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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/465/2000

ATA/612/2000 du 10.10.2000 ( JPT ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : AGENT DE SECURITE PRIVE; RETRAIT DE L'AUTORISATION; JPT
Normes : CES.6; CES.13; CES.15
Résumé : Confirmation d'un retrait de l'autorisation d'engagement à l'encontre d'un agent condamné pour vol.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 10 octobre 2000

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur D.

représenté par Me Mauro Poggia, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

DÉPARTEMENT DE JUSTICE ET POLICE ET DES TRANSPORTS

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur D., né en 1959, ressortissant français, est domicilié à Juvigny/Annemasse (France). Par arrêté du Conseil d'Etat du 23 novembre 1992, l'agence de sécurité privée P. S.A., société de surveillance, succursale de Genève, a été autorisée à engager le susnommé en qualité d'agent de sécurité privé.

 

2. Suite à une plainte pénale déposée le 14 janvier 2000 contre inconnu par Monsieur F., représentant C. T. à Genève, pour vol par introduction furtive commis dans la nuit du 11 au 12 février 2000 dans les locaux de ladite société, M. D. a été appréhendé par la police. Il a reconnu avoir dérobé divers matériel depuis le mois de novembre 1999. Inculpé de vol le 15 février 2000, M. D. a déclaré au juge d'instruction qu'il avait commencé ses vols en octobre/novembre 1999, soit depuis qu'il avait appris qu'il allait être licencié. Il avait commencé par dérober des montres et des canifs, puis deux natels et, enfin, des PC portables. Il n'avait pas commis d'autres vols. La plupart des objets avaient déjà été restitués. Les objets restants se trouvaient chez lui et il était évident qu'il allait les rendre également. De toute façon, son idée était de rapporter tout ce matériel à son propriétaire.

 

Par ordonnance de condamnation du juge d'instruction du 27 mars 2000, M. D. a été reconnu coupable de vol et condamné à la peine de quatre mois d'emprisonnement, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans. Le juge d'instruction a retenu que M. D. faisait l'objet d'une curatelle, qu'il souffrait de troubles psychiatriques et de troubles de la personnalité associés, ce qui faisait qu'il était en état de responsabilité restreinte au moment des faits.

 

3. Le 14 janvier 2000, P. S.A. a retourné au département la carte de légitimation de M. D., en précisant que l'intéressé avait cessé toute activité au sein de la société.

 

4. Par lettre recommandée du 22 février 2000, le département de justice et police et des transports (ci-après : le département) a manifesté son intention de prononcer le retrait de l'autorisation d'engagement du 23 novembre 1992, conformément à l'article 17 alinéa 1 lettre c de la loi sur la profession d'agent de sécurité privé du 15 mars 1985 (LASP). M. D. avait la possibilité de s'expliquer par écrit.

 

5. Le 7 mars 2000, M. D. a fait valoir qu'une procédure pénale avait été ouverte à son encontre. Il a demandé au département de surseoir à la prise de décision dans l'attente du jugement pénal.

 

6. Le département a pris une décision le 23 mars 2000, aux termes de laquelle il a prononcé le retrait de l'autorisation d'engagement et a infligé à M. D. une amende administrative de CHF 2'000.-. Le cas était grave et relevait de toute évidence des mesures disciplinaires que l'administration devait prendre pour tenir à l'écart de la profession les individus qui n'avaient pas une maîtrise d'eux-mêmes suffisante pour respecter les dispositions pénales relatives à la protection du patrimoine alors que précisément leur mission se déroulait dans cette même sphère. Référence était faite à la jurisprudence du Tribunal administratif en la matière.

 

7. M. D. a recouru contre la décision précitée devant le Tribunal administratif par acte du 26 avril 2000.

 

La procédure pénale avait abouti au prononcé d'une ordonnance de condamnation retenant une responsabilité restreinte au moment des faits. La mesure prise à son encontre était disproportionnée ainsi que le montant de l'amende de CHF 2'000.- excessif. Il a conclu au prononcé d'un avertissement, l'amende devant être supprimée, ou à tout le moins notablement réduite.

 

8. Le département s'est déterminé le 21 juin 2000. D'entrée de cause, il a relevé que la LASP avait été abrogée par l'entrée en vigueur au 1er mai 2000 du Concordat sur les entreprise de sécurité du 18 octobre 1996 (Concordat - I 2 15). En application des principes fondamentaux du droit administratif, le juge applique le nouveau droit lorsqu'un intérêt public réellement prépondérant commande l'application de celui-ci; il fallait ainsi admettre l'application immédiate des nouvelles dispositions concordataires.

 

M. D. avait reconnu avoir commis des vols dans l'exercice de sa profession, comportement contraire à l'article 10 alinéa 2 LASP et à l'article 15 du Concordat. Par le passé, un tel comportement contrevenait à la loi du 15 mars 1985 et actuellement au Concordat, indépendamment de la violation des dispositions du code pénal. Concernant les sanctions applicables, le nouveau droit prévoyait le retrait de l'autorisation lorsque le titulaire contrevenait gravement ou à réitérées reprises aux dispositions du Concordat ou de la législation cantonale d'application (art. 13 alinéa 1 Concordat). Le nouveau droit, quant à lui, avait supprimé l'amende administrative prévue à l'article 20 LASP. Les dispositions concordataires, plus favorables à M. D., semblaient devoir s'appliquer, de telle sorte que l'amende administrative devait être annulée. En revanche, la décision entreprise relative au retrait de l'autorisation d'engagement était conforme à la loi et devait être confirmée. Le département a donc conclu à l'admission partielle du recours dans le sens qui précède.

 

9. Invité à se déterminer, le recourant a persisté dans ses précédentes explications, développées au regard de la LASP. Il a conclu principalement à l'annulation de la décision et subsidiairement à une suspension de l'autorisation jusqu'à présentation d'une attestation médicale confirmant son aptitude à la reprise de son activité.

 

10. Dans sa duplique du 12 septembre 2000, le département a confirmé les conclusions qu'il avait prises précédemment.

 

11. Le tribunal a ordonné l'apport de la procédure pénale (PP/2392/00).

 

Outre les éléments mentionnés au chiffre 2 supra, l'on retiendra :

 


- certificat médical du 23 septembre 1994 du Dr S., psychiatre, selon lequel M. D. présentait des troubles graves de la personnalité entraînant une grande difficulté d'affirmation par rapport aux tiers, une incapacité à opposer des résistances aux sollicitations multiples ou à apprécier avec suffisamment de lucidité les situations vécues. Le comportement de M. D. était marqué par une grande immaturité et une perception de la réalité souvent erronée. Dans ce contexte, une demande de mise sous curatelle était envisagée, mesure intervenue le 17 octobre 1995.

 

- Le 23 juillet 1997, le Dr S. a établi un nouveau certificat confirmant l'existence de troubles de la personnalité chez M. D..

 

- Statuant le 12 septembre 1995 dans une affaire où l'intéressé était partie civile, le Tribunal de police a relevé les capacités psychiques et intellectuelles assez limitées de ce dernier ainsi que son peu de discernement.

 


EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. En tant que destinataire de la décision attaquée, M. D. a la qualité pour recourir (art. 60 let a LPA).

 

3. Lorsque le droit entré en vigueur en cours de procédure répond à un intérêt public prépondérant par rapport aux intérêts privés opposés, il l'emportera sur le droit qu'il remplace. A cet égard, le nouveau droit doit être appliqué lorsqu'il a un but de police et notamment en matière d'autorisations de construire. C'est la protection de l'ordre public qui exige que les décisions antérieures soient modifiées pour tenir compte de nouvelles exigences légales (cf. A. GRISEL, Traité de droit administratif, 1984, pp. 152-153; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., 1991, Nos 582 à 587; ATF 106 Ib 326; ATA S.I. V.R. du 24 mai 1984; Sem. Jud. 1989, p. 411; RDAF 1990, p. 411).

 

En l'espèce, la LASP a été abrogée par l'article 6 de la loi concernant le Concordat sur les entreprises de sécurité du 2 décembre 1999, entrée en vigueur le 1er mai 2000 (ci-après : le concordat - I 2 14). En application des principes généraux du droit administratif ci-dessus rappelés, le litige doit être jugé en application du nouveau droit.

 

4. A l'instar de la LASP, le Concordat, qui s'inspire très largement de celle-ci, a pour but de fixer les règles communes régissant l'activité des entreprises de sécurité et de leurs agents et d'assurer la validité intercantonale des autorisations accordées par les cantons (art. 2 du Concordat) (Mémorial des séances du Grand Conseil du 2 décembre 1999, p. 9051).

 

5. En l'espèce, il est établi et non contesté que le recourant a fait l'objet d'une condamnation pour vol. Le fait que le juge d'instruction ait retenu une responsabilité restreinte au moment des faits est évidemment sans incidence sur la qualification de l'infraction qui lui a été reprochée, l'article 11 CPS ne jouant de rôle que sur la fixation de la peine. Il n'est en outre pas contesté que lesdits vols ont eu lieu dans l'exercice de la profession d'agent de sécurité privé.

 

Ce faisant, le recourant a enfreint aussi bien les dispositions du code pénal suisse (137 CPS) que l'article 15 du Concordat, selon lequel les entreprises de sécurité et leur personnel doivent exercer leur activité dans le respect de la législation. Cet article est en effet directement inspiré de l'article 10 alinéa 2 LASP. D'autre part, le recourant a failli à sa mission qui consiste, notamment, à assurer la surveillance ou la garde de biens mobiliers ou immobiliers, la protection des personnes et le transport de sécurité de biens de valeurs (art. 4 du Concordat).

 

6. Sous l'empire de l'ancienne loi, le Tribunal administratif a eu l'occasion de juger qu'un agent de sécurité ayant dérobé de l'argent dans l'exercice de ses fonctions n'offrait pas, par son comportement, toute garantie d'honorabilité et que dès lors un refus d'autorisation pour une durée de deux à trois ans était justifié (ATA B. et L. du 19 octobre 1993). Cette jurisprudence a été maintenue à l'occasion d'un arrêt A. du 1er mars 1994, encore qu'il s'agissait en l'occurrence d'un refus d'autorisation d'exploiter. Toutefois, les considérations émises à cette occasion restent d'actualité : il en effet normal que le département soit particulièrement strict envers les personnes exerçant la profession d'agent de sécurité privé dont la mission consiste notamment à assurer la protection et la sécurité de personnes ainsi que la garde de biens mobiliers ou immobiliers.

 

7. L'article 13 du Concordat a pour objet les mesures administratives. L'autorité qui a accordé l'autorisation doit la retirer lorsque le titulaire ne remplit plus les conditions prévues aux articles 8 et 9 ou lorsqu'il contrevient gravement ou à de réitérées reprises aux dispositions du présent Concordat ou de la législation cantonale d'application (al. 1). L'autorité peut également prononcer un avertissement ou une suspension de l'autorisation de un à six mois (al. 3).

 

Au vu des jurisprudences précitées et qui demeurent d'actualité, le Concordat s'inscrivant dans le prolongement direct de la LASP, il apparaît que la mesure de retrait d'engagement prise par le département à l'encontre du recourant, qui constitue certes la sanction la plus lourde, ne peut être que confirmée. Au regard de la législation actuelle, cette mesure n'est d'ailleurs pas définitive, vu le délai de dix ans mentionné à l'article 8 lettre d) du Concordat.

 

8. Quant à l'amende administrative, le département y a spontanément renoncé pour des motifs auxquels le Tribunal administratif ne peut que souscrire.

 

9. Le recours sera donc partiellement admis. Le recourant plaidant au bénéfice de la l'assistance juridique, il sera dispensé du paiement d'un émolument. En revanche, et étant donné qu'il obtient gain de cause à la faveur d'un changement de loi qu'il s'est obstiné à ignorer, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 26 avril 2000 par Monsieur D. contre la décision du département de justice et police et des transports du 23 mars 2000;

 

au fond :

 

l'admet partiellement;

 

confirme la décision du 23 mars 2000 en tant qu'elle prononce le retrait de l'autorisation d'engagement du 23 novembre 1992;

 

donne acte au département de justice et police et des transports de ce qu'il renonce à infliger à M. D. une amende administrative en CHF 2'000.-;

 

constate en conséquence que le recours est devenu sans objet sur ce point;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité;

 

communique le présent arrêt à Me Mauro Poggia, avocat du recourant, ainsi qu'au département de justice et police et des transports.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

V. Montani D. Schucani

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci