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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3014/2016

ATA/1007/2016 du 29.11.2016 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3014/2016-PRISON ATA/1007/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 novembre 2016

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1. Par décision du 16 août 2016, déclarée exécutoire nonobstant recours, la direction de la prison de Champ-Dollon a ordonné le placement en cellule forte de Monsieur A______, pour une durée de quatre jours, du 16 août 2016 à 8h au 20 août 2016 à 8h, en raison de menaces envers le personnel et refus d’obtempérer.

Selon le rapport des agents de détention, ils étaient montés à l’unité 2 sud à 20h55 le 15 août 2016 pour demander à deux détenus, dont M. A______ d’arrêter leurs échanges par « yoyo ». Le premier des deux détenus leur avait remis directement le « yoyo » alors que M. A______ avait indiqué l’avoir jeté par la fenêtre. À 21h15, M. A______ avait recommencé ses échanges avec un « yoyo », lequel s’était cassé et était tombé par la fenêtre. À 22h08, en poste au mirador ADM, un agent de détention avait vu trois détenus, dont M. A______, faire des échanges à l’aide d’un « yoyo ». Il leur avait demandé d’arrêter et leur avait rappelé qu’ils avaient été avertis. M. A______ lui avait répondu : « on n’a pas écouté nos parents, on ne va pas vous écouter vous ! », « sur la vie de ma mère, les gardiens d’ici font trop les beaux, faut qu’ils me croisent dehors, ils ont intérêt à changer de trottoir », « ah surveillant, je vais bien fumer ce soir ! ».

Suite à l’information faite par l’agent de détention des faits susmentionnés, deux gardiens étaient montés récupérer le « yoyo » dans la cellule de M. A______ et lui ordonner d’arrêter ces échanges. En ouvrant le portillon, les agents de détention avaient senti une odeur suspecte.

À 0h20, les détenus continuaient de crier par les fenêtres, malgré les avertissements.

2. Par acte du 9 septembre 2016, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision susmentionnée, contestant son bien-fondé.

Il avait été placé en cellule forte le 16 août 2016 à 8h du matin, sans avoir été au préalable entendu, ce que le procès-verbal relevait, puisqu’il était indiqué qu’il avait été entendu à 13h35.

Il contestait être l’auteur des faits. Ce n’était pas lui qui avait insulté le surveillant du mirador, mais la personne située dans la cellule au-dessus de la sienne. Lors de son audition du 16 août 2016, il avait indiqué à l’agent de détention qu’il faisait erreur sur sa personne et avait précisé les coordonnées du détenu fautif. De surcroît, il avait été le seul à être sanctionné alors que trois personnes étaient impliquées, selon le rapport. S’il avait réellement commis les faits, il n’aurait pas pris la peine d’interjeter le présent recours.

3. Dans ses observations du 13 octobre 2016, le directeur de la prison a conclu au rejet du recours, « sous suite de frais ».

M. A______ avait séjourné à deux reprises à la prison de Champ-Dollon pour diverses infractions, notamment brigandage, menace, dommage à la propriété, enlèvement et prise d’otage. Il était entré en détention à la prison de Champ-Dollon le 29 mai 2015. Il avait fait l’objet de plusieurs sanctions disciplinaires, soit :

- séjour en cellule forte le 5 février 2016 pour menaces envers le personnel, attitude incorrecte envers le personnel, refus d’obtempérer et possession d’objets prohibés ;

- cinq jours de cellule forte le 11 mars 2016 pour possession d’un objet prohibé ;

- deux jours de cellule forte le 23 avril 2016 pour injures envers le personnel.

Il avait fait l’objet d’un placement en régime de sécurité renforcée pour la période du 3 juin 2015 au 2 décembre 2015.

Le directeur de la prison confirmait le déroulement des faits tels que relevés dans le rapport d’incident.

4. M. A______ n’a pas répliqué dans le délai au 16 novembre 2016 qui lui avait été imparti.

5. Le 18 novembre 2016, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous cet angle (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 p. 164).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 p. 44). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 p. 299). Si l'intérêt actuel fait défaut lors du dépôt du recours, ce dernier est déclaré irrecevable (ATF 139 I 206 consid. 1.1 p. 208) ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 137 I 23 consid. 1.3.1 p. 24).

d. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 139 I 206 consid. 1.1 p. 208).

e. En l’espèce, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée contre lui. La légalité d’un placement en cellule forte doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, puisque cette sanction a déjà été exécutée, dans la mesure où cette situation pourrait encore se présenter (ATA/238/2016 du 15 mars 2016 consid. 2e ; ATA/670/2015 du 23 juin 2015), dès lors qu'il ne ressort pas du dossier qu'il aurait quitté la prison à ce jour.

Le recours est donc recevable à tous points de vue.

3. a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, sont l'objet d'une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs - la faute étant une condition de la répression - qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/309/2016 du 12 avril 2016 consid. 5b ; ATA/972/2015 du 22 septembre 2015 consid. 2).

4. a. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

b. Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP) et n’a d’aucune façon le droit de communiquer sans droit avec d’autres détenus ou à l’extérieur (art. 45 let. b RRIP).

c. Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

d. Selon les art. 47 al. 3 et 47 al. 5 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer les sanctions suivantes a) suppression de visite pour quinze jours au plus ; b) suppression des promenades collectives ; c) suppression d’achat pour quinze jours au plus ; d) suppression de l’usage des moyens audiovisuels pour quinze jours au plus ; e) privation de travail ; f) placement en cellule forte pour dix jours au plus, étant précisé que ces sanctions peuvent se cumuler (art. 47 al. 4 RRIP).

5. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/99/2014 du 18 février 2014 consid. 5b et les références citées), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

6. Dans un premier grief, d’ordre formel, le recourant se plaint d’une violation de son droit d’être entendu, indiquant avoir été placé en cellule forte sans avoir pu au préalable s’expliquer.

 

a. L’art. 47 al. 2 RRIP mentionne que le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu avant le prononcé de la sanction.

En l’espèce, il ressort du dossier que le détenu a été « vu et entendu » à 13h35 le 16 août 2016, que la décision lui a été signifiée à 13h50, mais qu’il a été placé en cellule forte à 8h du matin le 16 août 2016. En conséquence, l’art. 47 al. 2 RRIP a été violé.

b. Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l’autorité de recours n’est pas possible, l’annulation de la décision attaquée, sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2 ; 133 III 235 consid. 5.3 ; ATA/563/2015 du 2 juin 2015 consid. 2a).

La violation du droit d'être entendu – pour autant qu'elle ne soit pas d'une gravité particulière – est réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant du même pouvoir d'examen que l'autorité de décision (ATF 129 I 129 consid. 2.2.3 ; 126 I 68 consid. 2 ; 124 II 132 consid. 2d ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_449/2012 du 6 juin 2012 consid. 2.4.1). Toutefois, la réparation d'un vice éventuel ne doit avoir lieu qu'exceptionnellement (ATF 127 V 431 consid. 3d.aa ; 126 V 130 consid. 2b et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_449/2012 du 6 juin 2012 consid. 2.4.1).

En l’espèce, la chambre de céans a déjà eu l’occasion de rappeler au recourant dans un précédent arrêt le concernant (ATA/734/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4), que, seule autorité de recours au niveau cantonal, elle connaît du présent contentieux avec un plein pouvoir de cognition. Dès lors, toute éventuelle violation du droit être entendu peut être réparée par l’instruction de la cause qui se déroule devant elle. Dans le présent cas, le recourant a pu expliquer sa position dans son recours et a renoncé à répliquer malgré la possibilité qui lui avait été offerte.

La violation du droit être entendu a été réparée devant la chambre de céans.

Le grief est infondé.

7. Le recourant se plaint de ce que son placement en cellule forte pendant quatre jours serait infondé, dès lors qu'il n'aurait pas menacé le personnel, ni refusé d’obtempérer. Il fait ainsi grief à l’autorité intimée d’avoir mal établi les faits.

Toutefois, il ressort du rapport des agents de détention et de la réponse de la prison que l’agent de détention, auteur du rapport, s’était rendu avec deux collègues à 20h55 dans la cellule de M. A______ en lui demandant de mettre un terme à ses agissements. Il avait ainsi pu identifier la cellule et le timbre de voix de l’intéressé. Il était certain de l’identification de M. A______. Il considérait que ceci était d’autant plus fondé que les cellules concernées étaient situées directement en face du mirador, ce qui facilitait l’identification tant visuelle que sonore. Par ailleurs, dans son recours, M. A______ avait confirmé qu’il communiquait par la fenêtre avec deux autres détenus.

Le rapport des gardiens de détention emporte valeur probante au vu de la jurisprudence précitée, aucun élément ne permettant de s'écarter de leurs déclarations. Un « yoyo » a effectivement été retrouvé dans la cellule de l’intéressé. Par ailleurs, si celui-ci indique qu’une erreur aurait été commise sur la personne responsable des agissements concernés, il ne donne aucun renseignement à la chambre administrative sur le détenu responsable. Un tel renseignement ne ressort pas non plus du rapport des agents.

En adoptant un tel comportement le 15 août 2016, M. A______ a fait fi des injonctions qui lui étaient ordonnées par les agents de détention et a également menacé l'intégrité physique du personnel de prison travaillant le soir des faits. Le recourant a persisté, malgré les injonctions du personnel de la prison, à continuer à procéder à des échanges d’objets par « yoyo ».

C'est en conséquence à juste titre que la direction de la prison a prononcé la sanction litigieuse, qui respecte le principe de proportionnalité au vu des circonstances du cas d'espèce et des antécédents de l’intéressé.

8. Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

Vu la nature du litige et son issue, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 septembre 2016 par Monsieur A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 16 août 2016 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :