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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3552/2017

ATA/436/2018 du 08.05.2018 ( AMENAG ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : PLAN DIRECTEUR ; ZONE DE VILLAS ; ZONE DE DÉVELOPPEMENT ; ZONE RÉSERVÉE ; GARANTIE DE LA PROPRIÉTÉ ; INTÉRÊT PUBLIC ; PROPORTIONNALITÉ ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; SÉCURITÉ DU DROIT ; LÉGALITÉ ; EFFET ANTICIPÉ ; INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL)
Normes : LaLAT.9.al1; LaLAT.12; LaLAT.19.al3; LaLAT.30; LGZD.2.al1; Cst.26.al1; LAT.27; RaLAT.10; LaLAT.13C; LAT.4; Cst.29.al2
Parties : LA CHAMBRE GENEVOISE IMMOBILIERE ET AUTRES, MOSER Fredy, RÖCKLINGER Manfred / CONSEIL D'ETAT
Résumé : Tant que des parcelles ne font pas l'objet d'un plan localisé de quartier, celles-ci restent soumises aux normes régissant la zone de fond, soit en l'occurrence la zone villas. Absence de violation de la garantie de la propriété des recourants dès lors que le projet de zone réservée, reposant sur une base légale non contestée, relève d'un intérêt public résidant dans la nécessité de construire un nombre plus important de logements en cas de pénurie dans ce domaine, et est proportionné dans la mesure où il porte sur un périmètre déterminé pour une durée limitée dans le but de préserver le potentiel de densification et d'éviter ultérieurement des mesures éventuellement plus intrusives. La publication d'une carte sur le site internet du département, désignant les périmètres de la zone réservée, avant l'adoption formelle et définitive de ceux-ci dépasse les exigences du devoir d'information de la population. Une telle démarche impliquant un déploiement anticipé des effets de la mesure envisagée pour les propriétaires concernés, la durée de publication doit être déduite de celle de la zone réservée. Recours partiellement admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3552/2017-AMENAG ATA/436/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 mai 2018

 

dans la cause

 

La CHAMBRE GENEVOISE IMMOBILIERE
Monsieur Frédy MOSER
Monsieur Manfred ROCKLINGER

représentés par la chambre genevoise immobilière

contre

CONSEIL D'ÉTAT
représenté par Me Alain Maunoir, avocat



EN FAIT

1) La Chambre genevoise immobilière (ci-après : CGI) est une association sans but lucratif tendant à la promotion, la représentation et la défense de la propriété foncière dans le canton de Genève. Selon ses statuts, « elle se voue par pur idéal à l'étude de questions relatives, notamment, au logement, à la fiscalité, à l'énergie, à l'aménagement du territoire, à la protection de l'environnement, des monuments, de la nature et des sites ».

2) Monsieur Frédy MOSER et Monsieur Manfred ROCKLINGER sont propriétaires des parcelles n° 739, respectivement n° 1648, feuille 44, de la commune de Carouge. D'une surface de 1286 m2 et de 1352 m2, la première comprend une villa avec véranda, ainsi que deux garages, situés à l'adresse route de Drize 30 ; et la seconde, une villa située à l'adresse route de Drize 32.

Ces terrains sont situés en zone de développement (ci-après : ZD) 4A, cinquième zone (ci-après : zone villas) comme zone de fond.

3) Le 20 septembre 2013, le Grand Conseil a adopté le plan directeur cantonal 2030 (ci-après : PDCn 2030), approuvé le 29 avril 2015 par le Conseil fédéral sur la base d'un rapport d'examen effectué par l'office fédéral du développement territorial (ci-après : ARE) du 13 avril 2015.

Le PDCn 2030, document de référence et de coordination pour l'aménagement du territoire cantonal, est composé d'un concept de l'aménagement cantonal qui énonce les principes de l'organisation du territoire à l'horizon 2030, contraignant pour les autorités cantonales, communales et fédérales, et d'un schéma directeur cantonal comprenant plusieurs fiches qui en constituent le volet opérationnel et précisent les conditions de la mise en œuvre de la politique d'aménagement.

Selon la fiche A03 annexée à celui-ci, consacrée à l'extension de la densification de la zone villas par modification de zone, il s'agit de « procéder à la densification de secteurs de la zone villas, par mutation progressive, afin de créer de nouveaux quartiers denses d'habitat ou d'affectations mixtes, intégrés dans la structure urbaine et répondant à des besoins d'intérêt général […].

La densification de la zone villas, en principe forte, pourra[it] se faire de façon différenciée en fonction des situations, selon [certains] critères […] ».

À cette fin, des mesures d'accompagnement pour les propriétaires des villas sises sur les périmètres de villas à déclasser étaient prévues, « comme par exemple, des échanges avec des appartements à bâtir ».

Selon la démarche envisagée, « en coordination avec les fondations immobilières de droit public et les acteurs privés, les collectivités publiques anticip[aient] la densification des quartiers de villas en se portant progressivement acquéreurs des parcelles stratégiques, si celles-ci ne [faisaient] pas déjà l'objet d'opérations privées conformes aux buts poursuivis, de façon à déclencher la mutation de ces quartiers ».

4) a. Dans cette perspective, le Conseil d'État a déposé, le 26 mars 2014 au Grand Conseil, un projet de loi (ci-après : PL) 11411 modifiant la loi d'application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30 ; refus conservatoire).

L'art. 1 souligné du PL 11411 prévoyait l’introduction d’un nouvel art. 13B al. 2 LaLAT qui avait la teneur suivante : « Il ne peut s’écouler plus de cinq années entre la décision de refus et l’adoption, la modification ou l’abrogation d’un plan d’affectation du sol, la mise à l’enquête du projet devant intervenir dans les quarante-huit mois à compter de la décision de refus. À défaut, le propriétaire reprend la libre disposition de son terrain, dans les limites des lois ou plans d’affectation du sol en vigueur, soit, dans les zones de développement, selon les normes de la zone ordinaire ou selon le plan d’affectation spécial en force ».

Selon l'exposé des motifs y relatif, afin d'assurer la préservation du potentiel à bâtir prévu par la PDCn 2030, il s'agissait d'étendre les délais, actuellement trop courts, pour permettre à l'administration et au Grand Conseil d'adopter les mesures nécessaires, l'objectif étant de lutter de manière efficiente contre la pénurie de logements sévissant sur le canton. Les possibilités de densification offertes par les nouvelle dispositions de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), modifiée le 30 novembre 2012, risquaient de réduire à néant le potentiel de mutation des quartiers de villas, du fait du renouvellement du parc bâti et du morcellement des terrains. En effet, de nombreuses autorisations de construire avaient dû être délivrées ou étaient en cours d'examen dans les périmètres. Les requêtes portaient fréquemment sur la substitution d'une villa par plusieurs.

b. Ce PL 11411 a été renvoyé sans débat à la commission d'aménagement du canton le 10 avril 2014.

5) Vu les préoccupations soulevées par les députés, notamment en raison du caractère insuffisamment circonscrit de la modification proposée quant à l'assiette de son application, et les bases légales applicables, le Conseil d'État a proposé de transformer le PL 11411 en motion de commission (ci-après : M) afin de lui donner mandat d'agir en vue de préserver le potentiel de densification du PDCn 2030 par la création de zones réservées (ci-après : ZR ; PL 11411-A p. 20).

6) Lors de sa séance du 5 juin 2015, le Grand Conseil a accepté de transformer le PL 11411 en motion et adopté la M 2278 avec renvoi au Conseil d'État, sur la base des documents déposés le 15 mai 2015 par la commission d'aménagement du canton.

À teneur de la M 2278, le Grand Conseil « invit[ait] le Conseil d'État :

-       à appliquer les dispositions du droit fédéral, le cas échéant, par voie réglementaire, en vue de permettre l'adoption par le Conseil d'État, pour une durée provisoire de cinq ans au plus, de ZR dans les secteurs de la zone villas destinées à une densification, selon la fiche A03 du PDCn 2030, et pour lesquels une modification de zone est prévue dans un délai de cinq ans ;

-       à faire une application restrictive de l'art. 59 al. 4 LCI afin de préserver le potentiel de densification prévu par la fiche A03 du PDCn 2030 pour les secteurs de la zone villas destinés à une densification par modification de zone dans un délai supérieur à cinq ans ;

-       à adopter une pratique administrative qui permette néanmoins aux propriétaires de terrains, sis dans des secteurs de la zone villas voués à faire l'objet de mesures de densification au titre de la fiche A03 du PDCn 2030 et qui ne font pas l'objet du refus conservatoire au sens de l'art. 138 LaLAT [recte : art. 13B LaLAT], des agrandissements modérés de constructions existantes ou des nouvelles constructions de peu d'importance, ne créant aucun nouveau logement ».

7) Le 9 décembre 2015, le Conseil d'État a déposé au Grand Conseil son rapport M 2278-A, au terme duquel il exposait les diverses mesures prises.

a. Il avait ainsi modifié le 17 juin 2015 le règlement d’application de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 1er juillet 1992 (RaLAT - L 1 30.01), s’agissant des zones réservées.

Selon le nouvel art. 10 RaLAT, entré en vigueur le 24 juin 2015, lorsque la sauvegarde des buts et principes régissant l’aménagement du territoire l’exigeait, notamment lorsqu’une modification des normes d’une zone était envisagée en vue d’une meilleure utilisation de terrains à bâtir, le Conseil d’État pouvait, à titre provisoire et pour une durée de cinq ans, adopter un plan portant création d’une zone réservée. À l’intérieur de celle-ci, rien ne devait être entrepris qui était de nature à compromettre des objectifs d’urbanisme ou la réalisation d’équipements publics. À cet effet, le département de l’aménagement, du logement et de l’énergie (ci-après : DALE) pouvait refuser l’autorisation de construire sollicitée.

b. En parallèle, le Conseil d'État avait également complété et mis à jour la pratique administrative relative aux enquêtes en autorisation de construire selon les secteurs de densification des quartiers de villas prévus par le PDCn 2030. D'après celle-ci, publiée le 1er juillet 2015, sur le site internet du DALE, une autorisation de construire pouvait être délivrée pour un agrandissement mesuré, une construction de peu d'importance ou des travaux de confort dans le périmètre de la fiche A03 du PDCn 2030, à condition que :

-       « une construction [ait] été autorisée ou exist[ait] déjà sur la parcelle concernée,

-       aucun nouveau logement [n'était] créé,

-       en cas d'agrandissement, celui-ci [devait] être modéré. [Était] considéré comme modéré l'agrandissement qui [était] de l'ordre de 20 % des [surfaces brutes de plancher (ci-après : SBP)] existantes mais au maximum de 40 m2,

-       le propriétaire [devait] s'engager, quelle que soit la nature des travaux, à accepter que la valeur d'estimation qui [pouvait] être admise dans un plan financier, ou que la valeur prise en compte en cas de préemption ou expropriation, un abattement forfaitaire de CHF 100'000.-,

-       en tous les cas, les constructions de peu d'importance, au sens de l'art. 3 al. 3 [du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01)] ainsi que les vérandas non chauffées de moins de 20 m2 [étaient] autorisées, à condition que le propriétaire s'engage[ait] à renoncer à leur valorisation,

-       les deux engagements précités [faisaient] l'objet d'une mention inscrite au registre foncier, en application de l'art. 153 LCI ».

c. Finalement, il avait aussi « défini une douzaine de périmètres de ZR qui fer[aient] prochainement l'objet de procédures simplifiées en vue de l'adoption effective de ces zones par [lui] dans le courant de l'année 2016 » (M 2278-A p. 3).

8) Le 14 juillet 2015, le DALE a présenté sur son site internet une carte du canton intitulée « programme de densification des quartiers de villas », laquelle désignait les périmètres de la zone villas faisant l'objet de modification de zones en cours, ainsi que ceux sur lesquels il envisageait l'instauration d'une ZR. La légende de cette carte précisait qu'il n'y aurait pas d'application de la dérogation prévue par l'art. 59 al. 4 LCI (ou dans une mesure limitée pour des travaux d'agrandissement et d'amélioration d'une villa existante) et qu'un refus conservatoire serait prononcé pour les modifications de zone en cours d'élaboration ou les zones réservées sur les zones 5, ZD 5, 4B protégée et ZD 4A.

9) Lors de la séance du 29 janvier 2016 du Grand Conseil, les députés ont accepté le renvoi du rapport du Conseil d'État sur la motion 2278 à la commission d'aménagement du canton.

Selon certains députés, le PL 11411 avait été refusé aux motifs que le refus conservatoire « s'appliquait à l'ensemble du territoire genevois et qu'il était tout à fait illogique de vouloir aller plus vite en procédant à un gel pour cinq ans ». La publication de la carte sur le site internet du DALE indiquant douze périmètres concernant plus de deux mille cinq-cents maisons aboutissait à une expropriation matérielle qui n'était pas admissible et s'éloignait du but visé initialement. Sous cet angle, ils n'adhéraient pas davantage à l'application des ZR telle que prévue par le Conseil d'État, car « il n'avait jamais été prévu que l'on applique ces zones réservées sur un périmètre aussi grand et aussi important, dans la mesure où il était prévu que l'on puisse le faire sur des périmètres restreints » (Mémorial du Grand Conseil [ci-après : MGC] [En ligne], séance du 29 janvier 2016 à 15h, disponible sur http://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010213/83/23/).

10) Par courrier du 3 février 2016, la CGI a fait part au Conseil d'État des préoccupations d'un nombre important de propriétaires fonciers membres, concernés par les douze procédures de classement en ZR envisagées par le DALE.

La publication de la carte par le DALE le 14 juillet 2015 était problématique dans la mesure où elle anticipait la mesure provisionnelle de la ZR, notamment par le refus de délivrance d'autorisations de construire, l'application du refus conservatoire et l'impact de l'incertitude générée sur la valeur des maisons concernées. Ses effets pesaient lourdement sur un marché par ailleurs déjà en difficulté, alors qu'il était impossible à quiconque de pouvoir indiquer quand les ZR seraient effectivement instituées, quels seraient leurs contours exacts et quelles zones seraient adoptées. Les atteintes ainsi portées à la propriété foncière étaient constitutives d'une expropriation matérielle. Au vu de la jurisprudence autorisant une sauvegarde d'intérêts éminents en matière d'aménagement du territoire limitée à une durée de cinq ans, les refus conservatoire ne pouvaient s'additionner avec d'éventuelles ZR. Vu la publication de la carte des ZR le 24 juin 2015 (sic ; [recte : 14 juillet 2015]), il convenait de considérer que ce délai avait commencé à courir dès cette date. L'opportunité de faire usage des ZR apparaissait douteuse compte tenu de l'ampleur des mesures d'aménagement à prendre dans des délais limités. La garantie de la propriété constituait un droit fondamental qui ne pouvait être ignoré au nom de la lutte légitime contre la pénurie de logements. Le projet d'instauration de ZR devait être, sinon abandonné, du moins remodelé.

11) Le 11 mars 2016, le DALE a achevé le plan du projet de ZR n° 30027-544, d'une superficie de 14'107 m2 recouvrant quatorze parcelles sur le territoire de la commune de Carouge, le périmètre concerné étant principalement délimité par la route de Drize et la Drize.

12) Le 23 mars 2016, le DALE a publié une nouvelle carte relative au « programme de densification du quartier de villas », indiquant une réduction  – environ de moitié – du nombre et de la surface des périmètres destinés à passer en ZR.

13) En parallèle, il a écrit à la CGI pour l'informer de l'adaptation de la réglementation cantonale, notamment de sa pratique en matière d'autorisations de construire dans les secteurs de villas à densifier, au dispositif des ZR prévu par le droit fédéral. La stratégie de celles-ci avait été affinée sous l'angle opérationnel pour tenir compte notamment des refus conservatoires déjà prononcés et de l'état d'avancement des planifications urbaines sur chacune des communes concernées. Deux types de périmètre étaient dorénavant considérés, celui de la Drize faisant partie des premiers pour lesquels l'enquête publique serait lancée « pour appuyer une dynamique de développement en cours ». Les demandes d'autorisation de construire pour les villas situées dans ce secteur se verraient opposer un refus conservatoire.

14) Par courrier du 29 mars 2016, le DALE a informé MM. MOSER et ROCKLINGER, de la création du projet de ZR n° 30027-544 en application de l'art. 10 RaLAT intégrant leurs parcelles et de sa prochaine mise à l'enquête publique.

15) Cette dernière a été ouverte par publication du 5 avril 2016 dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) jusqu'au 4 mai 2016.

Selon l'exposé des motifs du Conseil d'État relatif au projet de ZR
n°30027-544, la réalisation des objectifs du PDCn 2030 nécessitait la mutation de larges pans du territoire genevois à l'horizon 2030. La mise en œuvre de celle-ci, impliquant des modifications de régimes de zones basées sur des études urbaines, n'était pas réalisable en totalité dans un temps court. Les périmètres des ZR, basées sur les art. 27 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) et 10 RaLAT, reprenaient ceux identifiés par le PDCn 2030 comme devant faire l'objet d'une densification de la zone villas par modification de zone d'ici 2030.

16) Le 20 avril 2016, le Conseil d'État a répondu au courrier du 3 février 2016 de la CGI.

Bien que possible, l'addition du délai du refus conservatoire avec celui de la ZR n'était pas souhaitable, l'objectif premier étant de favoriser la mutation du territoire par voie de modifications de zones dans des délais raisonnables. La garantie de la propriété pouvait céder le pas à l'intérêt public prépondérant de veiller à une utilisation mesurée du sol et de développer dans ce cadre l'offre insuffisante de logements. Le délai de cinq ans ne commencerait à courir qu'à compter de la publication dans la FAO de l'arrêté d'adoption du plan de ZR relatif au secteur concerné.

17) Le 4 mai 2016, la CGI a transmis ses observations au DALE.

Vu l'objectif du PDCn 2030 et le contenu de la M 2278, le Conseil d'État n'avait pas la possibilité de prévoir une ZR sur le secteur Carouge / route de Drize, lequel concernait une portion de terrain entre la route de Drize et la Drize en ZD 4A.

Si la condition du principe de la légalité était remplie, tel n'était pas le cas de celles de l'intérêt public et du principe de la proportionnalité, afin de pouvoir apporter des restrictions à la garantie de la propriété.

Le PDCn 2030 prévoyait toute une série de conditions aux déclassements, qui ne pouvaient être assurées à un stade aussi reculé du processus. Ainsi, il n'y avait aucune garantie que toutes les zones comprises dans les ZR seraient ensuite déclassées et feraient concrètement partie d'un projet de densification, causant dès lors, pour les propriétaires qui ne seraient plus ultérieurement concernés, un dommage absolument vain. La seule publication de la première carte au mois de juillet 2015 avait mis la situation de nombre d'entre eux en péril, faute de pouvoir concrétiser un projet de construction urgent, vendre leur bien difficilement estimable de par sa situation en ZR ou de renégocier leur emprunt hypothécaire convenablement en raison de la dévaluation de leur bien. À ces circonstances s'ajoutait une importante incertitude temporelle. Presqu'un an s'était écoulé depuis la publication de la carte, sans qu'aucune action n'ait été entreprise et de nombreux mois seraient encore nécessaires pour éventuellement promulguer la ZR. Il y avait également lieu de douter de la capacité du DALE et du Conseil d'État de mener à bien ce projet dans les cinq ans. Dans la mesure où l'instauration de ZR causait aux propriétaires concernés un dommage important, celle-ci ne pouvait emporter un intérêt prépondérant au travers de l'intérêt public à une réorganisation du sol, alors qu'il n'existait aucun projet concret si ce n'était l'intention générale de densifier certains secteurs et que jusqu'alors l'utilisation du refus conservatoire de deux ans avait toujours été suffisante.

Faute de projet concret établissant de quelle manière la zone devait être densifiée, les ZR telles qu'établies à ce jour ne respectaient pas le principe de la proportionnalité. Elles n'apparaissaient pas non plus comme la mesure ayant le moins d'impact sur les intérêts privés des propriétaires visés. Prévoir un projet concret en amont et faire usage du refus conservatoire d'une durée de deux ans auraient été plus adéquats pour limiter l'effet du changement de zone pour les propriétaires concernés. Du point de vue de l'administration, il s'agissait aussi d'une procédure compliquée, longue et peu rôdée, justifiant de privilégier l'utilisation du refus conservatoire.

Le cumul des instruments du refus conservatoire et de la ZR, tel qu'indiqué dans la carte publiée le 14 juillet 2015 sur une base non-officielle, était contraire à l'art. 13B LaLAT.

18) Dans sa réponse du 3 octobre 2016, le DALE a considéré que l'art. 27 al. 1 LAT constituait une base légale suffisante pour lui permettre d'instituer des ZR.

Ce mandat avait été confié au Conseil d'État par la M 2278. Les ZR répondaient à un intérêt public défini par le PDCn 2030 dans la mesure où elles visaient une meilleure utilisation des périmètres constructibles. Le délai de cinq ans n'était pas excessif. L'intention concrète de modifier la planification territoriale dans le secteur concerné découlait des cartes contenues dans le PDCn 2030, désormais en vigueur. Ni l'art. 27 LAT, ni l'art. 10 RaLAT ne limitaient l'instauration d'une ZR aux seuls périmètres situés en zone villas. Le secteur en cause se trouvait sur une zone de fond villas, sur laquelle se superposait une ZD. Rien n'indiquait que la parcelle visée avait fait l'objet d'un refus conservatoire. La compétence du Conseil d'État à mettre en place une ZR dans certains périmètres délimités découlait des art. 36 al. 2 LAT et 10 al. 1 RaLAT. Le contenu de la planification future n'était pas connu à ce stade. Le travail de réflexion allait être engagé prochainement sur la base d'une démarche participative à laquelle les propriétaires seraient associés et dont les modalités restaient à définir avec la commune et les habitants.

19) Le 2 novembre 2016, le Conseil administratif de la commune de Carouge a transmis son préavis.

Bien qu'il doutât du bien-fondé de la ZR n° 30027-544, il ne s'y opposait pas pour autant qu'une certaine congruence avec la stratégie d'aménagement de Carouge-Sud, validée le 22 juin 2016, soit préservée, que le secteur situé au Sud-Est du chemin Charles-Poluzzi soit retiré de la liste des zones villas à densifier lors du projet de mise à jour du PDCn 2030, de sorte que les propriétaires concernés puissent bénéficier d'une dérogation à la restriction de l'art. 59 al. 4 LCI, et que le périmètre visé en ZD 4A soit maintenu afin de garder la marge de manœuvre nécessaire à un développement coordonné de ce « dernier chaînon de l'axe du chemin Vert reliant l'Arve à la Drize ».

20) La procédure d'opposition a été ouverte le 14 février 2017 jusqu'au 16 mars 2017.

21) a. Par courrier du 15 mars 2017, M. MOSER a formé opposition au projet de ZR n° 30027-544. Les parcelles concernées constituaient un « poumon de verdure » sur la commune de Carouge.

b. Le 16 mars 2017, agissant en son nom et pour le compte de MM. MOSER et ROCKLINGER, la CGI a également formé opposition en concluant au rejet du projet de ZR n° 30027-544. En substance, elle reprenait ses précédents développements.

22) Le 12 mai 2017, le Grand Conseil a adopté le PL 12023, déposé le 29 novembre 2016 par un groupe de députés, comportant un nouvel art. 13C LaLAT, entré en vigueur le 29 juillet 2017, insérant la notion de ZR dans cette loi.

23) Par arrêté du 28 juin 2017, déclaré exécutoire nonobstant recours, le Conseil d'État a rejeté les oppositions de la CGI, MM. MOSER et ROCKLINGER, vu son arrêté séparé du même jour adoptant le projet de ZR n° 30027-544.

Du point de vue procédural, les exigences des art. 4, 26, 27 et 33 LAT (procédure d'adoption et d'élaboration des ZR), de même que les art. 10 al. 3 RaLAT et 5 al. 11 de la loi sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LExt - L 1 40) avaient été respectés.

La garantie constitutionnelle de la propriété (art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
[Cst. - RS 101]) n'était pas absolue, pouvant être restreinte sous certaines conditions (art. 36 Cst.). In casu, l'art. 27 LAT constituait une base légale fédérale suffisante, ne nécessitant pas de dispositions cantonales d'exécution. La motion M 2278 lui donnait la compétence – découlant directement de l'art. 36 LAT – d'appliquer directement le droit fédéral et de créer des ZR pour préserver le potentiel de densification prévu par le PDCn 2030. Un intérêt public à la modification du plan d'affectation en vigueur, ce qui était le cas lorsque la réglementation existante contredisait les objets d'aménagement du territoire prévus par la planification directrice, était suffisant. Le périmètre concerné faisait partie des quartiers de villas situés dans la couronne urbaine voués à être densifiés, afin de créer de nouveaux quartiers denses d'habitats ou d'affectation mixte, selon le PDCn 2030. Il suffisait que la délivrance, même hypothétique, d'autorisations de construire conformes à l'ancien plan des zones soit susceptible d'entraver la mise en œuvre de la future planification. L'existence du refus conservatoire au sens de l'art. 13B LaLAT n'était pas un obstacle à l'instauration d'une ZR sur le territoire cantonal, d'autres cantons, comme le canton de Vaud, disposant d'ailleurs d'une législation permettant de l'opposer à un projet de construction (art. 77 de la loi sur l'aménagement du territoire et les constructions du canton de Vaud du 4 décembre 1985 [LATC - RS-VD 700.11]) dans l'attente de l'élaboration, puis de l'entrée en vigueur d'une ZR ou d'une zone intermédiaire. Le droit cantonal n'avait pas désigné une autre autorité pour instaurer les ZR, puisqu'en l'état, rien ne figurait à leur sujet dans la LaLAT ou dans le reste de la législation cantonale d'application, hormis l'art. 10 RaLAT. La durée de cinq ans prévue pour les ZR avait pour objectif de laisser suffisamment de temps à l'autorité compétente pour mener à bien les éventuelles études préliminaires d'urbanisation, l'adoption d'un plan directeur de quartier n'étant pas un préalable nécessaire à la mise en œuvre d'une ZR (art. 11 al. 2 LaLAT). Plusieurs aspects de la démarche participative, impliquant en particulier une phase de concertation avec les propriétaires, ainsi qu'avec la commune et divers acteurs locaux, s'étaient précisés. Il y avait bien une volonté sérieuse de la part des autorités cantonales et communales de procéder à terme à une densification pertinente, en application du PDCn 2030 et en tenant compte du contenu du plan directeur communal. Les atteintes aux droits des propriétaires induites par le projet de ZR apparaissaient comme proportionnées aux importants objectifs d'intérêt public liés à la concrétisation du PDCn 2030, en raison du caractère provisoire des effets du projet de ZR et du fait que les parcelles soumises à celui-ci continuaient à pouvoir être utilisées comme jusqu'alors, seules les modification susceptibles d'entraver l'élaboration, puis la mise en œuvre du futur plan de zones étant prohibées.

Contrairement à l'art. 13B LaLAT, les effets de la ZR étaient limités à une petite partie du territoire cantonal, correspondant au périmètre déterminé par le PDCn 2030. Il n'était pas d'une durée excessive, compte tenu des contraintes existantes et des analyses encore à mener. L'interdiction de bâtir se limitant à une durée proportionnée aux intérêts en présence, il n'y avait pas lieu à indemnisation en faveur des propriétaires. Une autre mesure, poursuivant les mêmes objectifs mais dont les effets seraient moins incisifs, n'assurerait pas aussi efficacement la réalisation des buts d'intérêt public. La validité du projet de ZR ne pouvait dépendre d'éléments futurs encore en partie incertains (contours et caractéristiques de la future zone à bâtir, nécessité ou non d'une planification de détail et concrétisation des futurs droits à bâtir selon la volonté des propriétaires concernés de mettre en œuvre les dispositions de la future zone). Il était suffisant et conforme à l'art. 27 LAT que le futur plan de zones soit adopté dans le délai de cinq ans prévu par la loi.

S'agissant de l'égalité de traitement et de la délimitation géographique de la ZR, l'emplacement de celle-ci découlait des critères définis par le PDCn 2030. Ledit secteur devait permettre une maîtrise optimale de la qualité de l'aménagement et être adapté à une densité modérée à intermédiaire dès lors qu'il bénéficiait d'une desserte efficace en transports collectifs ou mobilité douce. Le principal impact sur la valeur des terrains visés consistait à reporter dans le temps un éventuel projet de densification ou de valorisation de la parcelle concernée, la mesure visant à terme, soit après cinq ans, à étendre les droits à bâtir. Selon la jurisprudence, une interdiction temporaire de bâtir n'entraînait pas une expropriation matérielle.

Dans la balance des intérêts en présence, la concrétisation des objectifs fixés par la planification directrice conforme à la nouvelle LAT devait l'emporter sur les intérêts privés des propriétaires à pouvoir librement exercer leurs droits, sans entraves, même temporaires.

24) Le 27 juillet 2017, le DALE a publié sur internet une modification de la carte relative au programme de densification du quartier de villas. Celle-ci comportait des surfaces colorées en jaune dans lesquelles il était envisagé de ne pas accorder des dérogations selon l'art. 59 al. 4 LCI, des surfaces colorées en rouge vif dans lesquelles une modification de zone était en cours, et des surfaces colorées en grenat dans lesquelles une ZR avait été adoptée.

25) Par acte du 30 août 2017, la CGI, en son nom et ceux de MM. MOSER et ROCKLINGER, a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'arrêté précité, en concluant principalement, à son annulation, au rejet du projet de ZR n° 30027-544, et à la constatation que l'instauration de la ZR en question violait la garantie de la propriété des propriétaires concernés, ainsi que subsidiairement, à la constatation que la durée de cinq ans avait commencé à courir dès la première publication de la carte, soit le 14 juillet 2015, « sous suite de frais et dépens ».

Reprenant ses précédents développements, elle ajoutait que le Conseil d'État semblait largement minimiser l'impact de la mesure en cause. Plus de deux ans s'étaient écoulés depuis la publication de la carte sans qu'aucune action ait été entreprise, et de nombreux mois seraient encore nécessaires pour éventuellement promulguer la ZR. Il fallait également douter de la capacité du DALE et du Conseil d'État de mener à bien ce projet dans les cinq ans. Dans la mesure où l'instauration de ZR causait aux propriétaires concernés un important dommage, ils ne comprenaient pas l'intérêt public à une réorganisation du sol alors qu'il n'existait à l'heure actuelle aucun projet concret si ce n'était l'intention générale de densifier certains secteurs et que jusqu'alors, l'utilisation du refus conservatoire de deux ans avait toujours été suffisante. En outre, le Conseil d'État reconnaissait qu'il n'était pas certain de déclasser l'intégralité du périmètre qu'il avait décidé de bloquer en ZR. L'avancée du processus de déclassement avant l'adoption des ZR aurait pu restreindre l'impact de ces dernières sur les propriétaires, qui ne seraient probablement plus concernés par les déclassements.

26) Dans ses écritures responsives du 3 novembre 2017, le Conseil d'État a conclu au rejet du recours.

Même dans l'hypothèse où la base légale cantonale aurait limité l'introduction d'un périmètre de ZR aux seuls secteurs actuellement colloqués en zone villas, il faudrait constater que celle-ci serait contraire au droit fédéral. L'art. 27 LAT ne prévoyait pas de réserver cet outil d'aménagement du territoire à une partie restreinte du plan des zones. Considérer que seules les parcelles en zone villas pourraient se voir réserver les dispositions de la ZR, et non celles dans les autres zones à bâtir, aboutirait à un traitement inégal de deux situations potentiellement similaires.

La ZR en cause devait permettre l'élaboration puis l'adoption d'une nouvelle zone à bâtir conduisant à une densification de ce secteur du canton, conformément au contenu du PDCn 2030. La mise en œuvre des objectifs ainsi fixés revêtait un caractère prioritaire et s'inscrivait pleinement dans l'objectif plus général d'une utilisation judicieuse du sol, en vue notamment du développement de l'urbanisation vers l'intérieur du milieu bâti. Il n'était pas possible de garantir que le processus d'aménagement du territoire aboutisse dans tous les cas à un changement de régime des zones, ce qui relèverait de la compétence du Grand Conseil, auquel il reviendrait de statuer après que les études d'urbanisme et les différentes consultations aient été effectuées. La durée de cinq ans prévue pour la ZR avait précisément pour objectif de laisser suffisamment de temps à l'autorité compétente pour mener à bien les éventuelles études préliminaires d'urbanisation, l'adoption d'un plan directeur de quartier n'étant pas un préalable nécessaire à la mise en œuvre d'une ZR.

À l'instar d'autres mesures d'aménagement du territoire, la ZR était entrée en vigueur avec son adoption par le Conseil d'État, prévue par l'art. 10 RaLAT et désormais, par l'art. 13C LaLAT. La communication effectuée par le DALE en juillet 2015 s'inscrivait dans le cadre de la mise en œuvre du PDCn 2030. La mise en œuvre de cette information n'était pas destinée à avoir des effets sur les particuliers (art. 4 LAT). En outre, selon l'art. 9 LAT, les plans directeurs avaient force obligatoire pour les autorités, et non pour les particuliers.

27) Le 19 décembre 2017, la CGI, pour elle, ainsi que MM. MOSER et ROCKLINGER, a répliqué, en persistant dans ses conclusions et sa précédente argumentation.

Le Conseil d'État admettait que le projet n'en était qu'à un stade trop peu avancé pour déterminer les ZR suffisamment précises afin de correspondre aux exigences fixées par la doctrine et la jurisprudence en la matière. Dans les premières cartes publiées, il avait été clairement indiqué que le refus conservatoire serait utilisé avant l'entrée en vigueur de la ZR et qu'après l'adoption de celle-ci, seuls des agrandissements mesurés ou des constructions de peu d'importance seraient autorisés, tandis que, dans d'autres zones, il ne serait plus possible de construire au maximum de la densité prévue par la loi. L'art. 13C al. 2 LaLAT ne devait s'appliquer que lorsque l'art. 13C al. 3 LaLAT avait été respecté, ce qui n'avait pas été le cas en l'espèce.

28) Sur quoi, les parties ont été informées le 20 décembre 2017 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) En vertu de l’art. 61 LPA, le recours peut être formé : a) pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation ; b) pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1) ; les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

3) Le litige porte sur la conformité au droit de l'arrêté du Conseil d'État du 28 juin 2017 rejetant les oppositions des recourants au projet de création de la ZR
n° 30027-544, adopté par arrêté séparé du même jour.

4) Dans un premier grief, les recourants soutiennent que, contrairement à toutes les autres portions concernées, la ZR n°30027-544 porte sur une portion qui n'est actuellement pas en zone villas, mais en ZD 4A. Le Conseil d'État ne pouvait donc pas prévoir une ZR sur ce secteur.

5) a. Le PDCn 2030, adopté le 20 septembre 2013 par le Grand Conseil genevois et approuvé par le Conseil fédéral le 29 avril 2015, prévoit la densification par modification des limites de zones de certains secteurs de la cinquième zone.

Le plan directeur cantonal a force obligatoire pour les communes et le Conseil d’État, mais ne produit en revanche aucun effet direct à l’égard des particuliers (art. 9 al. 1 LAT ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_423/2016 du 3 avril 2017 confirmant l’ATA/595/2016 du 12 juillet 2016 ; ATA/1273/2017 du 12 septembre 2017).

b. Par la M 2278 du 5 juin 2015 – ayant pour objet de préserver le potentiel de densification prévu par ce plan directeur –, le Grand Conseil a invité le Conseil d’État en particulier à (p. 1 et 2) :

-        permettre l’adoption par le Conseil d’État de zones réservées dans la cinquième zone destinée à une densification, selon la fiche A03 du PDCn2030, pour lesquelles une modification de zone est prévue dans un délai de cinq ans ;

-        faire une application restrictive de l’art. 59 al. 4 LCI afin de préserver le potentiel de densification prévu par la fiche A03 du PDCn 2030.

6) a. Pour déterminer l’affectation du sol sur l’ensemble du territoire cantonal, celui-ci est réparti en zones, dont les périmètres sont fixés par des plans annexés à la LaLAT (art. 12 al. 1 LaLAT). Les zones sont de trois types : les zones ordinaires, les ZD et les zones protégées (art.  12  al.  2  LaLAT). Les zones ordinaires ont pour objet de définir l’affectation générale des terrains qu’elles englobent (art. 12 al. 3 LaLAT). En vue de favoriser l’urbanisation, la restructuration de certains territoires, l’extension des villages ou de zones existantes, la création de zones d’activités publiques ou privées, le Grand Conseil peut délimiter des périmètres de développement, dits ZD, dont il fixe le régime d’affectation. À l’intérieur de ces périmètres, le Conseil d’État peut, en vue de la délivrance d’une autorisation de construire, autoriser le département à faire application des normes résultant de la ZD, en lieu et place de celles de la zone à laquelle elle se substitue (art. 12 al. 4 LaLAT).

Parmi les zones ordinaires figure la cinquième zone, qui est une zone résidentielle destinée aux villas, des exploitations agricoles pouvant également y trouver place (art. 19 al. 3 LaLAT).

b. Les ZD sont régies par la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) et par la loi sur les zones de développement industriel ou d'activités mixtes (LZIAM – L 145 ; art. 30 LaLAT).

À teneur de l'art. 2 al. 1 LGZD, la délivrance d’autorisations de construire selon les normes d’une zone de développement est subordonnée, sous réserve des demandes portant sur des objets de peu d’importance ou provisoires, à l’approbation préalable par le Conseil d’État : d’un plan localisé de quartier (ci-après : PLQ) au sens de l’art. 3 LGZD, assorti d’un règlement (let. a) ; des conditions particulières applicables au projet, conformément aux art. 3A, 4 et 5 LGZD, sauf pour des demandes portant sur des objets à édifier dans les périmètres de développement de la cinquième zone résidentielle (let. b).

En dérogation à l'art. 2 al. 1 let. a LGZD, le Conseil d'État peut, après consultation du Conseil administratif ou du maire de la commune, renoncer à l'établissement d'un PLQ : dans les périmètres de développement de la cinquième zone résidentielle (let. a) ; en ZD affectée à de l'équipement public (let. b) ; dans les quartiers de développement déjà fortement urbanisés (let. c) ; pour des projets de constructions ou installations conformes à des plans directeurs de quartier indiquant l’aménagement souhaité (let. d) ; pour des projets de constructions ou installations conformes au premier prix d’un concours d’urbanisme et d’architecture réalisé en application de la norme SIA applicable, sur la base d’un cahier des charges accepté par le département chargé de l’aménagement (let. e).

c. Dans un arrêt ATA/752/2014 du 23 septembre 2014 portant sur une autorisation de construire en vue de la modification et de la rénovation d'un rural sis en zone 4B, à laquelle se superposait une ZD industrielle et artisanale, la chambre administrative a considéré que, faute de plan d'aménagement spécial concernant la zone litigieuse, la validité de l'autorisation de construire devait s'examiner au regard de la zone de fond 4B (ATA/752/2014 précité consid. 4).

Le 4 novembre 2014, dans un arrêt ATA/857/2014 concernant l'assujettissement à la loi sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11) d'un immeuble sis en ZD à construire avec zone primaire agricole, la chambre administrative a précisé qu'il ressortait tant de la LaLAT que de la LGZD que la délimitation d’une ZD par le Grand Conseil ne suffisait pas à elle seule pour l’application des normes de la ZD. Ces dernières n'étaient applicables qu’après autorisation du Conseil d’État ou renonciation à ce dernier à l’établissement d’un PLQ. Les normes de la zone primaire restaient donc applicables à la ZD constructible aussi longtemps que le Conseil d’État n’avait pas autorisé leur application en approuvant un PLQ, assorti d’un règlement, et les conditions particulières applicables au projet ou renoncé à l’établissement d’un PLQ. Ainsi, un terrain en zone agricole de développement demeurait soumis aux normes applicables à la zone agricole jusqu’à autorisation d’application des normes de la ZD par le Conseil d’État ou renonciation à l’établissement d’un PLQ. Préalablement à cette autorisation ou renonciation, il continuait dès lors à être situé hors zone à bâtir et rentrait dans le champ d’application de la LDFR, à laquelle il restait assujetti (ATA/857/2014 précité consid. 8).

d. Bien qu'il ne soit ici pas question de la délivrance d'une autorisation de construire, il convient néanmoins de se référer par analogie à la jurisprudence précitée afin de déterminer quelles normes s'appliquent aux parcelles concernées, incluses dans le périmètre de la ZR n° 30027-544.

Ces dernières sont sises en ZD 4A et en zone de fond villas. Elles ne font pas l'objet à ce jour d'un PLQ au sens des art. 2 et 3 LGZD.

En ces circonstances et au vu des principes susrappelés, ce sont les normes de la cinquième zone, soit la zone villas, qui s'appliquent. Ainsi, compte tenu de l'objectif de densification du PDCn 2030 de ladite zone et du mandat confié par le Grand Conseil au Conseil d'État en ce sens, ce dernier est effectivement compétent pour instaurer la ZR n° 30027-544 sur les parcelles du périmètre principalement délimité par la route de Drize et la Drize.

7) Dans un second grief, les recourants font valoir que l'instauration de la ZR n° 30027-544 viole la garantie de leur propriété. L'intérêt public à une réorganisation du sol ne pourrait leur être opposé alors qu'il n'existe aucun projet concret d'aménagement et vu l'importance du dommage qui leur est causé. L'utilisation du refus conservatoire au sens de l'art. 13B LaLAT aurait permis de restreindre l'impact de la ZR sur eux, tout en ayant la même finalité de préservation du potentiel à bâtir dans l'attente de l'avancée du processus de déclassement.

8) a. À teneur de l’art. 26 al. 1 Cst., la propriété est garantie. Cette garantie constitutionnelle comprend la faculté de disposer de son terrain dans les limites des lois et des plans d’affectation du sol. Pour être admissible, sa restriction doit répondre aux exigences de l’art. 36 Cst., soit reposer sur une base légale (al. 1 ; ATF 135 I 233 consid. 2.1 p. 241), répondre à un intérêt public (al. 2 ; ATF 140 I 201 consid. 6.7 p. 213 ; 137 I 167 consid. 3.6 p. 175) et respecter le principe de la proportionnalité (al. 3 ; ATF 140 I 168 consid. 4.2.1 p. 173 ; 135 I 233 consid. 3.1 p. 246).

b. À teneur de l'art. 27 LAT, s'il n'existe pas de plan d'affectation ou que l'adaptation d'un tel plan s'impose, l'autorité compétente peut prévoir des ZR dans des territoires exactement délimités. À l'intérieur de ces zones, rien ne doit être entrepris qui puisse entraver l'établissement du plan d'affectation (al. 1). Une zone réservée ne peut être prévue que pour cinq ans au plus ; le droit cantonal peut prolonger ce délai (al. 2).

Une ZR, au sens de l'art. 27 LAT, est une mesure conservatoire ou provisionnelle. La zone réservée équivaut à un plan d'affectation et elle entraîne des restrictions à la propriété (ATF 113 Ia 362 consid. 2 p. 364 ; DFJP/OFAT, Étude relative à la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, nos 2 et 15 ad art. 27) ; elle permet notamment d'interdire temporairement toute construction (DFJP/OFAT, op. cit., n° 13 ad art. 27). Une telle mesure doit cependant, en vertu du droit fédéral, être limitée dans le temps (art. 27 al. 2 LAT). Elle ne doit pas servir à repousser indéfiniment la mise à l'enquête ou l'adoption de la nouvelle réglementation. La mesure ne peut trouver aucune justification si elle se prolonge pour toute autre raison que celle d'être au service de l'adoption de la nouvelle réglementation (Manuel BIANCHI, Réflexions autour des mesures provisionnelles à l'occasion de la révision d'un plan d'aménagement local, ZBl 1987 396, p. 407). La mesure doit être levée dès qu'elle n'est plus nécessaire (Alexander RUCH, Commentaire LAT, n° 56 ad art. 27 LAT ; Berhnard WALDMANN/Peter HÄNNI, Raumplanungsgesetz, Berne 2006, n° 16 ad art. 27 LAT ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.365/2006 du 5 octobre 2006 consid. 3.1 et 3.4). 

L'art. 27 LAT est considéré comme une base légale suffisante et ne nécessite pas de dispositions cantonales d'exécution (DFJP/OFAT, op. cit., n° 7 et 12 ad art. 27). L'intérêt public attaché à la création d'une zone réservée implique une sérieuse volonté d'aménager et présuppose l'admissibilité du projet d'aménagement futur ; le principe de la proportionnalité exige quant à lui que la ZR ne soit pas plus vaste et ne dure pas plus longtemps que ne le requiert le but poursuivi (ATF 113 Ia 362 consid. 2a-c p. 365-367; 105 Ia 223 consid. 2d p. 228 s. ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.365/2006 du 5 octobre 2006 consid. 3.1).

c. En vertu de l'art. 10 RaLAT entré en vigueur le 16 juin 2015, lorsque la sauvegarde des buts et principes régissant l'aménagement du territoire l'exige, notamment lorsqu'une modification des normes d'une zone est envisagée en vue d'une meilleure utilisation de terrains à bâtir, le Conseil d'État peut, à titre provisoire et pour une durée de cinq ans, adopter un plan portant création d'une ZR au sens de l'art. 27 LAT (al. 1). À l'intérieur de celle-ci, rien ne doit être entrepris qui soit de nature à compromettre des objectifs d'urbanisme ou la réalisation d'équipements publics. À cet effet, le département peut refuser l'autorisation de construire sollicitée en vertu de l'art. 1 LCI (al. 2). La procédure, prévue à l'art. 20 al. 7 LaLAT, pour l'adoption, la modification ou l'abrogation des plans localisés agricoles est applicable par analogie, à l'exception de l'art. 5 al. 11 LExt. Si les circonstances le justifient, le Conseil d'État peut modifier ou abroger une ZR avant l'expiration du délai prévu à l'al. 1; la procédure est identique à celle prévue à l'al. 3 (al. 4).

d. Selon l'art. 13C al. 1 LaLAT, adopté le 12 mai 2017 et entré en vigueur le 29 juillet 2017, lorsque la sauvegarde des buts et principes régissant l’aménagement du territoire l’exige, notamment lorsqu’une modification des limites de zones est envisagée, le Conseil d’État peut adopter, à titre provisoire et pour une durée de cinq ans au plus une ZR au sens de l’article 27 LAT (al. 1).

e. Selon la doctrine et la jurisprudence, en droit de la construction, la loi applicable est celle en vigueur au moment où statue la dernière instance saisie du litige. La jurisprudence admet ainsi d’une façon générale qu’une demande d’autorisation de bâtir déposée sous l’empire du droit ancien est examinée en fonction des dispositions en vigueur au moment où l’autorité statue sur cette demande, même si aucune disposition légale ou réglementaire ne le prévoit ; les particuliers doivent en effet toujours s’attendre à un changement de réglementation (ATF 101 Ib 297 consid. 2b p. 299 ; ATA/653/2014 du 19 août 2014 ; ATA/56/2013 du 29 janvier 2013). En statuant sur une demande d’autorisation suivant des prescriptions devenues obligatoires après son dépôt, le juge ne tombe pas dans l’arbitraire, ni ne viole une disposition impérative ou la garantie de la propriété (ATF 107 Ib 133 consid. 3 p. 138 ; ATA/653/2014).

f. Dans un arrêt récent du 13 juin 2017 (ATA/659/2017 consid. 6) examinant le bien-fondé du refus de délivrance d'une autorisation de construire en zone villas en raison de l'incompatibilité de ce projet avec l'objectif de densification de la cinquième zone concernée par une modification de zone, la chambre de céans a retenu, en regard de l'art. 10 RaLAT, que la condition de l'intérêt public était donnée dans la mesure où il s'agissait de permettre la construction d'un nombre plus important de logements, conformément au PDCn 2030. Il en allait de même de la condition de la proportionnalité, étant donné qu'il s'agissait d'éviter que la future densification par modification de zone prévue par le PDCn 2030 ne soit mise en péril. L'intérêt public d'une densification par modification de zone primait sur l'intérêt privé de la recourante de densifier sa parcelle au sens de la dérogation prévue par l'art. 59 al. 4 let. a LCI, dans le contexte genevois qui connaissait une pénurie de logements.

g. En l'occurrence, les recourants ne font, à juste titre, pas valoir que l'existence d'une base légale ferait défaut. En effet, tel que rappelé ci-dessus, en matière de ZR, des dispositions cantonales d'exécution de l'art. 27 LAT ne sont pas nécessaires. Au demeurant, celles-ci existent désormais – à tout le moins – depuis l'entrée en vigueur de l'art. 13C LaLAT. Il en va de même de la compétence du Conseil d'État pour instaurer de telles mesures provisionnelles. Le renvoi du rapport du Conseil d'État le 29 janvier 2016 à la commission d'aménagement du canton n'apporte en l'état aucun changement à ces bases légales.

Concernant l'exigence d'un intérêt public, il a déjà été retenu de jurisprudence récente que la nécessité de construire un nombre plus important de logements en cas de pénurie dans ce domaine, y satisfait. À cela s'ajoute que l'obligation de densification des autorités genevoises résulte du PDCn 2030 qu'elles ont adopté et qui a été approuvé par le Conseil fédéral. Ce document fondateur illustre leur réelle intention de procéder aux aménagements nécessaires, induits par le manque d'habitations préoccupant. À cet égard, il sied de rappeler que l'adoption d'un plan d'utilisation du sol ne constitue pas un prérequis à l'instauration d'une ZR.

S'agissant de l'utilisation du refus conservatoire, hypothèse initialement proposée par le Conseil d'État par l'intermédiaire du PL 11411, celle-ci a été expressément écartée par le législateur en raison de l'absence de circonscription du périmètre sur lequel cette mesure provisionnelle aurait porté. Faute d'une possible délimitation précise, elle aurait été applicable sur tout le territoire du canton.

Ainsi, en tant qu'elle vise une superficie aux contours définis, la ZR a été choisie par les deux pouvoirs comme étant la mesure provisionnelle la plus adaptée à la mise en œuvre du PDCn 2030. En outre, le 23 mars 2016, le Conseil d'État a mis à jour la carte intitulée « programme de densification du quartier de villas » en indiquant une réduction du nombre et de la surface des périmètres destinés à passer en ZR. Si ce type de revirement peut, de prime abord, permettre de douter de la précision du travail effectué en amont, il démontre néanmoins, de manière subséquente, une certaine prise en considération des divers enjeux et intérêts en présence, ainsi qu'une approche tendant à une rationalisation.

Finalement, le préavis de la commune revêtant un caractère consultatif, il n'appartient pas à la chambre de céans de revoir l'opportunité de la décision du Conseil d'État ou du département.

Si les inconvénients de cette situation, subis par les propriétaires des parcelles touchées, sont à l'évidence non-négligeables, ceux-ci ne permettent cependant pas de s'écarter de l'intérêt public de la population entière à pouvoir se loger convenablement. En tant que la ZR concerne un périmètre déterminé pour une durée limitée dans le but de préserver le potentiel de densification et d'éviter des mesures éventuellement plus intrusives, elle apparaît également conforme au principe de la proportionnalité. Ces considérations n'impliquent cependant pas que l'instauration des ZR préjuge de l'adoption des mesures de déclassement envisagées.

Il résulte de ce qui précède que le Conseil d'État pouvait valablement rejeter l'opposition des recourants quant à l'instauration de la ZR n° 30027-544, intégrant les parcelles de certains d'entre eux.

9) Subsidiairement, les recourants considèrent que la durée effective de la mesure, soit la ZR n° 30027-544, dépasserait celle autorisée par le droit fédéral, à savoir cinq ans, puisqu'elle aurait commencé à courir dès la publication de la carte au mois de juillet 2015 sur le site internet du département.

10) a. À teneur de l'art. 13C al. 2 LaLAT, la durée de cinq ans visée à l’art. 13C al. 1 LaLAT commence à courir dès l’adoption de la ZR sur le périmètre concerné. Lorsqu’il a été préalablement fait application de l’art. 13B LaLAT, elle est, pour la parcelle concernée, réduite de celle correspondant aux effets de cette mesure. Cette durée ne peut, au surplus, être matériellement prolongée par toute autre mesure conservatoire. L'art. 13C al. 3 LaLAT précise encore que seule la publication dans la FAO de la décision d’adoption de la ZR permet de la porter à la connaissance du public par le biais d’une carte ou de tout autre moyen de publicité.

 À cet égard, il était prévu que le département supprime sans délai toute carte identifiant des ZR si celles-ci n’ont pas été adoptées selon la procédure visée à l’article 13C al. 4 LaLAT (art. 36 al. 5 LaLAT).

Selon les travaux préparatoires relatifs au PL 12023 ayant proposé l'adoption de l'art. 13C LaLAT, celle-ci tendait notamment à assurer une base légale cantonale formelle à l'art. 10 RaLAT, soit l'instauration des ZR
(PL 12023-A p. 1). En outre, il avait été relevé que la procédure suivie par le Conseil d'État, consistant notamment à publier sur le site internet du département une carte des ZR envisagées comportant onze périmètres en juin 2015 sans que ceux-ci ne fassent pourtant l'objet d'arrêtés d'adoption de ZR, était problématique. Cette publication avait eu un effet immédiat pour les propriétaires touchés qui dès lors, avaient vu l'estimation de leur parcelle être particulièrement précaire, voire dévaluée (PL 12023-A p. 2). À cette occasion, les représentants du DALE avaient confirmé leur intention de ne pas cumuler les ZR et d'autres mesures conservatoires telles que le refus conservatoire (PL 12023-A p. 5).

Lors des débats devant le Grand Conseil, les aspects précités ont été rappelés. Il a également été souligné que le but de cette disposition était de « régler l'avenir, en prévoyant que le délai de départ des cinq ans de la ZR commen[çait] au moment où un arrêté du Conseil d'État entr[ait] en vigueur, il vis[ait] également à empêcher que toute autre mesure provisionnelle du même type puisse s'appliquer avant ou après la mesure de ZR et donc puisse augmenter ce délai de cinq ans qui, au regard de la jurisprudence fédérale, [était] un délai maximal ». La commission d'aménagement du canton, en charge du traitement du PL 12023 avait « étudié la question de l'impact sur les valeurs immobilières, sans préjuger aucunement des questions juridiques ouvertes, soit la possibilité pour les propriétaires visés de tenter de faire valoir leurs droits pour indiquer que le délai [avait] commencé à courir en juin 2015, ou l'éventualité pour ces mêmes propriétaires d'actionner l'État en responsabilité s'ils considér[aient] que la publication anticipée de la carte leur [avait] causé un dommage. [Elle avait] auditionné des experts immobiliers qui [leur avaient] indiqué que la décote sur ces parcelles touchées par les ZR serait de 10 % à 15 % environ, décote qui s'ajout[ait] à une décote originelle […] due à leur inscription au plan directeur cantonal en vue d'un déclassement. [C'était] donc une double peine qui touch[ait] ces propriétaires puisqu'ils subiss[aient] une première décote parce qu'ils [étaient] visés par des déclassements, et une deuxième par cette mesure de ZR ». Pour le conseiller d'État en charge du DALE, la ZR permettait « d'informer les propriétaires de ce qui [allait] se produire. Dans ce cadre, elle [devait] être bien régulée, être d'une durée maximale de cinq ans, y compris le temps des refus conservatoires ». La ZR repositionnait également le marché immobilier selon les inscriptions au Registre foncier montrant que les propriétaires de villas en ZR avaient pu vendre leur bien essentiellement à des promoteurs-développeurs (MGC [En ligne], séance du 12 mai 2017 à 14h, disponible sur http://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010403/14/23/#1563983).

b. L'art. 4 LAT se distingue de l'art. 29 al. 2 Cst., dès lors que les deux dispositions poursuivent des buts différents (ATF 135 II 286 consid. 4 p. 290). En vertu de l'art. 4 LAT, les autorités chargées de l'aménagement du territoire renseignent la population sur les plans dont la loi prévoit l'établissement, sur les objectifs qu'ils visent et sur le déroulement de la procédure (al. 1) ; ils veillent à ce que la population puisse participer de manière adéquate à l'établissement des plans (al. 2) ; les plans prévus par la LAT peuvent être consultés (al. 3).

Le droit fédéral ne définit pas l'étendue de l'information et de la participation prévues à l'art. 4 LAT. Si l'organisation de séances d'information constitue un moyen efficace de mettre en œuvre cette disposition, il ne s'agit pas d'une obligation légale (DFJP/OFAT, op.cit., n° 7 ad art. 4). L'art. 4 al. 1 LAT implique ainsi que la collectivité publique fournisse à la population l'information qui lui est nécessaire pour se forger valablement une opinion (DFJP/OFAT, op.cit., n° 12 ad art. 4). Il est par exemple envisageable que la mise en consultation d'un dossier suffise à satisfaire aux exigences du droit d'information et de participation prévu par la législation fédérale. Les autorités compétentes disposent ainsi d'un large pouvoir d'appréciation dans l'application de l'art. 4 LAT (ATF 133 II 120 consid. 3.2 p. 124 et les références).

La participation des administrés doit intervenir dès la genèse de la planification, c'est-à-dire à un stade où celle-ci n'a pas encore de portée irréversible. Il s'agit non seulement d'asseoir la légitimité démocratique des outils de planification, mais aussi d'éviter autant que possible les diverses oppositions. En principe, toutes les personnes touchées sur le territoire concerné par la mesure d'aménagement doivent être informées, soit par le biais de séances d'information, voire par voie de publication officielle, soit par l'intermédiaire des médias. Toute personne peut par ailleurs demander des renseignements à titre individuel sans avoir à justifier d'un intérêt particulier. Le droit de participation prévu à l'art. 4 al. 2 LAT tend à éviter que les projets soient élaborés à huis-clos ou que la population soit mise devant le fait accompli. Celle-ci doit disposer d'un moyen réel d'intervenir effectivement dans le processus, en exerçant une véritable influence sur le résultat à atteindre (DFJP/OFAT, op.cit., n° 3 ad art. 4 ; Peter HÄNNI, Planungs-, Bau- und besonderes Umweltschutzrecht, Berne 2016, p. 140). L'art. 4 al. 1 et 2 LAT donne ainsi un mandat législatif aux cantons, à qui il appartient de déterminer le type d'information et les autorités compétentes (ATF 135 II 286 consid. 4.1 p. 290 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_266/2016 du 14 juin 2017 consid. 2.1).

c. Conformément aux principes de la sécurité du droit et de la légalité, lorsque le droit cantonal prévoit l'effet anticipé négatif d'une norme non encore approuvée, et empêche ainsi la construction d'un ouvrage supposé conforme au droit en vigueur, il est nécessaire que cette mesure soit limitée dans le temps (Manuel BIANCHI, La révision du plan d'affectation communal, thèse Lausanne 1990, p. 187). Cette limitation découle de la nature juridique de l'effet anticipé, qui équivaut à une suspension de la procédure ou à un blocage temporaire, en d'autres termes à des mesures provisionnelles (arrêt du Tribunal fédéral 1C_694/2013 du 31 janvier 2014 consid. 2.2 et les références citées). Par ailleurs, l'effet anticipé positif, soit l'application du droit futur, qui n'est pas encore en vigueur, en lieu et place du droit actuel, n'est pas admissible, même s'il est prévu dans une loi. L'art. 27 LAT ne permet pas non plus que des projets soient jugés exclusivement selon les intentions de planifications, c'est-à-dire selon le droit futur (Alexander RUCH, Commentaire pratique LAT : Planifier l'affectation, 2016, n° 55 ad art. 27 LAT et les références citées).

d. La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Le juge ne se fonde cependant sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 137 IV 180 consid. 3.4). En revanche, lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause, il y a lieu de déroger au sens littéral d’un texte clair (ATF 137 I 257 consid. 4.1) ; il en va de même lorsque le texte conduit à des résultats que le législateur ne peut avoir voulus et qui heurtent le sentiment de la justice et le principe de l’égalité de traitement (ATF 135 IV 113 consid. 2.4.2). De tels motifs peuvent découler des travaux préparatoires, du but et du sens de la disposition, ainsi que de la systématique de la loi (ATF 135 II 78 consid. 2.2). Si le texte n’est ainsi pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 136 III 283 consid. 2.3.1). Le juge ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme (ATF 139 IV 270 consid. 2.2 ;
137 IV 180 consid. 3.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_839/2015 du 26 mai 2016
consid. 3.4.1 ; 1C_584/2015 du 1er mars 2016 consid. 4.1).

e. En l'espèce, le département a effectivement publié sur son site internet en date du 14 juillet 2015 une carte intitulée « programme de densification des quartiers de villas », désignant notamment les périmètres de ladite zone sur lesquels seraient instaurées des ZR. En procédant de la sorte, le département, soit pour lui, le Conseil d'État, ne conteste pas avoir porté à la connaissance de tous des intentions de mesures d'aménagement territoire qui n'avaient pourtant pas encore été formellement adoptées. Les principaux intéressés, les propriétaires des parcelles concernées, n'en avaient d'ailleurs même pas encore été informés, puisque ce n'est que par courrier du 29 mars 2016 qu'ils l'ont été. À cela s'ajoute que, dès l'instant où le Grand Conseil a examiné cette démarche lors de sa séance du 29 janvier 2016, il s'y est opposé, renvoyant le rapport du Conseil d'État M 2278-A à la commission d'aménagement du canton pour étude. Nonobstant cette prise de position, le DALE a maintenu la publication de ladite carte sur son site internet, se contentant de l'actualiser le 23 mars 2016 en réduisant la portée des ZR.

Dans ce contexte, le Conseil d'État ne saurait faire valoir qu'il s'agissait uniquement pour le département de satisfaire à un devoir d'information de la population au sujet du PDCn 2030 au sens de l'art. 4 LAT, alors qu'il ne pouvait raisonnablement en ignorer les répercussions, que les renseignements fournis dépassaient largement le contenu stricto sensu du PDCn 2030 et que la mise à l'enquête publique n'avait même pas encore eu lieu.

En adoptant l'art. 13C LaLAT, le législateur a d'ailleurs clairement mentionné sa volonté de circonscrire l'application des ZR, notamment au niveau temporel, en précisant que toute appréciation ou voie d'action en rapport avec les conséquences de la publication de la carte susmentionnée au mois de juillet 2015 étaient réservées. En effet, il était alors relevé que, selon les auditions menées par les députés dans le cadre de l'étude du PL 12023, une décote supplémentaire de l'ordre de 10% à 15% des valeurs immobilières en résultait et s'ajoutait à une décote initiale équivalente due à l'inscription desdites parcelles au PDCn 2030. Qu'un repositionnement du marché de l'immobilier ait pu être constaté par le département du fait de ces mesures, apparaît ainsi incontestable. Il ne permet toutefois pas d'occulter les conséquences financières de celles-ci pour les propriétaires visés. Autrement dit, bien qu'elles n'eussent pas encore été régulièrement adoptées au mois de juillet 2015, les ZR ont commencé à déployer leurs effets dès cette date. En ces circonstances, le retrait de la carte en cause a été prévu par le législateur à l'art. 36 al. 5 LaLAT disposant que le département supprime sans délai toute carte identifiant des ZR si celles-ci n’ont pas été adoptées selon la procédure visée à l’art. 13C al. 4 LaLAT.

Au vu de ce qui précède et de la prohibition du cumul des mesures provisoires prévue à l'art. 13C al. 2 LaLAT, il faut retenir que la durée durant laquelle la carte intitulée « programme de densification des quartiers de villas » a été publiée sur le site internet du département doit être déduite de celle autorisée pour l'instauration d'une ZR. Ladite carte ayant été publiée du 14 juillet 2015 jusqu'au, vraisemblablement, 29 juillet 2017, date de l'entrée en vigueur des art. 13C et 36 al. 5 LaLAT, une période équivalente devra être imputée du délai de cinq ans prévu par les art. 27 al. 2 LAT et 13C al. 1 LaLAT.

11) À titre principal, le recours sera rejeté s’agissant de l'instauration de la ZR n° 30027-544 et de la compétence du Conseil d'État pour y procéder. Il sera partiellement admis sur la question de la durée effective de la mesure provisionnelle en cause, considérant la publication du 14 juillet 2015 de la carte intitulée « programme de densification des quartiers de villas » sur le site internet du DALE.

12) Vu l’issue du litige et dans la mesure où les recourants succombent sur l'essentiel de leur recours, il ne sera pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 août 2017 par la Chambre genevoise immobilière, Monsieur Frédy MOSER et Monsieur Manfred ROCKLINGER contre l'arrêté du Conseil d'État du 28 juin 2017 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

dit que la période, durant laquelle la carte intitulée « programme de densification des quartiers de villas » a été publiée sur le site internet du département de l’aménagement, du logement et de l’énergie à partir du 14 juillet 2015, doit être déduite de la durée de la mesure provisionnelle concernée, soit la zone réservée n° 30027-544 ;

confirme l'arrêté du Conseil d'État du 28 juin 2017 pour le surplus ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à la Chambre genevoise immobilière, agissant en son nom et comme mandataire de Monsieur Frédy MOSER et Monsieur Manfred ROCKLINGER, à Me Alain Maunoir, avocat du Conseil d'État, ainsi qu’à l’office fédéral du développement territorial (ARE).

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Krauskopf, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

K. De Lucia

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :