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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3732/2015

ATA/1244/2015 du 17.11.2015 ( FPUBL ) , REFUSE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3732/2015-FPUBL ATA/1244/2015

"

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 17 novembre 2015

sur mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Sophie Ciola-Dutoit, avocate

contre

VILLE DE GENÈVE

 



Attendu, en fait, que :

1) Par décision du 19 décembre 2012 du Conseil administratif de la Ville de Genève (ci-après : la ville), Monsieur A______, domicilié à B______ sur le canton de Vaud, a été nommé au poste de sapeur-pompier professionnel au service d’incendie et de secours (ci-après : SIS) dès le 1er avril 2013, en qualité d’employé.

La nomination était subordonnée à sa domiciliation sur le territoire genevois ou dans la zone autorisée et définie par le protocole d’accord relatif aux directives d’application de la domiciliation des employés de la ville, ainsi que selon l’art. 12 du règlement d’application relatif au personnel en uniforme du service d’incendie et de secours du 14 octobre 2009 (RASIS - LC 21 152.30). Un délai de six mois lui était imparti pour ce faire.

2) À compter du 1er octobre 2013, M. A______ a été domicilié à Nyon, dans le périmètre réglementairement autorisé.

3) Le 19 février 2015, M. A______ a conclu un acte de vente à terme avec droit d’emption portant sur un bien immobilier sis dans la commune de C______. Le délai d’exécution de la vente était fixé au 26 juin 2015.

4) Le 28 avril 2015, M. A______ a sollicité une dérogation à l’obligation de domiciliation.

Son appartement de Nyon était trop petit. Il avait l’occasion, avec son épouse, de devenir propriétaire. Il n’avait rien trouvé dans le périmètre autorisé. Une opportunité unique leur était proposée dans la commune de C____, au-dessus de Morges. Il était conscient de se situer en dehors du périmètre des trente minutes entre la caserne et son domicile. Le « guide Michelin » estimait la durée du trajet à cinquante-trois minutes. L’habitation avait toutefois de nombreux avantages pour sa famille. Un train reliait C______ à Morges. Il pourrait ainsi venir en transports publics. Il avait un scooter pour effectuer le trajet de son domicile à la gare de Morges et un véhicule 4 X 4 pour l’hiver. Le couple avait un fils, né le ______ 2015. Habiter dans ladite région serait profitable à l’enfant qui pourrait être gardé par ses grands-parents. Vivre à C______ n’aurait aucune influence sur son rendement au travail. Venant en train, il n’aurait pas la fatigue due à la conduite et au stress de la route. En cas de réponse positive, il s’engageait à répondre aux alarmes à domicile dans les plus brefs délais. Celles-ci ayant lieu principalement la nuit, la durée du trajet pouvait être considérée comme raccourcie. Il avait effectué un test à 22h et avait mis quarante minutes porte à porte.

5) M. A______ a été auditionné par la commission de domiciliation (ci-après : la commission) le 17 juin 2015.

6) Par décision du 19 juin 2015, la commission a refusé la demande de dérogation domiciliaire.

7) Le 20 juillet 2015, M. A______ a interjeté recours contre la décision précitée devant le Conseil administratif de la ville.

8) Par décision du 22 septembre 2015, le Conseil administratif a rejeté le recours.

Le changement de domicile sollicité excédait la zone autorisée et ne satisfaisait pas aux critères relatifs aux cas limites permettant d’octroyer une dérogation. La distance à laquelle l’intéressé désirait résider se trouvait à 59 km de la caserne principale. Le temps estimé pour y parvenir était, selon les logiciels de calcul d’itinéraire, de cinquante-six minutes. Il excédait de vingt-six minutes le temps prévu par l’ordre de service applicable.

S’agissant de l’intérêt privé du recourant, les motifs invoqués relevaient de la convenance personnelle et devaient céder le pas face à l’intérêt public au bon fonctionnement du SIS.

9) Par acte du 23 octobre 2015, M. A______ a interjeté recours contre la décision précitée devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu à l’annulation de la décision du Conseil administratif du 22 septembre 2015 et de celle de la commission du 19 juin 2015. Il devait être autorisé à se domicilier dans la commune de C______. Préalablement, il sollicitait, par voie de mesures provisionnelles, qu’il soit admis qu’il se domicilie provisoirement dans la commune de C______ jusqu’à droit jugé sur le présent recours.

S’agissant d’une décision négative, une demande de restitution de l’effet suspensif n’entrait pas en considération. Seules des mesures provisionnelles étaient envisageables. Sa femme et son fils étaient d’ores et déjà domiciliés dans la villa récemment acquise à C______. L’issue de la présente procédure étant incertaine et pouvant mener à devoir prendre des décisions ayant des conséquences importantes, notamment la vente du logement de famille, il devait au moins pouvoir bénéficier d’une décision de mesures provisionnelles tolérant son domicile dans la commune de C_____ jusqu’à droit connu sur le recours.

Pour le surplus, la directive relative au rayon de domiciliation du personnel en uniforme du SIS, ainsi que la décision de la commission du 19 juin 2015, fondée sur celle-ci, violait sa liberté d’établissement, protégée par la Constitution fédérale et ne respectait pas le principe de la proportionnalité, puisqu’il existerait d’autres moyens pour parvenir au même but, plus respectueux de son droit fondamental.

10) Par réponse sur mesures provisionnelles du 11 novembre 2015, la ville a conclu au rejet de ladite requête, « sous suite de frais et dépens ».

Les mesures provisionnelles sollicitées se confondaient avec les conclusions au fond, anticipant de la sorte le jugement final. Le recourant se prévalait d’une situation de fait qu’il avait lui-même provoquée, en acquérant une maison située en dehors de la zone autorisée avant même d’entreprendre les démarches nécessaires en vue d’obtenir une éventuelle dérogation, puis en envoyant sa famille y vivre. L’intéressé tentait de mettre les autorités devant le fait accompli, ce qui n’était en aucune manière admissible. De surcroît, les mesures provisionnelles requises n’étaient pas nécessaires au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis. C’était au contraire en conservant la situation juridique actuelle jusqu’à droit jugé au fond que les intérêts respectifs des parties seraient sauvegardés. Dans l’hypothèse où le recourant abandonnait son domicile actuel, sa situation se révélerait particulièrement délicate en cas de rejet de son recours, dans la mesure où il devrait chercher, dans l’urgence, un nouveau domicile au sein de la zone autorisée. À défaut, les rapports de service ne pourraient que prendre fin, étant donné que la nomination d’un sapeur-pompier était expressément subordonnée à sa domiciliation à l’intérieur de la zone prescrite. M. A______ n’avait d’ailleurs pas contesté sa décision de nomination. Enfin, l’intérêt public manifeste de la ville de pouvoir compter sur des sapeurs-pompiers domiciliés à moins de trente minutes de la caserne principale, afin qu’ils puissent répondre aux alarmes partielles ou générales dans les meilleurs délais, devait primer. Le personnel du SIS en repos ou en congé pouvait être alarmé à tout moment.

11) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur mesures provisionnelles.

 

Considérant, en droit, que :

1) Sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif (art. 66 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

L’autorité décisionnaire peut toutefois ordonner l’exécution immédiate de sa propre décision, nonobstant recours, tandis que l’autorité judiciaire saisie d’un recours peut, d’office ou sur requête, restituer l’effet suspensif à ce dernier (art. 66 al. 2 LPA).

2) Selon la jurisprudence constante, les mesures provisionnelles - au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif - ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3 ; ATA/997/2015 du 25 septembre 2015 consid. 3). Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif, ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsorgliche Massnahmen, in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, RDS 1997 II 253-420, 265).

3) Parmi les différents types de mesures provisionnelles, l’effet suspensif vise à maintenir une situation donnée. Il n’a pas pour objectif de créer un état correspondant à celui découlant du jugement au fond. Il ne peut donc que concerner une décision administrative positive, soit une décision qui impose une obligation à l’administré, qui le met au bénéfice d’une prérogative ou qui constate l’existence ou l’inexistence d’un de ses droits de l’une de ses obligations (Cléa BOUCHAT, L’effet suspensif en procédure administrative, 2015, p. 104 n. 278). En procédure administrative, cela correspond à une décision au sens de l’art. 4 al. 1 let. a ou b LPA.

4) En revanche, l’effet suspensif est inopérant lorsque le recours est dirigé contre une décision à contenu négatif, soit contre une décision qui rejette ou déclare irrecevable une demande tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou des obligations, soit une décision au sens de l’art. 4 al. 1 let. c LPA. Ainsi que la doctrine et la jurisprudence le rappellent, la fonction de l’effet suspensif est de maintenir un régime juridique prévalant avant la décision contestée. Si, sous le régime antérieur, le droit ou le statut requis n’existait pas, l’effet suspensif ne peut être restitué en cas de refus car cela reviendrait à accorder au recourant d’être mis au bénéfice d’un régime juridique dont il n’a jamais bénéficié (ATF 127 II 132 ; 126 V 407 ; 116 Ib 344 ; ATA/354/2014 du 14 mai 2014 consid. 4 ; ATA/87/2013 du 18 février 2013 ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6ème éd., 2010, n. 1800 ; Pierre MOOR/ Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2010, n. 5. 8. 3. 3 p. 814).

5) En l'espèce, la décision de refus d'une dérogation domiciliaire constitue une décision négative. C’est en conséquence à juste titre que le recourant indique qu’une demande de restitution de l’effet suspensif n’entre pas en ligne de compte.

6) La mesure provisionnelle sollicitée correspond en l'occurrence très largement à l'octroi, à titre provisoire, de la conclusion principale du recourant au fond, ce qui est en principe prohibé.

Bien que l’on puisse comprendre les intérêts privés du recourant notamment quant à sa famille, l’autoriser à se domicilier provisoirement sur la commune de C______ ne permettrait en rien de préserver l'état de fait en vue du prononcé de l'arrêt à venir de la chambre de céans. Octroyer la mesure provisionnelle sollicitée risquerait au contraire de rendre illusoire la portée du procès au fond en ce que le retour du recourant dans la zone de domiciliation autorisée pourrait s’avérer compliqué s’il devait perdre son recours. L’intéressé ne conteste d’ailleurs pas cette difficulté puisqu’il fonde partiellement son recours sur les obstacles à trouver un logement dans la zone concernée.

Au stade actuel de l'instruction du recours, les chances de succès de celui-ci ne peuvent par ailleurs pas être considérées comme élevées, dès lors que la décision de nomination conditionnait celle-ci à la domiciliation de l’intéressé dans le périmètre règlementairement défini, que le grief de violation de la liberté d’établissement du recourant semble, prima facie, infondé compte tenu notamment de l’intérêt public au bon fonctionnement d’un service de sapeurs-pompiers et que la dérogation sollicitée est importante, s’agissant de presque doubler le temps de parcours autorisé.

En outre, si les intérêts du recourant devaient être compromis, la chambre administrative devrait constater que l’intéressé a investi dans le bien immobilier concerné avant de solliciter, et a fortiori d’obtenir, l’accord de la commission et a, de la sorte, mis les autorités devant le fait accompli tant pour l’acquisition dudit bien que pour le déménagement de sa femme et de son fils.

La mise en balance des intérêts en cause ne permet dès lors pas de donner suite à la demande du recourant de se domicilier à C______.

La demande de mesures provisionnelles sera ainsi rejetée et le sort des frais réservé jusqu'à droit jugé au fond.

vu l’art. 66 al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ;

vu l’art. 7 al. 1 du règlement de la chambre administrative du 21 décembre 2010 ;

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

rejette la demande de mesures provisionnelles ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Sophie Ciola-Dutoit, avocate du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

 


 

 

 

Le vice-président :

 

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :