Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1012/2017

ATA/433/2017 du 18.04.2017 ( AIDSO ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1012/2017-AIDSO

" ATA/433/2017

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 18 avril 2017

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

Mme A______
représentée par Me Maurizio Locciola, avocat

contre

HOSPICE GÉNÉRAL



Vu l’art. 7 al. 1 du règlement de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) du 21 décembre 2010 ;

Attendu, en fait, que :

1. Madame A______, née en 1964, séparée judiciairement ou divorcée et sans enfant mineur à charge, bénéficie d’une aide financière de l’Hospice général (ci-après : l’hospice) depuis le 1er mai 2005.

2. À la suite d’une enquête qu’il avait menée, l’hospice, dans une décision du
17 juin 2016 émanant du centre d’action sociale (ci-après : CAS), a reproché à l’intéressée d’avoir travaillé en tant que femme de ménage auprès de trois entreprises entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2012 et possédé deux comptes bancaires non déclarés sur lesquels des versements représentant un montant total de
CHF 16'529.70 avaient été effectués, et d’avoir reçu un montant de CHF 339.70 reçu en date du 3 novembre 2014 correspondant au remboursement de frais de chauffage pour l’année 2013/2014. La bénéficiaire n’avait pas communiqué ces informations à l’hospice. Le remboursement de la somme de CHF 182'622.30 en capital était dès lors demandé.

3. Par décision du CAS du 27 juin 2016 fondée sur les mêmes faits reprochés, l’hospice a réduit le forfait d’entretien de Mme A______ au barème d’aide financière exceptionnelle pendant six mois à compter du 1er juillet 2016 et a supprimé ses prestations circonstancielles, à l’exception des éventuelles participations aux frais médicaux et dentaires, conformément à l’art. 35 du règlement d’exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01).

4. Par acte de son conseil du 17 août 2016, Mme A______ a formé opposition contre ces deux décisions et a sollicité la restitution de l’effet suspensif pendant la durée du traitement de son opposition.

5. Par lettre du 25 août 2016, l’hospice a décidé d’accorder l’effet suspensif à son opposition dirigée contre la décision de sanction du 27 juin 2016.

6. Par décision de son directeur général du 20 février 2017, l’hospice a partiellement admis l’opposition de Mme A______, a confirmé la décision du
17 juin 2016 à hauteur de CHF 55'348.60 en capital et confirmé la décision du
27 juin 2016, subsidiairement rejeté la demande de remise formée par
Mme A______, cette décision étant déclarée exécutoire nonobstant recours s’agissant de la sanction.

7. Par acte expédié le 21 mars 2017 au greffe de la chambre administrative, Mme A______ a formé recours contre cette décision et conclu préalablement à l’octroi de l’effet suspensif, principalement à l’annulation de la décision sur opposition du directeur général en tant qu’elle confirmait la décision du 27 juin 2016 du CAS et cela fait, à la suppression de toute réduction de prestations et à la condamnation de l’hospice en tous les dépens de la procédure, y compris une participation aux honoraires de son conseil, l’intimé devant être débouté de toutes autres ou contraires conclusions.

8. Dans sa détermination du 3 avril 2017, l’hospice a conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif et au fond au rejet du recours et à la confirmation de la décision attaquée.

9. Sur ce, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

Attendu, en droit, que :

1. a. Aux termes de l’art. 21 de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), l’autorité peut d’office ou sur requête ordonné des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (al. 1) ; ces mesures sont ordonnées par le président s’il s’agit d’une autorité collégiale ou d’une juridiction administrative (al. 2).

En vertu de l’art. 66 LPA sauf dispositions légales contraires, le recours a effet suspensif à moins que l’autorité qui a pris la décision attaquée n’ait ordonné l’exécution nonobstant recours (al. 1) ; toutefois lorsqu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l’effet suspensif (al. 3).

b. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis. Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond
(ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3).

Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253-420, 265).

L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

Pour effectuer la pesée des intérêts en présence qu’un tel examen implique, l'autorité de recours n'est pas tenue de procéder à des investigations supplémentaires, mais peut statuer sur la base des pièces en sa possession (ATF 117 V 185 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_435/2008 du 6 février 2009 consid. 2.3 et les arrêts cités).

c. En matière d’aide sociale, les chances de succès de la procédure sur le fond ne constituent pas un critère exclusif pour juger du bien-fondé d'une restitution de l'effet suspensif. Il importe également de prendre en considération et de pondérer les intérêts en présence, surtout lorsque la décision à rendre peut porter atteinte au droit du justiciable à des conditions minimales d'existence (arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.3 ; ATF 138 I 331 consid. 7.3).

2. Selon les allégations de la recourante, attestation médicale à l’appui, à partir de fin 2012, son état de santé s’étant aggravé, elle a cessé définitivement tout travail. Elle présente un trouble bipolaire de type II, qui a nécessité diverses hospitalisations en 2012 et 2015 ainsi qu’une prise en charge en hôpital de jour psychiatrique en octobre 2012 en raison d’un épisode hypomane ; elle a en outre présenté des rechutes dépressives, hypomanes et mixtes, se traduisant par une fuite des idées, un ralentissement psychomoteur, un isolement social et affectif et d’importants troubles cognitifs de type troubles de l’attention, de la concentration et de la mémoire récente.

D’après ses explications, elle avait concrètement constaté, alors même qu’auparavant elle reçoit CHF 2'300.- d’aide sociale, que depuis le début du mois de mars 2017, elle percevait environ CHF 500.- de moins. Elle dispose donc de prestations de CHF 1'800.- pour vivre. Or, compte tenu principalement du montant du loyer qu’elle doit payer à hauteur de CHF 1335.- par mois et compte tenu d’autres charges fixes, il ne lui reste que CHF 100.- à 200.- par mois pour se nourrir, ce qui est manifestement insuffisant. Le montant qu’elle reçoit est ainsi non seulement manifestement inférieur au minimum vital, mais lui est insuffisant pour subvenir à ses besoins élémentaires. L’exécution de la sanction par l’hospice ne fait qu’aggraver son état de santé, étant donné que cette situation d’incertitude financière et cette peur de ne pas réussir à se nourrir correctement l’angoissent considérablement.

L’hospice s’oppose à la restitution de l’effet suspensif au motif que, comme il se propose de le montrer dans la partie au fond, l’issue du litige ne semble pas faire de doute, et ce même en procédant à un examen prima facie. La quotité et la durée de la sanction est, selon l’hospice, proportionnée à la gravité des manquements de la recourante et à l’ensemble de la situation. Par ailleurs, selon les précisions de l’intimé, le montant de la prestation d’aide financière pour la recourante une fois la sanction appliquée, est de CHF 2'319.45 et non de CHF 1'800.- étant précisé qu’il prend en charge la prime d’assurance-maladie, motif pour lequel la recourante perçoit sur son compte la somme de CHF 1'885.65. Quant au loyer, il est toujours pris en charge à hauteur de CHF 1'100.- conformément à l’art. 3 let. a RIASI, le montant de cette prestation n’étant donc pas modifié par la sanction.

3. a. La réduction litigieuse des prestations est fondée sur l’art. 35 al. 1 let. d de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04).

Selon l’art. 35 RIASI, les prestations d’aide financière peuvent être réduites dans les cas visés à l’article 35 de la loi pendant une durée maximale de douze mois
(al. 1) ; en cas de manquement aux devoirs imposés par la loi, le forfait pour l’entretien de la personne fautive est réduit de 15 % et toutes ses prestations circonstancielles sont supprimées, à l'exception de la participation aux frais médicaux et aux frais dentaires, au sens de l'art. 9 al. 2 à 4 RIASI (al. 2) ; en cas de manquement grave, le forfait pour l'entretien de la personne fautive est réduit aux montants définis par l’art. 19 RIASI et toutes ses prestations circonstancielles sont supprimées, à l'exception de la participation aux frais médicaux et aux frais dentaires, au sens de l'art. 9 al. 2 à 4 RIASI (al. 3) ; le degré de réduction est fixé en tenant compte des circonstances du cas d’espèce (al. 4).

b. En l’espèce, les explications de l’intimé ne sont pas entièrement claires s’agissant de savoir si la prise en charge du loyer à hauteur de CHF 1'100.- est incluse ou non dans la somme de CHF 1'885.65 qui est versée sur le compte de l’intéressée. On peut néanmoins déduire des allégations et explications des parties que celle-ci ne dispose, de par l’exécution immédiate de la sanction, que d’une somme de CHF 550.65 par mois pour vivre après le paiement du loyer
(CHF 1'885.65 – CHF 1'335.-). Ce montant est inférieur au montant de base mensuel de CHF 1'200.- pour un débiteur vivant seul selon les normes d’insaisissabilité pour l’année 2017 adoptées le 20 octobre 2016 par la chambre de surveillance des offices des poursuites et des faillites de la Cour de justice.

c. Il sied également de relever que l’aide financière exceptionnelle, à laquelle est réduite la recourante par la sanction querellée, est en principe destinée aux étudiants et personnes en formation (art. 13 RIASI), aux jeunes adultes sans formation qui ne suivent aucune formation (art. 14 RIASI), aux ressortissants d’un état auquel la libre circulation des personnes s’applique (art. 15 RIASI), aux personnes exerçant une activité lucrative indépendante (art. 16 RIASI), aux personnes étrangères sans autorisation de séjour (art. 17 RIASI), aux personnes étrangères sans autorisation de séjour retournant dans le pays d’origine (art. 17A RIASI) et aux personnes de passage (art. 18 RIASI). Cette sanction de réduction à l’aide financière exceptionnelle est réservée aux cas de manquements graves (art. 35 al. 3 RIASI) et les montants alloués sont énoncés à l’art. 19 RIASI.

d. Cela étant, quand bien même les reproches formulés à l’encontre de l’intéressée par l’hospice semblent sérieux, l’exécution immédiate de la sanction en tant qu’elle porte sur la réduction financière exceptionnelle est susceptible le cas échéant de causer un préjudice important à la recourante, comme elle l’allègue. Par ailleurs, le bien-fondé de cette sanction doit en tout état de cause faire l’objet d’un examen au fond approfondi, portant notamment sur la proportionnalité de cette mesure.

e. Vu ces circonstances particulières, il convient de restituer l’effet suspensif pour ce qui est de la réduction du forfait pour l’entretien à l’aide financière exceptionnelle.

4. a. À teneur de l’art. 25 al. 1 LIASI, l’hospice peut accorder au bénéficiaire de l’aide financière des prestations circonstancielles.

Vu cette formulation potestative, l’hospice a une marge d’appréciation importante en la matière (en matière de fixation des objectifs d’un contrat d’action sociale individuelle [CASI] et d’octroi ou de refus des suppléments d’intégration, ATA/287/2017 du 14 mars 2017 consid. 4c). En outre, les prestations circonstancielles sont également supprimées dans les cas moins graves que ceux visés par l’art. 35 al. 3 RIASI, c’est-à-dire en cas de manquements aux devoirs imposés par la loi au sens de l’art. 35 al. 2 RIASI.

b. En l'espèce, la décision attaquée a, concernant les sanctions, un contenu positif, en ce sens qu'elle supprime des prestations précédemment accordées au recourant, et ne se contente pas de rejeter une prétention ou une demande (ATA/464/2014 du
24 juin 2014 consid. 5).

Des mesures provisionnelles reviendraient à admettre le droit du recourant à continuer de percevoir les prestations et correspondraient ainsi à ce qu'il demande au fond, ce qui est en principe prohibé (ATA/464/2014 précité consid. 5).

Par ailleurs, l’intérêt public à la préservation des finances de la collectivité publique intimée, au vu de l’incertitude de la capacité de la recourante à rembourser les mois de prestations qui lui seraient versés en cas de confirmation de la décision querellée, est important (ATA/464/2014 précité consid. 5 ; cf., à tout le moins par analogie, ATA/206/2013 du 2 avril 2013 ; ATA/519/2012 du 10 août 2012).

Il n'y a dès lors pas de nécessité à ce stade d'examiner prima facie les chances de succès du recours en tant qu’il porte sur les prestations circonstancielles.

Enfin, rien ne permet de retenir que l'absence du versement des prestations circonstancielles ait porté – ou porterait – atteinte au droit du justiciable à des conditions minimales d'existence au sens de l'art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. – RS 101) et le priverait des moyens nécessaires à la garantie de ses besoins élémentaires pour survivre d'une manière conforme aux exigences de la dignité humaine (cf., à ce sujet, arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 ; cf. aussi Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, 3ème éd., 2013, n. 1552). La recourante bénéficie en effet sur effet suspensif, conformément au considérant précédent, des prestations d'aide financière, c'est-à-dire des prestations de base de l'aide sociale qui servent précisément à mettre en œuvre l'art. 12 Cst., comme l'indiquent le préambule et l'art. 1 al. 2 2ème phr. LIASI (ATA/464/2014 précité consid. 5).

5. En définitive, la demande de restitution de l’effet suspensif sera partiellement admise, le forfait pour l’entretien de la recourante n’étant pas réduit, alors que la suppression des prestations circonstancielles, à l’exception de la participation aux frais médicaux et dentaires est maintenue, jusqu’à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

restitue partiellement l’effet suspensif au recours en ce sens que le forfait pour l’entretien de Mme A______ n’est pas réduit et que la suppression des prestations circonstancielles à l’exception de la participation aux frais médicaux et dentaires est maintenue, jusqu’à droit jugé au fond ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Maurizio Locciola, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'Hospice général.

 

 

 

Le président :

 

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :