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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3672/2017

ATA/1624/2017 du 19.12.2017 ( FPUBL ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : SUSPENSION TEMPORAIRE D'EMPLOI ; DÉCISION INCIDENTE ; DÉLAI DE RECOURS ; DROIT CONSTITUTIONNEL À LA PROTECTION DE LA BONNE FOI ; RENSEIGNEMENT ERRONÉ ; DOMMAGE IRRÉPARABLE
Normes : LPA.4.al2; LPA.57.letc; LPA.62.al1.letb; LPA.62.al2
Résumé : Le recours a été interjeté en dehors du délai légal de dix jours imposé par la loi (art. 62 al. 1 let. b LPA). Le recourant, représenté par un avocat, ne peut pas se prévaloir de l'erreur contenue dans la décision, dès lors que son conseil aurait dû ou pu s'apercevoir de celle-ci par une simple consultation de la base légale. Le recours est également irrecevable en raison de l'absence de préjudice irréparable. La jurisprudence de la chambre de céans se montre restrictive dans l'admission d'un préjudice irréparable en cas de suspension sans traitement d'un fonctionnaire.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3672/2017-FPUBL ATA/1624/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 décembre 2017

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Alain Berger, avocat

contre

COMMANDANTE DE LA POLICE

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ est ______ auprès de C______de la Police judiciaire.

2) M. A______ a été prévenu d’avoir, le soir du 14 juillet 2017, alors qu’il était hors service à son domicile familial, mis ses mains autour du cou d’une de ses filles pour l’immobiliser et la faire cesser de bouger afin de réussir à enlever un élastique coincé dans les cheveux de celle-ci. Sa compagne et mère de l’enfant, Madame D______, l’avait tapé sur l’épaule afin qu’il lâche sa fille. M. A______ s’était retourné et avait frappé sa compagne au visage à plusieurs reprises. Il l’avait ensuite empêchée d’appeler la police, de quitter le domicile et lui avait dit qu’elle avait de la chance qu’il n’ait pas son arme avec lui. Les deux filles du couple avaient assisté en pleurs à cette violente dispute.

Les contrôles alcoolémiques effectués dans la nuit du 14 au 15 juillet 2017 s’étaient révélés positifs, avec un taux d’alcoolémie de 0,77mg/l selon l’éthylotest.

3) Le 15 juillet 2017, le commissaire de police a prononcé une mesure d’éloignement administratif à l’encontre de M. A______ pour une durée de dix jours, faisant interdiction à ce dernier de prendre contact ou de s’approcher de Mme D______et de pénétrer au domicile familial. M. A______ a immédiatement fait opposition à cette mesure. Son arme de service ainsi que ses trois chargeurs ont été saisis à titre préventif.

4) Par décision du 7 août 2017, la commandante de la police a suspendu M. A______, dans l’attente de l’issue de la procédure pénale, son traitement étant maintenu.

Les faits reprochés à M. A______ étaient de nature à compromettre l’autorité qu’impliquait sa fonction. Dès lors que la procédure pénale venait de débuter et que les déclarations des parties étaient contradictoires, il convenait de suspendre M. A______ dans l’attente de l’issue de la procédure pénale.

La décision pouvait faire l’objet d’un recours, dans un délai de trente jours, à compter de sa notification, auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

5) Par acte expédié le 6 septembre 2017, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre la décision du 7 août 2017, concluant à son annulation.

Le recours, interjeté dans le délai indiqué par la décision, soit trente jours, était recevable.

Il contestait avoir frappé sa compagne. Sa suspension lui causait un préjudice irréparable. Il perdait toutes les primes auxquelles il avait droit et des rumeurs circulaient depuis lors au sein de la police le décrivant comme un policier alcoolisé et violent.

Son retour au travail n’était pas à même de mettre en péril le bon fonctionnement du service, étant rappelé et souligné que son parcours à la police judiciaire – dont plusieurs années au sein de la brigade des stupéfiants réputée particulièrement difficile – était exemplaire.

6) Dans ses observations du 13 octobre 2017, la commandante de la police a conclu à la forme à l’irrecevabilité du recours, et au fond à son rejet.

Le recours contre la décision incidente était irrecevable car tardif, puisqu’il aurait dû être déposé dans un délai de dix jours conformément à la loi.

La décision ne causait aucun préjudice irréparable à M. A______. Seuls les frais professionnels et les primes pour les heures de travail de nuit ne lui seraient pas versés, dans la mesure où il ne travaillait pas. De simples rumeurs ne constituaient pas un préjudice irréparable.

7) Dans sa réplique du 6 novembre 2017, M. A______ a persisté dans ses précédentes conclusions.

8) Le 21 novembre 2017, M. A______ a fait parvenir au juge délégué un courrier qu’il adressait le même jour à la commandante de la police et par lequel il demandait la levée immédiate de la mesure de suspension compte tenu des faits nouveaux survenus dans le cadre de la procédure pénale.

9) Le 24 novembre 2017, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) La chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05). Selon l’art. 132 al. 2 LOJ, le recours y est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e, ainsi que 57 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Sont réservées les exceptions prévues par la loi.

Aux termes de l’art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions, les mesures individuelles et concrètes prises par l’autorité dans les cas d’espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet : de créer, de modifier ou d’annuler des droits ou des obligations ; de constater l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droits, d’obligations ou de faits ; de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations. À teneur de l’art. 4 al. 2 LPA, les décisions incidentes sont également considérées comme des décisions.

Selon la jurisprudence constante rendue par la chambre de céans, une décision de suspension provisoire d’un fonctionnaire est une décision incidente contre laquelle le délai de recours devant ladite chambre est de dix jours
(art. 62 al. 1 let. b LPA ;
ATA/510/2017 du 9 mai 2017 ; ATA/762/2015 du 28 juillet 2015).

2) Selon l’art. 62 al. 2 LPA, si la décision indique, par erreur, un délai supérieur au délai légal, le recours peut être formé jusqu’à l’expiration du délai indiqué.

La loi préserve ainsi la bonne foi des administrés, lorsque ceux-ci se fient à des indications données par les autorités. Toutefois, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser que si la partie sans connaissances juridiques peut se fier à l'indication inexacte du délai de recours contenue dans la décision cantonale, il n'y a pas de protection pour la partie dont l'avocat eût pu déceler l'erreur à la seule lecture du texte légal, sans recourir à la jurisprudence ou à la doctrine
(ATF 135 III 374 consid. 1.2.2.1 ; 117 Ia 297 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_408/2015 du 8 octobre 2015 consid. 2.1).

3) a. S’agissant d’une décision incidente, en vertu de l’art. 57 let. c LPA, ne sont susceptibles de recours que les décisions qui peuvent causer un préjudice irréparable ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

b. Pour qu’une procédure soit « longue et coûteuse », il faut que la procédure probatoire, par sa durée et son coût, s’écarte notablement des procès habituels (arrêt du Tribunal fédéral 9C_850/2012 du 16 novembre 2012 consid. 3 et les références citées). Tel peut être le cas lorsqu’il faut envisager une expertise complexe ou plusieurs expertises, l’audition de très nombreux témoins, ou encore l’envoi de commissions rogatoires dans des pays lointains (ATA/639/2014 du 19 août 2014 et les références citées).

c. L’art. 57 let. c LPA a la même teneur que l’art. 93 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, le préjudice irréparable suppose que le recourant ait un intérêt digne de protection à ce que la décision attaquée soit immédiatement annulée ou modifiée (ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Un préjudice est irréparable lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ; 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de la procédure peut constituer un tel préjudice
(ATF 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas en soi un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/305/2009 du 23 juin 2009 et les références citées). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 IV 139 précité consid. 4 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 ; 127 I 92 consid. 1c ; 126 I 97 consid. 1b).

d. La chambre administrative a précisé à plusieurs reprises que
l’art. 57 let. c LPA devait être interprété à la lumière de ces principes (ATA/510/2017 précité ; ATA/231/2017 du 22 février 2017 ; ATA/762/2015 précité ; ATA/338/2014 du 13 mai 2014 ; ATA/97/2014 du 18 février 2014 ; ATA/715/2013 du 29 octobre 2013 ; ATA/65/2012 du 31 janvier 2012 ; cette interprétation est critiquée par certains auteurs qui l’estiment trop restrictive : Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Questions choisies de procédure administrative, SJ 2014 II p. 458 ss).

e. Lorsqu’il n’est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d’expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4 ; ATA/1217/2015 du 10 novembre 2015).

f. De manière générale, la jurisprudence de la chambre de céans se montre restrictive dans l’admission d’un préjudice irréparable en cas de suspension sans traitement d’un fonctionnaire (ATA/1295/2017 du 19 septembre 2017 ; ATA/510/2017 précité et les arrêts cités). Toutefois, la chambre de céans a admis un tel préjudice pour un sergent téléphoniste suspendu sans traitement au motif qu’il « [ressortait] du dossier que la décision [était] susceptible de causer un préjudice irréparable » (ATA/735/2013 du 5 novembre 2013). Elle a également admis un préjudice irréparable pour un fonctionnaire des Hôpitaux universitaires de Genève, suspendu sans traitement, qui a produit un certain nombre de pièces démontrant sa situation économique difficile (ATA/506/2014 précité).

4) a. En l’espèce, le recours, déposé contre une décision rendue par une autorité compétente (art. 17 al. 1 du règlement général sur le personnel de la police du 16 mars 2016 - RGPPol - F 1 05.07), a été interjeté devant une juridiction compétente, mais en dehors du délai légal de dix jours imposé par la loi
(art. 62 al. 1 let. b LPA). Le recourant, représenté par un avocat, ne peut pas se prévaloir de l’erreur contenue dans la décision, dès lors que son conseil aurait dû ou pu s’apercevoir de celle-ci par une simple consultation de la base légale.

Pour ce motif déjà, le recours est irrecevable.

b. Il l’est également en raison de l’absence de dommage irréparable. En effet, le recourant conserve son traitement pendant sa suspension, ce qui exclut une quelconque atteinte à ses intérêts économiques (ATA/231/2017 précité). Le remboursement de ses débours ou le paiement de ses heures supplémentaires ne font pas partie de son salaire mais représentent uniquement un revenu aléatoire. S’agissant de l’atteinte à sa réputation et à son avenir professionnel, la chambre administrative a déjà jugé qu’une telle décision n’était en soi pas susceptible de causer un préjudice irréparable puisqu’une décision finale, dans l’hypothèse où elle serait entièrement favorable au recourant, permettrait de la réparer (ATA/231/2017 précité ; ATA/762/2015 précité ; ATA/338/2014 précité).

Les conditions nécessaires à l’application de la première hypothèse de l’art. 57 let. c LPA ne sont ainsi pas remplies.

c. La seconde hypothèse de l'art. 57 let. c LPA, à savoir l’obtention immédiate d'une décision finale permettant d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse en cas d’admission du recours, n'est pas davantage réalisée. Elle ne serait en effet pas susceptible de mettre fin à la procédure administrative en cours,
celle-ci étant directement dépendante des résultats de l’enquête pénale, dont les résultats ne sont pas encore connus.

5) Vu ce qui précède, le recours est irrecevable.

6) Compte tenu de l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Il ne lui sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 6 septembre 2017 par Monsieur A______ contre la décision de la commandante de la police du 7 août 2017 ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ; si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

s’il porte sur la responsabilité de l’État et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 30’000.- ; si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 30’000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure aux minima indiqués soit CHF 15'000.- (contestation relative aux rapports de travail), respectivement à CHF 30'000.- (contestation relative à la responsabilité de l’État) ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alain Berger, avocat du recourant, ainsi qu’à la commandante de la police

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et Junod, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :