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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1089/2018

ATA/223/2020 du 25.02.2020 sur JTAPI/139/2019 ( ICC ) , ADMIS

Descripteurs : IMPÔT;CALCUL DE L'IMPÔT;ACTIVITÉ LUCRATIVE INDÉPENDANTE;REVENU;DÉDUCTION DU REVENU(DROIT FISCAL);CHARGES COMMERCIALES(DROIT FISCAL);PROVISION POUR RISQUES ET CHARGES;IMPOSITION DANS LE TEMPS;CESSATION DE L'EXPLOITATION
Normes : LIPP.17; LIPP.19; LIPP.30
Résumé : Déduction sur provision pour débiteurs douteux inscrite dans les comptes d’une entreprise individuelle en 2015, année durant laquelle celle-ci a cessé ses activités, non admise, en l’absence d’un risque à la charge de l’entreprise empêchant sa liquidation. Admission du recours de l’AFC-GE.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1089/2018-ICC ATA/223/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 février 2020

4ème section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

Madame A______
représentée par DRP Fiduciaire SA, mandataire

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 février 2019 (JTAPI/139/2019)


EN FAIT

1) Madame A______, domiciliée dans le canton de Vaud, est propriétaire d'un bien immobilier dans le canton de Genève, où elle exerçait également une activité lucrative indépendante sous la raison de commerce « B______ » (ci-après : l'entreprise), une entreprise individuelle inscrite au registre du commerce de Genève (ci-après : RC) en novembre 2003 et radiée le 3 avril 2017.

2) Le 26 juillet 2014, Mme A______ a remis l'entreprise à
Madame C______au prix de CHF 70'000.-, montant auquel s'ajoutaient CHF 30'000.- pour la reprise du stock de marchandises.

3) Le 14 décembre 2016, Mme A______ a transmis à l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) sa déclaration fiscale vaudoise pour l'année 2015, indiquant avoir vendu l'entreprise en janvier 2015.

Dans l'état des titres, elle a mentionné, pour les titres et rendements non soumis à l'impôt anticipé, deux créances à l'encontre de
Mme C______constituées le 30 janvier 2015, l'une sur « gérance », l'autre sur « vente de stock », d'une valeur imposable de CHF 1.- chacune.

Elle a également produit les comptes de l'entreprise pour l'année 2015, selon lesquels, au compte de résultat, figuraient, au titre de charges exceptionnelles, deux provisions de CHF 30'000.- chacune, l'une sur « cession de stock », l'autre sur « gérance libre ».

4) Par bordereau du 1er juin 2017, transmis une nouvelle fois à Mme A______ le 27 septembre 2017, l'AFC-GE a fixé la taxation de celle-ci, pour l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) 2015, à CHF 18'137.30, sur la base d'un revenu imposable de CHF 101'980.- et d'une fortune imposable de CHF 174'013.-.

Selon l'avis de taxation annexé, les provisions sur « cession de stock » et « gérance libre » n'étaient pas admises, compte tenu de la cessation de l'activité lucrative indépendante.

5) a. Le 26 octobre 2017, Mme A______ a élevé réclamation à l'encontre de ce bordereau, concluant à son annulation.

Les provisions concernant les pertes sur les créances devaient être portées en déduction, dès lors que la solvabilité de sa débitrice, domiciliée en France, était douteuse. Elle s'était rendu compte de cette situation à la fin du troisième trimestre de l'année 2016, lorsqu'elle avait procédé à l'établissement des comptes commerciaux de son activité pour l'année 2015. Sur la base des éléments en sa possession, elle avait ainsi estimé que la solvabilité de Mme C______n'était pas garantie, de sorte que la valeur réelle des créances était nulle. Elle les avait néanmoins conservées au bilan, les provisionnant dans leur intégralité. Cette analyse s'était révélée fondée, puisque les démarches effectuées en vue du recouvrement de ces créances étaient restées vaines. Le refus de ces provisions conduirait à augmenter artificiellement son revenu imposable, en violation du principe de l'imposition selon la capacité contributive.

b. Elle a produit :

- le courrier d'un avocat, daté du 17 octobre 2017, qu'elle avait mandaté aux fins du recouvrement des montants dus par Mme C______, selon lequel le remboursement de ceux-ci était peu probable dans un délai raisonnable au regard du domicile en France de la débitrice et de son insolvabilité ;

- une reconnaissance de dette manuscrite signée par Mme C______le 3 novembre 2016, selon laquelle elle reconnaissait lui devoir CHF 28'301.20 en paiement du stock et CHF 30'000.- au titre des loyers de gérance pour les mois de janvier à décembre 2014. Elle s'engageait à lui rembourser la somme minimale de CHF 850.- par mois à compter du 1er janvier 2017, la dette devant être remboursée au plus tard le 30 décembre 2021.

6) Par décision du 1er mars 2018, l'AFC-GE a rejeté la réclamation de Mme A______ et maintenu sa taxation pour l'année 2015.

Les provisions concernant la cession du stock et la gérance libre, d'un montant total de CHF 60'000.-, ne pouvaient être admises en déduction, la cessation de l'activité indépendante ayant de facto entraîné la réalisation de toutes les réserves latentes.

7) Par acte du 29 mars 2018, complété le 19 avril 2018, Mme A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation.

Les provisions concernant les pertes sur la créance à l'encontre de Mme C______devaient être acceptées fiscalement, au regard de l'insolvabilité de sa débitrice. Ces provisions s'étaient révélées fondées, puisque les démarches entreprises pour récupérer les montants dus étaient restées vaines. En refusant de les admettre, l'AFC-GE n'avait pas tenu compte de sa capacité contributive, ce d'autant qu'elle avait dû cesser, pour des raisons de santé, son activité économique en mai 2014, percevant depuis 2015 une rente de l'assurance-invalidité.

8) Le 4 juin 2018, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Dès le mois de janvier 2015, Mme A______ avait cessé son activité lucrative indépendante, de sorte que les provisions litigieuses ne se justifiaient plus et devaient être réintégrées au bénéfice de l'entreprise. Ces provisions n'étaient, en tout état de cause, pas justifiées, puisque Mme A______ n'avait pas prouvé le degré de solvabilité de sa débitrice ni n'avait produit de document probant s'agissant des procédures en recouvrement entreprises.

9) a. Le 14 septembre 2018, Mme A______ a répliqué, persistant dans les conclusions et termes de son recours.

Elle avait démontré le degré d'insolvabilité de sa débitrice en produisant une attestation de son avocat, et avait fait preuve de toute la diligence requise pour recouvrer sa créance. La situation financière de Mme C______était d'ailleurs très mauvaise, puisqu'elle avait mis en faillite plusieurs sociétés, ce qui confirmait son insolvabilité.

En cas de cessation d'activité, les éléments financiers de la société devaient être évalués aux valeurs de liquidation afin de faire apparaître, entre autres, les réserves latentes pour qu'elles puissent être imposées. Dans son cas, le fait générateur s'était produit durant l'exercice 2015 et, au vu de l'insolvabilité de Mme C______, les créances ne seraient probablement jamais remboursées.

b. Elle a produit :

- un extrait du registre internet des faillites belge, selon lequel Mme C______avait fait, en 2012, l'objet d'une liquidation judiciaire en Belgique pour la société « D______ » ;

- un extrait internet du registre des entreprises françaises, indiquant le redressement judiciaire de la société « E______ » au nom de
Mme C______en 2017.

10) Le 18 octobre 2018, l'AFC-GE a dupliqué, persistant dans les conclusions et termes de ses précédentes écritures.

En cas de cession d'une entreprise individuelle, les provisions étaient réintégrées dans le résultat du dernier exercice d'exploitation. Il en découlait qu'aucune nouvelle provision ne pouvait être inscrite dans le bilan de clôture établi avant la cession de l'entreprise. Si la provision devait néanmoins être admise, elle ne pouvait être comptabilisée durant l'exercice 2015, puisque rien n'indiquait que la procédure de recouvrement et le caractère insolvable de Mme C______s'étaient produits durant l'exercice, son évaluation ayant été faite en fin d'année 2016. Or, le principe de périodicité commandait que les faits se soient déroulés sur la période de calcul. Il en découlait que même si l'inscription des provisions devait être admise, ces montants ne pouvaient en toute hypothèse être provisionnés dans les comptes 2015. Il ne ressortait pas non plus du dossier que l'acquéreur présentait des risques en 2015 déjà.

11) Par jugement du 11 février 2019, le TAPI a admis le recours de Mme A______ et renvoyé le dossier à l'AFC-GE pour nouvelle décision de taxation ICC 2015 dans le sens des considérants.

Même si Mme A______ n'avait plus fourni des prestations dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise, elle n'avait réellement cessé son activité indépendante que lorsqu'elle avait pu en achever la liquidation, c'est-à-dire procéder au recouvrement des créances. L'AFC-GE ne pouvait ainsi pas se prévaloir de la fin de l'activité indépendante pour refuser de comptabiliser les provisions litigieuses.

Pour la période fiscale 2015, Mme A______ avait démontré de manière suffisante le risque important de recouvrer les soldes dus par sa débitrice, survenu durant l'exercice en cause au cours duquel les créances étaient nées. Les provisions comptabilisées étaient dès lors justifiées tant dans leur principe que dans leur quotité, la question de savoir s'il y avait lieu de considérer ou non l'existence d'une perte définitive pouvant rester indécise.

12) a. Par acte du 20 mars 2019, l'AFC-GE a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation.

Mme A______ s'était dessaisie de manière définitive de son commerce et avait clôturé le bilan de son entreprise au 31 décembre 2015. Dès cette date, l'activité lucrative indépendante de l'intéressée avait cessé. Les provisions litigieuses étant une conséquence ultérieure de la vente de l'entreprise elle-même, elles ne constituaient pas une créance résultant de la marche courante ou de la liquidation de l'entreprise, contrairement à ce qu'avait admis le TAPI, mais un risque personnel de la vendeuse. L'entreprise avait été radiée du RC en 2017, sans qu'il ait été procédé à la dissolution des provisions à ce moment-là non plus, pas plus qu'en 2016.

En toute hypothèse, les conditions pour admettre de telles provisions n'étaient pas réalisées, en l'absence de pièces probantes produites par Mme A______, laquelle n'avait pas démontré qu'en 2015, le risque de perte était certain ou quasi-certain, en application du principe de l'étanchéité des exercices, ni que le degré de solvabilité de Mme C______était tel qu'il ne lui permettait alors pas de régler les échéances dues. Les provisions comptabilisées en 2015 s'apparentaient ainsi à des provisions pour charges futures dans l'hypothèse où le recouvrement s'avérerait infructueux par la suite, et n'étaient pas admises fiscalement.

b. Elle a notamment versé au dossier la déclaration fiscale vaudoise de Mme A______ pour l'année 2016, laquelle indiquait, dans l'état des titres, pour les titres et rendements non soumis à l'impôt anticipé, les deux créances à l'encontre de Mme C______, d'une valeur imposable de CHF 1.- chacune.

13) Le 28 mars 2019, le TAPI a transmis son dossier, sans formuler d'observations.

14) Le 5 juin 2019, Mme A______ a conclu au rejet du recours, reprenant ses précédents arguments.

15) Le 25 juin 2019, le juge délégué a accordé aux parties un délai au 19 juillet 2019 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

16) Le 15 juillet 2019, l'AFC-GE a persisté dans les conclusions de son recours, indiquant n'avoir pas d'observations complémentaires à formuler.

17) Mme A______ ne s'est pas déterminée à l'issue du délai imparti.

18) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2) Le litige porte sur la déduction, admise par le TAPI, des provisions, d'un montant total de CHF 60'000.-, constituées par l'intimée en lien avec l'exercice de son activité indépendante pour l'ICC 2015. Cette question étant réglée de manière similaire par les législations fiscales cantonale et fédérale, le présent cas peut être tranché suivant les mêmes principes et la jurisprudence rendue en application de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) est également valable en matière d'ICC.

3) Les revenus provenant d'une activité lucrative indépendante sont soumis à l'impôt sur le revenu (art. 19 de la loi genevoise du 27 septembre 2009 sur l'imposition des personnes physiques - LIPP - D 3 08, entrée en vigueur le 1er janvier 2010 et applicable au cas d'espèce ; art. 72 al. 1 LIPP).

Constitue une activité lucrative indépendante celle qui est entreprise par une personne à ses propres risques, avec la mise en oeuvre de travail et de capital, dans une organisation librement choisie dans le but d'obtenir un gain en participant à la vie économique (ATF 125 II 113 consid. 5b).

L'impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus, prestations et avantages du contribuable, qu'ils soient uniques ou périodiques, en espèces ou en nature et quelle qu'en soit l'origine, avant déductions (art. 17 LIPP).

4) a. Le revenu imposable est le revenu net, lequel se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais visés aux art. 29 à 37 de la loi (art. 28 LIPP).

Les déductions liées à l'exercice d'une activité lucrative indépendante sont prévues à l'art. 30 LIPP, selon lequel sont déduits du revenu les frais qui sont justifiés par l'usage commercial ou professionnel, notamment les provisions constituées à la charge du compte de résultat pour les risques de pertes sur des actifs, en particulier sur les marchandises et les débiteurs (let. e ch. 2) ainsi que les autres risques de pertes imminentes durant l'exercice, les provisions qui ne se justifient plus étant ajoutées au revenu commercial imposable (let. e ch. 3).

b. L'institution de la provision est notamment utilisée pour réduire le bénéfice de l'exercice en cours si le montant d'une dépense ou d'une perte réelle ou au moins probable n'est pas encore connu, mais ne sera pas réalisé avant une période ultérieure (ATF 141 II 83 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_455/2017 du 17 septembre 2018 consid. 6.2).

c. L'admissibilité d'une provision au plan fiscal suppose qu'elle soit justifiée par l'usage commercial et qu'elle ait été dûment comptabilisée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_455/2017 précité consid. 6.3).

Est justifiée par l'usage commercial toute provision portée au passif du bilan qui exprime le fait que le résultat de l'exercice ne peut pas être tenu pour définitif ; cette correction prévient le risque que le résultat ne soit pas conforme à la réalité et qu'une perte apparaisse ultérieurement, qui existait déjà au moment du bouclement des comptes. Encore faut-il que ce risque de perte soit réel, concret et imminent (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1).

Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, pour que les provisions soient admises, les faits qui sont la cause du risque de perte doivent s'être produits au cours de l'exercice clos pendant la période de calcul et le risque de perte doit être certain ou quasi certain, mais non nécessairement définitif, ce qui exclut les provisions pour des charges futures ainsi que pour risques ou investissements futurs (ATA/1636/2019 du 5 novembre 2019 consid. 4d et les références citées).

Par ailleurs, l'appréciation du risque doit être faite en tenant compte de tous les faits connus à la date du bouclement des comptes et non de faits ultérieurs qui viendraient confirmer ou infirmer le montant de la provision (ATA/1139/2017 du 2 août 2017 consid. 7c et les références citées). La provision pour débiteurs douteux n'est en outre admise que si le recourant expose avoir entrepris des opérations de recouvrement infructueuses (arrêt du Tribunal fédéral 2P.12/2006 du 6 juin 2006 ; ATA/1139/2017 précité consid. 7d).

d. Les déductions admises par la loi doivent faire l'objet d'une interprétation restrictive de leur nature et de leur étendue vu leur caractère d'exception (ATA/1196/2018 du 6 novembre 2018 consid. 2b et les références citées).

5) a. À l'instar du revenu imposable, qui se détermine d'après les revenus acquis durant la période de calcul, les déductions prévues par l'art. 30 LIPP sont soumises au principe de périodicité et ne sont admises que lorsqu'elles trouvent leur cause dans des événements ayant lieu durant la période de calcul (ATF 137 II 353 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_687/2018 du 15 février 2019 consid. 4.4). En d'autres termes, si, pendant la période de calcul, on peut admettre que le contribuable exerce toujours une activité indépendante, il peut, dans le respect du principe de périodicité, opérer les déductions prévues à l'art. 30 LIPP (arrêt du Tribunal fédéral 2C_376/2011 du 27 avril 2012 consid. 5.2).

La cessation d'une activité lucrative indépendante n'intervient pas déjà au moment auquel le contribuable cesse de fournir les prestations caractéristiques d'une telle exploitation axées sur la production d'un revenu, mais se produit au moment de la dernière opération de liquidation de cette activité, de sorte que les frais liés à cette liquidation sont a priori déductibles, pour autant qu'ils demeurent justifiés par l'usage commercial ou professionnel (arrêt du Tribunal fédéral 2C_376/2011 précité consid. 6.3.5).

b. Selon le principe de l'autorité du bilan commercial, les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices particulières (ATF 137 II 353 consid. 6.2) L'autorité du bilan commercial tombe en revanche lorsque des normes impératives du droit commercial sont violées ou que des normes fiscales correctrices l'exigent (ATF 141 II 83 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/2019 du 23 septembre 2019 consid. 5.2).

6) La maxime inquisitoire est applicable à la détermination de la dette fiscale. L'administration fiscale supporte le fardeau de la preuve de l'existence d'éléments imposables et, selon un principe généralement admis en matière fiscale, il incombe à celui qui prétend à l'existence d'un fait de nature à éteindre ou à diminuer sa dette fiscale d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve. Le montant et la justification commerciale des provisions étant de nature à diminuer la dette fiscale, c'est au contribuable d'en apporter la preuve (ATA/1139/2017 précité consid. 9 et les références citées).

7) a. En l'espèce, le TAPI a considéré que l'intimée n'avait pas réellement cessé son activité en 2015, puisqu'elle n'avait pas été en mesure d'en achever la liquidation en raison des créances envers Mme C______, dont le recouvrement était en cours, ce qui justifiait la comptabilisation des provisions litigieuses.

Un tel raisonnement ne peut toutefois être suivi. Bien que l'entreprise n'ait été radiée du RC qu'en date du 3 avril 2017, il n'en demeure pas moins que l'intimée a informé l'autorité recourante, lors du dépôt de sa déclaration fiscale vaudoise pour l'année 2015, de la cessation de son activité indépendante au mois de janvier 2015, après la vente de son commerce à Mme C______intervenue en juillet 2014. L'intimée a ainsi cessé de fournir les prestations caractéristiques de son entreprise, dont la liquidation s'est achevée durant l'année fiscale 2015 ; aucun élément du dossier ne permet d'admettre que tel n'aurait pas été le cas. En particulier, l'intimée n'a fourni aucun bilan commercial comptabilisant des montants supplémentaires au titre de la liquidation de son entreprise pour les années 2016 ou 2017, ce qui aurait pourtant dû être fait si elle considérait que son entreprise n'avait pas été liquidée en 2015.

Le fait que Mme C______ne se soit pas acquittée d'un montant total de CHF 60'000.- en lien avec la vente de l'entreprise ne saurait conduire à un autre résultat, rien n'indiquant qu'il s'agirait d'un risque à la charge de l'entreprise empêchant sa liquidation. Au contraire, comme l'a, à juste titre, relevé l'autorité recourante, il s'agit d'un risque personnel de l'intimée, laquelle a déclaré ces montants en tant que créances personnelles dans ses déclarations fiscales 2015 et 2016.

L'intimée ne pouvait ainsi provisionner les créances à l'encontre de Mme C______dans les comptes de l'entreprise, alors que l'activité de celle-ci avait cessé en 2015. Pour ce motif déjà, le jugement entrepris devra être annulé.

b. En toute hypothèse, les provisions litigieuses, qui figurent dans les comptes de l'entreprise pour l'exercice 2015, n'apparaissent pas justifiées par l'usage commercial à défaut d'éléments probants permettant de démontrer qu'à cette date, le risque de perte était certain ou quasi-certain, ni qu'il était réel, concret et imminent. En effet, le courrier de l'avocat de l'intimée du 17 octobre 2017, outre le fait qu'il n'explique pas quelles démarches concrètes ont été entreprises à l'encontre de Mme C______, n'indique pas que lors de l'exercice en cause, le remboursement des montants dus par cette dernière était compromis. Les extraits du registre belge des faillites et du registre français des sociétés ne permettent pas d'aboutir à une autre conclusion, dès lors qu'ils ont trait à des événements respectivement antérieurs et postérieurs à 2015. Quant à la reconnaissance de dette signée par Mme C______le 3 novembre 2016, elle n'est pas non plus déterminante du point de vue de la survenance du risque, étant précisé que l'intéressée s'y est engagée à rembourser à l'intimée un montant d'au moins CHF 850.- par mois à compter du 1er janvier 2017.

Outre le fait qu'ils ne permettent pas d'établir l'existence d'un risque pour l'exercice 2015, ces documents ne sont pas non plus en mesure d'attester une absence de totale de remboursement de Mme C______, laquelle s'est engagée à rembourser l'intégralité de la dette au plus tard le 30 décembre 2021, ni l'insolvabilité de celle-ci durant l'année en cause, étant précisé qu'une reconnaissance de dette, bien qu'elle serve à attester l'existence d'une créance, ne permet pas de certifier l'impossibilité de son recouvrement (ATA/1376/2015 du 21 décembre 2015 consid. 8).

L'intimée n'a pas non plus démontré avoir entrepris des opérations de recouvrement infructueuses, le courrier de son avocat n'étant à cet égard pas suffisant, au vu de son caractère lacunaire, comme précédemment mentionné.

Rien ne permet ainsi de conclure à l'existence d'un risque de perte qui se serait matérialisé durant l'exercice 2015, conformément au principe de l'étanchéité des exercices. En comptabilisant les provisions litigieuses, l'intimée a ainsi effectué des provisions pour des charges futures, non admises fiscalement, ce que le TAPI aurait dû constater.

c. En outre, l'intimée ne peut rien tirer de l'art. 127 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), qui garantit le respect du principe de la capacité économique, dès lors que ce principe ne saurait s'interpréter comme autorisant un contribuable à déterminer son revenu imposable à sa guise (ATF 137 II 353 consid. 6.4.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_687/2018 précité consid. 4.3).

d. Il s'ensuit que le recours sera admis et les bordereaux de taxation du 1er juin 2017 et de réclamation du 1er mars 2018 seront rétablis.

8) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de l'intimée, qui a pris des conclusions et succombe (art. 87 al. 1 LPA). Malgré cette issue, aucune indemnité de procédure ne sera allouée, l'autorité recourante disposant de son propre service juridique (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 mars 2019 par l'administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 février 2019 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 11 février 2019 ;

rétablit les bordereaux de taxation du 1er juin 2017 et de réclamation du 1er mars 2018 établis par l'administration fiscale cantonale s'agissant de l'ICC 2015 de
Madame  A______ ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à DRP Fiduciaire SA, mandataire de Madame A______, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Cuendet, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :