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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4270/2016

ATA/380/2018 du 24.04.2018 sur JTAPI/913/2017 ( ICCIFD ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4270/2016-ICCIFD ATA/380/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 avril 2018

4ème section

 

dans la cause

 

A______
représentée par Monsieur Stéphane Tanner, mandataire

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 septembre 2017 (JTAPI/913/2017)


EN FAIT

1) A______ (ci-après : A______) a été inscrite au registre du commerce genevois le 3 juillet 2014 et a pour but « acquisition, gestion et administration de toutes participations, notamment au niveau international, dans toutes les sociétés industrielles, commerciales et financières ».

2) Le 21 juillet 2016, elle a remis sa déclaration fiscale 2015, qui portait sur la période du 3 juillet 2014 au 31 décembre 2015, faisant état d’une perte de l’exercice commercial de CHF 25'646.-.

Dans l’annexe D, intitulée « stock de marchandises et débiteurs 2015 », une créance de CHF 428'400.- était déclarée (sous la rubrique « personnes proches - filiales ») ainsi que la provision y relative s’élevant à CHF 428'399.-.

Il ressortait des comptes annuels et de leur annexe que la créance de CHF 428'400.- concernait un prêt de CHF 25'200'000.- porteur d’intérêts, à un taux fixe de 1,2 % par an depuis le 1er août 2014, lesquels seraient exigibles et payés après le remboursement du prêt. Les intérêts provenant de ce prêt avaient ainsi été comptabilisés et une provision liée à leur réalisation différée avait été constituée à hauteur des intérêts moins CHF 1.-, soit CHF 428'399.-.

3) Par bordereaux du 29 septembre 2016 en impôts cantonaux et communaux (ICC) et en impôt fédéral direct (IFD), l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a considéré que la provision de CHF 428'399.- n’était pas autorisée par l’usage commercial, dans la mesure où les intérêts sur les prêts devaient être comptabilisés chaque année. Une réserve latente correspondante était ainsi retenue.

4) A______ a élevé réclamation, concluant à l’admission de la provision de CHF 428'399.-.

Dans le cadre d’un projet immobilier d’envergure sis sur la commune de Troinex, elle avait accordé deux prêts à la société B______ de, respectivement, CHF 7'200'000.- sans intérêt, et CHF 25'200'000.- avec intérêts à taux fixe de 1,2 % l’an, lesdits intérêts étant exigibles au plus tôt au moment de son remboursement, soit une fois le projet réalisé et vendu.

Les intérêts avaient été comptabilisés pour un total de CHF 428'400.- pour l’exercice fiscal et, en raison de l’incertitude économique liée au projet immobilier ainsi que des clauses du contrat de prêt, une provision de CHF 428'399.- avait été constituée. Bien qu’elle détienne une participation minoritaire de 40 % dans la société B______, elle ne pouvait pas exiger le paiement desdits intérêts avant le terme de l’opération. L’incertitude liée à la profitabilité du projet immobilier justifiait la constitution de cette provision.

B______ avait par ailleurs comptabilisé les intérêts dus à l’actif de son bilan et non pas en charges d’exploitation dans le compte de profits et pertes, de sorte que les intérêts faisaient partie intégrale du prix de revient de l’opération immobilière. Cela démontrait la cohérence de comptabilisation de ces intérêts entre le débiteur et le créancier.

En outre, la mention faite par l’AFC-GE dans l’avis de taxation, selon laquelle les intérêts sur prêt étaient dus annuellement, n’avait pas force de loi. Finalement, les provisions, qui seraient constituées chaque année sur la même base, seraient dissoutes et imposées lors de l’exercice qui verrait le prêt et les intérêts versés selon les clauses du contrat.

Une copie du contrat de prêt de CHF 25'200'000.- du 28 juillet 2014 était annexée au courrier. Conformément à son art. 2.3, les intérêts étaient exigibles, au plus tôt, au moment du remboursement du prêt. À teneur de son art. 3, le remboursement du prêt : « Le prêteur reconnaît que les fonds mis à disposition de l’emprunteur sont destinés à financer le projet et que ces fonds ne seront exigibles qu’une fois le projet réalisé et vendu (al. 1). Les parties conviennent dès lors de fixer l’échéance du remboursement du montant prêté à soixante jours suivant la date à laquelle l’emprunteur aura récupéré les fonds propres investis (après bénéfices et/ou pertes) (al. 2). En tout état de cause, l’échéance du présent prêt sera subordonnée au remboursement préalable de toute dette hypothécaire de l’emprunteur » (al. 3). L’art. 4 prévoit finalement que « en garantie du remboursement du présent prêt, C______ a octroyé au prêteur un droit de gage (nantissement) sur les actions qu’elle détient dans l’emprunteur ».

5) Par décision du 14 novembre 2016, l’AFC-GE a maintenu la taxation litigieuse.

Le fait que les intérêts soient comptabilisés dans le bilan de B______, en lieu et place du compte de profits et pertes, n’entrait pas en compte dans la justification de la provision, puisque seul était déterminant le fait de savoir si le risque de perte était certain ou quasi-certain, ce qui n’était pas le cas au vu des sommes prêtées et de leur destination. Le produit d’intérêt de CHF 428'400.- était exigible dès 2015, dans la mesure où il avait été comptabilisé dans le compte de profits et pertes, faisant augmenter le prêt au débit et les produits au crédit. La réserve latente constituée pouvait être « restituée » fiscalement en étant portée en déduction du bénéfice imposable.

6) A______ a recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le TAPI), concluant à ce que la provision sur les intérêts de CHF 428'399.- soit acceptée, à ce que qu’il soit dit qu’il n’y avait pas de réserve latente imposable à titre de capital en lien avec cette provision et à ce que les bordereaux 2015 soient rectifiés dans ce sens.

Le fait que le produit d’intérêts de CHF 428'400.- ait été comptabilisé dans le compte de profits et pertes démontrait que les règles comptables avaient été respectées. Le secteur immobilier subissait un recul depuis 2015 et le pouvoir d’achat des potentiels acquéreurs était réduit. Dans ce contexte, le prêt litigieux consenti impliquait un risque économique indéniable. Pour tenir compte de ce risque, qui se composait de l’exigibilité et de la subordination du remboursement du prêt ainsi que du paiement des intérêts, elle avait comptabilisé une provision correspondant aux intérêts, laquelle serait dissoute dès le paiement par B______.

Les conditions pour admettre fiscalement une provision étaient remplies. Les intérêts exigibles dépendaient du résultat final de l’opération immobilière, ce qui représentait un risque certain au vu de la conjoncture du secteur. Le risque était né dans la période fiscale au cours de laquelle la provision avait été constituée et celle-ci apparaissait clairement au bilan sous la rubrique « créance à long terme résultat d’intérêts non réalisés » pour une valeur de CHF 1.-.

Par ailleurs, les clauses contractuelles ne permettaient pas un paiement des intérêts et un remboursement du prêt avant la construction et la vente du projet immobilier, la réalisation d’un gain ainsi que le remboursement préalable de toute dette hypothécaire de l’emprunteur.

7) L’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La contribuable n’avait fourni aucun élément permettant l’admission de la provision de CHF 428'399.- et n’avait pas démontré, ni même allégué, l’existence d’un risque concret générateur d’une possible perte qui serait survenu au cours de l’année 2015. L’argumentation mentionnant notamment un revirement de situation dans le secteur immobilier et une réduction du pouvoir d’achat d’un certain nombre d’acheteurs immobiliers potentiels restait vague et aucun fait relatif à la situation financière du débiteur ou au défaut précis du projet immobilier survenu courant 2015 n’était allégué, ni démontré. Le risque ne pouvait pas être apprécié en tenant compte de faits ultérieurs qui viendraient confirmer ou infirmer le montant de la provision.

8) Dans sa réplique, A______ a relevé que le projet immobilier était risqué compte tenu de sa durée (six ans) et de son ampleur (trois cent cinquante logements). Les autorisations de construire n’avaient par ailleurs pas encore été déposées et la commercialisation n’avait pas débuté.

Les clauses du contrat de prêt démontraient l’existence d’un risque concret ayant pris naissance pendant l’exercice 2015 (allant du 3 juillet 2014 au 31 décembre 2015), à savoir l’exigibilité des intérêts au plus tôt au moment du remboursement du prêt une fois le projet réalisé et vendu, et non pas chaque année. B______ était par ailleurs déficitaire en 2015 et le serait également lors des prochains exercices, de sorte que sa situation financière justifiait un risque imminent de non-paiement. La provision avait été comptabilisée de manière cohérente tant dans ses comptes que dans ceux de B______. L’impôt devait être prélevé sur la capacité contributive du contribuable. Or, elle n’encaissait aucun revenu et n’avait pas les liquidités suffisantes pour s’acquitter de l’impôt si la provision était refusée. Elle devrait s’endetter pour pallier le paiement d’un impôt sur des revenus non réalisés.

9) Dans sa duplique, l’AFC-GE a relevé que A______ ne fournissait toujours pas d’explication relative aux faits survenus en 2015 qui pourraient justifier un risque imminent de non-paiement. Le fait que B______ n’ait pas réalisé de bénéfice lors de cet exercice était insuffisant à cet égard.

10) Par jugement du 4 septembre 2017, le TAPI a rejeté le recours. La provision ne pouvait être constituée que pour l’avenir, si le risque de perte, apparu pendant la période fiscale, était imminent et quasi-certain. Ces éléments n’avaient pas été démontrés. Par ailleurs, le prêt était garanti par un nantissement de C______. Enfin, les risques liés à la conjoncture immobilière étaient postérieurs à l’année fiscale litigieuse.

11) Par acte expédié le 4 octobre 2017 à la chambre administrative de la Cour de justice, A______ a recouru contre ce jugement, dont elle a demandé l’annulation. Elle a conclu à ce qu’il soit dit que les intérêts comptabilisés n’étaient ni exigibles ni réalisés et qu’ils n’étaient sont pas imposables. Si ceux-ci devaient être considérés comme imposables, la provision devrait, à titre subsidiaire, être admise. À titre plus subsidiaire, elle a conclu à ce que le calcul de la charge fiscale soit effectué compte tenu de la provision pour impôt (« imposition au taux effectif »).

Les intérêts de CHF 428'399.- n’étant pas exigibles, ils ne pouvaient être taxés. Le fait qu’ils figurent aux états financiers de la société n’y changeait rien. Compte tenu du caractère incertain de cette créance, il était justifié de la faire apparaître comme provision. Si la recourante avait été soumise au contrôle d’un réviseur, celui-ci aurait exigé, dès lors que les intérêts étaient comptabilisés, qu’une provision correspondante soit constituée, afin de respecter le principe d’imparité prévu à l’art. 960e CO.

12) Le TAPI n’a pas formulé d’observations.

13) L’AFC-GE a conclu au rejet du recours, relevant que le chef de conclusions visant à ce que la charge fiscale découlant de l’application des règles correctrices du droit fiscal soit calculée en tenant compte de la provision pour impôt était nouveau. Il était vrai qu’il convenait de tenir compte d’un ajustement de la provision pour impôt, mais seulement pour autant que la contribuable démontre que la provision pour impôts était insuffisante compte tenu de la reprise sur provision querellée. Cette question n’ayant pas été examinée par le TAPI, l’AFC-GE s’en rapportait à justice sur ce point.

14) Dans sa réplique, A______ a insisté sur le fait qu’elle ne serait remboursée de son prêt et rémunérée de celui-ci qu’à l’aboutissement du projet immobilier auquel il se rapportait. La renonciation conditionnelle à ses droits pécuniaires démontrait à elle seule le risque de ne récupérer ni la rémunération ni l’intégralité de l’investissement. Le droit de gage n’offrait que la perspective de limiter les pertes, étant relevé que l’emprunteuse était tenue de rembourser prioritairement d’autres créanciers que A______. La valeur des actions dans l’emprunteuse était donc faible. Par ailleurs, l’absence de provision pour le prêt n’emportait pas le fait que la provision pour les intérêts y relatifs ne soit pas justifiée. Enfin, l’ajustement de la provision pour impôt était intrinsèquement lié à une reprise fiscale.

15) Par courrier du 7 décembre 2017, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 145 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Est litigieuse la question de savoir si les intérêts sur le prêt accordé par la recourante peuvent être traités fiscalement comme une provision.

a. Selon le droit fédéral, l’impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net, tel qu’il découle du compte de pertes et profits établi selon les règles du droit commercial (art. 57, 58, al. 1 LIFD; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème éd., 2012, p. 224).

Tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l’usage commercial sont ajoutés au bénéfice imposable (art. 58 al. 1 let. b LIFD), telle par exemple une provision non justifiée.

L'art. 58 al. 1 let. a LIFD énonce le principe de l'autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance), selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal. Les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices spécifiques. L'autorité fiscale peut donc s'écarter du bilan remis par le contribuable lorsque des dispositions impératives du droit commercial sont violées ou que des normes fiscales correctrices l'exigent (ATF 137 II 353 consid. 6.2; arrêt 2C_662/2014 du 25 avril 2015 consid. 6.1, in RDAF 2015 II 267). Selon ce principe, le contribuable est lié à la situation patrimoniale de la période fiscale (cf. principe de périodicité de l'impôt; ATF 137 II 353 consid. 6.4), telle qu'elle ressort des livres de compte régulièrement établis (arrêt du Tribunal fédéral 2C_490/2016 du 25 août 2017 consid. 5.1).

Selon la lettre-circulaire de l’administration fiscale fédérale sur le taux d’intérêts sur les avances ou les prêts en francs suisses (consultable sur https://www.estv.admin.ch/estv/fr/home/verrechnungssteuer/verrechnungssteuer/fachinformationen/zinssaetze.html), des intérêts doivent être comptabilisés fiscalement sur les prêts accordés par une société à ses porteurs de parts ou des tiers qui leur sont proches.

b. Les cantons doivent imposer l’ensemble du bénéfice net dans lequel doivent notamment être inclus les charges non justifiées par l'usage commercial, portées au débit du compte de résultats ainsi que les produits et les bénéfices en capital, de liquidation et de réévaluation qui n’ont pas été portés au crédit du compte de résultats (art. 24 al.1 let. a et b de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14).

Dans le canton de Genève, en matière d’ICC, le 30 mars 2016 est entrée en vigueur la nouvelle teneur de l’art. 12 de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15), adoptée le 29 janvier 2016 par le Grand Conseil. La LIPM ne comprend aucune disposition transitoire prévoyant notamment l’application de la nouvelle teneur de son art. 12 aux causes pendantes au moment de son entrée en vigueur. Il sera ainsi fait application des dispositions légales idoines dans leurs teneurs antérieures aux taxations en cause
(ci-après : aLIPM ; ATA/1151/2017 du 2 août 2017 consid. 8c).

Selon l'art. 12 let. a aLIPM, constitue le bénéfice net imposable celui qui résulte du compte de pertes et profits augmenté de certains prélèvement énoncés aux art. 12 let. b à i aLIPM, ainsi que des produits qui n’ont pas été comptabilisés dans le compte de résultat, y compris les bénéfices en capital, les bénéfices de réévaluation ou de liquidation, ainsi que les montants des réserves et provisions transférées à l’étranger qui avaient été constituées en franchises d’impôt (art. 12 let. j aLIPM). L’art. 12 aLIPM, même rédigé différemment, est de même portée que l’art. 58 al. 1 LIFD (ATA/869/2015 du 25 août 2015 ; ATA/337/2013 du 28 mai 2013 et les arrêts cités).

c. Ainsi, tant pour l’IFD que pour l’ICC, les provisions non justifiées doivent être ajoutées au bénéfice net.

Selon l’art. 63 al. 1 LIFD, des provisions peuvent être constituées à la charge du compte de résultats pour les risques de pertes sur des actifs circulants (let. b) et les risques de pertes imminentes durant l’exercice (let. c). En ICC, les provisions justifiés par l’usage commercial sont également admises en déduction du bénéfice (art. 13 let. e aLIPM).

Pour être admise, la provision doit être justifiée par l’usage commercial et, conformément au principe de périodicité, porter sur des faits dont l’origine se déroule durant la période de calcul (ATF 137 II 353 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_392/2009 du 23 août 2010 consid. 2.1 ; ATA/532/2013 du 27 août 2013 consid. 3c et 3d). Est justifiée par l’usage commercial toute provision portée au passif du bilan qui exprime le fait que le résultat de l’exercice ne peut pas être tenu pour définitif ; cette correction prévient le risque que le résultat ne soit pas conforme à la réalité et qu’une perte apparaisse ultérieurement, qui existait déjà au moment du bouclement des comptes. Encore faut-il que ce risque de perte soit réel, concret et imminent (arrêts du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1 ; 2C_392/2009 précité consid. 2.3, in RDAF 2011 II 70).

Dans la mesure où une provision ne peut avoir pour objet que des pertes imminentes (art. 63 al. 1 let. c LIFD), les provisions pour des charges futures ainsi que pour risques ou investissements futurs ne sont pas admissibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_478/2011 du 10 novembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_581/2010 du 28 mars 2010 consid. 3.1). Pour être acceptées, les provisions doivent prévenir des pertes imminentes ou parer à des risques menaçants découlant d’engagements ou de charges encourues et non pas couvrir des risques aléatoires (Division Études et supports/AFC, juin 2012, « L’imposition des personnes morales », in Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts CSI, ch. 411.3, p. 56).

Le droit fiscal ne permet pas la constitution de réserves latentes par le biais de provisions, pourtant tolérées en droit commercial (ATF 103 Ib 366 ; Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi sur l’impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, n. 15 ad. art. 63 LIFD). En particulier, les provisions constituées en vue d'une utilisation future, notamment pour faire face à des dépenses que l'entreprise devra supporter en raison de son activité à venir constituent des réserves ; en tant que telles, elles font partie du revenu imposable et ne sauraient être déduites de ce dernier avant que la société n'ait à supporter les charges en cause, conformément au principe de périodicité du droit fiscal (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1 et les arrêts cités). Le droit fiscal n'admet ainsi pas la diminution artificielle du bénéfice par le biais de provisions injustifiées (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1101/2014 du 23 novembre 2015 consid. 3).

Les risques de pertes sur créances se mesurent au degré de solvabilité des débiteurs dont la situation devrait être analysée et appréciée en fonction de retards éventuels dans les paiements, de poursuites en cours ou de l'évolution de ses affaires (Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], op. cit., n. 30 ad art. 63 LIFD).

La question de savoir si une provision est justifiée par l’usage commercial doit être examinée sur la base de tous les éléments en présence et à la lumière de la situation prévalant au moment où le bilan est établi (arrêts du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3 ; 2C_392/2009 du 23 août 2010 consid. 2.1 et les références citées).

3) Il appartient à l’autorité fiscale de démontrer l’existence d’éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation fiscale. S’agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d’en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l’échec de cette preuve (ATF 133 II 153 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_89/2014 du 26 novembre 2014 consid. 7.2 ). Ces règles s’appliquent également à la procédure devant les autorités de recours (arrêt du Tribunal fédéral 2C_47/2009 du 26 mai 2009 consid. 5.4 ; ATA/1309/2015 du 8 décembre 2015).

4) En l’espèce, la recourante a fait apparaître le montant de CHF 428'400.- dans son compte de profits et pertes, dans la rubrique « produits d’exploitation ». Elle a relevé dans l’annexe audit compte que les intérêts de 1,2 % couraient depuis le 1er août 2014, mais n’étaient exigibles qu’après remboursement du prêt y relatif ; une provision pour « intérêts créanciers non réalisés » de CHF 428'399.- était ainsi comptabilisée. Dans sa déclaration fiscale, la recourante a indiqué la créance d’intérêts de CHF 428'400.- sous la rubrique « filiales » et a prévu une provision au titre de « débiteurs douteux » de CHF 428'399.-.

Ce choix comptable est opposable à la recourante. Comme exposé ci-dessus, cette dernière est, en effet, liée à la situation patrimoniale de la période fiscale qu’elle a présentée. Elle ne peut ainsi être suivie lorsqu’elle fait valoir, dans la procédure de recours devant la chambre de céans, que, bien que figurant dans sa comptabilité, les intérêts ne devraient pas être pris en compte dans la procédure fiscale, dès lors qu’il ne s’agissait pas d’un revenu réalisé, les intérêts n’étant pas exigibles. En effet, ceux-ci ayant été pris en considération dans les états financiers de la recourante, il convient d’examiner si leur qualification comptable de provision peut, du point de vue du droit fiscal, être partagée.

Selon la recourante, le caractère incertain de sa créance serait, notamment, lié au fait qu’aucune autorisation de construire n’aurait encore été donnée pour le projet immobilier prévu, que ce dernier ne serait réalisé qu’à une date éloignée (en 2022, voire 2025) et qu’il était largement financé par des fonds étrangers, nécessitant une marge bénéficiaire importante avant que le prêt puisse être remboursé. Par ailleurs, les actions de la société emprunteuse données en nantissement présentaient une faible garantie, puisqu’elles étaient tributaires du succès de l’opération immobilière envisagée.

Ces éléments rendent, certes, aléatoire le risque financier lié à l’investissement de la recourante dans le projet immobilier. Cependant, ils ne permettent pas de retenir que le risque de perte qu’il comporte, notamment celui du non-recouvrement des intérêts créanciers liés au prêt, serait concret, imminent et réel. En effet, les éléments précités sont d’ordre général. Aucun élément concret, survenu en 2014 ou 2015, ne démontre que le projet immobilier envisagé ne pourrait - sous sa forme initiale ou sous une autre forme - pas être réalisé, que la société emprunteuse rencontrerait des difficultés financières ou que d’autres circonstances mettraient en péril la capacité de celle-ci de rembourser, une fois le projet achevé, les montants contractuellement dus, en particulier les intérêts litigieux.

Le risque de perte réel, concret et imminent de la créance d’intérêts n’ayant pas été démontré, c’est à juste titre que l’autorité intimée et avec elle par la suite le TAPI ont retenu que les intérêts comptabilisés ne pouvaient être fiscalement traités comme une provision.

Le recours est donc, sur ce point, mal fondé.

5) Dans son dernier grief, d’ordre subsidiaire, la recourante demande que si les intérêts litigieux devaient être imposés, l’imposition tienne compte de la charge fiscale y relative.

a. Aux termes des art. 59 al. 1 let. a LIFD et 13 al. 1 let. a aLIPM, les charges justifiées par l'usage commercial comprennent également les impôts fédéraux, cantonaux et communaux. Lors d'une reprise de bénéfice effectuée dans le cadre d'une correction de bilan, l'autorité fiscale doit donc également corriger d'office les montants de provision pour impôts des années en cause, cette correction devant au demeurant intervenir indépendamment de la volonté du contribuable et du fait qu'il ait ou non pu reconnaître l'erreur figurant dans son bilan commercial (arrêts du Tribunal fédéral 2C_490/2016 du 25 août 2017 consid. 5.1 ; 2C_662/2014 du 25 avril 2015 consid. 6.5, in RDAF 2015 II 267).

b. En l’espèce, la question d’un éventuel ajustement de la provision pour impôts liée à la reprise du bénéfice n’a pas été soulevée ni examinée en première instance. Dès lors cependant que cette question doit être examinée d’office, il ne peut être opposé à la recourante de ne pas en avoir fait état devant les premiers juges. Partant, le recours sera admis sur ce point. La cause sera renvoyée à l’intimée afin qu’elle détermine si la provision pour impôts était insuffisante compte tenu de la reprise sur provision litigieuse et qu’elle rende une nouvelle décision après examen de cette question.

6) La recourante succombant sur ses conclusions principales et n’obtenant gain de cause que dans ses conclusions subsidiaires, un émolument réduit de CHF 1’000.- sera mis à sa charge (art. 87 al. 1 LPA). Pour les même motifs, une indemnité de procédure réduite de CHF 500.- lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 octobre 2017 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 septembre 2017 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule le jugement précité, les bordereaux de taxation du 29 septembre 2016 et les décisions sur réclamation du 14 novembre 2016 ;

renvoie la cause à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 1’000.- ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur Stéphane Tanner, mandataire de A______, à l’administration fiscale cantonale, à l’administration fiscale fédérale, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Junod, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :