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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/628/2022

ATA/515/2023 du 16.05.2023 sur JTAPI/1279/2022 ( ICC ) , REJETE

Recours TF déposé le 26.06.2023, 9C_419/2023
Descripteurs : DROIT FISCAL;IMPÔT;IMPÔT CANTONAL ET COMMUNAL;PROVISION POUR RISQUES ET CHARGES;PROVISION; RÉSERVE; CORRECTION DE VALEUR(DROIT FISCAL);TRAVAUX D'ENTRETIEN(CONSTRUCTION);DÉDUCTION;PRATIQUE JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIVE;CHANGEMENT DE PRATIQUE;PRINCIPE DE LA BONNE FOI
Normes : Cst.8; Cst.9; Cst.5.al3; LIPM.11; LIPM.12; LIPM.16B
Résumé : Ajout de la provision pour grands travaux d'entretien au bénéfice imposable de la recourante et à son capital propre imposable, à titre de réserve latente, pour la taxation de cette dernière à la suite d'un changement de pratique. Le changement de pratique repose sur des motifs sérieux et objectifs, soit le rétablissement d'une pratique conforme au droit. Respect du principe de la bonne foi. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/628/2022-ICC ATA/515/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 mai 2023

4ème section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représenté par Me David MINDER, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimée

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 novembre 2022 (JTAPI/1279/2022)


EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : A______) est une société anonyme dont le siège a été transféré de Genève, où elle était auparavant inscrite au registre du commerce comme entreprise individuelle sous la raison B______, en Valais le 4 octobre 2019.

b. Le 26 octobre 2020, A______ a transmis à l'administration fiscale cantonale genevoise (ci-après : AFC-GE) sa déclaration fiscale pour l'année 2019.

Dans la section relative aux dettes et provisions, elle a notamment déclaré une « provision pour travaux immeubles » de CHF 400'000.-, laquelle figurait également au passif de son bilan annexé, ceci tant au 31 décembre 2018 qu'au 31 décembre 2019.

c. Le 20 août 2021, l'AFC-GE a demandé à A______ de lui fournir la justification de cette provision, conformément à l'information no 1/2018 du 17 septembre 2018, mise à jour le 18 janvier 2019, relative à l'abrogation de la pratique en matière de provisions pour grands travaux d'entretien.

d. Le 11 octobre 2021, A______ a contesté cette abrogation et a persisté à demander la prise en compte de la provision de CHF 400'000.-.

e. Par bordereau du 4 novembre 2021, l'AFC-GE a fixé l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) dû pour l'année 2019.

Selon l'avis de taxation, la « provision travaux immeubles » de CHF 400'000.- n'était pas conforme à l'information no 1/2018 et constituait une provision non autorisée par l'usage commercial, de sorte qu'elle était réintégrée au bénéfice net imposable à Genève, de même qu'au capital propre imposable dans le canton, au titre de réserves latentes imposées.

f. A______ a élevé réclamation contre ce bordereau, concluant notamment à la déduction de la provision pour grands travaux.

g. Par décision sur réclamation du 27 janvier 2022, l'AFC-GE a rejeté la réclamation portant sur l'ICC 2019.

Les éléments apportés dans la réclamation n'entraient pas dans le cadre de l'information no 1/2018. D'après ses compte 2019 et 2020, la société possédait le financement nécessaire pour faire face à la dissolution de la provision et au supplément d'impôt engendré. Il était cohérent que cette provision soit dissoute à des taux proches de ceux auxquels elle avait été constituée, évitant ainsi une économie d'impôt injustifiée.

B. a. A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à l'annulation de la décision sur réclamation ainsi que du bordereau de taxation ICC 2019 et au renvoi de la cause à l'AFC-GE pour nouvelle décision de taxation avec prise en compte de la provision pour grands travaux sur immeubles.

b. L'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

L'information no 1/2018 exposait les raisons du changement de pratique. L'AFC-GE avait correctement annoncé le changement de pratique et laissé le temps à la contribuable de s'y conformer, notamment par le biais de cas alternatifs, dans lesquels, à certaines conditions et sur un laps de temps défini, un montant pouvait être admis en provision. A______ ne revendiquait pas de remplir l'un de ces cas. Il s'agissait uniquement d'une opposition de principe au changement de pratique.

c. Par réplique du 8 août 2022, A______ a maintenu sa position.

d. Par jugement du 28 novembre 2022, le TAPI a rejeté le recours.

La provision litigieuse concernait des travaux futurs sans lien avec l'exercice 2019, de sorte qu'elle n'était en principe pas admissible sur le plan fiscal.

L'ancienne pratique antérieure au 17 septembre 2018, l'AFC-GE admettait des provisions de cette nature, ce qui n'était manifestement pas conforme au droit, de sorte que le changement de pratique reposait sur des motifs sérieux et objectifs en rétablissant une situation conforme au droit. L'information no 1/2018 était conforme aux conditions de changement de pratique administrative, en particulier s'agissant du temps laissé aux contribuables pour s'y conformer. A______ avait disposé de deux exercices pour procéder aux dissolutions de la provision forfaitaire de CHF 400'000.- et n'expliquait pas pourquoi un échelonnement de la dissolution sur deux exercices serait insuffisant. Un changement de pratique non fondé sur un changement de la loi devait s'appliquer immédiatement à tous les cas pendants. Elle se contentait de critiquer de manière très générale la teneur de la directive contestée, laquelle offrait au surplus la possibilité de maintenir la provision au terme de l'exercice 2019, à condition que les travaux soient réalisés avant la fin 2023, accorant ainsi un délai de plus de cinq ans pour son utilisation. Elle n'avait à aucun moment fait valoir que la provision litigieuse concernerait des travaux concrets à réaliser avant fin 2023. Elle avait constitué une réserve pour des travaux tout à fait hypothétiques. La directive exposait de manière claire et suffisante les raisons pour lesquelles les provisions pour charges futures n'étaient plus admissibles fiscalement. L'AFC-GE avait effectué un examen approfondi de la problématique. Il était loisible à A______ de s'adresser à l'AFC-GE dès la publication de la directive pour obtenir plus de renseignements sur cette question.

Rien n'indiquait que l'AFC-GE s'était comportée de manière déloyale ou avait donné des assurances ou promesse concrètes à A______. Il n'y avait pas de violation du principe de la bonne foi.

C. a. Par acte du 23 décembre 2022, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre ce jugement, concluant à son annulation, à l'annulation de la décision sur réclamation et du bordereau de taxation ICC 2019 et au renvoi du dossier à l'AFC-GE pour nouvelle décision avec prise en compte de la provision pour grands travaux sur immeubles.

L'ancienne pratique, très ancienne puisque déjà publiée en 1979, permettait de déduire du bénéfice, de manière forfaitaire et sans justification particulière, un montant d'au maximum 10 % des loyers encaissés au cours de la période fiscale, mais jusqu'au maximum deux fois la somme des loyers encaissés au cours de la dernière année. Si la provision n'était pas utilisée, elle était dissoute et reconstituée, exercice par exercice, dès la dixième année. L'ancienne pratique ne se conciliait pas de manière manifeste avec les cas de figure expressément visés par la loi fiscale pour justifier des provisions. Néanmoins, en publiant son information no 12 du 24 octobre 1996, l'AFC-GE avait considéré que sa pratique était conforme à la législation fiscale en vigueur, position maintenue encore pendant plus de 20 ans. Aucune instance n'avait été amenée à constater ou prononcer l'illégalité de cette pratique, qui relevait depuis lors de la coutume et devait être respectée.

Le changement de pratique abrupte de l'AFC-GE avait eu pour effet de provoquer soit l'utilisation des provisions pour grands travaux d'entretien constituées sous l'ancienne pratique, soit leur dissolution sur le plan comptable au plus tard le 31 décembre 2019, soit immédiatement après la publication de la nouvelle version de l'information no 1/2018. Cette modification de pratique avait engendré une réelle imprévisibilité du droit applicable, préjudiciable financièrement aux contribuables, en violation de la légalité et de la bonne foi. La réalisation des conditions du changement de pratique n'était pas démontrée. Il n'y avait pas d'autre urgence à abroger la pratique bien établie que de taxer la dissolution de ces provisions au taux effectif de l'année 2019 de 24,17 % plutôt qu'au taux réduit de 13,99 % applicable dès 2020, ce qui constituait un motif économique ne pouvant être qualifié de sérieux et objectif et démontrait la violation du principe de la bonne foi. L'AFC-GE n'avait jamais motivé de manière circonstanciée que la pratique était tellement illégale que son maintien à titre transitoire pendant deux ou plusieurs périodes fiscales était intolérable pour l'État de droit. L'ayant droit économique de A______ avait saisi le Conseil d'État d'une requête de reconsidération de la problématique, ce dernier ayant refusé de surseoir à l'application de la nouvelle pratique. L'argument selon lequel A______ n'avait pas interpelé l'AFC-GE était contesté.

Il aurait dû y avoir un avertissement et l'octroi d'un délai raisonnable pour la dissolution des provisions sur le plan comptable ou tout au moins fiscal. Une annonce préalable à la fin 2018, avec maintien des provisions en 2019 et dissolution à compter de l'année 2020, aurait été conforme au principe de la bonne foi. Les conditions légales d'admission des provisions n'avaient pas changé et laisser entendre qu'elles étaient plus strictes pour justifier le changement de pratique était contraire à la bonne foi. Les cas alternatifs à la dissolution immédiate des réserves requéraient la réalisation de conditions si restrictives qu'elles ne pouvaient être remplies par une grande majorité des contribuables.

b. L'AFC-GE a conclu au rejet du recours et s'est référée à sa réponse devant le TAPI ainsi qu'au jugement attaqué, aucun argument nouveau susceptible d'influer sur le sort du litige n'étant avancé et aucune pièce déterminante n'étant produite.

c. A______ a répliqué en persistant dans ses conclusions.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 7 al. 2 loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit, pour le calcul de l'ICC dû par la recourante, de l'ajout de la provision pour grands travaux de CHF 400'000.- comptabilisée au passif de son bilan à son bénéfice imposable, et, par voie de conséquence, également à son capital propre imposable, à titre de réserve latente.

3.             La recourante conteste la conformité au droit du changement de pratique et affirme qu'il serait contraire au principe de la bonne foi.

3.1 La notion de pratique administrative désigne la répétition constante et régulière dans l'application d'une norme par les autorités administratives. De cette répétition peuvent apparaître, comme en ce qui concerne la jurisprudence, des règles sur la manière d'interpréter la loi ou de faire usage d'une liberté d'appréciation. Elle vise notamment à résoudre de manière uniforme des questions de fait, d'opportunité ou d'efficacité. Cette pratique ne peut être source de droit et ne lie donc pas le juge, mais peut néanmoins avoir indirectement un effet juridique par le biais du principe de l'égalité de traitement (ATA/557/2022 du 24 mai 2022 consid. 11a ; ATA/304/2021 du 9 mars 2021 consid. 6a).

3.2 Pour être compatible avec les art. 8 et 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), un changement de pratique administrative doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs, c'est-à-dire rétablir une pratique conforme au droit, mieux tenir compte des divers intérêts en présence ou d'une connaissance plus approfondie des intentions du législateur, d'un changement de circonstances extérieures, de l'évolution des conceptions juridiques ou des mœurs. Les motifs doivent être d'autant plus sérieux que la pratique suivie jusqu'ici est ancienne. À défaut, elle doit être maintenue (ATF 142 V 112 consid. 4.4 ; 135 I 79 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_44/2021 du 8 août 2021 consid. 6.1).

Lorsqu’il n’est pas accompagné d’un changement législatif, un changement de pratique justifié vaut en général immédiatement et pour toutes les procédures pendantes (arrêt du Tribunal administratif fédéral A-385/2022 du 15 juin 2022 consid. 9.1.2 ; ATA/577/2017 du 23 mai 2017 consid. 4a et les références citées). Lorsque la nouvelle pratique est défavorable à l'assujetti, le droit à la protection de la bonne foi doit être pris en considération et peut s'opposer à l'application immédiate de la nouvelle pratique. Selon les cas, elle ne peut être appliquée qu'après avoir été préalablement annoncée ; il en va ainsi notamment en matière de droits des parties dans la procédure (ATF 135 II 78 consid. 3.2). Ainsi, lorsque la nouvelle pratique est moins favorable que l'ancienne pour l'administré, lorsque le changement n'était pas prévisible et qu'il n'y a pas d'intérêt public prépondérant à une application immédiate de la nouvelle pratique, l'autorité est obligée d'assortir le changement de mesures permettant d'adoucir, pour les administrés, les effets négatifs du changement qui ne seraient pas absolument nécessaires. Une telle obligation découle des exigences posées par les principes de la bonne foi (dans sa composante d'interdiction des comportements contradictoires), de la proportionnalité et de la sécurité du droit (Aurélie GAVILLET, La pratique administrative dans l'ordre juridique suisse, 2018, n. 708).

3.3 Valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi, exprimé aux art. 9 et 5 al. 3 Cst., exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale. En particulier, l'administration doit s'abstenir de toute attitude propre à tromper l'administré et elle ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; 129 I 161 consid. 4 ; 129 II 361 consid. 7.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_18/2015 du 22 mai 2015 consid. 3). Il protège le citoyen dans la confiance légitime qu'il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1). La protection de la bonne foi ne s'applique pas si l'intéressé connaissait l'inexactitude de l'indication ou aurait pu la connaître en consultant simplement les dispositions légales pertinentes (ATF 135 III 489 consid. 4.4 ; 134 I 199 consid. 1.3.1).

En matière de changement de pratique, le Tribunal fédéral a ainsi jugé que la modification d'une jurisprudence relative aux conditions de recevabilité d'un recours ne doit pas intervenir sans avertissement, si elle provoque la péremption d'un droit (ATF 140 IV 74 consid. 4.2).

4.             4.1 L'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net (art. 11 loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 - LIPM - D 3 15). Les amortissements et les provisions qui ne sont pas justifiés par l'usage commercial sont considérés comme bénéfice net imposable (art. 12 al. 1 let. e LIPM). L'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net, tel qu'il découle du compte de pertes et profits établi selon les règles du droit commercial (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5ème éd., 2021, p. 260).

Constitue le bénéfice net imposable celui qui résulte du compte de pertes et profits (art. 12 let. a LIPM) augmenté de certains prélèvements énoncés aux art. 12 let. b à i LIPM. L'art. 12 LIPM, même rédigé différemment, est de même portée que l'art. 58 al. 1 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11 ; ATA/143/2022 du 8 février 2022 consid. 4a ; ATA/945/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4a ; ATA/380/2018 du 24 avril 2018 et les arrêts cités).

Des provisions peuvent être constituées à la charge du compte de résultats pour les engagements de l’exercice dont le montant est encore indéterminé (let. a), les risques de pertes sur des actifs circulants, notamment sur les marchandises et les débiteurs (let. b), les autres risques de pertes imminentes durant l’exercice (let. c ; art. 16B al. 1 LIPM). Les provisions qui ne se justifient plus sont ajoutées au bénéfice imposable (art. 16B al. 2 LIPM). L’art. 16B LIPM est le pendant de l’art. 63 al. 1 let. a à c et al. 2 LIFD, qu’il reprend mot pour mot.

4.2 L'admissibilité d'une provision au plan fiscal suppose qu'elle soit justifiée par l'usage commercial, qu'elle ait été dûment comptabilisée et qu’elle porte sur des faits dont l'origine se déroule durant la période de calcul (arrêts du Tribunal fédéral 2C_712/2020 du 4 mars 2021 consid. 5.1 ; 2C_1059/2019 du 1er décembre 2020 consid. 4.1.1 ; 2C_455/2017 du 17 septembre 2018 consid. 6.3 ; 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1 ; ATA/829/2021 du 10 août 2021 consid. 5).

Est justifiée par l'usage commercial toute provision portée au passif du bilan qui exprime le fait que le résultat de l'exercice ne peut pas être tenu pour définitif ; cette correction prévient le risque que le résultat ne soit pas conforme à la réalité et qu'une perte, qui existait déjà au moment du bouclement des comptes, apparaisse ultérieurement. Encore faut-il que ce risque de perte soit réel, concret et imminent (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1).

Dans la mesure où une provision ne peut avoir pour objet que des pertes imminentes (art. 63 al. 1 let. c LIFD), les provisions pour des charges futures ainsi que pour risques ou investissements futurs ne sont pas admissibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_478/2011 du 10 novembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_581/2010 précité consid. 3.1).

Le droit fiscal ne permet pas la constitution par le biais de provisions de réserves latentes, pourtant tolérées en droit commercial (ATF 103 Ib 366 ; Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi sur l'impôt fédéral direct, 2ème éd., 2017, n. 15 ad art. 63 LIFD). En particulier, les provisions constituées en vue d'une utilisation future, notamment pour faire face à des dépenses que l'entreprise devra supporter en raison de son activité à venir, constituent des réserves ; en tant que telles, elles font partie du revenu imposable et ne sauraient être déduites de ce dernier avant que la société n'ait à supporter les charges en cause, conformément au principe de périodicité du droit fiscal (arrêts du Tribunal fédéral 2C_712/2020 du 4 mars 2021 consid. 5.1 ; 2C_581/2010 précité consid. 3.1 et les arrêts cités). Le droit fiscal n'admet ainsi pas la diminution artificielle du bénéfice par le biais de provisions injustifiées (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1101/2014 du 23 novembre 2015 consid. 3).

Les provisions constituées en prévision de risques potentiels ne sont pas conformes à l'usage commercial. Pour être acceptées, les provisions doivent prévenir des pertes imminentes ou parer à des risques menaçants découlant d'engagements ou de charges encourues et non pas couvrir des risques aléatoires (Division Études et supports/administration fédérale des contributions, juin 2020, L'imposition des personnes morales, in Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts CSI, ch. 5.1.1.3, p. 31).

Deux conditions doivent ainsi être réunies pour que les provisions soient admises : les faits qui sont la cause du risque de perte doivent trouver leur origine au cours de l'exercice clos pendant la période de calcul (en d'autres termes, les événements qui sont la cause d'une dépense effective ou vraisemblable dont le montant est indéterminé à la date de clôture du bilan, doivent s'être produits durant l'exercice commercial en cours : arrêts du Tribunal fédéral 2A.90/2001 du 25 janvier 2002 consid. 3.2 = RDAF 2002 II 315 ; 2C_945/2011 du 12 octobre 2012 consid. 2.2) et le risque de perte doit être certain ou quasi certain, mais non nécessairement définitif. Par ailleurs, l'appréciation du risque doit être faite en tenant compte de tous les faits connus à la date du bouclement des comptes, et non de faits ultérieurs qui viendraient confirmer ou infirmer le montant de la provision (arrêts du Tribunal fédéral 2C_581/2010 précité consid. 3.1 ; 2C_392/2009 du 23 août 2009 consid. 2.1 et les références citées ; ATA/223/2020 du 25 février 2020 consid. 4c). Avec une provision, on met à charge du compte de résultat de l'exercice commercial en cours un engagement qui deviendra une dépense commerciale, qui existe ou du moins est vraisemblable à la clôture du bilan mais dont le montant exact ne sera connu que lors du ou des prochains exercices commerciaux. Les faits qui sont à l'origine de la perte effective ou vraisemblable doivent avoir lieu durant l'exercice commercial en cours (RDAF 2011 II 70, p. 75).

La question de savoir si une provision est justifiée par l'usage commercial doit être examinée sur la base de tous les éléments en présence et à la lumière de la situation prévalant au moment où le bilan est établi (arrêts du Tribunal fédéral 2C_712/2020 précité consid. 5.1 ; 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1).

Lorsque des provisions, qui ont été passées en charge du compte de résultat, ne sont pas admissibles, l'autorité fiscale est en droit de procéder à la dissolution de la provision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 précité consid. 3.1). La dissolution d'une provision est susceptible d'intervenir dès qu'elle n'est plus justifiée commercialement, engendrant une correction en défaveur du contribuable (Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], Impôt fédéral direct, Commentaire de la LIFD, 2008, n. 41 et 67 ad art. 58).

S'agissant des déductions autorisées par la loi, leur caractère d'exception à l'impôt doit entraîner une interprétation restrictive de leur nature et de leur étendue (ATA/143/2022 précité consid. 5 ; ATA/858/2018 du 21 août 2018 et les références citées).

L’impôt sur le capital a pour objet le capital propre (art. 27 LIPM). Le capital propre imposable des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives comprend le capital-actions et le capital-participation ou le capital social libéré, les réserves issues d’apports de capital au sens de l’art. 22 al. 3 à 7 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), portées au bilan commercial, les réserves ouvertes et les réserves latentes constituées au moyen de bénéfices imposés (art. 28 LIPM).

5.             5.1 L'information no 1/2018 abroge la pratique de l'AFC-GE en matière de provisions pour grands travaux d'entretien, figurant dans l'information no 12/96 du 24 octobre 1996 et dans l'instruction no 125 du 6 février 1979, et expose les modalités pratiques de cette abrogation (ch. 1 information no 1/2018, disponible sur Information fiscale 1/2018 - Abrogation de la pratique en matière de provisions pour grands travaux d'entretien | ge.ch, consulté le 18 avril 2023).

Sur le plan fiscal, l'admission d'une provision est, de manière générale, subordonnée au respect des trois conditions suivantes : la provision est dûment comptabilisée ; le risque de perte ou de charge qu'elle est censée couvrir peut être qualifié de certain ou quasi-certain ; ce risque a pris naissance dans l'exercice commercial au cours duquel la provision a été constituée. S'agissant en particulier de la seconde condition, le critère de l'existence d'un risque certain ou quasi-certain de perte ou de charge implique que la comptabilisation de la provision soit exigée et non pas simplement permise par le droit commercial en application du principe de prudence. À l'exception des provisions pour futurs mandats de recherche et de développement confiés à des tiers, les provisions pour charges futures ne sont pas admises sur le plan fiscal dans la mesure où elles ne remplissent pas cumulativement les conditions susmentionnées (ch. 2 information no 1/2018).

Afin de se conformer à ces règles, l'AFC-GE a décidé d'abroger sa pratique en matière de provisions forfaitaires pour grands travaux d'entretien. De nouvelles dotations sur la base de cette ancienne pratique ne sont plus admises fiscalement. L'intégralité des provisions existantes qui ont été constituées forfaitairement sur la base de l'ancienne pratique doit être utilisée, ou dissoute sur le plan comptable, au plus tard à la fin de la période fiscale 2019 (ch. 3 § 1 et 2 information 1/2018).

Demeurent réservés les cas alternatifs suivants : (i) les provisions comptabilisées en raison de l'existence d'un contrat ferme signé avant le 31 décembre 2019 pour la réalisation de travaux faisant l'objet, le cas échéant, d'une autorisation de construire délivrée avant cette date peuvent être maintenues car elles sont identifiables économiquement à la date de clôture du bilan. Elles doivent ensuite être utilisées en 2020, voire en 2021 si les travaux déjà entrepris en 2020 ne sont pas entièrement réalisés à la fin 2020. Le cas échéant, une copie de ces documents doit être jointe à la déclaration d'impôts de la période fiscale 2019 ; (ii) sur demande du contribuable uniquement, la provision existante au 31 décembre 2019 peut également être maintenue à condition que le contribuable s'engage formellement à réaliser et terminer les travaux d'ici la fin de la période fiscale 2023, que la demande du contribuable soit faite par écrit et jointe à la déclaration d'impôts de la période fiscale 2019, en exposant brièvement la nature des travaux envisagés, et que la provision soit dissoute sur le plan comptable à due concurrence et au fur et à mesure des travaux réalisés. La taxation de la période fiscale 2019 (et possiblement des périodes fiscales suivantes) sera suspendue jusqu'à la dissolution totale de la provision, mais au plus tard jusqu'à la taxation de la période fiscale 2023. Si, au bouclement des comptes de la période fiscale 2023, les travaux annoncés à l'autorité de taxation n'ont pas été entièrement terminés, l'éventuel solde de la provision 2023 sera dissout sur le plan fiscal sur la période fiscale 2019 (ch. 3 § 3 information no 1/2018).

En cas de non-respect de ce qui précède, les provisions pour grands travaux d'entretien figurant au bilan 2019 seront réintégrées dans le bénéfice ou le revenu imposable, respectivement le capital ou la fortune imposable, dès la période fiscale 2019 (ch. 3 § 4 information no 1/2018).

5.2 En l'espèce, la recourante affirme que l'ancienne pratique était conforme à la loi fiscale, remettant ainsi en cause l'existence de motifs sérieux et objectifs du changement de pratique. Selon elle, l'ancienne pratique était très ancienne, avait été maintenue pendant plus de vingt ans après l'information no 12 du 24 octobre 1996 et aucune instance judiciaire n'avait constaté ou prononcé son illégalité.

Néanmoins, la recourante elle-même reconnaît que l'ancienne pratique ne se conciliait pas de manière manifeste avec les cas de figure expressément visés par la loi fiscale pour justifier des provisions. Elle a ainsi admis sa non-conformité à la loi, en l'occurrence la LIPM, ce que l'autorité intimée a correctement exposé au ch. 2 de l'information no 1/2018, ayant ainsi motivé de manière claire son changement de pratique, contrairement au reproche formulé par la recourante, et ce qui correspond à la jurisprudence exposée ci-dessus en relation avec la déduction fiscale des provisions.

En effet, selon les mots utilisés par la recourante elle-même, la provision pour grands travaux d'entretien était fixée « forfaitairement et sans justification particulière », ceci à un maximum de 10 % des loyers encaissés au cours de la période fiscale. Une telle provision constitue une provision pour charge future, non admissible, conformément à la jurisprudence en matière d'admissibilité fiscale des provisions.

Le changement de pratique litigieux a donc pour objet le rétablissement d'une pratique conforme au droit et, partant, repose sur des motifs sérieux et objectifs, ceci même au regard de l'ancienneté de la pratique en cause.

La recourante affirme néanmoins que ce changement de pratique aurait porté atteinte à la sécurité du droit et été opéré de manière contraire à bonne foi, car il n'y aurait pas eu d'urgence à l'appliquer déjà en 2019, année pour laquelle le taux de taxation était de 24,17 % plutôt qu'uniquement en 2020, où le taux de taxation avait baissé à 13,99 %. La recourante soutient ainsi que le changement de pratique de l'autorité intimée aurait été motivé par des motifs économiques, non susceptibles de le justifier.

Toutefois, comme il vient d'être examiné, le changement de pratique repose non pas sur des motifs économiques mais sur le rétablissement d'une pratique conforme au droit. Par son argumentation, la recourante remet en réalité en cause le cadre temporel de l'application du changement de pratique, invoquant elle-même des motifs économiques pour une application une année fiscale plus tard, en 2020.

Or, un changement de pratique vaut en général immédiatement et pour toutes les procédures pendantes, sous réserve du droit à la protection de la bonne foi, principe que l'autorité intimée a correctement pris en compte. En effet, l'autorité intimée a annoncé le changement de pratique en septembre 2018. Elle ne l'a par ailleurs pas appliqué immédiatement pour l'année fiscale 2018, mais seulement pour l'année fiscale suivant son annonce, l'année 2019. Elle a finalement prévu qu'à certaines conditions, prévues au ch. 3 de l'information no 1/2018, la provision pourrait être maintenue pendant une période transitoire mais au maximum jusqu'en 2023.

L'autorité intimée a dès lors annoncé le changement de pratique et l'a assorti de mesures permettant d'en adoucir, pour les contribuables, les effets négatifs. Elle a ce faisant respecté les principes de la bonne foi, de la proportionnalité et de la sécurité du droit. Les griefs de violation de ces principes seront écartés.

Au vu de ce qui précède, le changement de pratique est conforme au droit. L'autorité intimée était par conséquent fondée à ajouter, pour la fixation de l'ICC 2019 dû par la recourante, la provision de CHF 400'000.- au bénéfice imposable et, à titre de réserve latente, au capital propre imposable et l'instance précédente était fondée à confirmer le bordereau de taxation ICC 2019 ainsi que la décision sur réclamation.

Dans ces circonstances, le recours contre le jugement du TAPI, mal fondé, sera rejeté.

6.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 décembre 2022 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 novembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me David MINDER, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'à l'administration fédérale des contributions, pour information.

Siégeant : Mme KRAUSKOPF, présidente, M. VERNIORY, Mme MICHON RIEBEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :