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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1549/2004

ATA/957/2004 du 07.12.2004 ( JPT ) , REJETE

Recours TF déposé le 17.01.2005, rendu le 29.04.2005, REJETE, 2P.25/2005
Descripteurs : AUTORISATION D'EXERCER; PROFESSION; CONDAMNATION; AGENT
Normes : LCES.8 al.1 litt.d
Résumé : Retrait d'autorisation d'exploiter une entreprise de sécurité confirmée à l'encontre d'un agent de sécurité qui avait dénoncé à sa place un ancien employé comme ayant commis une infraction à la sécurité routière.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1549/2004-JPT ATA/957/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 7 décembre 2004

dans la cause

 

Monsieur S.______ et G.___,
représentés par Me Christine Sordet, avocate

contre

DEPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SECURITE


 


1. L’entreprise G.___, (ci-après : G.___), est inscrite au registre du commerce de Genève. Elle a pour but l’exploitation d'une agence de sécurité et de protection rapprochée de personnes, surveillance de biens mobiliers et immobiliers, activités de transports de fonds et de valeurs. M. S.______ en est le gérant.

2. Par arrêté du 17 mars 1988, M. S.______ a été autorisé à exploiter une agence de sécurité privée, conformément à l’ancienne loi sur la profession d’agent de sécurité privé du 15 mars 1985.

3. Suite à l’entrée en vigueur pour le canton de Genève le 1er mai 2000 du concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (ci-après : le concordat - I 2 15), M. S.______ a reçu l’autorisation d’exploiter l’entreprise de sécurité S.______ le 6 février 2001.

4. Le 13 mai 2003, les gendarmes de la brigade de sécurité routière ont constaté qu’un véhicule de marque Honda Spacy 125, immatriculé_____, circulait en provenance de l’avenue Vibert sur la route des Jeunes en direction de Bachet-de-Pesay. Parvenu à la signalisation lumineuse située à la hauteur de la route de Saint-Julien, il a franchi cette dernière à la phase rouge, puis s’est engagé dans la piste cyclable afin de rejoindre l’avenue Eugène-Lance. Le véhicule n’ayant pas pu être intercepté, la brigade de sécurité routière a adressé à la société détentrice de ce motocycle, à savoir G.___, un avis afin qu’elle lui indique dans les 48 heures l’identité du conducteur fautif.

5. M. S.______ a informé la gendarmerie que, le jour de l’infraction, le véhicule incriminé était conduit par M. __ M.______, agent de sécurité, domicilié en France. M. S.______ a également informé les gendarmes que M. M.______ était titulaire d’un permis de conduire de catégories A et B.

6. Le 29 juillet 2003, un rapport de contravention a été établi au nom de M. M.______ et une contravention lui a été notifiée à son adresse privée en France.

7. Le 15 septembre 2003, M. M.______ a contesté le rapport de contravention en précisant notamment qu’il n’était pas titulaire d’un permis moto, pas plus qu’il ne se trouvait sur le territoire suisse au moment de l’infraction. Des vérifications ont été ordonnées.

8. Par requête du 18 septembre 2003, M. S.______ a sollicité l’autorisation d’exploiter une entreprise de sécurité au nom de G.___.

9. La brigade de sécurité routière a entendu M. S.______ le 8 octobre 2003.

Celui-ci a avoué qu’il était le conducteur du motocycle le jour de l’infraction et qu’il avait volontairement donné les coordonnées d’un ancien employé afin d’éviter une amende et un retrait de permis. Il a reconnu sa responsabilité dans cette affaire. Au moment des faits, il était persuadé qu’un retrait de permis venait sanctionner tout conducteur ayant « brûlé » par deux fois un feu rouge et que tel était son cas en raison d’un autre antécédent. M. M.______ avait reçu ladite contravention ce qui l’étonnait puisque, de son côté, il n’arrivait pas à lui faire parvenir des courriers recommandés.

10. Le Ministère public a rendu une ordonnance de condamnation à l’encontre de M. S.______ le 30 mars 2004.

Il l’a reconnu coupable d’avoir dénoncé faussement à la gendarmerie M. M.______ et d’avoir ainsi commis une dénonciation calomnieuse au sens de l’article 303 ch. 1 du Code pénal suisse (CP – 311.0). Pour fixer la peine, le Parquet a tenu compte de l’absence d’antécédent judiciaire de M. S.______, ainsi que du fait que  les mobiles du prévenu relevaient « d’une consternante désinvolture envers la législation en vigueur, au dépens d’autrui et d’un manque de courage au moment de reconnaître ses fautes ». M. S.______ a été condamné à « une amende en fonction de sa culpabilité (art. 48 ch. 2 CP) », soit en l’espèce CHF 1'000.-, «  avec un délai d’épreuve pour une radiation anticipée du casier judiciaire, mesure propre à le dissuader de réitérer (art. 41 ch. 1 et 49 ch. 4 CP) ».

Cette ordonnance de condamnation n’a fait l’objet d’aucune opposition.

11. Par courrier du 23 avril 2004, le département de justice, police et sécurité (ci-après : le DJPS) a informé M. S.______ qu’il avait contrevenu à l’article 16 du concordat. « Compte tenu de la gravité des faits précités, (…) inadmissibles de la part d’un agent de sécurité », il estimait que M. S.______ ne répondait plus aux conditions de l’article 8 alinéa 1, lettre d, dudit concordat. De ce fait, le DJPS envisageait de prononcer le retrait de l’autorisation d’exploiter une entreprise de sécurité qui avait été accordée le 6 février 2001, le refus de l’autorisation d’exploiter l’entreprise de sécurité G.___ et d’infliger à M. S.______ une amende administrative. Celui-ci était invité à s’exprimer sur cette affaire jusqu’au 7 mai 2004.

12. Une avocate s’est constituée le 7 mai 2004 en faveur de M. S.______ et G.___. Elle a sollicité une prolongation du délai précité. Celui-ci a finalement été prolongé au 28 mai 2004.

Dans ce dernier délai, M. S.______ a contesté avoir franchi le carrefour alors que le feu était au rouge ; il avait obliqué à droite avant le feu pour emprunter la piste cyclable, si bien que l’infraction commise ne consistait que dans le fait d’avoir circulé sur une piste cyclable avec un véhicule non admis. Il a confirmé qu’il avait bel et bien désigné à la gendarmerie M. M.______ comme étant le conducteur du motocycle ayant commis l’infraction incriminée. Il a expliqué son geste par la peur de se voir retirer le permis de conduire et par voie de conséquence, de ne plus pouvoir exercer son activité professionnelle. Bien qu’il ait reconnu sa faute et accepté sa responsabilité dans cette affaire, M. S.______ a une nouvelle fois affirmé qu’il n’avait jamais eu l’intention de laisser son ancien employé s’acquitter lui-même du montant de l’amende et qu’en tout état de cause, la faute qu’il avait commise ne justifiait en aucun cas « une sanction aussi sévère » de la part du DJPS. Il ne mériterait qu’un avertissement au sens de l’article 13 du concordat.

13. Le 21 juin 2004, le DJPS a confirmé sa décision, en fixant le montant de l’amende à CHF 500.-.

14. Par acte posté le 22 juillet 2004, M. S.______ d’une part, et G.___ d’autre part, ont recouru contre la décision précitée auprès du Tribunal administratif. La sanction visée était manifestement disproportionnée en regard de la faute commise. M. S.______ contestait ne plus répondre aux conditions d’honorabilité prévues par le concordat.

15. Le DJPS a conclu au rejet du recours.

16. Les parties ont été entendues le 8 octobre 2004.

a. M. S.______ a reconnu les faits tout en précisant que, le soir de l’infraction, il n’était pas en service mais se rendait chez son beau-père. Il n’avait pas véritablement « brûlé » le feu rouge puisque, juste avant celui-ci, il était monté sur le trottoir pour rejoindre la piste cyclable en direction de l’avenue Eugène Lance. Il avait dénoncé M. M.______ à sa place car, ayant déjà « brûlé » un feu rouge environ dix ans auparavant, il craignait que le permis de conduire ne lui soit retiré. Il ne s’attendait toutefois pas à ce qu’une contravention soit notifiée à M. M.______ en France et il a contesté être en mauvais termes avec ce dernier. Il pensait au contraire que si son ancien employé recevait la contravention, il l’appellerait de sorte que le recourant payerait ce montant sans que son identité n’apparaisse.

M. S.______ exerçait la profession d’agent de sécurité depuis 1979, date à laquelle il avait commencé à travailler pour M.X______. A son compte depuis 1980, il n’avait pas d’antécédent judiciaire.

Né en 1955, il n’avait aucune autre profession et ne voyait pas quel métier il pourrait exercer en lieu et place de celui d’agent de sécurité.

b. Pour le représentant du DJPS, même si le recourant n’était pas en service au moment des évènements cela ne changeait rien à la gravité des faits et n’avait aucune incidence sur sa décision.

Le concordat avait été modifié par accord du 3 juillet 2004 et ces modifications s’appliquaient au cas d’espèce, conformément à ce que prévoyait la nouvelle teneur de l’article 8 alinéa 1 de la loi modifiant la loi concernant le concordat sur les entreprises de sécurité (I 2 14.0). Le concordat modifié supprimait notamment le délai de dix ans de l’article 8 alinéa 1 lettre d et réintroduisait la notion d’honorabilité, raison pour laquelle l’autorité intimée maintenait sa position.

Il était difficile d’indiquer à partir de quand le recourant pourrait solliciter à nouveau une carte d’agent de sécurité, le délai de radiation d’un an prévu dans l’ordonnance de condamnation n’étant pas déterminant en l’espèce.

Le DJPS ne s’est pas opposé à ce que le recourant poursuive en l’état ses activités.

17. Un délai au 15 novembre 2004 a été accordé au recourant pour qu’il puisse se prononcer sur la casuistique citée par l’autorité intimée dans ses observations et, cas échéant, sur les décisions prises sous le coup de l’ancienne loi, ce qu’il a fait dans ce délai en persistant dans ses conclusions.

18. Dans sa duplique du 29 novembre 2004, le DJPS a également persisté dans ses conclusions.

19. Sur quoi la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. En tant que destinataires de la décision attaquée, tant G.___ que M. S.______ ont la qualité pour recourir (art. 60 let a LPA).

3. Comme l’ancienne loi cantonale sur la profession d’agent de sécurité privé du 15 mars 1985, le concordat sur les entreprises de sécurité (concordat – I 2 15) a pour but de fixer les règles communes régissant l’activité des entreprises de sécurité et de leurs agents et d’assurer la validité intercantonale des autorisations accordées par les cantons (art. 2 du concordat ; MGC, 1999, IX, p. 9051).

Par convention du 3 juillet 2003, le concordat a fait l’objet de modifications. La République et canton de Genève a adhéré à cette convention par la loi du 11 juin 2004, entrée en vigueur le 1er septembre 2004 (I 2 14.0).

Selon l’article 8 de la novelle, les procédures administratives et judiciaires pendantes à l’entrée en vigueur de la convention du 3 juillet 2003, portant révision du concordat, sont régies par le nouveau droit.

Le recours, daté du 22 juillet 2004, sera donc jugé selon le nouveau droit.

4. L’autorisation d’exploiter une agence de sécurité ne peut être accordée que si le responsable offre, par ses antécédents, par son caractère et son comportement, toute garantie d’honorabilité concernant la sphère d’activité envisagée (art. 8 al. 1 let. d concordat).

L’autorité qui a accordé une autorisation doit la retirer lorsque les conditions prévues aux articles 8, 9 et 10a du concordat ne sont plus remplies ou lorsque son titulaire contrevient gravement ou à de réitérées reprises aux dispositions du concordat ou de la législation cantonale d’application (art. 13 al. 1 concordat).

La possibilité d’infliger une amende est prévue par l’article 22 du concordat, notamment en cas d’entrave à l’action des autorités et des organes de police (art. 16 concordat).

5. a. Le nouvel article 8 du concordat fait référence à la garantie d’honorabilité, critère figurant dans l’ancienne législation genevoise sur les entreprises de sécurité. Cette notion doit s’interpréter en fonction des antécédents, du caractère et du comportement des intéressés. En cas de condamnation pénale, l’autorité compétente doit examiner, en fonction de toutes les circonstances, si le comportement de l’intéressé est encore compatible avec l’activité sujette à autorisation (MGC, 2004, PL 9195, 55ème législature, 3ème année, 7ème session (avril 2004), séance 31 du 01.04.2004, p. 16)

La notion d'actes incompatibles avec la sphère d'activité envisagée ou d'honorabilité fait régulièrement l'objet d'arrêts du Tribunal administratif :

Il a ainsi été jugé qu’étaient incompatibles avec la notion d’honorabilité les infractions et condamnations suivantes : condamnation pour voies de fait ayant eu lieu notamment dans un contexte de dispute familiale (ATA/909/2003 du 9 décembre 2003), pour abus de confiance de CHF 6'000.- (ATA/825/2002 du 5 novembre 2002), pour lésions corporelles simples (ATA/981/2001 du 13 novembre 2001), pour conduite en état d’ivresse et mensonge dans l’établissement des faits (ATA/721/2001 du 6 novembre 2001), pour bizutage (ATA/480/2001 du 7 août 2001), pour contrainte (ATA/68/2001 du 30 janvier 2001), pour vol (ATA/612/2000 du 10 octobre 2000) et pour faux témoignage (ATA/83/1999).

En revanche, ont été considérées comme compatibles avec la notion d’honorabilité le vol d’un cyclomoteur, des dommages à la propriété et un cambriolage d’une boutique de vêtements usagés (ATA/68/2004 du 20 janvier 2004), une violation de domicile et des dommages à la propriété commis par un mineur 6 ans avant le dépôt de la requête (ATA/739/2003 du 7 octobre 2003), une condamnation pour vol d’un petit appareil électronique commis par un mineur (ATA/176/2001 du 13 mars 2001), des menaces proférées dans le cadre familial (ATA/683/2001 du 30 novembre 2001).

b. L’article 16 du concordat, dans sa nouvelle teneur, imprime avec plus de force l’obligation pour les personnes soumises au concordat de ne pas entraver l’action des autorités et des organes de police. Il s’agit d’une obligation essentielle (MGC, 2004, PL 9195, 55ème législature, 3ème année, 7ème session (avril 2004), séance 31 du 01.04.2004, p. 19)

6. Ce n’est pas tant la violation des règles de circulation routière que la dénonciation calomnieuse de M. S.______ qui doit être étudiée à l’aune de la notion d’honorabilité.

Le recourant a toujours reconnu les faits reprochés. Il n’a pas fait opposition à l’ordonnance de condamnation du Procureur général le reconnaissant coupable de dénonciation calomnieuse au sens de l’article 303 du Code pénal, laquelle est un délit si elle a trait à une contravention (ch. 2).

Bien que n’ayant pas d’antécédent en matière pénale, le recourant est non seulement agent de sécurité, comme c’est le cas dans la plupart des jurisprudences précitées, mais également gérant de l’agence de sécurité dans laquelle il travaille.

Il connaissait la gravité de son acte et les conséquences inéluctables que cela pouvait avoir sur son activité professionnelle. La législation sur les entreprises de sécurité ne lui était en effet pas inconnue puisqu’en 1999, alors qu’il était président de l’Association patronale des entreprises de sécurité et surveillance en Suisse (ci-après : APESS), il était intervenu dans la procédure législative cantonale relative à l’adoption du concordat. D’ailleurs à cette occasion, l’APESS, répondant à ses détracteurs, avait affirmé que les entreprises de sécurité étaient là pour aider la police (MGC, 1999, IX, p. 9055).

En l’espèce, le DJPS reproche non seulement au recourant d’avoir fait du tort à un ancien employé par sa dénonciation calomnieuse mais surtout d’avoir induit volontairement la police en erreur, ce qui contrevient aux obligations que lui impose l’article 16 du concordat.

7. La décision entreprise ne viole pas le principe de la proportionnalité car elle n’a pas pour conséquence d’empêcher définitivement le recourant d’exercer la profession d’agent de sécurité. En effet dans l’intervalle, le recourant peut très bien envisager de continuer à travailler.

Par conséquent, le recourant ne remplissant plus la condition d’honorabilité telle qu’énoncée par le nouvel article 8 du concordat, le DJPS ne pouvait que retirer l’autorisation de M. S.______, respectivement refuser l’autorisation d’exploiter.

Quant à l’amende de CHF 500.-, elle sera confirmée également, sa quotité n’étant pas discutée.

8. Mal fondé, le recours sera rejeté.

Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge des recourants pris conjointement et solidairement (art. 87 LPA). Vu l’issue du litige, il ne sera pas alloué d’indemnité.

 

* * * * *

 

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 juillet 2004 par Monsieur S.______ et G.______, contre la décision du département de justice, police et sécurité du 21 juin 2004 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu’il ne sera pas alloué d’indemnité ;

communique le présent arrêt à Me Christine Sordet, avocate des recourants ainsi qu'au département de justice, police et sécurité.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

 

 

 

 

Au nom du Tribunal Administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :