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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3586/2018

ATA/412/2019 du 09.04.2019 ( LAVI ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 17.05.2019, rendu le 21.05.2019, IRRECEVABLE, 1C_268/2019
Descripteurs : LOI FÉDÉRALE SUR L'AIDE AUX VICTIMES D'INFRACTIONS ; AIDE AUX VICTIMES ; VICTIME ; AGRESSION ; RENTE D'INVALIDITÉ ; SUBSIDIARITÉ ; INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Normes : LAVI.1; LAVI.1.al3; LAVI.2.leta; LAVI.13.al1; LaLAVI.6.al1.letb; LAVI.2.letb; LAVI.2.letc; LAVI.13.al2; LaLAVI.6.al1.letb; LAVI.14.al1; OAVI.5; LAVI.4; LaLAVI.3; LAVI.4.al1; LAVI.4.al2; LAVI.7.al1; LaLAVI.4; RaLAVI.4; RAJ.16; RaLAVI.5.al1; CPP.136.al1; LAVI.13; LAVI.14; LAVI.16; LPC.10.al1.leta; LAVI.6.al1; LAVI.6.al2; LAVI.6.al3; LPC.11; LPC.11.al1; LPC.1.letc; LPC.11.al2; LPC.11.al3; LPC.11.al4; LPC.11.al1.letc; LAVI.16.leta; LAVI.16.letb; OAVI.3; RaLAVI.9; RaLAVI.12; LAVI.25.al1; LAVI.25.al3; OAVI.1.al2.letb; LAVI.30.al1
Résumé : Admission partielle du recours d'une victime d'agression contre l'instance d'indemnisation LAVI, laquelle lui avait refusé l'octroi d'une garantie de prise en charge des honoraires d'avocat dans le cadre de l'aide à plus long terme, ses revenus déterminants dépassant le quadruple du montant destiné à la couverture des besoins vitaux. À teneur des nouvelles pièces produites, ce montant n'est plus dépassé. Renvoi à l'instance LAVI pour qu'elle détermine le montant exact auquel le recourant aura droit.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3586/2018-LAVI ATA/412/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 avril 2019

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
agissant par son curateur, Me Philippe Juvet

contre

INSTANCE D'INDEMNISATION LAVI



EN FAIT

1. Monsieur A______, ressortissant portugais né le ______ 1963, est titulaire d'un permis d'établissement.

2. Le 10 novembre 2013, l'intéressé a été victime d'une grave agression au couteau, lui laissant de lourdes séquelles. Il a notamment perdu l'usage de la parole.

3. Par ordonnance du 15 novembre 2013, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après : TPAE) a institué, à titre provisionnel, une curatelle de portée générale au profit de M. A______ et a désigné Me Philipe JUVET aux fonctions de curateur. Cette mesure, de même que la personne du curateur, ont été confirmées par ordonnance du TPAE du 5 octobre 2016.

4. Par jugement du Tribunal correctionnel du 8 mai 2018, Monsieur B______ a été condamné à une peine privative de liberté de sept ans pour tentative de meurtre, sur la personne de M. A______, laquelle a été suspendue au profit d'un traitement institutionnel.

Il a également été condamné à payer à M. A______ la somme de CHF 180'000.- avec intérêts à 5 % dès le 10 novembre 2013, à titre de réparation morale, ainsi que la somme de CHF 21'600.-, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure.

5. Le 9 mai 2018, le curateur de M. A______ a sollicité l'ouverture d'une procédure d'indemnisation auprès de l’instance d’indemnisation instituée par la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5 ; ci-après : l'instance LAVI), en lien avec l'agression qu'avait subi son protégé en novembre 2013.

M. B______ étant un « SDF » danois sans ressource, il ne pourrait jamais s'acquitter, en tout ou partie, des montants qu'il avait été condamné à payer par le jugement du Tribunal correctionnel du 8 mai 2018.

6. Lors de l'audience du 21 juin 2018 devant l'instance LAVI, le curateur de
M. A______ a indiqué qu'un litige était en cours contre l'assurance C______. Selon cette dernière, son protégé avait participé à une rixe. Elle avait ainsi réduit de moitié la rente d'invalidité, la rente de prestations complémentaires et la rente pour impotent. Son protégé vivait auprès de la fondation D______ depuis qu'il n'était plus hospitalisé, ce qui lui coûtait CHF 7'000.- par mois. Les paiements se faisaient grâce aux économies de son protégé, mais « cela [allait] bientôt se terminer ».

Lors de cette audience, l'instance LAVI a indiqué qu'elle attendrait la fin du litige avec C______ avant de statuer.

7. Le 25 juin 2018, le curateur de M. A______ a formé une demande d'indemnisation auprès de l'instance LAVI « pour les dépenses occasionnées par la procédure [pénale] ».

Il avait déjà présenté une demande d'indemnisation pour le montant dû au titre de la réparation du tort moral ainsi que des dommages et intérêts.

8. Le 12 juillet 2018, le curateur de M. A______ a remis à l'instance LAVI le « formulaire pour une demande financière d'aide à plus long terme : frais d'avocat ». À teneur dudit formulaire, il sollicitait la prise en charge de ses frais selon la taxation établie par le Tribunal correctionnel. Aucune demande d'assistance juridique n'avait été formée pour la prise en charge des frais dans le cadre de la procédure pénale, dès lors que M. A______ avait alors les moyens de prendre en charge ses frais de défense. Son protégé n'avait par ailleurs aucune assurance de protection juridique.

Il avait complété ledit formulaire du mieux qu'il pouvait. Dès lors que son protégé était incapable de parler depuis l'agression, il n'avait pu recueillir aucun renseignement auprès de celui-ci sur sa vie avant son agression. Les relevés bancaires produits mentionnaient notamment les indemnités que versaient les assurances sociales à son protégé ainsi que les montants qu'il percevait du Portugal en relation avec la vente de ses biens immobiliers.

Étaient notamment joints les relevés bancaires de M. A______ pour les mois d'avril à juin 2018 ainsi que sa taxation fiscale pour l'année 2016.

9. Par décision du 25 septembre 2018, conformément à la décision prise par son comité lors de la séance du 8 septembre 2018, l'instance LAVI a refusé l’octroi d’une garantie de prise en charge des honoraires d'avocat dans le cadre de l'aide à plus long terme.

M. A______ revêtait indéniablement la qualité de victime et il avait été pris note du fait qu'il ne pouvait actuellement obtenir aucune prestation de la part de tiers débiteurs. En revanche, le total de ses revenus déterminants (CHF 123'961.53) dépassait le quadruple du montant destiné à la couverture des besoins vitaux (CHF 77'160.-) selon la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI du 6 octobre 2006 (loi sur les prestations complémentaires, LPC - RS 831.30). Dès lors, conformément à l'art. 6 al. 1 LAVI, il n'avait pas le droit à l'aide à plus long terme.

Les éléments de calcul retenus dans la décision étaient les suivants :

 

Revenus déterminants

revenu net : CHF 60.65

rente AVS/AI : CHF 1'884.-

rente AVS/AI : CHF 1'508.-

autres rentes : CHF 538.35

autres revenus : CHF 2'231.70

produit de la fortune mobilière : CHF 24.-

produit de la fortune immobilière : CHF 2'293.60

Revenu net annualisé = CHF 102'483.60


Revenu déterminant : 2/3 x (CHF 102'483.60 – CHF 1'000)

= CHF 67'655.73

Revenus déterminants liés à la fortune mobilière

fortune mobilière de M. A______ : CHF 345'133.-

montant librement disponible : CHF 75'000.-

fortune nette : 1/10 x (CHF 345'133.- - CHF 75'000.-)

= CHF 27'013.30

Revenus déterminants liés à la fortune immobilière

fortune immobilière de M. A______ : CHF 292'925.-

1/10 x CHF 292'925 = CHF 29'292.50

Total des revenus déterminants

CHF 67'655.73 + CHF 27'013.30 + CHF 29'292.50 = CHF 123'961.53

Montant LPC CHF 19'290.-.

 

10. a. Par acte du 12 octobre 2018, M. A______, agissant par son curateur, a interjeté recours contre la décision précitée auprès de la Chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), en concluant, principalement, à son annulation, à ce qu'il soit dit qu'il devait recevoir
CHF 21'600.- au titre d'indemnisation pour les dépenses occasionnées par la procédure P/1______ et à ce que l'instance LAVI soit enjointe à rendre une telle décision. Subsidiairement, le dossier devait être renvoyé à l'autorité pour qu'elle rende une nouvelle décision dans le sens des considérants. Tout opposant devait être condamné en tous les frais judiciaires et dépens.

Sa fortune mobilière ne s'élevait pas à CHF 345'133.- mais à respectivement CHF 94'334.52 et CHF 10'178.83, comme cela ressortait des relevés bancaires transmis à l'instance LAVI le 12 juillet 2018. Il fallait encore déduire de ces montants la somme de CHF 10'358.95 qui représentait les paiements effectués pour son compte à la fin du mois de septembre 2018, mais qui n'avaient pas encore été débités sur les relevés bancaires produits. Sa fortune diminuait par ailleurs rapidement, du fait notamment du paiement des frais de résidence à hauteur de CHF 7'680.- par mois. Selon sa taxation 2016, sa fortune immobilière s'élevait à CHF 292'925.-. Toutefois, ladite fortune était désormais nulle dès lors que ses biens immobiliers portugais avaient fait l'objet de contrats de promesse d'achat et de vente. Le montant total à prendre en compte au titre de revenu net annualisé s'élevait à CHF 43'587.- et non à CHF 102'483.60.

L'instance LAVI avait pris en compte des revenus et des revenus déterminants de la fortune mobilière et immobilière qui ne représentaient pas l'état actuel de sa fortune et de ses revenus. Les calculs devaient dès lors être repris. L'intimée ne pouvait par ailleurs se retrancher derrière l'application de l'art. 9 al. 3 du règlement d'exécution de la loi d'application de la loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 13 avril 2011 (RaLAVI - J 4 10.01) pour refuser de prendre en charge ses frais d'avocat, dans la mesure où elle n'avait pas mentionné refuser ses prestations pour ce motif dans sa décision du 25 septembre 2018.

Était joint un chargé de pièces comprenant notamment :

- un extrait de compte courant de M. A______ à la BCGE au
30 septembre 2018 à teneur duquel son solde s'élevait à CHF 82'963.89 ;

- un extrait du compte épargne de M. A______ auprès du Crédit Suisse au 30 décembre 2017 à teneur son solde d'élevait à CHF 10'178.83 ;

- les bordereaux et avis de taxation 2017 de M. A______ ;

- trois contrats de « promesse d'achat et vente » conclus par de M. A______ et différents tiers le 6 janvier 2012 ; lesdits contrats prévoyaient notamment des paiements mensualisés jusqu'à concurrence du prix de vente des biens immobiliers.

b. Le dépôt dudit recours a été autorisé par le TPAE par décision DTAE/5978/2018 du 5 octobre 2018.

11. Dans sa réponse du 7 novembre 2018, l'instance LAVI a indiqué qu'elle n'avait pas d'observations à formuler et qu'elle s'en remettait à justice.

12. Le 14 novembre 2018, l'instance LAVI a produit son dossier.

13. Le 16 novembre 2018, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

14. Les arguments des parties et le contenu des pièces produites par celles-ci seront repris, en tant que de besoin, dans la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du
26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 11 de la loi d’application de la LAVI du 11 février 2011 - LaLAVI - J 4 10 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a LPA).

2. M. A______ fait l’objet d’une curatelle de portée générale. En l'occurrence, le recours a été formé par son curateur et le TPAE a ratifié le dépôt dudit recours, de sorte que le recourant est valablement représenté. Le recours est ainsi également recevable de ce point de vue.

3. Le litige porte sur la conformité au droit de la décision du centre LAVI refusant au recourant la prise en charge de ses frais d’avocat à hauteur de
CHF 21'600.- découlant de la procédure pénale ayant abouti au jugement du Tribunal correctionnel du 8 mai 2018.

4. Toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle - une victime - a droit au soutien prévu par la LAVI (art. 1 LAVI). Le droit à l'aide aux victimes existe, que l'auteur de l'infraction ait été découvert ou non, ait eu un comportement fautif ou non et ait agi intentionnellement ou par négligence (art. 1 al. 3 LAVI).

Les centres de consultation fournissent immédiatement à la victime et à ses proches une aide pour répondre aux besoins les plus urgents découlant de l'infraction (aide immédiate ; art. 2 let. a et 13 al. 1 LAVI ; art. 6 al. 1 let. b ab initio LaLAVI). Si nécessaire, ils fournissent une aide supplémentaire à la victime jusqu'à ce que l'état de santé de la personne concernée soit stationnaire et que les autres conséquences de l'infraction soient dans la mesure du possible supprimées ou compensées (aide à plus long terme ; art. 2 let. b et c et 13 al. 2 LAVI ;
art. 6 al. 1 let. b in fine LaLAVI). Les centres de consultation peuvent fournir l'aide immédiate et l'aide à plus long terme par l'intermédiaire de tiers (art. 2 let. a et c et 13 al. 3 LAVI).

Les prestations comprennent notamment l’assistance juridique appropriée fournie en Suisse dont la victime a besoin à la suite de l'infraction
(art. 14 al. 1 LAVI). La prise en charge des frais d'avocats ne peut être accordée qu'à titre d'aide immédiate ou d'aide à plus long terme (art. 5 de l'ordonnance sur l'aide aux victimes d'infraction du 27 février 2008 - OAVI - RS 312.51).

5. a. L’aide aux victimes est régie par le principe de la subsidiarité (art. 4 LAVI ; art. 3 LaLAVI). Les prestations d'aide aux victimes ne sont accordées définitivement que lorsque l'auteur de l'infraction ou un autre débiteur ne versent aucune prestation ou ne versent que des prestations insuffisantes (art. 4 al. 1 LAVI). Celui qui sollicite une contribution aux frais pour l'aide à plus long terme fournie par un tiers doit rendre vraisemblable que les conditions de l'art. 4 al. 1 LAVI sont remplies, à moins que, compte tenu des circonstances, on ne puisse pas attendre de lui qu'il effectue des démarches en vue d'obtenir des prestations de tiers (art. 4 al. 2 LAVI).

Le principe de subsidiarité emporte la subrogation des droits du canton qui a accordé des prestations à titre d’aide aux victimes, jusqu’à concurrence des prestations versées, dans les prétentions de même nature que l’ayant droit peut faire valoir en raison de l’infraction (art. 7 al. 1 LAVI).

Ces principes ont été repris et traduits dans le canton de Genève (art. 3 et
4 LaLAVI ; art. 5 RaLAVI).

b. Le principe de subsidiarité se retrouve dans la procédure instaurée pour la prise en charge des frais d’avocat de la victime prévu à l'art. 4 RaLAVI.

Les frais d’avocat de la victime sont à prendre en charge en premier lieu par le responsable du préjudice causé à la victime de l’infraction (al. 1). Dans la mesure où elle en remplit les conditions, la victime s'adresse à l'assistance juridique pour la prise en charge de ses frais, conformément aux art. 136 à 138 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0 ; al. 2). À défaut de prise en charge par l'assistance juridique et à titre subsidiaire aux prestations dues par d'autres tiers, telles qu'une assurance de protection juridique, la victime peut solliciter la prise en charge de ses frais d'avocat au titre de l'aide immédiate ou de contribution aux frais d'une aide à plus long terme fournie par un tiers (al. 3). Dans ce cas, les frais d'avocat de la victime sont pris en charge au tarif pratiqué par l'assistance juridique. L'art. 16 du règlement du 28 juillet 2010 sur l'assistance juridique et l'indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d'office en matière civile, administrative et pénale (RAJ - E 2 05.04) est applicable par analogie (al. 4).

Si le centre LAVI a accordé des prestations et que la victime ou le tiers prestataire reçoivent de la part de l’auteur de l’infraction, de l’assureur ou d’un autre tiers le remboursement de prestations déjà prises en charge par le centre LAVI, ils doivent en informer ce dernier sans délai et lui restituer les prestations qu’il a payées à concurrence du montant reçu (art. 5 al. 1 RaLAVI).

Selon l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles, aux conditions suivantes : la partie plaignante est indigente (let. a) ; l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

c. L’indemnité a donc un caractère subsidiaire. L’État ne doit intervenir que dans la mesure où l’auteur de l’infraction ou les assurances sociales ou privées ne réparent pas effectivement, rapidement et de manière suffisante le dommage subi (FF 1990 II 923-924). Les prestations versées par des tiers doivent être déduites du montant alloué par l’instance LAVI, et ce, même si elles ne sont pas destinées à couvrir le même poste du dommage (ATF 129 II 145 consid. 3.4). La victime doit rendre vraisemblable qu’elle ne peut rien recevoir de tiers (auteur de l’infraction, assurances, etc.) ou qu’elle n’en peut recevoir que des montants insuffisants (ATF 125 II 169 consid. 2b.cc ; ATA/43/2018 du 16 janvier 2018 consid. 2a).

6. a. En vertu des art. 6 et 16 LAVI, l'octroi d'une contribution aux frais pour l'aide à plus long terme fournie par un tiers dépend de la situation financière de la victime. Cependant, il faut également examiner au préalable, sous l'angle des
art. 13 et 14 LAVI, si l'aide ou la mesure est nécessaire, adéquate et proportionnée (arrêt du Tribunal fédéral 1B_114/2010 du 28 juin 2010 consid. 3.1 ; Message du Conseil fédéral concernant la révision totale de la LAVI du 9 novembre 2005,
FF 2005 6683, p. 6733 ; Dominik ZEHNTNER, in Dominik ZEHNTNER/Peter GOMM [éd.], Kommentar zum Opferhilfegesetz, 3ème éd., 2009, n. 1 ad art. 16 LAVI ; ATA/852/2016 du 11 octobre 2016 consid. 7). L’aide doit en outre être appropriée, c'est-à-dire avoir une utilité prévisible (arrêt du Tribunal fédéral 1C_612/2015 précité consid. 2.3 in fine ; ATA/852/2016 précité consid. 7).

Seuls ont droit à une contribution aux frais pour l'aide à plus long terme fournie par un tiers les victimes et les proches dont les revenus déterminants ne dépassent pas le quadruple du montant destiné à la couverture des besoins vitaux, fixé à l'art. 10 al. 1 let. a LPC (art. 6 al. 1 LAVI). Les revenus déterminants de l'ayant droit sont calculés sur la base de ses revenus probables après l'infraction, conformément à l'art. 11 LPC (art. 6 al. 2 LAVI). La réparation morale est accordée indépendamment des revenus de l'ayant droit (art. 6 al. 3 LAVI).

b. Selon l'art. 10 al. 1 let. a LPC (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2019), les montants destinés à la couverture des besoins vitaux sont fixés à
CHF 19'450.- par an pour les personnes seules.

À teneur de l’art. 11 al. 1 LPC, les revenus déterminants comprennent notamment : deux tiers des ressources en espèces ou en nature provenant de l’exercice d’une activité lucrative, pour autant qu’elles excèdent annuellement CHF 1'000.- pour les personnes seules et CHF 1’500.- pour les couples (let. a) ; le produit de la fortune mobilière et immobilière (let. b) ; un quinzième de la fortune nette dans la mesure où elle dépasse CHF 37’500.- pour les personnes seules et CHF 60’000.- pour les couples (let. c) ; les rentes, pensions et autres prestations périodiques, y compris les rentes de l’AVS et de l’AI (let. d) ; les prestations touchées en vertu d'un contrat d'entretien viager ou de toute autre convention analogue (let. e) ; les allocations familiales (let. f); les ressources et parts de fortune dont un ayant droit s’est dessaisi (let. g) ; les pensions alimentaires prévues par le droit de la famille (let. h).

Pour les personnes vivant dans un home ou dans un hôpital, les cantons peuvent fixer le montant de la fortune qui sera pris en compte en dérogeant à
l'al. 1 let. c LPC. Les cantons sont autorisés à augmenter, jusqu'à concurrence d'un cinquième, ce montant (art. 11 al. 2 LPC).

Selon l'art. 11 al. 3 LPC, ne sont pas pris en compte : les aliments fournis par les proches en vertu des art. 328 à 330 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210 ; let. a) ; les prestations d'aide sociale (let. b) ; les prestations provenant de personnes et d'institutions publiques ou privées ayant un caractère d'assistance manifeste (let. c) ; les allocations pour impotents des assurances sociales (let. d) ; les bourses d'études et autres aides financières destinées à l'instruction (let. e) ; la contribution d'assistance versée par l'AVS ou par l'AI
(let. f).

Le Conseil fédéral détermine les cas dans lesquels les allocations pour impotents des assurances sociales doivent être prises en compte dans les revenus déterminants (art. 11 al. 4 LPC).

c. À teneur de l'art. 1 al. 1 OAVI, les revenus déterminants se calculent selon l'art. 11 al. 1 et 3 LPC et les dispositions fédérales y relatives (al. 1).

Selon l'art. 1 al. 2 OAVI, en dérogation à l'al. 1, sont pris en compte aux deux tiers, après déduction d'un montant librement disponible selon l'art. 11 al. 1 let. a LPC :

- les revenus selon l'art. 11 al. 1 let. d à h LPC (let. a ch. 1) et la prestation complémentaire annuelle selon l'art. 9 al. 1 LPC (let a ch. 2) ;

- les revenus déterminants comprennent un dixième de la fortune nette, dans la mesure où celle-ci dépasse le double du montant librement disponible selon
l'art. 11 al. 1 let. c LPC (let. b) ;

- les allocations pour impotents des assurances sociales ne sont pas prises en compte (let. c).

d. Les frais des prestations d'aide à plus long terme fournie par un tiers sont couverts : intégralement, si, au sens de l'art. 6 al. 1 et 2 LAVI, les revenus déterminants de l'ayant droit ne dépassent pas le double du montant destiné à la couverture des besoins vitaux (art. 16 let. a LAVI) ; dégressivement, si, au sens de l'art. 6 al. 1 et 2 LAVI, les revenus déterminants de l'ayant droit se situent entre le double du montant destiné à la couverture des besoins vitaux et le quadruple de ce montant (art. 16 let. b LAVI).

À teneur de l'art. 3 OAVI, si les revenus déterminants de l'ayant droit se situent entre le double du montant destiné à la couverture des besoins vitaux (2 x montant LPC) et le quadruple de ce montant, le montant de la contribution aux frais (contribution) se calcule selon la formule suivante :

contribution = frais – (revenus déterminants – 2 × montant LPC) × frais

2 × montant LPC

e. Au cours de la procédure de recours, il n'est tenu compte des faits nouveaux que si la juridiction y est en général autorisée, si la décision ne sortit ses effets que dès la date de la décision sur recours et si l'économie de procédure l'impose (Blaise KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème éd., 1991, p. 434 n. 2105). Le rôle de l'autorité de recours consiste non seulement à contrôler la solution qui a été adoptée, mais aussi à imposer celle qui est propre à mettre fin à la contestation (ATF 98 Ib 178 ; 92 I 327 ; 89 I 337). Or, en faisant abstraction des faits survenus après la décision attaquée, l'autorité de recours ouvrirait la porte à de nouvelles procédures et risquerait donc de laisser subsister le litige, sans contribuer toujours utilement à le trancher (André GRISEL, Traité de droit administratif, vol. II, 1984, p. 932).

À plusieurs reprises, la chambre de céans a tenu compte, d'office ou sur requête, de faits qui s'étaient produits après que la décision de première instance eut été rendue (ATA/1091/2018 du 16 octobre 2018 consid. 2b ; ATA/286/2017 du 14 mars 2017 consid. 3b ; ATA/10/2017 précité consid. 3b).

7. Selon l'art. 9 RaLAVI, les demandes de contribution aux frais d'une aide à plus long terme fournie par un tiers sont présentées par écrit ; lorsqu'elles émanent d'un tiers prestataire, elles sont motivées et quantifiées (al. 1). La victime qui souhaite que l'instance LAVI prenne en charge des prestations fournies par un tiers doit obtenir préalablement une garantie de prise en charge octroyée par l'instance LAVI (al. 2). Lorsque la victime engage des frais sans avoir préalablement demandé l'octroi d'une telle garantie, l'instance LAVI peut refuser le remboursement de ces frais s'il s'avère que les conditions de leur prise en charge ne sont pas remplies (al. 3).

Les décisions en matière de prestations d'aide immédiate sont rendues par la direction de l'instance LAVI, tandis que celles en matière d'aide à plus long terme sont rendues par le comité de l'instance LAVI (art. 12 RaLAVI).

8. La victime et ses proches doivent introduire leurs demandes d'indemnisation et de réparation morale dans un délai de cinq ans à compter de la date de l'infraction ou du moment où ils ont eu connaissance de l'infraction; à défaut, leurs prétentions sont périmées (art. 25 al. 1 LAVI). Si la victime ou ses proches ont fait valoir des prétentions civiles dans une procédure pénale avant l'échéance du délai prévu aux al. 1 et 2, ils peuvent introduire leur demande d'indemnisation ou de réparation morale dans le délai d'un an à compter du moment où la décision relative aux conclusions civiles ou le classement sont définitifs
(art. 25 al. 3 LAVI).

9. En l'occurrence, il est incontesté que le recourant a la qualité de victime
au sens de l'art. 1 al. 1 LAVI. Par ailleurs, la condition de la subsidiarité est remplie. Comme indiqué par le curateur du recourant, il n'apparaît pas que l'auteur de l'agression, lequel est un ressortissant danois sans domicile fixe, pourrait s'acquitter, en tout ou partie, des montants qu'il a été condamné à payer par le Tribunal correctionnel du 8 mai 2018. Il sera par ailleurs relevé qu'au vu de la situation financière du recourant - laquelle sera analysée plus en détail ci-après - il ne pouvait être considéré qu'il était en situation d'indigence, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir sollicité l'assistance judiciaire. En outre, à teneur des explications de son curateur, il ne bénéficie d'aucune assurance de protection juridique. L'autorité intimée a d'ailleurs « pris note » dans la décision litigieuse que le recourant ne pouvait, à l'heure actuelle, obtenir aucune prestation de tiers débiteurs. La demande de prise en charge des frais d'avocat, dans le cadre de l'aide à plus long terme, a en outre été formée dans les délais prévus à
l’art. 25 LAVI. Il ne fait enfin aucun doute que les frais d'avocat, dont la prise en charge est sollicitée, étaient nécessaires, adéquats et proportionnés compte tenu de la situation du recourant.

Reste dès lors à déterminer si les revenus déterminants du recourant dépassent le quadruple du montant destiné à la couverture des besoins vitaux - ce que soutient l'autorité intimée -, fixé à l'art. 10 al. 1 let. a LPC, soit CHF 19'450.- (depuis le 1er janvier 2019) pour les personnes seules, soit, quadruplé,
CHF 77'800.- représentant CHF 6'483.- par mois.

S'agissant de la fortune immobilière du recourant, il ressort de sa taxation pour l'année 2017 que celle-ci est nulle. Comme indiqué par le curateur du recourant et confirmé par les contrats figurant au dossier, les biens immobiliers de l'intéressé ont fait l'objet de trois contrats de promesse d'achat et vente le
6 janvier 2012, prévoyant des paiements mensualisés jusqu'à concurrence du prix de vente des biens immobiliers.

Concernant la fortune mobilière du recourant, celle-ci se monte, à teneur de sa taxation 2017, à CHF 204'015.-. Si le curateur du recourant soutient que
celle-ci s'élève en réalité à CHF 82'783.75, correspondant au solde de ses deux comptes bancaires auprès de la BCGE et du Crédit Suisse, il n'explique pas cette différence de montant par rapport à la taxation 2017 de son protégé qui ne semble pouvoir s'expliquer par le seul paiement de ses frais mensuels, lesquels s'élèvent, à teneur du dossier, à environ CHF 10'000.- par mois. À défaut d'autre indication, il sera dès lors considéré, dans le cadre du présent calcul, que la fortune mobilière du recourant s'élève à CHF 204'015.-, dont il faut déduire le double du montant librement disponible s'élevant en l'espèce à CHF 75'000.- (art. 1 al. 2 let. b OAVI et 11 al. 1 let. c LPC), soit CHF 129'015.-. Dès lors qu'est pris en considération un dixième de la fortune (art. 1 al. 2 let. b OAVI et 11 al. 1 let. c LPC) dans le calcul des revenus déterminants liés à la fortune, ces derniers s'élèvent à CHF 12'901.50.

La chambre de céans considère en outre que les revenus déterminants du recourant au sens de l'art. 11 al. 1 LPC sont les suivants :

rente AVS/AI : CHF 1'884.-

rente AVS/AI : CHF 1'508.-

autres rentes : CHF 168.25

autres revenus : CHF 1'563.15

produits de la fortune mobilière : CHF 16.85

= CHF 5'140.25

Revenu net annualisé = CHF 61'683 (CHF 5'150.25 x 12)

À teneur du dossier, et plus particulièrement de la taxation 2017 du recourant, celui-ci ne bénéficie pas de revenus additionnels, étant précisé que les « autres revenus » proviennent des paiements mensualisés liés à la vente de ses biens immobiliers. Il sera en particulier relevé, à teneur de la taxation 2017 du recourant et contrairement à celle de 2016, qu'il n'a réalisé aucun salaire ni aucun revenu immobilier. En outre, ses « autres rentes », ses « autres revenus » et ses
« produits de la fortune mobilière » ont par ailleurs diminué à teneur de sa taxation 2017. Par ailleurs, contrairement à ce qu'affirme le curateur du recourant, le fait que les enfants de ce dernier ne résident pas avec lui n'est pas pertinent. Il ressort en effet du dossier que deux rentes pour enfant de l'assurance-invalidité sont directement versées au recourant et non à ses enfants. Celles-ci sont d'ailleurs taxées à titre de revenu du recourant par l'administration fiscale cantonale.

Selon l'art. 1 al. 2 let. a ch. 1 OAVI, les revenus déterminants sont pris en compte aux deux tiers, après déduction du montant librement disponible selon l'art. 11 al. 1 let. a LPC, soit CHF 1'000.-. En l'espèce, ils s'élèvent ainsi à
CHF 40'455.35 (deux tiers de CHF 60'683.-).

Compte tenu de ce qui précède, le total des revenus déterminants du recourant, en l'état des pièces produites, s'élève à CHF 53'356.85 (CHF 12'901.50 + CHF 40'455.35) et ne dépasse ainsi pas le quadruple du montant destiné à la couverture des besoins vitaux, lequel s'élève à CHF 77'800.- à compter du
1er janvier 2019.

Se pose enfin la question de savoir si les frais des prestations d'aide à plus long terme fournie par un tiers - soit en l'occurrence les frais d'avocat découlant de la procédure pénale - doivent être couverts intégralement ou dégressivement au sens des art. 16 LAVI et 3 OAVI. Il n’appartient toutefois pas à la chambre de céans d’instruire cette question ni de priver le recourant du double degré de juridiction sur ce point. Le dossier sera en conséquence renvoyé à l’instance LAVI pour qu’elle détermine à quel montant précisément le recourant aura droit en fonction de ses revenus déterminants actuels.

Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis. La décision de l'instance LAVI du 25 septembre 2018 sera annulée et le dossier sera renvoyé à l'autorité intimée pour qu'elle procède dans le sens des considérants.

10. Aucun émolument ne sera mis à charge du recourant, la procédure étant gratuite (art. 30 al. 1 LAVI ; 87 al. 1 LPA). Une indemnité de CHF 800.- lui sera alloué, à la charge de l'État de Genève, dès lors qu’il obtient partiellement gain de cause et y a conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 octobre 2018 par Monsieur A______ contre la décision du comité de l'instance d'indemnisation LAVI du 25 septembre 2018 ;

 

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision du comité de l'instance d'indemnisation LAVI du 25 septembre
2018 ;

renvoie le dossier à l’instance d’indemnisation LAVI pour qu'elle procède au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 800.-, à la charge de l'État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Philippe Juvet, curateur du recourant, ainsi qu'à l'instance d'indemnisation LAVI.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, Mmes Junod et Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :