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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1624/2018

ATA/641/2018 du 20.06.2018 sur JTAPI/512/2018 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1624/2018-MC ATA/641/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2018

En section

 

dans la cause

 

COMMISSAIRE DE POLICE

contre

Monsieur A______
représenté par Me Dina Bazarbachi, avocate

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 mai 2018 (JTAPI/512/2018)


EN FAIT

1) Par décision du 6 août 2012 de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) a été prononcé le renvoi de Suisse de Monsieur A______, né en 1987, alias B______, alias C______, alias D______, alias E______, prétendument algérien.

Celui-ci était en effet entré en Suisse sans documents de voyage valables, n’avait pas de visa ou de titre de séjour valable, et constituait une menace pour l’ordre public, la sécurité intérieure ou les relations internationales de la Suisse.

2) Cette décision de renvoi n’a pas pu être exécutée à ce jour dans la mesure où l’intéressé n’a pas encore pu être identifié par son hypothétique pays d’origine, en dépit des démarches effectuées en ce sens depuis 2011.

3) M. A______, qui est sans activité, ni domicile fixe, ni attaches en Suisse, a été condamné :

-          par ordonnance pénale du Ministère public du 19 août 2011, à quarante
jours-amende à CHF 30.- le jour, avec sursis et délai d’épreuve de trois ans, pour infraction à l’art. 19 ch. 1 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121), commise la veille, sous forme de possession de neuf comprimés de Dormicum et onze doses d’héroïne (au total 4,1 grammes), conditionnées la veille ;

-          par ordonnance pénale du Ministère public du 6 novembre 2011, à septante jours de peine privative de liberté, avec révocation du sursis susmentionné, pour infraction à l’art. 115 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20), soit contravention aux dispositions sur l’entrée en Suisse et séjour illégal, ainsi que pour violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 ch. 1 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0), pour avoir, dans le cadre de son interpellation de la veille et dans les locaux de la police, gesticulé, tapé dans les portes, menacé et insulté des policiers, les empêchant ainsi d’accomplir leur travail, et avoir craché à cette occasion sur un policier ;

-          par ordonnance pénale du Ministère public du 8 octobre 2012, à vingt-huit jours de peine privative de liberté, pour lésions corporelles simples
(art. 123 ch. 1 et 2 al. 1 CP), au moyen d’un couteau, soit une arme ou un objet dangereux au sens de l’art. 123 ch. 2 al. 1 CP ;

-          par ordonnance pénale du Ministère public du 26 mars 2013 – à la suite d’une opposition contre une ordonnance pénale du 25 avril 2018 –, à trois mois de peine privative de liberté, pour vol d’un portefeuille contenant des valeurs (art. 139 ch. 1 CP), séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEtr) et exercice d’une activité lucrative sans autorisation (art. 115 al. 1 let. c LEtr), ainsi qu’infraction à l’art. 33 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les armes, les accessoires d’armes et les munitions du 20 juin 1997 (LArm - RS 514.54), soit la possession d’un couteau sorti lors de son interpellation sans qu’il soit toutefois possible de déterminer ses intentions ;

-          par jugement du Tribunal de police du 2 mai 2013 statuant sur oppositions de l’intéressé contre les ordonnances pénales des 9 mai, 6 juin et 26 novembre 2012, à huit mois de peine privative de liberté ainsi qu’à une amende de CHF 500.-, pour séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEtr), infraction à
l’art. 19 ch. 1 LStup, consommation de stupéfiants (art. 19a ch. 1 LStup), menaces (art. 180 CP), tentative d’empêchement d’accomplir un acte officiel (art. 286 al. 1 et 2 et 22 al. 1 CP), obtention frauduleuse d’une prestation de peu d’importance (art. 172ter et 150 CP) ; il est précisé que l’ordonnance pénale du Ministère public du 6 juin 2012 le condamnait à quatre mois de peine privative de liberté notamment pour infraction à l’art. 19 ch. 1 LStup, commise entre le 6 mars et le 6 juin 2012, consistant en la vente à une femme de quatre doses d’héroïne et la détention de 11,6 grammes d’héroïne destinés à la vente ;

-          par ordonnance pénale du 14 août 2017, à trente jours de peine privative de liberté, pour entrée illégale en Suisse (art. 115 al. 1 let. a LEtr) et consommation de stupéfiants (art. 19a LStup) ;

-          par ordonnance pénale du 19 janvier 2018, à quarante jours de peine privative de liberté, pour séjour illégal en Suisse (art. 115 al. 1 let. b LEtr), et à une amende de CHF 500.-, pour détention de trois sachets d’héroïne d’un poids total de 11,5 grammes destinés à sa consommation personnelle (art. 19a ch. 1 LStup), lors de son interpellation de la veille à la rue Pépinière ;

-          par ordonnance pénale du 27 avril 2018, à soixante jours de peine privative de liberté, pour séjour illégal en Suisse (art. 115 al. 1 let. b LEtr), et à une amende de CHF 300.-, pour vente, à la rue Pépinière près du Quai 9, d’une dose d’héroïne de 0,8 gramme à un homme pour la somme de CHF 20.- afin d’assurer sa propre consommation (art. 19a ch. 1 LStup) ; lors de son interpellation de la veille, M. A______ était, à teneur du rapport de police, porteur des sommes de CHF 667.85 et de EUR 4.51, d’un téléphone portable et de quatre comprimés de Dormicum, et il avait refusé de répondre aux questions qui lui avaient été posées.

4) Par décision du 27 avril 2018, en application de l'art. 74 LEtr, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, à savoir au centre-ville de Genève – délimité par un plan annexé –, pour une durée de douze mois.

5) Par décision du 3 mai 2018, à 17h25, en application de la même disposition légale, le commissaire de police a annulé sa décision du 27 avril 2018 et a prononcé à l'encontre de M. A______ la même mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée, avec le même plan annexé.

Sous l’angle du principe de la proportionnalité, la durée et l’étendue de la mesure s’inscrivait dans le cadre de la jurisprudence y relative, la durée de douze mois prenant en considération le trafic de stupéfiants de l’intéressé en Suisse et, de façon générale, « son activité délictuelle permanente ».

Cette nouvelle décision était accompagnée d'un courrier précisant que la décision du 27 avril 2018 faisait état de faits qui n'étaient pas imputables à M. A______, connu notamment sous l'alias de Monsieur E______, mais à un homonyme.

La différence entre les décisions des 27 avril et 3 mai 2018 réside dans le fait que la première retenait à l'encontre de M. A______, notamment, le fait d'avoir fait l'objet d'une interdiction de pénétrer dans le centre-ville de Genève d'une durée de six mois en date du 8 juillet 2016, et d'avoir été interpellé le 20 décembre 2016 par la police à l'intérieur du périmètre concerné, en dépit de cette mesure, à la suite d'un vol commis dans un magasin.

6) Par acte du 9 mai 2018, M. A______, par l’intermédiaire de son conseil, a formé opposition contre la décision précitée du 3 mai 2018 devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

7) Lors de l'audience du 29 mai 2018 devant le TAPI, M. A______ a indiqué qu'il s'appelait en réalité D______, né en 1987, comme le précisait une carte de légitimation pour l'abri PC des Vollandes où il passait les nuits. Il s'opposait à la décision d'interdiction car il n'était qu'un consommateur de drogue et était en traitement, depuis deux mois, pour mettre fin à son addiction. Il a produit à ce sujet des cartes de rendez-vous à la consultation des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après HUG), précisant qu'il s'agissait de la Consultation ambulatoire d'addictologie psychiatrique (ci-après : CAAP) Arve, au 3, route des Acacias. Par ailleurs, il avait de nombreux amis dans le quartier de la gare ou des Pâquis, qui l'aidaient en lui donnant par exemple à manger. Il passait habituellement ses journées avec ses amis et en se rendant avec eux notamment à la mosquée. Il s'agissait soit de celle des Eaux-Vives, soit de celle des Acacias, mais il ne pouvait pas s'y rendre actuellement en raison de l'interdiction territoriale prononcée à son encontre.

Le conseil de l’intéressé a conclu à la réduction de la mesure attaquée à une durée de trois mois et à ce qu'elle soit aménagée de sorte à lui permettre de se rendre à la mosquée des Acacias.

Le représentant du commissaire de police a conclu à la confirmation de la décision querellée.

8) Par jugement du même jour, le TAPI a admis partiellement l’opposition, a confirmé la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 3 mai 2018 à l'encontre de M. A______, a réduit sa durée à six mois et a précisé ladite décision en ce sens que l'accès au Centre culturel islamique sunnite située au 18, rue des Acacias, était autorisé au sens des considérants.

La condamnation pénale dont l’intéressé avait fait l'objet le 27 avril 2018 et le fait qu'il n'était titulaire d'aucune autorisation de séjour en Suisse fondaient légalement la décision entreprise, ce qui n'était d'ailleurs pas contesté par le précité.

La première décision prise à son égard le 27 avril 2018, annulée par la suite, déployait exactement les mêmes effets en termes d'étendue territoriale et de durée que celle qui fait l'objet du présent jugement, alors même qu'elle mettait par erreur sur le compte de l’intéressé des faits déterminants pour décider de la gravité de la mesure. En effet, la première décision relevait que M. A______ avait déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement en 2016 et l'avait ensuite enfreinte, ces deux éléments étant imputables à un homonyme. Certes, le passé pénal de l’intéressé était déjà relativement consistant, puisqu'il avait fait l'objet de huit condamnations, mais ce n'était pas là l'élément déterminant sur lequel s'était appuyé le commissaire de police dans sa décision du 27 avril 2018. Constatant que des éléments essentiels dans la fixation de la mesure prononcée le 27 avril 2018 étaient erronés, il aurait donc dû revoir la quotité de la mesure. Ainsi, le principe de la proportionnalité avait été violé.

Cela étant, la durée d'interdiction de trois mois à laquelle concluait M. A______ paraissait trop courte eu égard au fait que sa condamnation du 27 avril 2018 pour participation à du trafic de stupéfiant n'était pas la première du genre et qu'il avait en outre également été condamné pour détention de stupéfiants le 14 août 2017. Une durée de six mois paraissait appropriée.

La mesure litigieuse devait par ailleurs être précisée en ce sens que M. A______ était autorisé à se rendre à la mosquée des Acacias. Comme il n'en avait pas précisé l'adresse, il convenait de partir du point de vue qu'il s'agissait du Centre culturel islamique sunnite située au 18, route des Acacias. Compte tenu de l'importance que l’intéressé puisse continuer à se rendre dans son lieu de culte, une exception à l'interdiction territoriale serait faite pour ce centre. L'attention de M. A______ était cependant attirée sur le fait qu'il devait se contenter d'y accéder par la route des Acacias, et non par le quartier du même nom inclus à l'intérieur du périmètre d'interdiction.

9) Par acte expédié le 8 juin 2018 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), le commissaire de police a formé recours contre ce jugement au motif qu’il consacrait un abus du pouvoir d’appréciation et une violation du principe de la proportionnalité, concluant à son annulation et à la confirmation de sa décision du 3 mai 2018.

Étaient produites les ordonnances de condamnations du Ministère public, le jugement du Tribunal de police ainsi que divers documents émanant de la police, alors que, dans le dossier mis à disposition du TAPI, ne figurait, pour ce qui étaient des condamnations, que l’ordonnance pénale du 27 avril 2018.

Selon le recourant, une durée de six mois d’interdiction de périmètre concernant M. A______ était, au regard de « son activité délictuelle permanente » comme évoqué dans sa décision du 3 mai 2018 et celle du 27 avril précédent, très largement insuffisante et donc inapte à protéger l’ordre et la sécurité publics au centre-ville de Genève.

En outre, l’intéressé n’avait nullement exposé pour quels motifs il devait impérieusement se rendre exclusivement à la mosquée des Acacias, ni n’alléguait et prouvait d’une quelconque façon ne pas pouvoir se rendre à la mosquée sise au Petit-Saconnex.

10) Par courrier du 12 juin 2018, le TAPI a transmis son dossier à la chambre administrative sans formuler d’observations.

11) Dans sa réponse du 15 juin 2018, M. A______ a conclu au rejet du recours et à la confirmation du jugement attaqué.

12) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

13) Pour le reste, les arguments des parties seront, en tant que de besoin, repris dans la partie en droit ci-après.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2) Selon l’art. 10 al. 2 1ère phr. LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 11 juin 2018 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

La chambre administrative est en outre compétente pour apprécier l'opportunité des décisions portées devant elle (art. 10 al. 2 2ème phr. LaLEtr). Elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée (art. 10 al. 3 1ère phr. LaLEtr).

3) a. Aux termes de l'art. 74 al. 1 let. a LEtr, l’autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée si celui-ci n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants. À teneur de l'al. 3, ces mesures peuvent faire l’objet d’un recours auprès d’une autorité judiciaire cantonale ; le recours n’a pas d’effet suspensif.

À teneur de l’art. 74 al. 1 let. b LEtr, la même mesure est possible lorsque l’étranger est frappé d’une décision de renvoi ou d’expulsion entrée en force et des éléments concrets font redouter qu’il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou il n’a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire.

L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEtr, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

b. Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993, les étrangers dépourvus d’autorisation de séjour et d’établissement n’ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S’agissant d’une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l’étranger concerné, le seuil, pour l’ordonner, n’a pas été placé très haut ; il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l’ordre publics. Cette notion ne recouvre pas seulement un comportement délictueux, comme par exemple des menaces envers le directeur du foyer ou d'autres requérants d'asile. Il y a aussi trouble ou menace de la sécurité et de l'ordre publics si des indices concrets font soupçonner que des délits sont commis, par exemple dans le milieu de la drogue, s'il existe des contacts avec des extrémistes ou que, de manière générale, l'étranger enfreint grossièrement les règles tacites de la cohabitation sociale. Dès lors, il est aussi possible de sanctionner un comportement rétif ou asocial, mais sans pour autant s'attacher à des vétilles. Toutefois, la liberté individuelle, notamment la liberté de mouvement, ne peut être restreinte à un point tel que la mesure équivaudrait à une privation de liberté déguisée (FF 1994 I 325).

c. La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants, ainsi qu'à maintenir les requérants d'asile éloignés des scènes de la drogue (arrêts du Tribunal fédéral 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.2 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1).

De jurisprudence constante, constitue une menace pour les tiers et une grave mise en danger de leur vie ou de leur intégrité, la participation à un trafic de stupéfiants comme la cocaïne ou l’héroïne, compte tenu de la dangerosité de ce produit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_293/2012 du 18 avril 2012 consid. 4.2 à 4.5 ; ATA/312/2018 du 5 avril 2018 consid. 4c ; ATA/1282/2017 du 14 septembre 2017 consid. 3c ; ATA/180/2016 du 25 février 2016).

Le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEtr ; en outre, de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3.1, et les arrêts cités). De plus, même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contact répété avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 précité consid. 2.1). Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un recourant qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2011 précité).

4) En l’espèce, il n’est pas contesté, ni contestable, que les conditions posées par l’art. 74 al. 1 let. a et b LEtr pour prononcer une interdiction territoriale sont réalisées. En effet, l’intimé n’est titulaire d’aucune autorisation de séjour en Suisse et il a fait l’objet d’une décision de renvoi en 2012 déjà. Il a en outre été condamné à au moins huit reprises depuis août 2011, en particulier à trois reprises depuis août 2017 notamment pour consommation de stupéfiants, plus précisément d’héroïne, étant précisé qu’il a vendu une dose d’héroïne à un autre consommateur le 26 avril 2018, comportements qui, au vu de la jurisprudence susmentionnée, sont propres à menacer et à troubler la sécurité et l’ordre publics.

5) a. Pour être conforme au principe de la proportionnalité énoncé à l'art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
(Cst. RS 101), une restriction d'un droit fondamental, en l'espèce la liberté de mouvement, doit être apte à atteindre le but visé, ce qui ne peut être obtenu par une mesure moins incisive (nécessité). Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.1).

b. Le périmètre d'interdiction de pénétrer, qui peut même inclure l’ensemble du territoire d’une ville, doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles. Une telle mesure ne peut en outre pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 4 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 4.1 ; 2C_197/2013 précité consid. 4 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3).

Concernant la fixation de la durée de la mesure, le fait que l’art. 74 al. 1 LEtr ne prévoie pas de durée maximale ou minimale laisse une certaine latitude sur ce point à l’autorité compétente, la durée devant être fixée en tenant compte des circonstances de chaque cas d’espèce et en procédant à une balance entre les intérêts en jeu, publics et privés (ATA/312/2018 précité consid. 5b ; ATA/1041/2017 du 30 juin 2017 consid. 9).

6) a. Dans le cas présent, pour ce qui est de l’exception à l’interdiction de périmètre permettant à l’intimé de se rendre au Centre culturel islamique sunnite aux Acacias, il sied de relever que ce centre se situe à la limite du périmètre interdit et que l’autre côté de la route des Acacias se trouve hors de la zone interdite. Partant, cette exception, qui repose au demeurant sur des déclarations plausibles de l’intéressé, ne pose concrètement aucun problème de mise en œuvre, celui-ci devant accéder audit centre seulement par la route des Acacias comme prescrit par le TAPI.

Dans ces conditions, quand bien même l’intimé n’a pas présenté des allégations un tant soit peu précises ni des moyens de preuve à ce sujet, ladite exception ne réduit pas la protection de l’ordre et la sécurité publics visée par la délimitation du périmètre au centre-ville de Genève et ne pose ainsi pas de problème substantiel sous l’angle du principe de la proportionnalité.

Ce grief du commissaire de police sera donc écarté.

b. Par ailleurs, contrairement à ce que semble indiquer le TAPI, le fait que le commissaire de police ait, dans sa première décision d’interdiction de périmètre, prononcée le 27 avril 2018, retenu à tort que l’intéressé avait fait l’objet d'une mesure d'éloignement en 2016 qu’il l'avait ensuite enfreinte, entraîne en tant que tel forcément une réduction de la durée de douze mois dans la seconde décision, rendue le 3 mai 2018.

À cet égard, le premier juge n’a pas disposé, pour trancher, des ordonnances et jugements qui n’ont été produits par le recourant que devant la chambre administrative, ce qui est regrettable.

Cela étant, contrairement à un cas où la chambre administrative a rétabli une interdiction de pénétrer sur l’ensemble du territoire du canton de Genève pour une durée de douze mois et où l’intéressé avait été condamné en particulier pour du trafic et de la consommation d’héroïne (ATA/312/2018 précité), l’intimé n’a pas fait l’objet d’une première interdiction de périmètre qu’il aurait enfreinte, et il a commis, depuis un peu moins d’une année, des infractions – en particulier consommation d’héroïne et vente à une reprise d’une dose pour sa propre consommation comme l’a rappelé l’intimé – nettement moins graves que celles qu’il avait commises en 2011, 2012 et 2013, soit plus de quatre ans auparavant, période durant laquelle il n’a du reste apparemment plus été condamné. Retenir une « activité délictuelle permanente » comme l’a fait le commissaire de police apparaît, dans ces circonstances particulières, à tout le moins excessif.

En outre, contrairement au cas dans lequel le Tribunal fédéral a considéré que l’accès à un encadrement socio-thérapeutique à l’intérieur du périmètre interdit justifiait le rétablissement de la durée de douze mois d’interdiction prévue par le commissaire de police (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015), l’exception autorisée ici, minime, ne justifie pas en tant que telle le rétablissement des douze mois ordonnés initialement par le recourant. Ceci vaut aussi en comparaison avec un autre cas tranché par la chambre de céans, dans lequel les exceptions à l’interdiction de périmètre étaient plus nombreuses et où, au surplus, les infractions commises avaient été plus graves pendant une période récente et relativement courte (ATA/1282/2017 du 14 septembre 2017).

Enfin, la durée d’interdiction de périmètre réduite à six mois par le TAPI n’apparaît pas contraire à la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la chambre administrative telle que rappelée dans l’ATA/233/2018 du 13 mars 2018.

En définitive, une durée de six mois pour l’interdiction de pénétrer au centre-ville de Genève ne saurait en l’état être considérée comme trop courte pour être apte à protéger l’ordre et la sécurité publics dans ce périmètre, mais apparaît conforme au principe de la proportionnalité.

L’attention de l’intimé est toutefois attirée sur le fait qu’en cas de réitération d’infractions ou d’entrée dans le périmètre interdit, il s’exposerait le cas échéant à une mesure d’interdiction de périmètre plus sévère, y compris au plan de sa durée.

7) Vu ce qui précède, le TAPI n’ayant pas mésusé de son pouvoir d’appréciation dans son jugement querellé, le recours sera rejeté.

8) Vu la nature et l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument
(art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03), et une indemnité de procédure ne sera pas allouée à l’intimé, qui n’y a pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 juin 2018 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 29 mai 2018 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Dina Bazarbachi, avocate de l'intimé, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : Mme Junod, présidente, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. Cardinaux

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :