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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1266/2015

ATA/762/2015 du 28.07.2015 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1266/2015-FPUBL ATA/762/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 juillet 2015

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Nils De Dardel, avocat

contre

CONSEIL D'éTAT



EN FAIT

1) Monsieur A______ a été engagé le 1er décembre 2004 à B______ en qualité de contrôleur financier.

2) Le 1er décembre 2007 M. A______ a été nommé fonctionnaire.

3) Le 1er février 2009 il a été promu au poste de chargé de contrôle interne 1 au service du contrôle interne (ci-après : le service) du département C______, devenu depuis le département D______ (ci-après : le département).

4) Le 25 novembre 2011, le directeur du service a averti M. A______ par courrier que, suite aux divers entretiens qui avaient eu lieu début 2011, relatif à un comportement inapproprié à l’égard d’une collaboratrice, aucune répétition de tels incidents ne serait tolérée. Les efforts déployés sous l’angle comportemental étaient constatés par le supérieur et la poursuite dans cette voie était encouragée.

5) En date des 15 janvier et 11 mars 2014, une collaboratrice du service a informé la directrice des ressources humaines du département, d’agissements qu’elle jugeait inappropriés de la part de M. A______ à son encontre. Suite à cette plainte, l’ensemble des collaborateurs du service, à l’exception de M. A______, ainsi que le directeur du service, ont été entendus par le directeur administratif et financier et/ou la directrice des ressources humaines du département, entre le 22 et le 25 mai 2014 au sujet du comportement de M. A______ à leur égard.

6) Le 27 janvier 2015, un entretien périodique d’évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP) s’est déroulé en présence de M. A______ et du directeur du service.

Parmi les objectifs convenus, figurait notamment celui de « remettre dans la normalité ses comportements physiques et verbaux ». En outre, M. A______ devait faire des propositions de toute nature, concrètes et vérifiables avec des délais de réalisation afin d’améliorer son « savoir être ».

Dans son bilan, M. A______ réfutait avoir eu une attitude physique réelle, supposée ou qui pouvait être mal perçue envers des personnes de sexe féminin. Il n’avait jamais eu de gestes ou de comportements déplacés envers quiconque à quelque moment que ce soit.

7) Dès le 16 février 2015, M. A______ a subi un arrêt de travail pour raisons médicales. Les certificats médicaux faisaient état d’une incapacité de travail jusqu’au 30 avril 2015.

8) Le 10 mars 2015, s’est déroulé un entretien avec M. A______ à propos de la collaboration difficile rapportée par plusieurs de ses collègues, en présence de la secrétaire générale du département, du chef de cabinet ainsi que de la directrice des ressources humaines.

Les procès-verbaux des entretiens tenus avec l’ensemble des collaborateurs faisaient état d’attitudes vécues comme malsaines, inadéquates ainsi que de manière répétée dénigrantes, irrespectueuses et incorrectes de la part de l’intéressé.

La secrétaire générale a notamment informé M. A______ qu’il était libéré de l’obligation de travailler de manière immédiate et jusqu’à nouvel avis. Cette mesure qui serait validée ultérieurement par le Conseil d’état, était prise en raison de l’ouverture d’une investigation à son encontre, qui allait être demandée au groupe de confiance, visant à établir les faits et déterminer si les éléments constitutifs d’une atteinte à la personnalité de ses collègues étaient réalisés ou non. L’intéressé serait entendu lors d’un entretien de service fixé au 25 mars 2015.

Ces mesures ont été confirmées par courrier de la secrétaire générale, datée du même jour et remis en mains propres à M. A______.

9) Le 10 mars 2015 également, la secrétaire générale du département a saisi le groupe de confiance d’une demande d’ouverture d’une investigation à l’encontre de M. A______.

Le 13 mars 2015, la responsable du groupe de confiance a confirmé à M. A______ ainsi qu’à la secrétaire générale, l’ouverture d’une investigation à l’encontre de celui-ci.

10) Par arrêté du 25 mars 2015, le Conseil d’état a libéré M. A______ de son obligation de travailler à compter du 10 mars 2015 et jusqu’à nouvel avis. Cette mesure était sans incidence sur son traitement.

La décision se justifiait pour garantir la bonne marche du service en raison de l’investigation demandée et par le fait qu’une des personnes concernées par les agissements reprochés à M. A______ reprenait le travail le 23 mars 2015 après une longue absence. Il n’était pas envisageable, dans l’attente du résultat de l’investigation menée par le groupe de confiance que l’intéressé continue à exercer son activité dans le service.

11) Par envoi du 8 avril 2015, le mandataire de M. A______ s’est déterminé sur la demande d’investigation faite par la secrétaire générale au groupe de confiance et sur les procès-verbaux des entretiens.

 

12) Par envoi posté le 17 avril 2015, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice à l’encontre de la décision du Conseil d’état, reçue le 26 mars 2015 en concluant à son annulation ainsi qu’au versement d’une indemnité de procédure et, subsidiairement, à son audition.

La décision de suspension provisoire lui portait un préjudice irréparable. Elle portait une lourde atteinte à sa réputation et à son avenir professionnel et avait également causé une atteinte grave à sa santé au plan psychique. Le maintien de la décision serait très défavorable à son rétablissement. Une attestation de son psychiatre, le Dr E______, était jointe, laquelle indiquait que le contexte des difficultés au travail et en particulier la remise en question de ses compétences affectait considérablement M. A______. La suspension provisoire était particulièrement douloureuse, avec un sentiment d’incompréhension. Il était fort probable que son retour au travail l’aiderait grandement sur le plan de la santé.

La décision avait été rendue plus de dix mois après les allégations faites par des collègues et sans qu’aucun incident ne lui ait été reproché depuis. La situation était connue de la secrétaire générale depuis fin mai 2014 et aucune mesure n’avait été prise pour l’écarter du service alors que la personne qui allait maintenant reprendre son activité après un congé maternité était présente dans le service jusqu’en août 2014. Une autre mesure d’organisation non dommageable aurait pu être prise. La décision de suspension violait le principe de la proportionnalité.

13) Le 15 mai 2015, le Conseil d’état a déposé ses observations, concluant à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

Il y avait présomption d’une atteinte à la personnalité d’une certaine gravité puisque le groupe de confiance avait ouvert une procédure et non pas classé la demande. L’autorité d’engagement devait prendre les mesures provisionnelles nécessaires pour veiller à la protection des témoins. Le retour au travail de M.  A______ était à même de mettre en péril le bon fonctionnement du service. La mesure était nécessaire et adéquate.

14) Le 16 juin 2015, M. A______ a répliqué.

Une décision finale favorable ne serait que partiellement réparatrice.

La longue période entre les faits reprochés et le mesure prise démontrait que ceux-ci n’avaient pas le caractère de gravité qui justifierait sa mise à pied. Depuis février 2014, le service avait perdu des compétences et le personnel était réduit à un chef du service et quatre subordonnées. Il était dès lors aisé d’organiser l’espace afin qu’il puisse reprendre son activité. Quant au bon fonctionnement du service, il serait mieux assuré si la situation était rétablie dans des proportions raisonnables. À cela s’ajoutait que le chef du service n’était pas à l’origine de la décision et n’avait pas été consulté à ce sujet.

15) Le 17 juin 2015, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Selon la jurisprudence constante rendue par la chambre de céans, une décision de suspension provisoire d’un fonctionnaire est une décision incidente contre laquelle un recours est ouvert dans les dix jours (art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ATA/506/2014 du 1er juillet 2014 ; ATA/338/2014 du 13 mai 2014 ; ATA/97/2014 du 18 février 2014 ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 ; ATA/217/2013 du 9 avril 2013 ; ATA/839/2012 du 18 décembre 2012 ; ATA/415/2012 du 3 juillet 2012 ; ATA/458/2011 du 26 juillet 2011).

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) a. S’agissant d’une décision incidente, en vertu de l’art. 57 let. c LPA, ne sont susceptibles de recours que les décisions qui peuvent causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

b. L’art. 57 let. c LPA a la même teneur que l’art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a p. 126 ; 126 V 244 consid. 2c p. 247ss ; 125 II 613 consid. 2a p. 619ss ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 422 n. 1265 ; Bernard CORBOZ, Le recours immédiat contre une décision incidente, SJ 1991, p. 628). Un préjudice est irréparable lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 ; 127 I 92 consid. 1c ; 126 I 97 consid. 1b).

c. La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/338/2014 précité consid. 5 ; ATA/97/2014 du 18 février 2014 précité consid. 3 ; ATA/715/2013 du 29 octobre 2013 consid. 3 ; ATA/65/2012 du 31 janvier 2012 ; cette interprétation est critiquée par une partie de la doctrine estimant l’interprétation de la chambre de céans trop restrictive – Stéphane GRODECKI et Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

d. Il appartient à la partie recourante d'établir à quel préjudice irréparable - au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF et de la jurisprudence rendue en application de cette disposition - il serait exposé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_414/2012 du 5 juillet 2012 consid. 4.1).

3) En l’espèce, le recourant allègue que la suspension provisoire lui causerait un dommage irréparable sur le plan professionnel et sur celui de sa santé.

Il convient de relever d’une part que le recourant conserve son traitement pendant sa suspension, ce qui exclut une quelconque atteinte à ses intérêts économiques.

D’autre part, s’agissant de sa santé, les pièces figurant au dossier attestent que l’incapacité de travail pour maladie du recourant a débuté le 16 février 2015, soit près d’un mois avant que la décision de suspension de son activité par le Conseil d’état ne soit prise, excluant à tout le moins que la décision de suspension soit l’unique cause de l’incapacité. L’attestation médicale produite ne prouve pas non plus que la décision de suspension soit la seule cause de l’incapacité, puisque le médecin retient que, si la suspension est particulièrement douloureuse pour le recourant, celui-ci est également affecté par le contexte des difficultés au travail et le remise en question de ses compétences, que ce soit par le biais de l’EEDP de janvier 2015 ou par l’investigation du groupe de confiance en cours.

Quant à l’atteinte à sa réputation et à son avenir professionnel, la décision en soi n’est pas susceptible de causer un préjudice irréparable puisque une décision finale, rendue suite à l’enquête confiée au groupe de confiance, dans l’hypothèse où elle serait entièrement favorable au recourant, permettrait de la réparer (ATA/338/2014 du 13 mai 2014).

4) La seconde hypothèse de l'art. 57 let. c LPA, à savoir l’obtention immédiate d'une décision finale permettant d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse en cas d’admission des recours, n'est pas davantage réalisée. Elle ne serait en effet pas susceptible d’éviter la procédure d'enquête administrative en cours.

5) Vu ce qui précède, le recours sera déclaré irrecevable.

Compte tenu de l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et il ne lui sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 17 avril 2015 par Monsieur A______ contre l’arrêté du Conseil d’état du 25 mars 2015 ;

met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Nils De Dardel, avocat du recourant ainsi qu'au Conseil d'état.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Dumartheray, Verniory et Pagan, juges.

 

 

 

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :