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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3066/2014

ATA/694/2015 du 30.06.2015 ( FPUBL ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3066/2014-FPUBL ATA/694/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 30 juin 2015

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Jean-Pierre Wavre, avocat

contre

ÉTABLISSEMENTS PUBLICS POUR L'INTÉGRATION (EPI)



EN FAIT

1) M. A______, né le ______ 1949 et titulaire d’une autorisation d’établissement (permis C), a été engagé par les Établissements publics pour l’intégration (ci-après : les EPI) en qualité d’employé de restaurant 2 auxiliaire à 100 %, dès le 1er mai 2010, et, en qualité d’employé de restaurant 2 à 100 %, pour une durée indéterminée dès le 1er mai 2012, date à compter de laquelle il est devenu fonctionnaire, pour un salaire mensuel brut de CHF 4'891.80.

2) Ses évaluations effectuées en 2011 et 2012 ont été positives.

3) Par courrier de son employeur daté du 5 mars 2014 et remis en mains propres le lendemain, M. A______ a été convoqué à un entretien de service le 12 mars 2014, pour « faits et gestes inappropriés envers une collaboratrice en emploi adapté » et « influence sur une personne en situation de handicap et non-respect des règles en matière d’encadrement socioprofessionnel ».

4) Lors de cet entretien tenu en présence du chef du service restauration ainsi que de la cheffe et d’une gestionnaire des ressources humaines, M. A______ a admis les faits suivants : il avait demandé à deux reprises à Mme B______ C______, collaboratrice en emploi adapté - qui avait déposé une plainte contre lui le 28 février 2014 -, s’il pouvait lui toucher la poitrine (sur la veste) ; la première fois, sa réponse avait été négative, mais la seconde fois, l’intéressé ayant insisté, elle l’avait laissé toucher sa poitrine (sur la veste) ; en outre, une fois, à travers la porte du vestiaire fermé, M. A______ lui avait dit pour plaisanter « B______, je vais te violer » ; à une autre reprise, il lui avait demandé si elle voulait un « bisou », mais, Mme C______ ayant refusé, il ne s’était rien passé ; enfin, l’intéressé avait donné à Mme C______ CHF 50.- une fois vers Noël il y avait deux ans, une seconde fois il y avait trois semaines environ, « [pensant] bien faire » et sans espérer de contrepartie.

M. A______ a dit qu’il comprenait et a reconnu « à 100 % la faute », tout en ne comprenant pas pourquoi il en était arrivé là.

Selon les représentants des EPI menant l’entretien, Mme C______ était perturbée par tout ce qui s’était passé. Les faits étaient graves, et d’autant plus graves au regard de la vulnérabilité et du handicap de cette collaboratrice. Une sanction risquait d’être prise par la direction générale et le conseil d’administration des EPI et pourrait aller jusqu’à une résiliation des rapports de service.

À l’issue de l’entretien, M. A______ a été suspendu de son obligation de travailler, en attendant qu’une décision soit prise.

5) Par décision de sa présidente du 25 mars 2014, le conseil d’administration des EPI a ouvert une enquête administrative, confiée à Mme D______, prononcé la suspension provisoire de M. A______, sans suppression de son traitement, « le prononcé d’une décision du Conseil d’administration de suppression de toutes prestations à la charge des EPI [demeurant] toutefois réservé » « en fonction des faits qui pourraient encore apparaître ou être constatés dans le cadre de l’enquête administrative ».

6) À teneur du rapport de l’enquêtrice administrative du 10 juin 2014, M. A______ a, lors de l’enquête, confirmé ce qu’il avait admis en entretien de service et a en outre reconnu avoir dit, à plusieurs reprises - et non une seule fois -, à travers la porte du vestiaire des femmes, « B______, je vais te violer ».

Le mis en cause n’avait pas minimisé ses actes, ni tenté de faire croire qu’il n’avait pas compris que Mme C______ - qui parlait fort, se montrait excessivement joyeuse et confiait aux tiers trop facilement des questions personnelles - souffrait d’une forme de handicap psychique, bien que non immédiatement perceptible, ni qu’il n’avait pas été dûment instruit quant à l’attitude à adopter vis-à-vis des personnes en emploi adapté.

Les remises d’argent, aussi suspectes qu’elles aient pu apparaître au début de l’enquête, étaient en définitive sans rapport avec les comportements de type sexuel reprochés à l’intéressé.

Les gestes déplacés de M. A______ avaient débouché sur une forme de harcèlement et provoqué chez Mme C______ un malaise grandissant.

7) M. A______ ayant atteint sa 65ème année, ses rapports de service ont pris fin le 1er août 2014, comme annoncé par lettre de la cheffe des ressources humaines du 14 juillet 2014, à teneur de laquelle, en outre, « le Conseil d’administration des EPI se [réservait] le droit, à l’issue de l’enquête administrative en cours, de prononcer une décision quant aux prestations qui [lui avaient] été versées ».

8) Par décision du 4 septembre 2014, notifiée le 8 septembre suivant et déclarée exécutoire nonobstant recours, le conseil d’administration des EPI, par la signature de leur directeur général et du président de leur conseil d’administration, a révoqué M. A______ avec effet immédiat. Cette révocation développait ses effets au jour de l’ouverture de l’enquête administrative, de sorte que les traitements perçus en trop par l’intéressé, entre cette dernière date et la fin des rapports de service, devraient être remboursés.

Dans le contexte décrit par le rapport d’enquête administrative, qui faisait partie intégrante de la décision, M. A______ - qui avait indiqué n’avoir aucune observation à faire valoir quant au rapport d’enquête
susmentionné - s’était rendu coupable d’actes qui devaient être qualifiés de graves, en particulier les menaces de viol, même proférées sur le ton de la plaisanterie, car elles s’adressaient à une personne en situation de handicap, psychologiquement fragile, qui devait être protégée de toute perturbation sur son lieu de travail.

La rupture du lien de confiance rendait impossible la poursuite des relations de service.

9) Par acte expédié le 8 octobre 2014 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a formé recours contre cette décision, concluant à son annulation en tant qu’elle rétroagissait au 25 mars 2014 et ordonnait le remboursement des traitements perçus en trop par lui, les EPI devant en outre être condamnés « en tous les frais et dépens ».

Notamment, lui-même et Mme C______ avaient noué des liens amicaux puisqu’ils s’embrassaient matin et soir lorsqu’ils arrivaient au travail et en repartaient, de sorte qu’il pouvait légitimement penser que Mme C______ l’appréciait et pourrait accepter les demandes qu’il lui avait faites.

Étaient relevées les déclarations suivantes du chef du service restauration devant l’enquêtrice administrative : « Le lundi 3 mars 2014, j’ai eu un entretien avec M. A______. (…) Je lui ai demandé qu’il reste à la maison dès le lendemain, mardi 4 mars 2014. J’aurais théoriquement pu déplacer M. A______ sur un autre site mais cela aurait nécessité des mesures de surveillance de ce dernier. Je n’ai pas vraiment laissé le choix à M. A______. (…) ». Ainsi, si les EPI avaient souhaité qu’il continue à travailler dans un endroit ne créant aucun risque, ils auraient pu le faire, et il n’apparaissait actuellement pas équitable de le sanctionner pour un fait qui n’était pas le sien.

Les revenus nets actuels du recourant, étant à la retraire, s’élevaient à
CHF 1'914.30 par mois, de sorte qu’il était dans l’impossibilité de rembourser les montants qui lui seraient réclamés. À teneur des documents produits, dès le
1er août 2014, il recevait, mensuellement, une rente simple AVS pour lui-même de CHF 1'608.- et une rente complémentaire AVS pour son enfant de CHF 643.-, ainsi qu’une pension LPP de CHF 255.25 pour lui-même et de CHF 51.05 pour son enfant.

10) Dans leur réponse reçue le 6 novembre 2014, les EPI ont conclu au rejet du recours.

11) Une audience de comparution personnelle des parties s’est tenue le
11 décembre 2014 devant le juge délégué de la chambre administrative.

a. M. A______ a reconnu les faits reprochés, avec la différence suivante. Il avait touché la poitrine de Mme C______ au-dessus de sa veste deux fois, une fois en décembre 2013 avant les vacances de Noël et une fois après celles-ci ; la première fois, elle avait d’abord refusé, il avait insisté sans forcer et elle avait dit oui ; la deuxième fois, cela avait été pareil. Par ailleurs, il n’avait jamais pensé que ses paroles « je vais te violer » pouvaient faire peur à Mme C______ ou la gêner. Lorsqu’il lui avait demandé de l’embrasser sur la bouche, c’était pour lui une plaisanterie et même si elle avait accepté, il ne l’aurait pas fait.

b. Selon la représentante des EPI, pour ces derniers, cela a été une affaire très délicate. En effet, Mme C______, lorsqu’elle leur avait révélé, à fin février 2014, les actes de M. A______, avait peur de le croiser, raison pour laquelle il avait été suspendu ; mais d’un autre côté, elle n’avait pas été très traumatisée et ne l’était plus aujourd’hui. Son interprétation était qu’en laissant faire, Mme C______ avait eu une attitude qui avait été interprétée d’une certaine manière par M. A______ et qu’elle n’avait plus pu gérer cette situation de sorte qu’elle s’était cachée de lui ; c’était parce qu’elle ne trouvait pas de solution qu’elle s’était adressée au réseau au sein des EPI ; pendant quelques semaines, elle avait eu de grandes difficultés psychologiques.

M. A______ n’avait effectivement pas eu l’intention de mal agir et les EPI comprenaient sa difficulté à comprendre les réactions de
Mme C______ qui étaient celles d’une personne qui ne gérait pas en fonction de la réalité et souffrait d’un handicap psychique. Cela étant, il était inacceptable qu’un collaborateur ne soit pas en mesure de respecter la distance que l’on devait avoir avec les personnes que les EPI encadraient, qui souffraient d’un handicap psychique.

c. D’après la représente des EPI, tous les collaborateurs qui n’avaient pas de responsabilité d’encadrement comme M. A______ étaient informés qu’en cas de difficulté avec une personne en situation de handicap ou pour toute question au sujet de cette personne, ils devaient s’adresser au « référent EPI » de celle-ci. La distance respectueuse à avoir avec des personnes en situation de handicap tombait sous le sens.

M. A______ a répondu que lorsque il avait débuté son travail aux EPI, on n’avait pas attiré son attention spécifiquement sur la distance à avoir avec ces personnes. Quand bien même il savait que Mme C______ avait un handicap, il ne savait pas à quel degré. Elle était très expansive et très accessible. Pour lui, c’était un handicap léger et son caractère expansif lui paraissait parfois anormal.

d. Selon la représentante des EPI, lorsque Mme C______ s’était plainte, ceux-ci ne pouvaient pas connaître le degré de la gravité de la situation et cette dernière était relativement floue. Le traitement de M. A______ n’avait pas été suspendu, vu le devoir de l’employeur de protéger ses collaborateurs. L’effet rétroactif de la suppression de traitement n’était pas tant dû au comportement concret de M. A______ qu’à l’exemple que l’institution devait donner, sa tolérance devant être de zéro vu sa mission de protection à l’égard des personnes en situation de handicap. M. A______ ayant tout de suite collaboré à l’établissement de la vérité, l’enquête administrative n’avait révélé de nouveau que des détails.

12) Dans leurs observations après enquêtes, le recourant et les intimés ont persisté dans leurs conclusions respectives.

13) Par lettre du 19 février 2015, le juge délégué a informé les parties de ce que la cause était gardée à juger.

14) Pour le reste, les arguments des parties seront, en tant que de besoin, repris dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 30 et 31 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du
4 décembre 1997 - LPAC - B 5 05, applicable au personnel des EPI conformément à l’art. 43 al. 1 de la loi sur l’intégration des personnes handicapées du 16 mai 2003 - LIPH - K 1 36 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Tout d’abord, la question de savoir si la loi fédérale sur l'égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (LEg - RS 151.1), en particulier en son art. 4, s’applique ou non au présent cas, compte tenu notamment du statut particulier de Mme C______, employée, bénéficiaire des prestations des intimés, peut demeurer indécise, la portée de cette loi n’apparaissant en tout état de cause pas déterminante en l’occurrence.

3) Aux termes de l’art. 20 du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01), les membres du personnel sont tenus au respect de l’intérêt de l’État et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice. Conformément à l’art. 21
let. a RPAC (attitude générale), les membres du personnel se doivent, par leur attitude, d’entretenir des relations dignes et correctes avec leurs supérieurs, leurs collègues et leurs subordonnés, ainsi que de permettre et de faciliter la collaboration entre ces personnes.

En vertu de l’art. 16 LPAC, les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l'objet, selon la gravité de la violation, des sanctions suivantes :
a) prononcé par le supérieur hiérarchique, en accord avec sa hiérarchie : 1° le blâme ; b) prononcées, au sein de l'établissement, par le directeur général : 2° la suspension d'augmentation du traitement pendant une durée déterminée, 3° la réduction de traitement à l'intérieur de la classe ; c) prononcées, à l'encontre d'un fonctionnaire, au sein de l'établissement par le conseil d'administration : 4° le retour au statut d'employé en période probatoire pour une durée maximale de trois ans, 5° la révocation (al. 1) ; en cas de révocation, le conseil d'administration de l'établissement peut stipuler que celle-ci déploie un effet immédiat si l'intérêt public le commande (al. 2).

À teneur de l’art. 28 LPAC (suspension provisoire pour enquête), dans l'attente du résultat d'une enquête administrative ou d'une information pénale, le conseil d'administration peut, de son propre chef ou à la demande de l'intéressé, suspendre provisoirement un membre du personnel auquel il est reproché une faute de nature à compromettre la confiance ou l'autorité qu'implique l'exercice de sa fonction (al. 1, 1ère phr.) ; la suspension provisoire peut entraîner la suppression de toute prestation à la charge de l’État ou de l’établissement (al. 3) ; à l’issue de l’enquête administrative, il est veillé à ce que l’intéressé ne subisse aucun préjudice réel autre que celui qui découle de la décision finale ; une décision de révocation avec effet immédiat peut cependant agir rétroactivement au jour de l'ouverture de l'enquête administrative (al. 4).

4) Le fait de ne plus être membre de la fonction publique n’exclut pas des mesures disciplinaires, dans la mesure où ces dernières peuvent produire des effets concrets, en particulier financiers, sur la situation de la personne sanctionnée.

5) En l’espèce, le recourant, qui était fonctionnaire au sein des EPI jusqu’au
31 juillet 2014 avant de prendre sa retraite, ne conteste pas la révocation en tant que telle, mais son effet rétroactif au 25 mars 2014.

Faute de conclusions remettant en cause le principe de la révocation et en l’absence de recours contre la décision de suspension du 25 mars 2014, l’argument de l’intéressé selon lequel il aurait pu - ou dû - être déplacé dans un autre service au mois de mars 2014 est sans aucune pertinence.

6) a. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est néanmoins admise de manière très large en droit disciplinaire, et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/473/2014 du 24 juin 2014 consid. 3b ; ATA/267/2013 du 30 avril 2013 consid. 5).

L’autorité qui inflige une sanction disciplinaire doit respecter le principe de la proportionnalité (arrêts du Tribunal fédéral 8C_292/2011 du 9 décembre 2011 consid. 6.2 ; 8C_203/2010 du 1er mars 2011 consid. 3.5). Le choix de la nature et de la quotité de la sanction doit être approprié au genre et à la gravité de la violation des devoirs professionnels et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer les buts d’intérêt public recherchés. À cet égard, l’autorité doit tenir compte en premier lieu d’éléments objectifs, à savoir des conséquences que la faute a entraînées pour le bon fonctionnement de la profession en cause et de facteurs subjectifs, tels que la gravité de la faute, ainsi que les mobiles et les antécédents de l’intéressé (ATF 108 Ia 230 consid. 2b ; 106 Ia 100 consid. 13c ; 98 Ib 301 consid. 2b ; 97 I 831 consid. 2a ; RDAF 2001 II 9 35 consid. 3c.bb ;
SJ 1993 221 consid. 4 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.133/2003 du 28 juillet 2003 ; ATA/94/2013 du 19 février 2013 consid. 15 et la jurisprudence citée). En particulier, elle doit tenir compte de l’intérêt du recourant à poursuivre l’exercice de son métier, mais elle doit aussi veiller à la protection de l’intérêt public (ATA/267/2013 précité consid. 5).

En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation ; le pouvoir d’examen de la chambre de céans se limite à l’excès ou à l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/452/2013 du 30 juillet 2013 consid. 16 et les références citées).

b. La révocation disciplinaire, qui est la sanction la plus lourde prévue par la loi, implique une faute grave, soit une violation particulièrement grave d'un devoir de service (MGC 2005-2006/XI A - 10423 et 10436 ; ATA/820/2010 du
23 novembre 2010 consid. 6 ; ATA/618/2010 du 7 septembre 2010).

La révocation est prononcée avec effet immédiat quand l'intérêt public le justifie (art. 16 al. 3 [recte : 2] LPAC). Elle rétroagit dans ce cas à la date de l'ouverture de l'enquête administrative. Comme avant la modification légale, la suspension provisoire, avec ou sans traitement, permet de traiter la situation de la période précédant la décision (MGC 2005-2006/XI A - 10423).

7) Dans le présent contexte, rétroagissant au jour de l’ouverture de l’enquête administrative, la révocation répond à un intérêt public prépondérant et n’apparaît en particulier pas disproportionnée quant à son principe.

L’intérêt public réside, d’une part, dans la réelle gravité des faits reprochés au recourant, en particulier ses menaces de viol même formulées sur le ton de la plaisanterie, à l’égard d’une femme qu’il savait psychiquement fragile et handicapée à tout le moins légèrement et envers laquelle il avait, en tant que fonctionnaire de l’institution, des devoirs de protection et d’égards particuliers, et, d’autre part, dans le besoin de l’institution de protéger les personnes en situation de handicap. Ces motifs, particulièrement graves et imputables à faute, justifient un écartement immédiat du recourant de son poste de travail et des EPI, dès leur découverte et à l’ouverture le 25 mars 2014 de l’enquête administrative, de même qu’une révocation remontant rétroactivement à la date de la suspension provisoire prononcée également le 25 mars 2014.

8) Cela étant, ladite révocation, remontant rétroactivement au 25 mars 2014, a eu pour effet que les traitements versés par les intimés au recourant entre le
25 mars et le 31 juillet 2014 ne reposent plus sur un quelconque fondement, la révocation entraînant en principe la suppression du traitement.

9) Tant la doctrine que la jurisprudence reconnaissent que le principe de la répétition de l'indu, énoncé aux art. 62 ss de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations (CO - RS 220), constitue une règle générale de l'ordre juridique, applicable en droit public (ATF 138 V 426 consid. 5.1 ; 135 II 274 consid. 3.1 ; ATA/655/2011 du
18 octobre 2011 consid. 4a ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème édition, 2011, p. 168-169 ; Blaise KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème édition, 1991, p. 166 ch. 756). Selon la jurisprudence, l'obligation de restituer l'indu se fonde en premier lieu sur les dispositions des lois spéciales qui la prévoient - non présentes en l’occurrence - et, à défaut, sur les règles générales de l'enrichissement illégitime au sens des art. 62 à 67 CO (ATF 138 V 426 consid. 5.1 ; 128 V 50 consid. 2). Dès lors que l'on soumet l'obligation de restituer aux art. 62 ss CO, il convient en principe d'appliquer ces dispositions avec leurs avantages et inconvénients respectifs pour l'enrichi et le lésé, sans en dénaturer le sens ou la portée, quand bien même elles s'incorporent dans un système régi en partie par le droit public (ATF 138 V 426 consid. 5.1 ; 130 V 414 consid. 3.2).

Ainsi, l'administré qui verse à l'État une somme dont il n'est pas redevable est en droit d'en réclamer la restitution, même en cas de silence de la loi, si le versement est intervenu sans cause valable (ATA/655/2011 précité consid. 4a ; ATA/508/1997 du 26 août 1997 ; Augustin MACHERET, La restitution de taxes perçues indûment par l'État en droit suisse, Études suisses de droit européen,
vol. 18, 1976, p. 191 ss ; cf. également ATA/242/2011 du 12 avril 2011).

A contrario, l'État qui verserait à l'administré une somme dont il n'est pas redevable est en droit d'en réclamer la restitution même si le versement est intervenu sans cause valable, alors même que le cas n'est pas prévu expressément par la loi (ATA/655/2011 précité consid. 4a).

10) a. Dès lors, sur la base de l’art. 62 CO, qui constitue la règle de principe (Pierre TERCIER/Pascal PICHONNAZ, Le droit des obligations, 5ème éd., 2012, n. 1824) ou clause générale (Benoît CHAPPUIS, in Commentaire romand, Code des obligations I, 2ème éd., 2012, n. 1 ad art. 62 CO) et selon lequel celui qui, sans cause légitime, s'est enrichi aux dépens d'autrui, est tenu à restitution (al. 1), la restitution étant due, en particulier, de ce qui a été reçu sans cause valable, en vertu d'une cause qui ne s'est pas réalisée, ou d'une cause qui a cessé d'exister (al. 2), le recourant serait en principe tenu à rembourser aux EPI les salaires que ceux-ci lui ont versé pour la période du 25 mars au 31 juillet 2014.

b. Toutefois, en vertu de l’art. 63 al. 1 CO, celui qui a payé volontairement ce qu'il ne devait pas ne peut le répéter s'il ne prouve qu'il a payé en croyant, par erreur, qu'il devait ce qu'il a payé.

En outre, à teneur de l’art. 64 CO, il n'y a pas lieu à restitution, dans la mesure où celui qui a reçu indûment établit qu'il n'est plus enrichi lors de la répétition ; à moins cependant qu'il ne se soit dessaisi de mauvaise foi de ce qu'il a reçu ou qu'il n'ait dû savoir, en se dessaisissant, qu'il pouvait être tenu à restituer.

c. Selon la jurisprudence, une suspension provisoire d’un fonctionnaire selon l’art. 28 LPAC doit notamment apparaître comme globalement proportionnée, compte tenu de la situation de l'intéressé et des conséquences de sa suspension, de la gravité de la faute qui lui est reprochée, de la plus ou moins grande certitude quant à sa culpabilité, ainsi que de l'intérêt de l'État à faire cesser immédiatement tant les rapports de service que, s'il y a lieu, ses propres prestations (ATA/506/2014 du 1er juillet 2014 consid. 4).

Initialement, dans leur décision du 25 mars 2015, les intimés n’ont pas suspendu le traitement du recourant, alors que l’art. 28 al. 3 LPAC leur en donnait la faculté. Il convient d’en déduire qu’à cette date, les EPI estimaient les faits reprochés au recourant - et admis par celui-ci - comme suffisamment graves pour justifier une suspension provisoire au sens de l’art. 28 al. 1 LPAC, mais non une suppression de toute prestation à leur charge, au sens de l’art. 28
al. 3 LPAC.

Or, comme l’a admis la représentante des EPI lors de l’audience de comparution personnelle, les actes reprochés au recourant ne se sont pour l’essentiel pas révélés plus graves à l’issue de l’enquête administrative qu’avant cette dernière.

Dans ces circonstances, la décision querellée en tant qu’elle ordonne le remboursement des traitements perçus en trop par l’intéressé, entre la date de l’ouverture de l’enquête administrative et la fin des rapports de service, n’apparaît à tout le moins pas compatible avec l'art. 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), selon lequel les organes de l'État et les particuliers doivent agir conformément aux règles de la bonne foi, ce qui implique notamment qu'ils s'abstiennent d'adopter un comportement contradictoire ou abusif (ATF 136 I 254 consid. 5.2 ; 134 V 306 consid. 4.2) et leur impose un comportement loyal et digne de confiance dans les actes avec autrui (arrêt du Tribunal fédéral 2A.52/2003 du 23 janvier 2004
consid. 5.2, traduit in RDAF 2005 II 109 ss, spéc. 120 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 580 ss).

Le fait que la décision du 25 mars 2014 ait réservé « le prononcé d’une décision du Conseil d’administration de suppression de toutes prestations à la charge des EPI » n’y change rien, ce d’autant moins que ces termes ne pouvaient pas laisser penser au recourant qu’une obligation de remboursement pourrait intervenir rétroactivement. Rien ne pouvait donc conduire le recourant à envisager, à tout le moins avant la lettre de la cheffe des ressources humaines du 14 juillet 2014, soit très peu de temps avant sa retraite, qu’il pourrait le cas échéant être obligé de rembourser les salaires reçus. Au demeurant, si les EPI avaient considéré que l’enquête administrative apportait des faits nouveaux et plus graves, ils auraient dû prendre immédiatement leur décision de révocation à réception du rapport du 10 juin 2014, sans attendre - comme ils l’ont fait - plus de deux mois avant de statuer.

L’exigence du remboursement apparaît d’autant plus problématique qu’elle place le recourant dans une situation plus défavorable que si elle avait été prononcée immédiatement et à titre provisoire dans la décision du 25 mars 2015, étant donné que l’intéressé aurait alors pu faire appel à l’assurance-chômage, ce qu’il ne peut plus faire depuis le début de sa retraite.

d. Par ailleurs, dans ces circonstances tout particulières, le recourant ne saurait avoir agi de mauvaise foi en dépensant les traitements reçus entre le 25 mars et le 31 juillet 2014. Il est dans le cours ordinaire des choses que ces montants, proches de CHF 5'000.- bruts par mois, aient été entièrement utilisés par le recourant, notamment pour ses charges courantes, de sorte qu’il y a lieu de retenir qu’à la date du prononcé de la décision attaquée, il n’était pas ou plus enrichi, d’autant moins que ses prestations de retraite étaient bien inférieures à ses derniers salaires. L’intéressé ne pouvait dès lors pas être tenu à restitution, conformément à
l’art. 64 CO.

e. Au surplus, les intimés ne sauraient se prévaloir d’une erreur au sens de l’art. 63 al. 1 CO. En effet, au moment des versements de salaires indus - moment auquel l’erreur doit être déterminée (Pierre TERCIER/Pascal PICHONNAZ,
op. cit., n. 1847), les intimés agissaient en connaissance de cause. Ils n’ont du reste pas prétendu qu’ils avaient payé le traitement par erreur entre le 25 mars et le 31 juillet 2014.

f. Enfin, dans ce contexte, dans lequel n’étaient au demeurant pas en jeu des actes illicites en matière d’argent, l’intérêt public au remboursement des salaires perçus en trop par le recourant n’apparaît à tout le moins pas prépondérant, ce d’autant moins que cette mesure, au contraire d’une suppression provisoire de toute prestation à l’ouverture de l’enquête administrative, ne pouvait pas prévenir les EPI du risque de ne pas pouvoir récupérer les montants versés, à supposer que ceux-ci l'aient été à tort (ATA/506/2014 précité consid. 5). L’obligation de restitution du traitement indu placerait en revanche le recourant dans une situation financière très difficile, puisqu’il devrait rembourser à son employeur un peu plus de quatre mois de salaire, équivalent à un peu plus de dix mois de son revenu de retraité.

g. Dans ces conditions, la décision d’exiger le remboursement des traitements perçus en trop est non seulement contraire aux règles du CO telles qu’applicables en droit public et au principe de la bonne foi, mais elle est aussi disproportionnée.

11) Vu ce qui précède, le recours sera partiellement admis et la décision querellée annulée en tant en tant qu’elle ordonne le remboursement des traitements perçus en trop par l’intéressé, entre la date de l’ouverture de l’enquête administrative et la fin des rapports de service, et confirmée pour le reste.

12) Compte tenu du fait que le recourant obtient gain de cause sur un point important de son recours, aucun émolument ne sera mis à sa charge (art. 87 al. 1 LPA). En outre, une indemnité de procédure - réduite - de CHF 700.- lui sera allouée, à la charge des intimés (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 octobre 2014 par M. A______ contre la décision des Établissement publics pour l’intégration (EPI) du 4 septembre 2014 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision des Établissement publics pour l’intégration (EPI) du 4 septembre 2014 en tant qu’elle ordonne le remboursement des traitements perçus en trop par M. A______, entre le 25 mars et le 31 juillet 2014 ;

la confirme pour le reste ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à M. A______ une indemnité de procédure de CHF 700.-, à la charge des Établissement publics pour l’intégration (EPI) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les

art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt (la présente décision) et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Pierre Wavre, avocat du recourant, ainsi qu'aux Établissement publics pour l’intégration (EPI).

Siégeants : Mme Junod, présidente, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen,
M. Pagan, juges, et Mme Steiner Schmid, juge suppléante.

Au nom de la chambre administrative :

La greffière-juriste :

 

 

M. Vuataz Staquet

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :