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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1059/2014

ATA/506/2014 du 01.07.2014 ( FPUBL ) , REJETE

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE ; FONCTIONNAIRE ; ENQUÊTE ADMINISTRATIVE ; SUSPENSION DANS LA PROFESSION ; SUSPENSION TEMPORAIRE D'EMPLOI ; TRAITEMENT(EN GÉNÉRAL) ; DÉCISION INCIDENTE ; DOMMAGE IRRÉPARABLE ; FAUTE ; PROPORTIONNALITÉ
Normes : LPA.62.al1.letb; LPA.57.letc
Résumé : La suspension provisoire d'un fonctionnaire cantonal est une décision incidente susceptible de recours aux conditions de la loi. En l'espèce, le recourant a rendu vraisemblable l'existence d'un préjudice irréparable. Recourant surpris par un agent de sécurité les bras chargés de nourriture et ayant déclaré être venu pour subtiliser les marchandises retrouvées en sa possession. Les faits sont graves et potentiellement susceptibles de conduire à la révocation du recourant. La décision de suspendre provisoirement l'intéressé sans son traitement pendant l'enquête administrative est adéquate et proportionnée au regard des faits de la cause. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1059/2014-FPUBL ATA/506/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er juillet 2014

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Giuseppe Donatiello, avocat

contre

B______
représentés par Me Pierre Martin-Achard, avocat

_________



EN FAIT

1) M. A______, né le ______ 1968, a été engagé le 18 janvier 2006 par B______ (ci-après : B______), pour une durée indéterminée, en qualité d'employé de cuisine au sein du service de restauration, dépendant du département d'exploitation de B______, avec effet au 1er mars 2006. Son taux d'activité était de 100 %. Il a été affecté au sein de C______.

2) Les 7 juin 2006, 21 mars 2007 et 1er novembre 2007, M. A______ a fait l'objet d'entretiens d'évaluation et de développement de compétences. Selon les rapports y relatifs, les évaluations étaient jugées globalement bonnes.

3) Par arrêté du 21 février 2008, M. A______ a été nommé fonctionnaire dès le 1er mars 2008.

4) Un nouvel entretien d’évaluation et de développement des compétences a eu lieu le 14 avril 2010. L'évaluation globale était peu satisfaisante. Le critère relatif à la « qualité des prestations » était à améliorer et le critère relatif au « comportement, coopération, communication et information » était insuffisant. La fiabilité du travail de M. A______ s'était dégradée et du point de vue comportemental, M. A______ devait effectuer une remise en cause de ses rapports tant avec ses collègues qu'avec sa hiérarchie. Deux objectifs liés à ces critères étaient à réaliser d'ici au 30 septembre 2010.

Au point 10 de l'évaluation intitulé « réservé à la fonction Ressources humaines », il était écrit « qu'il [était] impératif qu'une amélioration nette et pérenne soit constatée lors de la prochaine évaluation ».

Une note était jointe au rapport relatant cinq événements qui s'étaient déroulés entre les 20 février 2009 et 31 janvier 2010 et ayant fait l'objet de reproches formulés à l'encontre de M. A______.

5) Le 5 novembre 2010, M. A______ a été convoqué à un entretien de service fixé le 25 novembre 2010 qui avait pour objet son attitude générale ainsi que l'exécution de son travail.

Selon le compte rendu de cet entretien, malgré la mise en garde faite le 14 avril 2010 et les objectifs fixés à l'aune de cet entretien, M. A______ n'avait pas modifié son attitude et son travail ne s'était pas amélioré. Six nouveaux événements étaient relatés ayant eu lieu entre les 29 septembre et 4 novembre 2010. Il y était également fait mention de la disparition en octobre 2009 d'un jambon cru, coupé pour les apéritifs (non autorisés) des collaborateurs, dont il niait être à l'origine, bien que trois de ses collègues l'aient dénoncé. Selon le responsable du secteur restauration, M. A______ ne respectait ni les procédures, ni les directives des responsables. M. A______ n'en faisait qu'à sa tête et était devenu ingérable depuis deux ans. Le responsable soupçonnait un problème d'alcool. Ses collègues et responsables ne voulaient plus travailler avec lui.

Un délai de dix jours était imparti à M. A______ pour transmettre ses éventuelles observations.

6) Le 16 décembre 2010, B______ a transféré M. A______, dans la même fonction, dès le 1er février 2011, au secteur « cuisine ______ » de D______. Les faits relevés (leur nombre et leur récurrence) lors de l'entretien du 25 novembre 2010 étaient inacceptables et ne permettaient pas de laisser M. A______ poursuivre son activité au sein du secteur restauration de C_____. Le constat d'un nouveau dysfonctionnement amènerait B______ à envisager d'autres sanctions administratives.

7) Le 23 décembre 2010, sous la plume d'Assista TCS SA, M. A______ a fait valoir ses observations à propos de l'entretien du 25 novembre 2010. S'agissant du jambon cru, il savait qu'il était interdit de le couper et se défendait de l'avoir fait.

8) Le 25 avril 2012, M. A______ a fait l'objet d'un nouvel entretien d’évaluation et de développement des compétences. Selon le rapport y relatif, l'évaluation globale était bonne. Tous les critères étaient « Ok pour la fonction » et deux objectifs avaient été fixés. L'évaluateur avait noté que M. A______ était une personne impliquée, disponible et agréable. Il fallait continuer dans cette voie et l'évaluateur le remerciait pour les efforts faits.

9) Le 26 février 2014, B______ a informé M. A______ que dès le 1er avril 2014, il occuperait la fonction d'employé de restauration.

10) Le 18 mars 2014, B______ a communiqué à M. A______ ses nouvelles conditions salariales dès le 1er avril 2014. Son traitement a été fixé en classe 6, annuité 11, soit un salaire mensuel brut de CHF 5'486.80.

11) Le 28 mars 2014, un rapport interne a été établi par M. E______ du service prévention et sécurité de B______, secteur surveillance D______.

Selon ce rapport, le 27 mars 2014, aux alentours de 20h54, le service prévention et sécurité de B______ avait reçu une alarme intrusion libellée « DETECT PRESENCE UCP CP Niv. 1 ». Deux agents de sécurité s'étaient rendus sur place et avaient surpris un homme et une femme, les bras chargés de nourriture et de boissons, soit 10 escalopes de dinde surgelée (1,2 kg), des raviolis à la viande (3,4 kg), un sac de pain (ballons), 80 pots de confiture à la fraise et 20 jus de fruits de marque « Granini » à la poire.

Interrogées sur leur présence dans cette zone fermée, les deux personnes avaient expliqué être passées par là, sas se connaître. Après avoir haussé le ton et menacé de faire appel à la police, les intéressés avaient accepté que les agents procèdent à une fouille de leurs effets. Le sac à main de la femme avait permis de découvrir un document d'identité au nom de Mme A______. Dans le portefeuille de l'homme se trouvait un badge de B______ au nom de M. A______. Dès cet instant, le couple A______ avait reconnu être venu pour subtiliser les marchandises retrouvées en leur possession. M. A______ était resté évasif sur le moyen d'accès à cette zone sous contrôle. La fouille sommaire n'avait pas permis de découvrir une clé qui aurait permis d'ouvrir le boitier d'accès, « même si cela [demeurait] très vraisemblable ». Une fois les contrôles effectués, les agents avaient acheminé les intéressés en leurs locaux. Puis, ils les avaient raccompagnés à leur voiture qu'ils avaient fouillée avec leur accord, sans résultat. Au cours de leur interrogatoire, le couple A______ avait enfin indiqué que c'était la première fois qu'ils agissaient de la sorte et que Mme A______ était salariée de F______ (ci-après : F______). La marchandise dérobée avait été laissée sur un chariot par les agents, compte tenu de leur méconnaissance en matière d’hygiène et de manipulation des aliments.

Dans ledit rapport, il était également indiqué que Messieurs G______, H______ et E______ avaient été des « Agent(e)(s) sur place ».

Des photographies des marchandises et de la voiture étaient jointes au rapport.

12) Par décision remise en main propre du 31 mars 2014, le président du Conseil d'administration de B______ a ordonné à titre provisionnel, dès le 31 mars 2014, l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de M. A______, sa suspension provisoire ainsi que la suspension de son traitement.

Cette décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

13) Le 7 avril 2014, le président du Conseil d'administration de B______ a informé M. A______ qu'il avait confié l'enquête administrative à M. I______.

14) Le 8 avril 2014 s'est tenue une première audience d'enquête.

Selon le procès-verbal, M. A______ avait pu prendre connaissance, à cette occasion et pour la première fois, du rapport des agents de sécurité du 28 mars 2014. Il contestait les faits reprochés. Lui et sa femme étaient allés rendre visite à une cousine à B______. Par simplicité, sachant que les cuisines du secteur D______ étaient fermées, M. A______ avait parqué sa voiture sur l'un des emplacements destinés aux livreurs. Après la visite et au moment d'ouvrir la portière de la voiture, deux agents de sécurité étaient arrivés. Sur leur demande, ils leur avaient présenté leurs documents d'identité. Après les avoir informés qu'une alarme s'était déclenchée, les agents les avaient conduits au premier étage. Les agents avaient ouvert la porte du local sécurisé avec une clé ou un badge et les avaient fait entrer. Dans le couloir, se trouvait un chariot avec des marchandises. Questionné par les agents au sujet de ce chariot, M. A______ avait répondu qu'il ne savait pas ce que c'était. Les agents avaient conduit le couple A______ dans leur bureau où se trouvait un troisième agent. Après avoir fouillé la voiture du couple, les agents les avaient autorisés à partir. Il ne disposait d'aucune clé ou code permettant d'avoir accès tant à la porte principale du bâtiment qu'aux locaux de la « cuisine 2______ ».

15) Par acte du 10 avril 2014, M. A______, sous la plume de son mandataire, a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre la décision du 31 mars 2014, concluant à la forme à sa recevabilité, préalablement, à la restitution de l'effet suspensif. Principalement, il a conclu, « sous suite de frais et dépens », à l'admission de son recours, à ce qu'il soit dit que la décision précitée était contraire au droit, à son annulation en ce qu'elle ordonnait, à titre provisionnel, la suspension de son traitement, à sa confirmation pour le surplus et à ce que B______ soit invité à lui verser son traitement dès le 31 mars 2014.

Le couple A______ n'était pas entré seul dans le bâtiment, puis dans les locaux des cuisines. Il y avait été emmené par les agents de sécurité qui disposaient des moyens d'entrée. Il n'avait jamais été en possession des victuailles prises à l'intérieur des cuisines D______ et n'avait jamais reconnu être venu subtiliser les marchandises.

La suspension de traitement privait l'intéressé de tout revenu, le laissant sans ressources et lui causait dès lors un préjudice irréparable. En effet, sans son salaire, il ne pouvait subvenir à ses besoins et faire face à ses dettes. De plus, il ne pourrait pas bénéficier des prestations de l'assurance-chômage à moins d'interjeter un recours contre sa suspension de traitement, et un préjudice irréparable subsisterait même en cas d'une prochaine inscription au chômage, dans la mesure où les indemnités journalières correspondraient, au mieux, à 80 % du salaire assuré et ne serait pas rétroactif. Son recours était de ce fait recevable.

Sur le fond, les faits qui lui étaient reprochés (qui restaient encore à démontrer) porteraient faiblement atteinte aux intérêts économiques de B______, de sorte qu'ils justifieraient uniquement une cessation des rapports de service et non pas une cessation immédiate de ces derniers. De plus, il n'existait, à ce stade, pas de prévention suffisante d'une faute à son encontre. Aucune plainte pénale n'avait été déposée. Il avait contesté les points inexacts du rapport des agents lors de son audition le 8 avril 2014. Enfin et contrairement à une jurisprudence de la chambre administrative (ATA/735/2013 du 5 novembre 2013), l'enquête administrative ne faisait que débuter et les faits étaient contestés, de sorte que la prévention de faute à son encontre n'était pas suffisante.

Au vu de l'absence d'une prévention suffisante de faute, des doutes quant à la gravité des faits reprochés et du préjudice irréparable susceptible d'être subi, il se justifiait de restituer l'effet suspensif au recours.

16) Le 14 avril 2014, M. A______ a remis au juge délégué le procès-verbal d'une seconde audience d'enquête du 11 avril 2014.

Le chef du service de restauration de B______ y indiquait que M. A______ donnait satisfaction tant au plan professionnel que sur le plan relationnel. Lorsqu'il avait été appelé le jour des faits, vers 21h00, un agent, lui avait dit que l'intéressé avait été trouvé dans « la cuisine 2______ » devant les chambres froides de F______. Les locaux étaient fermés par un système automatique de fermeture des portes de 20h30 à 5h30 (sauf les vestiaires et l'ascenseur qui se fermaient à 21h15). De la même façon, les locaux étaient mis sous alarme automatiquement, étant précisé que l'alarme n'était pas audible pour l'intrus dont la présence aurait été détectée. Seuls les agents de sécurité recevaient un signal sur leurs appareils de réception. La zone CP Niv1 correspondait à la cuisine de distribution appelée « cuisine 2______ » au premier étage.

17) Le 24 avril 2014, B______, sous la plume de son mandataire, a conclu, « sous suite de frais et dépens », à ce que le recours de M. A______ soit déclaré irrecevable et au fond, au rejet de la demande de restitution de l'effet suspensif.

M. A______ n'avait pas fourni d'éléments de preuve permettant d'apprécier les effets concrets de la suspension de son traitement sur sa situation personnelle ou financière, d'en estimer le caractère concrètement préjudiciable et de déterminer si et en quoi un tel préjudice serait irréparable. De plus et dans la mesure où l'épouse de M. A______ était salariée auprès de F______, l'absence de son traitement n'entraînerait pas une absence totale de revenus. De plus, le recourant ne démontrait pas ne pas pouvoir percevoir de prestations des assureurs sociaux. En cas d'admission du recours, B______ rétrocéderait le traitement de l'intéressé, leur solvabilité devait être admise. Enfin, l'admission du recours ne mettrait pas fin au litige, dans la mesure où l'enquête administrative (non contestée) suivrait son cours quel que soit le sort de la question relative à la suspension du traitement.

Sur la question de l'effet suspensif, une éventuelle restitution équivaudrait à admettre le droit de M. A______ à continuer à percevoir son traitement pendant la durée de l'enquête administrative et correspondrait à ce qui était demandé sur le fond, ce qui était en principe prohibé. De plus, au vu de la gravité des faits reprochés - s'ils étaient confirmés par l'enquête administrative -, un licenciement immédiat avec effet rétroactif serait proportionné. Enfin et si l'effet suspensif était accordé et que B______, à l'issue de l'enquête, révoquait l'intéressé, B______ perdrait les cotisations sociales déjà versées mais vraisemblablement aussi les salaires payés.

À l'appui de son écriture, B______ a produit diverses pièces dont le statut du personnel de B______ dans sa version du ______ 2012, entré en vigueur le même jour.

18) Les 24 et 29 avril 2014, l'enquêteur administratif a procédé à de nouvelles audiences d'enquête. Mme J______, cheffe d'équipe à la distribution des repas à B______, M. K______, chef d'équipe à la distribution des repas à B______, et M. L______, responsable du secteur surveillance au service prévention et sécurité de B______ ont été entendus.

19) Par décision du 5 mai 2014, le président de la chambre administrative a rejeté la demande de restitution de l’effet suspensif.

La question de la recevabilité du recours était réservée, dans la mesure où elle devait être tranchée hors du cadre d'une décision présidentielle. Sur la question de la restitution de l'effet suspensif, une telle mesure reviendrait à admettre le droit de l'intéressé à continuer de percevoir son traitement et correspondrait ainsi à ce qu'il demandait sur le fond, ce qui était prohibé. Par surabondance, l'intérêt public à la préservation des finances de la collectivité, au vu de l'incertitude de la capacité de M. A______ à rembourser les mois de traitement qui lui seraient versés en cas de confirmation de la décision querellée, était important et primait les difficultés financières que l'intéressé pourrait rencontrer du fait de la cessation du versement de son traitement.

20) Le 8 mai 2014, l'enquêteur administratif a entendu MM. G______ et E______, agents de sécurité, qui étaient intervenus le soir des faits.

21) Le 12 mai 2014, B______ a conclu, à la forme, à ce que le recours de M. A______ soit déclaré irrecevable, et au fond, à son rejet « sous suite de frais et dépens ».

Le recours devait être déclaré irrecevable pour les mêmes motifs que ceux invoqués précédemment dans leur écriture du 24 avril 2014.

Sur le fond, la prévention d'une faute à l'encontre de M. A______ était suffisante et la suspension du traitement respectait le principe de la proportionnalité. Les faits - s'ils étaient avérés - étaient de nature à compromettre la confiance de B______ mise en la personne de l'intéressé. Ils étaient susceptibles de constituer non seulement des violations élémentaires des devoirs de service, mais également des infractions pénales. Les faits étaient particulièrement graves et de nature à justifier une cessation immédiate de l'exercice de la fonction. Les dénégations de M. A______ étaient contredites par les pièces figurant au dossier ainsi que par les auditions menées par l'enquêteur administratif, notamment celle de M. E______ qui avait confirmé avoir surpris le couple A______ les bras chargés de nourriture dans les « cuisines 2______ ».

22) Les 19 mai et 16 juin 2014, l'enquêteur administratif a entendu M. H______, qui était intervenu le soir des faits, et Mme A______.

23) Le 15 mai 2014, le juge délégué a transmis au recourant l'écriture précitée et lui a fixé un délai au 16 juin 2014 pour formuler d'éventuelles observations, ensuite de quoi la cause serait gardée à juger.

24) Le 16 juin 2014, l'enquêteur administratif a entendu M. M______, ingénieur en sécurité au service prévention et sécurité de B______.

25) Le même jour, M. A______ a formulé des observations.

La décision de suspension de traitement lui causait un préjudice irréparable car il se trouvait en situation de surendettement, ne pouvant faire face à ses différentes charges courantes et familiales (factures, suppression d'assurances, loyers non réglés, etc.). Il devait bénéficier de CHF 7'000.- environ par mois pour couvrir les besoins du ménage. Quand bien même l'intéressé bénéficiait désormais d'indemnités journalières de l'assurance chômage grâce à l'intervention de son mandataire, l'intervention de ce dernier avait un coût constitutif d'un dommage irréparable. De plus, l'intéressé n'avait commencé à percevoir ces indemnités qu'à partir du 16 avril 2014 compte tenu du délai d'attente et de l'absence d'effet rétroactif de l'inscription. Cela lui avait également causé un préjudice irréparable. Les coûts d'avocat engendrés par la présente procédure lui causaient également un préjudice irréparable. Enfin, l'atteinte à sa réputation vis-à-vis de ses créanciers et de ses collègues constituait de la même façon un tel préjudice.

Dans la mesure où il n'y avait pas de véritables éléments objectifs et tangibles qui pouvaient lui être reprochés, une révocation disciplinaire n'était pas envisageable, de sorte que l'admission du recours pouvait conduire immédiatement à une décision finale permettant d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Les accusations contre lui ne reposaient que sur les dires des trois agents de sécurité. Or, les différentes auditions menées par l'enquêteur administratif avaient mis en lumière de nombreuses et importantes contradictions enlevant toute crédibilité aux dires des agents de sécurité. Les différentes contradictions étaient synthétisées par un tableau produit à l'appui de son écriture.

De manière subsidiaire, la décision entreprise était disproportionnée, dans la mesure où le droit de la fonction publique prévoyait un large éventail de sanctions selon la gravité de la faute. Or, dans un tel cas, un simple licenciement pourrait être décidé en lieu et place d'une révocation disciplinaire.

À l'appui de son écriture, le recourant a produit un certain nombre de pièces.

26) Le 26 juin 2014, le juge délégué a répondu négativement à un courrier du mandataire du recourant du 23 juin 2014 lequel souhaitait produire les observations finales concernant l'enquête administrative, étant précisé que l'enquêteur administratif avait mis fin aux auditions, dont la dernière avait eu lieu le 16 juin 2014, soit celle de M. M______.

EN DROIT

1) Le recours est recevable relativement à la compétence de la chambre administrative (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) Selon la jurisprudence constante rendue par la chambre de céans, une décision de suspension provisoire d’un fonctionnaire est une décision incidente contre laquelle un recours est ouvert dans les dix jours (art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; ATA/338/2014 du 13 mai 2014 consid. 2 ; ATA/97/2014 du 18 février 2014 consid. 6 ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 1 ; ATA/217/2013 du 9 avril 2013 ; ATA/839/2012 du 18 décembre 2012 ; ATA/415/2012 du 3 juillet 2012 ; ATA/458/2011 du 26 juillet 2011).

3) a. En vertu de l’art. 57 let. c LPA, sont susceptibles d’un recours les décisions incidentes, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Cette disposition légale a la même teneur que l’art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un préjudice est irréparable au sens de cette disposition lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 consid. 2b et 5b et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 ; 127 I 92 consid. 1c ; 126 I 97 consid. 1b).

b. La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/338/2014 précité consid. 5 ; ATA/97/2014 du 18 février 2014 précité consid. 3 ; ATA/715/2013 du 29 octobre 2013 consid. 3 ; ATA/65/2012 du 31 janvier 2012).

c. En l'espèce, le recourant conteste uniquement la suppression de son traitement, expliquant qu'elle lui cause un préjudice irréparable.

Si le fait de ne plus recevoir de traitement constitue une baisse de revenus pouvant être importante, cela n'est toutefois pas suffisant pour retenir l'existence d'un préjudice irréparable. Il faut encore que l'intéressé rende vraisemblable un tel préjudice.

Dans une jurisprudence récente (ATA/735/2013 précité), la chambre de céans a admis un préjudice irréparable pour un sergent téléphoniste suspendu sans traitement au motif qu'il « [ressortait] du dossier que la décision [était] susceptible de causer un préjudice irréparable ».

En l'occurrence, le recourant a produit un certain nombre de pièces, dont un courrier de la CEMBRA MoneyBank du 9 mai 2014 rappelant une mensualité de retard d'un montant de CHF 1'642,80, des courriers du 16 mai 2014 du Groupe Mutuel Assurances faisant état de la suppression de diverses assurances complémentaires pour toute la famille au motif que les primes y relatives n'avaient pas été acquittées à temps et un courrier de l'agence immobilière K______ du 20 mai 2014 rappelant que les loyers d'avril et mai 2014 de CHF 1'665.- n'avaient pas été réglés.

L'examen circonstancié de ces pièces permet de retenir que le recourant a rendu vraisemblable l'existence d'un préjudice irréparable.

Ainsi et dans la continuité de l'arrêt susmentionné, le recours sera déclaré recevable.

4) Selon la jurisprudence, une suspension provisoire d’un fonctionnaire peut être justifiée soit par les besoins de l'enquête administrative, soit en tant qu'exécution anticipée à titre provisionnel, de la fin des rapports de service en raison d'une faute alléguée, de nature à rompre la confiance qu'implique l'exercice de la fonction de l'intéressé (ATA/735/2013 précité ; ATA/421/2008 du 26 août 2008 ; ATA/716/2005 du 25 octobre 2005 ; ATA/679/2002 du 12 novembre
2002 ; ATA/335/2000 du 23 mai 2000 ; ATA V. du 14 février 1990). Dans ce dernier cas, la mesure n'est justifiée que si trois conditions sont remplies :

a. la faute reprochée à l'intéressé doit être de nature, a priori, à justifier une cessation immédiate de l'exercice de sa fonction ;

b. la prévention de faute à l'encontre de l'intéressé doit être suffisante, même si, s'agissant d'une mesure provisionnelle prise précisément pendant la durée d'une enquête administrative ou pénale, une preuve absolue ne peut évidemment pas être exigée ;

c. la suspension devra apparaître comme globalement proportionnée, compte tenu de la situation de l'intéressé et des conséquences de sa suspension, de la gravité de la faute qui lui est reprochée, de la plus ou moins grande certitude quant à sa culpabilité, ainsi que de l'intérêt de l'État à faire cesser immédiatement tant les rapports de service que, s'il y a lieu, ses propres prestations.

5) Sur la question de la suppression de traitement, l'intérêt de l'État à ne pas verser au recourant son traitement aussi longtemps que dure la procédure est essentiel, puisqu'il court le risque de ne pas pouvoir récupérer les montants versés, à supposer que ceux-ci l'aient été à tort (ATA/716/2005 précité ; ATA/107/2001 du 13 février 2001).

6) Le recourant allègue que sa suppression de traitement est injustifiée.

En l'espèce, le recourant a été vu, sur son lieu de travail, le soir du 27 mars 2014 par M. E______, agent de sécurité, les bras chargés de nourriture aux alentours des cuisines. Il ressort du rapport dressé à cette occasion que le recourant a reconnu être venu pour subtiliser les marchandises retrouvées en sa possession. M. H______ a, au cours de son audition par l'enquêteur administratif le 19 mai 2014, confirmé cela. Ces éléments suffisent à retenir une prévention suffisante à l'encontre du recourant et ce quand bien même l'intéressé a, par la suite, contesté différents points du rapport.

Le comportement du recourant, s’il est avéré à l’issue de l’enquête administrative, constitue un grave manquement à ses devoirs et est susceptible de justifier une cessation immédiate de l'exercice de sa fonction.

7) Les deux premières conditions retenues par la jurisprudence, et rappelées ci-dessus, étant réalisées, reste à déterminer si une mesure de suspension provisoire assortie d’une suspension de traitement respecte le principe de la proportionnalité garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), par son principe, sa durée et son accessoire puisqu’elle est accompagnée d’une suspension du droit du recourant à percevoir son traitement.

8) Le principe de la proportionnalité exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 222 et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude - qui exigent que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 p. 482 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 précité).

9) En l'occurrence, les faits sont graves et potentiellement susceptibles de conduire à la révocation du recourant. En outre, il n'est pas certain que B______ puisse récupérer les salaires payés en cas de licenciement ultérieur. Enfin, l'enquête administrative semble à bout touchant dans la mesure où tous les différents protagonistes ont au moins été entendus une fois par l'enquêteur administratif, de sorte qu'il est envisageable qu'une décision soit rendue sous peu. La décision de suspendre provisoirement l’intéressé sans son traitement pendant cette période est adéquate et proportionnée au regard des faits de la cause.

10) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Un émolument de procédure de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). B______ disposant d’un service juridique, il ne lui sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA ; ATA/441/2014 du 17 juin 2014 ; ATA/50/2013 du 29 janvier 2013 et arrêts cités).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 10 avril 2014 par M. A______ contre la décision de B______ du 31 mars 2014 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de M. A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Giuseppe Donatiello, avocat du recourant, ainsi qu'à Me Pierre Martin-Achard, avocat de B______.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Dumartheray et Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen et M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :