moins CHF 30'000.- soient replantés. A défaut, tout ou partie de cette somme serait facturée à la ville.

Enfin, le même jour, le DIME a pris un arrêté réglementant la circulation sur le square Pradier, en application de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01), de l’ordonnance sur la signalisation routière du 5 septembre 1979 (OSR - RS 741.21), de la LaLCR, du règlement d’exécution de ladite loi et du résultat de l’enquête publique. Il a ainsi décrété zone piétonne le square Pradier, à l’exception des cycles et des services de voirie, la signalisation devant être posée, réparée et entretenue aux frais de la ville. Il était mentionné que cet arrêté pouvait faire l’objet dans les trente jours d’un recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI). Il entrerait en vigueur dès la mise en place de la signalisation, une fois les aménagements requis effectués. Cet arrêté a été publié dans la FAO le 28 décembre 2011.

Le 27 janvier 2012, les opposants précités ont interjeté recours auprès du TAPI contre l’arrêté du DIME du 22 décembre 2011 (cause A/302/2012) et contre l’autorisation de construire DD 104’074-4 (cause A/303/2012) pour les motifs précités. Ils exploitaient des commerces à proximité immédiate du square ou adjacents à celui-ci. Leurs clients stationnaient quotidiennement dans ledit square, Quant à Mme Michèle et M. Jean Simond, ils habitaient entre le square Chantepoulet et le square Pradier et ils étaient immédiatement voisins de ce dernier.

Enfin et surtout, l’autorisation de construire avait été délivrée sans que le préavis du département des affaires régionales, de l’économie et du sport (ci-après : DARES) n’ait été requis, contrevenant ainsi à l’art. 5 al. 2 de la loi d’application de la législation fédérale sur la circulation routière du 18 décembre 1987 (LaLCR - H 1 05), de sorte que les conséquences économiques de cette mesure n’avaient pas été prises en compte, alors que le bureau CITEC lui-même, dont l’étude ne remplaçait pas ledit préavis, soulignait la destination principale du secteur, impliquant notamment des livraisons et le transport de marchandises.

Le 6 mars 2012, la ville a conclu au rejet du recours. La suppression des places de stationnement dans le square Pradier était conforme à l’art. 160A et B de la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 (Cst-GE - A 2 00) consacrant la liberté du choix du mode de transport de chacun et le fait que le réseau routier des communes devait être conçu et organisé dans les limites du droit fédéral, de manière à assurer un équilibre entre les divers modes de transport. Quant au stationnement, il devait être organisé de manière à répondre aux besoins propres des divers types d’usagers.

Le 20 mars 2012, la ville a répondu au recours dirigé contre l’arrêté de circulation en concluant à son rejet. Le DIME n’avait pas à requérir le préavis du DARES au motif que l’arrêté de circulation ne contenait pas d’interdiction ou de restriction importante de circuler ou de parquer et que la zone concernée ne pouvait être considérée comme présentant une intense activité commerciale. Le square Pradier demeurerait accessible par la rue du Mont-Blanc (ndr : piétonne dans cette partie-ci), la rue Pradier, la rue des Alpes et la rue Chaponnière. Les immeubles bordant ledit square étaient principalement affectés au logement. L’étude du bureau CITEC avait mis en l’évidence le fait que le stationnement lié à une activité professionnelle ou commerciale au square Pradier pouvait être aisément reportée dans les parkings publics situés à proximité, soit celui de Cornavin, des Cygnes, des Alpes et des Arcades, ceux-ci n’étant pas saturés. Enfin, le secteur concerné était particulièrement bien desservi par les transports publics.

Le 10 avril 2012, le DIME, soit pour lui la DGM, a répondu à son tour. Elle était l’autorité compétente en matière de circulation routière. Dès lors, la DGM pouvait « faire usage de son pouvoir discrétionnaire afin de mener une politique conforme à l’intérêt public en matière de mobilité ». La décision querellée tendant à la piétonisation du square Pradier avait été prise dans le respect des art. 2a et 22c OSR et relevait manifestement de l’opportunité. Il n’existait pas de droit en soi à l’utilisation du domaine public pour y garer son véhicule. Ainsi, une piétonisation du square Pradier entraînerait une utilisation plus rationnelle et un partage plus équitable du domaine public entre piétons, cyclistes et éventuellement maraîchers, etc. et cet aménagement s’inscrivait dans le cadre d’une « démarche de valorisation globale des espaces piétons au cœur de notre cité ».

Les juridictions administratives ne pouvant revoir l’opportunité, le recours était irrecevable. La DGM se référait pour l’essentiel à l’étude du bureau CITEC. Enfin, le nouveau projet d’aménagement dudit square avait été présenté à plusieurs reprises à l’association des commerçants de la rive droite, qui s’était montrée favorable et enthousiaste, et la réglementation contestée avait été prise « avec toute la considération nécessaire à laquelle ont droit les habitants, travailleurs et visiteurs du périmètre en question, et dans un souci d’intérêt public, la qualité de vie étant privilégiée en permettant l’usage de l’espace public à d’autres fins que du stationnement ». Sans la réglementation souhaitée, les habitants et commerçants, dont les établissements se trouvaient dans les alentours dudit square, continueraient à être prétérités du fait que ce square était laissé à l’abandon, alors qu’il pourrait être rendu convivial pour les habitants, les commerçants et les passants.

Le 13 avril 2012, Korab International S.A. a retiré ses recours dirigés contre l’autorisation de construire et l’arrêté de circulation.

Le 6 juin 2012, le DU a conclu au rejet du recours, le rapport du bureau CITEC ayant pris en compte les intérêts des usagers.

Le TAPI a joint les deux causes sous un seul numéro (A/302/2012).

Le 24 juillet 2012, les recourants ont répliqué. Le 2 juillet 2012, deux nouvelles dispositions, soit les art. 7A et 7B LaLCR, étaient entrées en vigueur, prévoyant une compensation en cas de suppression de places de stationnement. Ces dispositions étaient d’application immédiate, mais n’avaient pas été prises en considération.

Le 23 août 2012, le DU s’en est rapporté à justice quant à l’application de ces nouvelles dispositions.

Le 24 août 2012, la ville a dupliqué en contestant que les art. 7A et 7B LaLCR soient applicables à une procédure en cours. Dans un tel cas, et selon les recourants, il faudrait qu’un intérêt public majeur justifie l’application immédiate du nouveau droit. Or, l’art. 7B LaLCR, qui imposait pour chaque suppression de place la mise à disposition du public de nouvelles places de stationnement ne répondait pas à un motif d’ordre public, raison pour laquelle ces deux nouvelles dispositions n’étaient pas applicables.

La ville s’est référée une fois encore au rapport du bureau CITEC. De plus, ces nouvelles dispositions avaient fait l’objet d’un recours auprès du Tribunal fédéral, interjeté par l’Association Transport et Environnement (ci-après : ATE) au motif qu’elles n’étaient pas conformes au droit supérieur.

Les réaménagements du square Pradier, soit d’un espace public, répondaient à un intérêt prépondérant aux fins d’offrir une meilleure qualité de vie. L’exigence de compensation précitée était disproportionnée. Enfin, l’art. 7B LaLCR instituait une inégalité de traitement entre la ville et les autres communes du canton car son territoire était urbain et dense et son domaine public n’était pas extensible. Dans d’autres communes du canton, il était plus aisé de créer de nouvelles places de stationnement en cas de suppression de parkings. De plus, « la Ville de Genève sera [serait] défavorisée par rapport aux autres communes puisqu’elle ne peut [pourrait] étendre son domaine public ».

Le 27 août 2012, le DIME a dupliqué à son tour. Il s’en remettait à justice quant à l’application immédiate des art. 7A et 7B LaLCR tout en relevant que le principe de la compensation avait bien été appliqué en l’espèce. De même, l’art. 160 B al. 2 et 3 let. c Cst-GE, qui constituait une disposition cadre, avait été respecté dans son esprit. Pour le reste, le DIME a persisté dans ses écritures précédentes.

Interpellée par le TAPI, la DGM a précisé le 5 octobre 2012 qu’elle n’avait pas requis le préavis du DARES prévu par l’art. 5 al. 2 LaLCR car elle avait considéré que l’arrêté de circulation querellé ne contenait pas d’interdiction ou de restriction importante de circuler ou de parquer et que la zone concernée, à savoir le square Pradier, ne constituait pas une zone d’intense activité commerciale. Enfin, malgré la « piétonisation », l’accès aux immeubles sis sur le square Pradier serait toujours possible par les rues du Mont-Blanc, Pradier, des Alpes et Chaponnière. Les immeubles bordant le square étaient principalement affectés au logement. L’accessibilité du public audit square pour des activités professionnelles ou commerciales serait toujours assurée, le secteur étant bien desservi par les transports publics et comportant plusieurs parkings publics à proximité.

a. Le 22 novembre 2012, le TAPI a tenu une audience de comparution personnelle et d’enquêtes au cours de laquelle il a entendu Madame Delphine Perrella Gabus, attachée à la direction du DARES, laquelle a confirmé qu’aucun préavis n’avait été requis dudit département dans l’examen de cette procédure. Or, son préavis devait être requis lorsque la mesure avait des incidences sur la circulation, dans une zone où les commerces étaient nombreux, ou lorsque des activités commerciales, telles des bureaux, s’y étaient développées. Le square Pradier était entouré de rues dans lesquelles l’activité économique était intense, de sorte que le préavis du DARES aurait dû être sollicité.

b. La représentante du DIME a répété qu’à son avis, le préavis du DARES n’était pas nécessaire dès lors qu’il n’y avait pas de commerces au rez-de-chaussée du square Pradier et que celui-ci était examiné uniquement comme zone.

c. Les autres parties ont campé sur leurs positions. La représentante du DU et celle du DIME ont considéré qu’il serait possible à ce stade de la procédure de solliciter le préavis du DARES. La ville a estimé que ce préavis n’était pas nécessaire, mais qu’elle n’était pas opposée à ce qu’il soit sollicité devant le TAPI. Les recourants s’y sont opposés. La représentante du DIME a ajouté pouvoir fournir au TAPI les éléments chiffrés concernant les places de parc à disposition dans les parkings avoisinants ouverts au public. Le conseil des recourants s’y est opposé, puisqu’à chaque place supprimée devait correspondre une place nouvellement créée.

Par jugement du même jour, le TAPI a admis les recours et annulé l’arrêté de circulation, de même que l’autorisation de construire délivrée le 22 décembre 2011, considérant que le préavis du DARES aurait dû être requis. Faute de l’avoir été, l’art. 5 al. 2 LaLCR avait été violé. Le dossier était renvoyé au DIME pour complément d’instruction.

Par acte posté le 15 janvier 2013, la ville a recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative en concluant à son annulation. Pour les motifs déjà exposés ci-dessus, elle considérait que et l’arrêté de circulation, et l’autorisation de construire DD 104'047 (recte : DD 104’074-4) avaient été valablement délivrés, demandant ainsi implicitement que tous deux soient rétablis. A supposer que l’art. 7B LaLCR doive s’appliquer immédiatement, l’exigence de compensation qu’il instaurait violait le droit fédéral et le principe d’égalité de traitement.

Le TAPI a produit son dossier le 23 janvier 2013.

Le 26 février 2013, le DU a conclu à l’admission du recours interjeté par la ville, n’ayant par ailleurs pas d’observations particulières à formuler « sur la légalité du renvoi au DIME » résultant dudit jugement.

Le 22 mars 2013, le DIME a indiqué n’avoir pas d’observations à formuler.

Le même jour, Realplan Security S.A., Sauna Pradier, soit Mme Olivia Clavel-Petitpierre, de même que Mme Michèle et M. Jean Simond ont répondu au recours en concluant à son rejet et en reprenant leur argumentation. De plus, la chambre administrative devrait également faire application des art. 7A et 7B LaLCR pour confirmer l’annulation de l’arrêté de circulation, lequel ne respectait pas le principe de compensation instauré par ces nouvelles dispositions.

Le 30 avril 2013, la ville a répliqué en insistant sur le but d’intérêt public qui était le sien, à savoir aménager un square agréable et convivial, et l’opportunité d’y créer un marché, dont il n’était pas encore décidé s’il serait un marché alimentaire ou d’un autre type, tel que l’artisanat, des livres ou une brocante. Les parkings à proximité, tels celui de Cornavin, n’étaient pas saturés, puisqu’il était envisagé d’en réaffecter un étage à des activités commerciales. Le square Pradier se trouvait dans un quartier principalement destiné à de l’habitation et le stationnement pouvait s’effectuer « en ouvrage » libérant l’espace public, dont la destination principale ne saurait, comme c’était le cas actuellement à cet endroit, être le stationnement. Pour le reste, la ville s’est référée au rapport du bureau CITEC et à un comptage du trafic journalier sur la rue des Alpes, faisant apparaître une moyenne calculée sur les jours ouvrables de quelque 11'700 véhicules entre 2007 et 2011 chaque année, alors qu’en 2012, ce chiffre était tombé à 10'862 véhicules.

Le DIME avait expliqué les raisons pour lesquelles il n’avait pas requis le préavis du DARES. Enfin, il était erroné de prétendre que les places de stationnement dans le square Pradier faisaient « l’objet d’un usage intensif » devant conduire à leur maintien, le rapport du bureau CITEC démontrant que le taux d’occupation maximum n’était jamais atteint quelle que soit l’heure de la journée.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 145 al. 2 LCI ; art. 17A et 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Le 22 décembre 2011, trois décisions ont été prises, soit l’autorisation de construire DD 104’074-4 délivrée par le DU, l’arrêté de réglementation de la circulation et de la mise en zone piétonne du square Pradier prononcé par le DIME et l’autorisation d’abattage d’arbres prise par le DIME également, dans le respect du principe de coordination instauré par l’art. 12A LPA et 9 du règlement sur la conservation de la végétation arborée du 27 octobre 1999 (RCVA - L 4 05.04). La seule autorisation que le TAPI n’a pas annulée est précisément l’autorisation d’abattage d’arbres. Toutefois, celle-ci ne peut être exécutoire qu’après l’entrée en force des autorisations de construire, comme cela résulte de l’art. 9 al. 2 RCVA.

a. Il est constant que dans le cadre de l’instruction du projet de réglementation du trafic, le préavis du département de l’économie et de la santé devant être requis à teneur de l’art. 5 al. 2 LaLCR, dans sa teneur jusqu’au 17 mai 2010, et du DARES dans sa teneur dès le 18 mai 2010, n’a pas été sollicité, comme indiqué ci-dessus.

Le DIME a, dans un premier temps, justifié sa position par le fait qu’il disposait d’un pouvoir discrétionnaire pour mener une politique aussi conforme que possible à l’intérêt public et que sa décision, soit l’arrêté du 22 décembre 2011 tendant à la piétonisation du square Pradier, relevait de l’opportunité, que les juridictions administratives ne pouvaient pas revoir, par application de l’art. 61 al. 2 LPA. S’il est exact que selon l’art. 61 LPA, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limite à la violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA), il n’en résulte pas que l’autorité est libre d’agir comme bon lui semble, puisqu’elle ne peut pas faire abstraction des principes constitutionnels régissant le droit administratif, notamment la légalité, la bonne foi, l’égalité de traitement, la proportionnalité et l’interdiction de l’arbitraire (B. KNAPP, Précis de droit administratif, 1991, p. 35-36 n. 161 ss).

b. Le fait pour le DIME de renoncer en l’espèce à solliciter le préavis du DARES impliquait que le DIME ait préalablement interprété 2 notions juridiques indéterminées, contenues dans l’art. 5 al. 2 LaLCR, soit la notion d’interdiction ou restriction importante de parquer d’une part, et celle de zone d’intense activité commerciale d’autre part.

c. Si l’arrêté réglementant la circulation sur le square Pradier abroge le stationnement possible jusqu’ici à cet endroit, ledit arrêté ne mentionne nullement le nombre de places ainsi supprimées. Ce chiffre ne résulte pas davantage du rapport du bureau CITEC. De plus, si comme entend le faire la ville, il faut considérer la zone, alors ce ne sont pas seulement les places de stationnement existant actuellement dans le square Pradier qu’il conviendrait de prendre en considération, mais également celles existant dans les rues Pradier et Chaponnière, voire dans la rue de Berne, en distinguant la saison d’hiver de la saison d’été suivant le nombre de places de stationnement supprimées par l’implantation sur la chaussée, dans chacune de ces rues, d’estrades constituant les terrasses d’établissements publics, voire en ajoutant les places supprimées dans le square de Chantepoulet, situé de l’autre côté de la partie piétonne de la rue du Mont-Blanc.

d. Les recourants ont avancé sans être contredits que 48 places de stationnement seraient supprimées dans le seul square Pradier, ce qui peut être considéré comme constituant une restriction importante de parquer, contrairement à l’appréciation qu’a faite le DIME de manière totalement subjective. Enfin, il résulte du rapport du bureau CITEC lui-même, sur lequel la ville s’est essentiellement fondée, que le secteur concerné peut être qualifié de zone d’intense activité commerciale, la ville et le DIME considérant, sans aucune motivation, qu’une activité commerciale suppose uniquement l’exploitation de commerces dans des arcades, ce qui ne résulte d’aucune disposition légale. Ni l’une, ni l’autre n’ont ainsi tenu compte des activités commerciales pouvant être exercées par des sociétés dans des immeubles de ladite zone, qui ne sont pas tous destinés uniquement au logement, et c’est précisément ce que le préavis du DARES aurait pu apporter comme élément, le dossier ne comportant aucune considération sur la nature des activités déployées dans le quartier, si ce n’est pour nier l’existence d’une zone d’intense activité commerciale.

e. En conséquence, ce défaut d’instruction ne pouvait pas être réparé par-devant le TAPI. Celui-ci était dès lors fondé à annuler et l’autorisation de construire DD 104’074-4 et l’arrêté de réglementation de la circulation sur le square Pradier, tous deux étant liés, le préavis du DARES n’ayant pas été requis, en violation de l’art. 5 al. 2 LaLCR au motif que le DIME peut statuer en opportunité. Si une telle motivation suffisait, il serait alors vain d’instituer, comme la loi le prévoit, une voie de recours cantonale auprès de deux juridictions administratives (ATA/479/2007 du 25 septembre 2007 ; ATA/640 et 641/2004 du 24 août 2004).

a. L’actualisation du rapport du bureau CITEC s’impose, puisque celui-ci a été rédigé en 2009 sur la base de chiffres obtenus selon les statistiques cantonales en 2007 et que depuis lors, l’aménagement du quartier a quelque peu été modifié. Cette actualisation est d’autant plus nécessaire que la situation doit être appréciée, en application des art. 7A et 7B LaLCR, entrés en vigueur le 2 juillet 2012, soit postérieurement au prononcé des décisions litigieuses, mais avant que le TAPI ne statue le 22 novembre 2012.

b. Selon la doctrine et la jurisprudence en effet, en droit de la construction, la loi applicable est celle en vigueur au moment où statue la dernière instance saisie du litige. Si l’affaire est traitée par plusieurs autorités, sont déterminantes en principe les prescriptions en force lorsque la dernière juridiction statue. La jurisprudence admet ainsi d’une façon générale qu’une demande d’autorisation de bâtir déposée sous l’empire du droit ancien est examinée en fonction des dispositions en vigueur au moment où l’autorité statue sur cette demande, même si aucune disposition légale ou réglementaire ne le prévoit : les particuliers doivent en effet toujours s’attendre à un changement de réglementation (ATF 101 1b 299 ; ATA/220/2013 du 9 avril 2013 ; ATA/56/2013 du 29 janvier 2013). En statuant sur une demande d’autorisation suivant des prescriptions devenues obligatoires après son dépôt, le juge ne tombe pas dans l’arbitraire ni ne viole une disposition impérative, pas plus que la garantie de la propriété (ATF 107 1b 138 ; ATA/56/2013 précité ; ATA/22/2009 du 13 janvier 2009 ; ATA /792/ 2004 du 19  octobre 2004 ;  ATA /541 / 2002  du 10  septembre 2002 ;P. MOOR/ A. FLÜCKIGER/V. MARTENET, Droit administratif, vol. I, Les fondements, 3ème éd., 2012, pp. 194-195 ; A. KOELZ, Intertemporales Verwaltungsrecht, RDS 1983, p. 191 ; M. BORGHI, Il diritto amministrativo intertemporale, RDS 1983, p. 485 ; A. GRISEL, L’application du droit public dans le temps, ZBl 1974, pp. 251-252).

c. Certes, en l’espèce, ces deux nouvelles dispositions de la LaLCR ne sont pas des dispositions du droit de la construction. Néanmoins, l’arrêté relatif à la réglementation du trafic faisant l’objet de l’arrêté du 22 décembre 2011 a été pris en corrélation avec l’autorisation DD 104’074-4 du même jour et les autorités ont une obligation légale de respecter, comme indiqué ci-dessus, le principe de coordination. Dès lors, et pour les mêmes raisons qu’en droit de la construction, il se justifie que les aménagements prévus par la réglementation locale du trafic soient conformes, à l’avenir, aux dispositions nouvelles entrées en vigueur en cours de procédure, raison pour laquelle ces mesures de compensation devront être examinées, ce qui implique de connaître avec précision le nombre de places supprimées dans la zone considérée, et de celles qui devraient l’être, selon la ville elle-même, dans un sous-sol du parking de Cornavin.

d. Ces art. 7A et 7B LaLCR sont d’ailleurs la concrétisation de la norme constitutionnelle entrée en vigueur suite à une votation populaire le 29 juin 2002 et énoncée à l’art. 160B Cst-GE, dont les grands principes ont été repris à l’art. 190, dans la section 8 intitulée « mobilité » de la nouvelle constitution cantonale, entrée en vigueur le 1er juin 2013.

Enfin, les art. 7A et 7B LaLCR ont en effet, comme l’a relevé la représentante de la ville, fait l’objet d’un recours auprès du Tribunal fédéral de la part de l’ATE, laquelle soutenait que ces dispositions seraient contraires au droit fédéral. Tel n’est pas le cas, ainsi que vient de le juger la Haute Cour par arrêt du 16 mai 2013 (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_320/2012 du 16 mai 2013). Quant aux autres griefs invoqués par la ville, s’agissant du fait que la mise en œuvre des art. 7A et 7B LaLCR contreviendrait au principe d’égalité de traitement car son territoire communal ne serait pas extensible, contrairement à celui d’autres communes, il sera écarté en l’état et devra être examiné dans le cadre de l’instruction complémentaire requise par les demandes des intimés.

e. Enfin et surtout, l’arrêté réglementant la circulation sur le square Pradier institue une zone piétonne dans celui-ci et n’instaure une exception que pour les cycles et les services de la voirie, sans prévoir la manière dont devront s’opérer les livraisons, effectuées pour certaines par camions, étant précisé que ceux-ci ne pourront plus accéder ni à la rue Pradier, ni à la rue Chaponnière et qu’il est exclu, faute d’accès, qu’ils circulent sur la partie piétonne de la rue du Mont-Blanc pour ravitailler les commerces qui s’y trouvent et dont l’arrière est situé sur le square Pradier.

f. Si la ville souhaite donner la possibilité de tenir des marchés dans ledit square, quelle que soit la nature du marché, il conviendra dans cette hypothèse également de permettre auxdits marchands d’amener les objets destinés à la vente, qu’il s’agisse de produits alimentaires ou de brocante.

g. Le préavis du DARES aurait été d’autant plus utile que le service du commerce (ci-après : Scom) dépend également de ce département, et que la récente polémique dont la presse s’est fait l’écho au sujet des heures d’ouverture des établissements publics et de leurs terrasses mériterait d’être examinée si, comme le soutient le DIME, les immeubles du square Pradier abritent principalement des logements, les habitants souhaitant généralement dormir le soir, ce qui ne s’avère pas toujours compatible avec l’aménagement de terrasses supplémentaires, qui seraient, selon la ville, celles des établissements publics, dont certains existent déjà mais dont les accès se trouvent en l’état soit sur la rue Chaponnière, soit sur la rue Pradier, soit encore sur la rue du Mont-Blanc ou la rue des Alpes.

En tous points mal fondé, le recours sera rejeté. La cause sera renvoyée au DIME et au DU pour complément d’instruction et nouvelle décision au sens des considérants. Malgré l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à charge de la ville, du DIME et du DU, en application de l’art. 11 al. 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03).

Une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée à Realplan Security S.A., Sauna Pradier, soit Mme Olivia Clavel-Petitpierre, ainsi qu’à Mme Michèle et M. Jean Simond, pris conjointement et solidairement, à charge de l’Etat de Genève (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 janvier 2013 par la Ville de Genève contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 novembre 2012 ;

au fond :

le rejette ;

renvoie la cause au département de l’intérieur, de la mobilité et de l’environnement et au département de l’urbanisme pour complément d’instruction et nouvelles décisions au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à Realplan Security S.A., Sauna Pradier, soit à Madame Olivia Clavel-Petitpierre, ainsi qu’à Madame Michèle et Monsieur Jean Simond, pris conjointement et solidairement, à charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à la Ville de Genève, à Me Guy Zwahlen, avocat de Realplan Security S.A., Sauna Pradier, soit pour elle Madame Olivia Clavel-Petitpierre, Madame Michèle et Monsieur Jean Simond, au département de l’intérieur, de la mobilité et de l’environnement, au département de l’urbanisme, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :