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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2228/2020

ATA/144/2022 du 08.02.2022 sur JTAPI/225/2021 ( ICCIFD ) , REJETE

Normes : Cst.29.al2; LIFD.57; LIFD.58.al1.leta; LIFD.58.al1.letb; LIFD.58.al1.letc; LHID.24.al1.leta; LHID.24.al1.letb; LIPM.12.leta; LIPM.12.leth
Résumé : Principes applicables pour déterminer l'existence d'une prestation appréciable en argent en la forme de salaire excessif. Conditions de recours à la « méthode valaisanne », applicable en l'espèce, en l'absence de données de référence servant à la détermination des salaires des trois associés dont le salaire était litigieux. Refus de tenir compte de charge pour frais de représentation, lesquels n’ont pas été comptabilisés dans le bilan.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2228/2020-ICCIFD ATA/144/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 février 2022

4ème section

 

dans la cause

 

A______ Sàrl
représentée par Me Dominique Morand, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
8 mars 2021 (JTAPI/225/2021)


EN FAIT

1) Le litige a trait à l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) et à l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) pour l’année 2018 de A______ Sàrl (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce (ci-après : RC) du canton de Genève le 11 juin 2010, dont le siège se trouve à Carouge et qui a pour but statutaire « tous services dans le domaine de la communication, notamment la formation, le conseil stratégique, ainsi que toutes opérations s'y rapportant ».

En 2018, Messieurs B______, C______, D______ et E______ détenaient des parts du capital social de la société précitée à hauteur respectivement de 51 %, 28 %, 17 % et 4 %. Les trois premiers précités ont également développé une activité lucrative au sein de ladite société.

2) Durant l’année 2018, MM. B______, C______ et D______ (ci-après : les associés) ont perçu de la part de A______, à teneur de leurs certificats de travail, un salaire brut s’élevant respectivement à CHF 595'500.-, CHF 493'100.- et CHF 494'000.-. En revanche, aucun d’entre eux n’a bénéficié d’allocation pour frais de représentation.

3) Dans sa déclaration fiscale 2018 déposée le 25 septembre 2019,
A______ a fait état des versements précités dans l’annexe C « prestations versées aux membres de l’administration et autres organes ».

4) Le 24 février 2020, A______ a donné suite à une demande de renseignements de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) du 12 novembre précédent. Elle a indiqué que MM. B______, C______ et D______ étaient nés respectivement les ______ 1979, ______ 1975 et _______ 1978. Aucun d’entre eux n’exerçait d’activité en dehors de la société. Comme ils étaient à la fois gérants et associés de la société, il était difficile de déterminer le nombre d’heures hebdomadaires qu’ils effectuaient. Ils travaillaient entre cinquante et soixante heures par semaine, voire davantage en fonction des besoins. Ils occupaient les fonctions, respectivement, de « Chief Executive Officer », « Managing Director Buzz Prod » et « Creative and Strategy Chief Officer ». Aucun autre employé n’occupait la même fonction pour le moment.

Leur rémunération comprenait un salaire mensuel brut de CHF 30'000.- (soit CHF 360'000.- par an), auquel s’ajoutait un bonus calculé en fonction de la performance et du poste de chaque collaborateur. La forte augmentation des salaires était liée à l’augmentation et à l’intensification de l’activité de la société. Aucune planification fiscale n’était intervenue, et elle cherchait uniquement à rémunérer le travail et l’engagement important des associés. Depuis l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l'amélioration des conditions fiscales applicables aux activités entrepreneuriales et aux investissements du 23 mars 2007 (Loi sur la réforme de l'imposition des entreprises II ; ci-après : RIE II), il n’y avait plus d’intérêt à maximiser les salaires aux dépens des dividendes.

5) Par bordereaux ICC et IFD du 24 mars 2020, l’AFC-GE a taxé la société pour l’année 2018. Ce faisant, elle a effectué des reprises sur son bénéfice au titre de salaires excessifs accordés à MM. B______, C______ et D______, lesquelles s’établissaient à respectivement CHF 203'345.-, CHF 131'166.- et
CHF 133'898.-. Ces redressements ont été calculés au moyen de la « méthode valaisanne » et du calculateur du secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO).

Le profil salarial des associés se présentait comme suit :

M. B______

M. C______

M. D______

Branche économique

Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques

Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques

Autres activités spécialisées, scientifiques et techniques

Âge

39 ans

40 ans

43 ans

Années de service

8 ans

8 ans

8 ans

Formation

Haute école universitaire

Haute école universitaire

Haute école universitaire

Position dans l'entreprise

Cadre supérieur

Cadre supérieur

Cadre supérieur

Groupe de professions

Directeurs généraux, cadres supérieurs

Directeurs généraux, cadres supérieurs

Directeurs généraux, cadres supérieurs

Horaire hebdomadaire

55 heures

55 heures

55 heures

Canton

Genève

Genève

Genève

6) Le 23 avril 2020, la société a élevé réclamation à l’encontre des bordereaux.

Les éléments retenus pour le calcul des salaires excessifs n’étaient pas représentatifs de l’activité exercée par les associés. En effet, rien de comparable n’existait sur le marché, et les précités faisaient preuve d’une créativité exceptionnelle. Leur activité se révélait réellement spécifique, de sorte qu’il n’était pas pertinent d’utiliser les statistiques du SECO. Par ailleurs, la taxation des associés devait également être corrigée, étant donné qu’une partie de leur rémunération serait requalifiée en dividendes.

7) Par décisions du 18 juin 2020, l’AFC-GE a rejeté la réclamation.

Dès lors que le critère de comparaison interne ne pouvait être mis en œuvre, ce que confirmait A______ elle-même dans sa réclamation, il convenait de recourir à la « méthode valaisanne », qui avait été validée par la jurisprudence, notamment en ce qu’elle prévoyait l’utilisation du calculateur du SECO.

8) Par acte du 20 juillet 2020, A______ a interjeté recours par-devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) à l’encontre des décisions précitées, en concluant à leur annulation et à ce qu’il soit confirmé que les salaires versés aux associés n’étaient pas excessifs, le tout sous suite de frais et dépens.

Elle était principalement active dans les domaines de la communication et de la publicité essentiellement dans le domaine numérique, pour des marques reconnues, par le biais de divers moyens, notamment les réseaux sociaux. Son chiffre d’affaires était passé de CHF 513'112.75 en 2011 à CHF 8'496'935.40 en 2018. Elle était une entreprise unique. MM. B______, C______ et D______ avaient déployé une activité très importante pour elle, qui était partie de zéro et était devenue un acteur majeur de l’activité, rivalisant avec les plus grandes agences et décrochant d’importants clients (F______, G______, H______, etc.). Engager des gens capables de générer un tel développement aurait été difficile à trouver et aurait coûté extrêmement cher. Les associés, dont le parcours était exposé en détail, s’étaient énormément investis, travaillant jusqu’à quatre-vingts heures par semaine en faisant preuve d’une créativité exceptionnelle. Au cours des premiers exercices, leur rémunération était très faible, largement en-dessous du marché. Par ailleurs, ils occupaient plusieurs fonctions auprès de la société. Ce n’était qu’en 2019 que les postes de directrice financière et de directrice des ressources humaines avaient été confiés à des collaboratrices.

Leur part au capital était différente. M. B______, qui détenait 51 % du capital, avait accepté de rétribuer de la sorte les deux autres associés parce qu’il fallait les récompenser pour les conserver dans l’entreprise ; il ne s’agissait pas d’un cadeau. Un tiers, employé de la société, qui aurait fourni une prestation équivalente aurait perçu la même rémunération. En tant qu’associés minoritaires,
MM. C______ et D______ n’auraient pas pu s’octroyer une telle rémunération.

Les organes sociaux n’auraient pas pu se rendre compte de l’avantage octroyé aux précités. En effet, vu l’avantage énorme obtenu (croissance du chiffre d’affaires, du nombre d’employés, du bénéfice réalisé, des parts de marchés obtenus et des gros contrats négociés), il n’existait pas de disproportion avec les salaires versés. En outre, au vu des avantages précités, elle n’avait pas non plus été appauvrie par l’octroi des rémunérations litigieuses à ses associés.

De plus, compte tenu de l’imposition partielle des dividendes consécutive à la RIE II, le salaire de base était trop bas. Pour les associés qui disposaient d’un profil hors norme, il n’existait pas de comparatif dans les statistiques du SECO, et le salaire contractuel devait être appliqué comme salaire de base. En se fondant sur le quartile supérieur du calculateur du SECO, la rémunération mensuelle s’élevait à CHF 18'990.-, soit au-dessus du montant calculé par l’AFC-GE. En outre,
MM. B______, C______ et D______ auraient dû, compte tenu de l’information fiscale n° 6/2005 « Frais de représentation des employés dans le cadre de leur activité professionnelle et prise en charge par leur employeur » du
7 décembre 2005, bénéficier de frais de représentation en sus de leur salaire, qui s’élevaient respectivement à CHF 47'050.-, CHF 36'810.- et CHF 36'900.-.

En prenant en compte en salaire de base plus élevé dans le cadre de la
« méthode valaisanne », en sus des frais de représentation, il n’y avait plus matière à reprise.

9) Dans sa réponse du 21 octobre 2020, l’AFC-GE a conclu à l’admission partielle du recours en ce sens qu’il convenait de tenir compte d’une durée hebdomadaire de soixante heures de travail et du dernier quartile.

La société critiquait l’application de la « méthode valaisanne » en faisant valoir qu’elle n’avait pas octroyé des prestations appréciables en argent à ses associés. Cependant, les éléments qu’elle exposait ne permettaient pas d’y déroger, car elle ne proposait aucune alternative fiable.

Par ailleurs, en vertu du principe de l’autorité du bilan, les frais de représentation ne pouvaient être admis.

10) Dans sa réplique du 12 novembre 2020, A______ a relevé que la
« méthode valaisanne » ne s’appliquait qu’à titre subsidiaire et pour autant que la société se soit appauvrie. Il convenait de tenir compte des circonstances particulières du cas d’espèce, à savoir du rôle clef joué par les associés. En outre, le mode de rémunération choisi n’était pas guidé par des motifs fiscaux. En effet, il aurait été plus avantageux de procéder à des distributions de dividendes, compte tenu de l’imposition partielle introduite par la RIE II.

La rémunération retenue par l’AFC-GE dans sa réponse était largement inférieure à une rémunération du marché pour des personnes d’un tel acabit qui, par des compétences hors normes, permettaient de créer une valeur importante. Pour la société et ses associés, il n’existait pas vraiment de statistiques comparatives, le domaine d’activité étant extrêmement particulier et novateur. Le résultat réalisé, avant retraitement par l’AFC-GE, s’élevait à CHF 265'000.-, ce qui était très élevé pour une PME genevoise.

Enfin, en corrigeant le bilan de la société en rapport aux salaires prétendument excessifs, l’AFC-GE s’écartait du principe de déterminance. Il convenait de prendre en compte l’ensemble des circonstances du cas d’espèce et d’intégrer le fait que les associés auraient pu bénéficier de frais de représentation.

11) Dans sa duplique, l’AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse.

12) Par jugement du 8 mars 2021, le TAPI a partiellement admis le recours et renvoyé le dossier à l’AFC-GE pour qu’elle établisse de nouveaux bordereaux dans le sens des considérants.

S’il était plus intéressant pour l’actionnaire, depuis l’entrée en vigueur de la RIE II, de percevoir un dividende plutôt qu’un salaire, cela n’avait en rien changé le principe selon lequel seules étaient déductibles les charges justifiées par l’usage commercial, ce qui était présentement litigieux.

La société n’avait jamais expliqué ou produit des contrats ou toute autre pièce permettant de comprendre comment elle avait calculé la part fixe et variable de la rémunération des associés figurant sur leur certificat de salaire.

Elle n’avait pas non plus fourni d’exemple chiffré démontrant que les rémunérations litigieuses étaient comparables à celles versées dans la même branche et pour des fonctions de même nature. Elle ne démontrait pas que les salaires des associés reflétaient le prix du marché. Elle admettait même dans sa réclamation qu’aucun exemple comparable n’existait sur le marché.

Par ailleurs, le fait que MM. C______ et D______ ne détenaient qu’une part minoritaire au capital de la société ne suffisait pas à exclure qu’ils puissent avoir bénéficié d’une prestation appréciable en argent de la part de la société. De par leurs réalisations, abondamment mises en avant par la société, ils devaient, à l’instar de M. B______, être considérés comme des animateurs de celle-ci, exerçant ainsi une influence déterminante sur la marche des affaires.

C’était ainsi à bon droit que l’AFC-GE avait déterminé les reprises au titre de salaire excessif en se fondant sur le calculateur du SECO et la « méthode
valaisanne ». Dès lors que l’autorité intimée avait accepté de tenir compte d’une durée hebdomadaire de travail de soixante heures (au lieu de cinquante-cinq heures) et de prendre en considération le salaire supérieur (dernier quartile), et non le salaire médian, les redressements se présentaient de la manière suivante :

Total

M. B______

M. C______

M. D______

Salaire effectif

1'582'600.-

595'500.-

493'100.-

494'000.-

Salaire de base SECO

-672'672.-

-220'716.-

-228'972.-

-222'984.-

Supplément en fonction du CA

-147'791.-

-55'611.-

-46'048.-

-46'132.-

Part au bénéfice

-342'288.-

-128'796.-

-106'649.-

-106'843.-

Salaire excessif

419'849.-

190'377.-

111'431.-

118'041.-

Enfin, il ressortait de sa déclaration fiscale ainsi que des certificats de salaires des associés que la société ne leur avait pas accordé d’allocation pour frais de représentation. Pour ce motif, elle n’était pas fondée à faire valoir en déduction de telles charges. En outre, l’autorité formelle du droit comptable interdisait de requalifier tout ou partie de la rémunération versée aux associés en frais de représentation.

13) Par acte mis à la poste le 12 avril 2021, A______ a interjeté recours par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, en concluant à son annulation et à ce que le dossier soit renvoyé à l’autorité fiscale pour qu’elle émette de nouveaux bordereaux tenant compte de la pleine déduction des salaires octroyés à
MM. B______, D______ et C______.

En 2018, elle n’avait comptabilisé que CHF 74'531.57 à titre de frais de représentation sur un chiffre d’affaires de CHF 8'268'282.56, ce qui démontrait que des frais avaient été supportés directement par les associés.

Reprenant l’argumentation déjà développée, elle contestait la qualification de prestation appréciable en argent retenue par le TAPI. Si l'on prenait en considération les salaires moyens des associés entre 2011 et 2018, leur rémunération était d’une ampleur modeste. Les décisions relatives à la société, et notamment la politique de rémunération, étaient prises par M. B______ en tant que président des gérants et associé majoritaire. Si MM. D______ et C______ bénéficiaient réellement du pouvoir de décider de leur rémunération, ils s’en seraient versé une plus importante, à la hauteur de celle de M. B______. Le fait que MM. D______ et C______ soient des animateurs de la société exerçant une influence déterminante était sans incidence, dès lors qu’ils n’avaient « aucune domination » sur la société.

La rémunération de base de CHF 30'000.- avait été octroyée aux trois associés pour tenir compte de l’activité déployée. Le bonus de MM. D______ et C______, que M. B______ n’aurait jamais accepté de leur verser s’il était trop élevé, visait à les récompenser pour tout ce qu’ils avaient apporté à la société ainsi qu’à les conserver. Si M. B______ pouvait, certes, décider de sa rémunération, et en particulier du montant de son bonus, ce dernier élément était justifié compte tenu des tâches multiples qu’il avait effectuées (directeur général, directeur financier, responsable RH). En 2019, les fonctions de directeur général et directeur financier avaient été exercées par deux autres personnes pour un coût annuel de
CHF 167'000.-, qui avait donc pu être évité en 2018. Un tiers qui aurait fourni une prestation équivalente à celle de MM. B______, D______ et C______, laquelle avait permis d’obtenir 60 % de chiffre d’affaires de plus qu’en 2017 et plus du double du bénéfice, aurait obtenu la même rémunération.

L’absence de recherche d’optimisation fiscale tendait à démontrer que les associés étaient convaincus de la justification commerciale de la rémunération.

Si par impossible l’existence d’une prestation appréciable en argent devait être reconnue et que la « méthode valaisanne » devait être appliquée, il convenait de relever que les paramètres retenus n’étaient pas corrects. Il n’y avait pas de statistiques dans le comparateur du SECO pour le type de profils hors normes des associés et pour l’activité dans le domaine de la communication numérique, ce qui s’expliquait par le fait que leur activité était relativement unique et nouvelle dans le secteur. La rémunération retenue par l’AFC-GE selon le dernier quartile pour une activité s’apparentant de loin à celle des associés était trop éloignée du salaire de base qui avait été convenu. Ni le TAPI ni l’AFC-GE ne démontraient en quoi les salaires de base retenus étaient adéquats, ni pourquoi il fallait s’écarter de ceux convenus entre les parties. Il fallait par ailleurs retenir les années d’expérience, soit au moins onze ans, et non les années de service s’agissant d’une nouvelle société comme en l’espèce.

Elle ne contestait pas que des frais de représentation pour les trois associés n’avaient pas été comptabilisés dans ses comptes, ni que le principe de déterminance s’opposait de prime à bord à leur prise en considération. Cela étant, le fait que les associés n’aient pas bénéficié de tels frais, auxquels ils auraient raisonnablement pu prétendre, était un facteur d’atténuation du montant de la prestation appréciable en argent.

En tenant compte d’un salaire de base plus élevé et des frais de représentation susmentionnés, il n’y avait plus matière à une prestation appréciable en argent.

14) L’AFC-GE a conclu au rejet du recours, se référant à ses précédentes écritures.

La recourante n’apportait pas non plus la preuve que les salaires litigieux étaient comparables à ceux versés dans la même branche pour des fonctions de même nature. Elle s’était fondée à bon droit sur la « méthode valaisanne » et le calculateur du SECO.

15) Dans sa réplique, la recourante a maintenu les termes et conclusions de son recours, concluant au surplus à l’audition des associés, ainsi qu’à celle des deux collaboratrices engagées aux postes de directrice financière et directrice des ressources humaines en 2019, afin de confirmer le rôle particulier joué par les associés.

Elle avait clairement démontré l’absence de la prestation appréciable en argent, la condition de l’appauvrissement n’étant pas réalisée. Elle avait reçu une contreprestation des rémunérations octroyées très largement supérieure en termes de développement de l’activité et du chiffre d’affaires (de CHF 0.- à CHF 16 millions en dix ans). Il n’y avait dès lors pas lieu d’appliquer la « méthode valaisanne ».

Il était erroné de ne considérer que les années d’existence de la société pour déterminer le nombre d’années de service, dès lors que les années d’expérience de l’employer pouvaient excéder celles de la société.

Il ressortait du dossier que les décisions importantes étaient prises par M. B______ en tant que président gérant et associé majoritaire.

16) Le 9 juillet 2021, l’AFC-GE a indiqué qu’elle n’avait pas de requête complémentaire à formuler.

17) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc – D  3  17 ; art. 145 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Le litige porte sur la reprise dans le bénéfice au titre de salaires excessifs, opérée par l’AFC-GE dans le cadre de la taxation ICC et IFD 2018 de la recourante.

b. La question étant traitée de la même manière en droit fédéral et en droit cantonal harmonisé, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2013 du 24 octobre 2013 consid. 1.1 ; ATA/1369/2021 du 14 décembre 2021 consid. 2d).

3) a. Les questions de droit matériel sont résolues en fonction du droit en vigueur lors des périodes fiscales litigieuses (ATA/191/2020 du 18 février 2020 consid. 4b).

b. En l'espèce, le présent litige porte sur l'ICC et l’IFD 2018 de la recourante. La cause est ainsi régie par le droit en vigueur durant ces périodes, à savoir, s'agissant de l'IFD, par les dispositions de la LIFD et, pour ce qui est de l'ICC, par celles de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994
(LIPM - D 3 15).

4) La recourante sollicite l'audition des associés ainsi que de deux témoins.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 144 I 11 consid. 5.3). Ce droit n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de celles-ci, s'il acquiert la certitude qu'elles ne l'amèneront pas à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1). En outre, il n'implique pas le droit d'obtenir l'audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1).

b. En l’espèce, la recourante a pu s'exprimer dans ses écritures au cours de la procédure de réclamation devant l'AFC-GE, puis de recours devant le TAPI et la chambre de céans. Elle a eu l'occasion de faire valoir ses arguments et produire toute pièce utile. Elle y a notamment décrit avec précision les rôles joués par chacun des associés. Dans ces circonstances, la chambre de céans est en possession d'un dossier complet, lequel contient les éléments pertinents pour trancher le litige, de sorte qu’il ne sera pas procédé aux actes d'instruction sollicités.

5) a. Selon l'art. 57 LIFD, l'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net. Celui-ci comprend outre le bénéfice net résultant du solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l'exercice précédent (art. 58 al. 1 let. a LIFD) tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat qui ne servent pas à couvrir les dépenses justifiées par l'usage commercial tels que notamment les frais d'acquisition, de production ou d'amélioration d'actifs immobilisés, les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l'usage commercial ainsi que les produits qui n'ont pas été comptabilités dans le compte de résultats (art. 58 al. 1 let. b et c LIFD).

b. Les cantons doivent imposer l'ensemble du bénéfice net dans lequel doivent notamment être inclus les charges non justifiées par l'usage commercial, portées au débit du compte de résultats, ainsi que les produits et les bénéfices en capital, de liquidation et de réévaluation qui n'ont pas été portés au crédit du compte de résultats (art. 24 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14).

c. Pour ce qui est de l'ICC, sont notamment considérés comme bénéfice net imposable le bénéfice net, tel qu'il résulte du compte de pertes et profits, les tantièmes, ainsi que les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l’usage commercial (art. 12 let. a et h LIPM).

6) a. Selon la jurisprudence, il y a distribution dissimulée de bénéfice constitutive de prestation appréciable en argent lorsque les quatre conditions cumulatives suivantes sont remplies : 1) la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante ; 2) cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le ou la touchant de près ; 3) elle n'aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers ; 4) la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que les organes de la société auraient pu se rendre compte de l'avantage qu'ils accordaient (ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_181/2020 du 10 août 2020 consid. 5.2). Il convient ainsi d'examiner si la prestation aurait été accordée dans la même mesure à un tiers étranger à la société, soit si la transaction a respecté le principe de pleine concurrence (« dealing at arm's length » ; ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; 138 II 57 consid. 2.2).

b. Les prestations appréciables en argent peuvent apparaître de diverses façons. Le versement d'un salaire disproportionné accordé à un actionnaire-directeur constitue une situation classique de distribution dissimulée de bénéfice (arrêts du Tribunal fédéral 2C_660/2014 et 2C_661/2014 du 6 juillet 2015 consid. 6.1 ; 2C_421/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.1 et les références citées ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 5ème éd., 2021, p. 276 n. 52). La société augmente de manière artificielle ses charges en versant une rémunération excessive. Aussi, un salaire excessif est simplement une forme de prestation appréciable en argent (Emily MELLER/Jessica SALOM, Le salaire excessif en droit fiscal suisse, RDAF 2011 II 105 ss, p. 111).

En présence d'une prestation appréciable en argent, les conséquences fiscales sont multiples. L'autorité fiscale réintégrera la prestation dans les bénéfices imposables de la société (Xavier OBERSON, op. cit., p. 276 n. 53).

7) a. Lorsqu'elle doit déterminer si la rémunération servie par la société à ses employés actionnaires est en rapport avec l'importance de leur prestation de travail, l'autorité fiscale n'a pas à substituer sa propre appréciation en matière de salaire à celle de la société, mais la liberté de l'employeur n'est pas sans limite. En effet, la rémunération doit correspondre à celle qui aurait été octroyée à une tierce personne dans des circonstances identiques. L'élément pertinent est donc la rémunération conforme au marché. Pour savoir si la rémunération est excessive et constitue une distribution dissimulée de bénéfice, il convient de prendre en compte l'ensemble des circonstances du cas d'espèce (arrêt du Tribunal fédéral 2C_421/2009 précité consid. 3.1 et 3.3 et les références citées ; Emily MELLER/Jessica SALOM, op. cit., p. 111). Parmi les critères pertinents, figure notamment la rémunération des personnes de rang et de fonction identiques ou similaires, les salaires versés par d'autres entreprises opérant dans le même domaine, la taille de l'entreprise, sa situation financière, ainsi que la position du salarié dans l'entreprise, sa formation et son expérience (arrêts du Tribunal fédéral 2C_660/2014 et 2C_661/2014 précités consid. 6.1 ; 2C_209/2013 du 16 janvier 2014 consid. 3.1 et les références citées).

b. Pour fixer un salaire de base moyen lorsque les données servant de référence à la détermination de la rémunération des cadres dans une société font défaut ou sont inexploitables, il est admissible selon la jurisprudence de se fonder sur des statistiques. Ce schématisme a l'avantage d'assurer l'égalité de traitement entre les personnes travaillant dans la même branche. La simplification de cette détermination doit toutefois rester dans certaines limites afin de ne pas tomber dans l'arbitraire. Il a été jugé à cet égard que le fait d'individualiser le salaire moyen en fonction des circonstances du cas d'espèce et de prendre en compte pour ce faire le cahier des charges relatif au poste en cause, les fonctions et les responsabilités des personnes concernées conduit à un schématisme exempt d'arbitraire (arrêts du Tribunal fédéral 2C_209/2013 précité consid. 3.1 ; 2C_188/2008 du 19 août 2008 consid. 5.3 ; Emily MELLER/Jessica SALOM, op. cit., p. 118).

Le Tribunal fédéral a notamment admis qu'on pouvait se fonder sur une enquête sur les salaires de la Société suisse des ingénieurs et des architectes pour déterminer le salaire admissible d'un actionnaire-directeur d'une société active dans le domaine de la réalisation d'éléments préfabriqués en béton pour la construction (arrêt du Tribunal fédéral 2C.421/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.2 et 3.3) ou que l’on pouvait utiliser les recommandations de l'Union des professionnels de l'immobilier du canton de Neuchâtel pour déterminer le salaire usuel d’un administrateur actionnaire assumant le rôle de gérant (arrêt du Tribunal fédéral 2C.721/2008 du 5 mars 2009 consid. 2.5).

c. Dans ce cadre, la méthode la plus communément appliquée en Suisse romande pour déterminer le salaire admissible d'employés actionnaires est la méthode dite « valaisanne ». Pour arrêter la rémunération à prendre en considération, un salaire de base est déterminé ; il est augmenté d'une participation au chiffre d'affaires et au bénéfice. Cette méthode prend ainsi en compte dans le calcul de la rémunération l'implication des salariés actionnaires dans la bonne marche de l'entreprise et, pour une part au moins, leur activité en qualité d'apporteurs d'affaires (ATA/778/2016 du 13 septembre 2016 consid. 10c).

La méthode consiste à déterminer un salaire de base moyen, puis à l'augmenter d'une participation au chiffre d'affaires de la société (1 % jusqu'à CHF 1'000'000.-, 0.9 % jusqu'à CHF 5'000'000.- et 0.8 % au-delà, la participation étant doublée pour les sociétés de services afin de tenir compte de la marge brute élevée de ce type de sociétés) ainsi qu'une part du bénéfice (1/3 pour les sociétés employant moins de vingt collaborateurs et 1/4 pour les entreprises plus grandes ; ATA/778/2016 précité consid. 10c ; ATA/485/2013 du 30 juillet 2013; ATA/170/2012 du 27 mars 2012 ; Emily MELLER/Jessica SALOM, op. cit., p. 118).

d. Le Tribunal fédéral a pour sa part confirmé l'application de la « méthode valaisanne » dans la mesure où elle a conduit à un résultat exempt d'arbitraire, adapté aux circonstances du cas d'espèce (arrêts du Tribunal fédéral 2C_660/2014 et 2C_661/2014 précités consid. 6.2 ; 2C_421/2009 précité consid. 3.3 ; 2C_188/2008 précité consid. 5.3). La « méthode valaisanne » a également reçu l'aval de l'administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH).

e. La chambre de céans a admis à plusieurs reprises, dans le cadre du calcul du salaire qualifié d'excessif selon la « méthode valaisanne », le fait de prendre comme salaire de base le calculateur en ligne de l’Observatoire genevois du marché du travail (ci-après : OGMT), reposant sur des salaires bruts totaux, toutes prestations comprises. Elle a relevé que les données de l'OGMT devaient être considérées comme objectives et conformes aux méthodes de calcul préconisées par le Tribunal fédéral (ATA/480/2016 du 7 juin 2016 consid. 8e ; ATA/485/2013 précité ; ATA/674/2011 du 1er novembre 2011 ; ATA/777/2010 du 9 novembre 2010). En outre, le recours à un tel instrument aboutissait à établir un salaire fixé au maximum de la fourchette des rémunérations possibles (ATA/480/2016 précité consid. 8e et les références citées).

Toutefois, depuis mars 2019, le calculateur national des salaires, publié en ligne à l'adresse : « https://entsendung.admin.ch/Calculateur-de-salaires/ lohnberechnung » par le SECO, remplace le calculateur de l'OGMT. Ce nouvel outil permet en effet d'obtenir à la fois des résultats spécifiques au marché du travail genevois ainsi que pour l'ensemble de la Suisse. Comme son prédécesseur genevois, le calculateur national des salaires repose sur un modèle statistique établi à l'aide des données de l'enquête suisse sur la structure des salaires, menée tous les deux ans par l'office fédéral de la statistique auprès d'un échantillon d'entreprises. La dernière enquête reflète la situation du secteur privé en 2018.

8) La jurisprudence du Tribunal fédéral n’exclut pas qu’un actionnaire minoritaire puisse recevoir une distribution dissimulée de bénéfice. Le Tribunal fédéral a ainsi imputé une distribution dissimulée de bénéfice à un membre du conseil administration possédant six actions de l’entreprise (Archive 63 61 = RDAF 1995, 47, 50) et dans plusieurs affaires à un actionnaire minoritaire (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1082/2013 du 14 janvier 2015 consid. 6.4 ; « 2C_275/2010 du 24 août 2010 consid. 3.2). Tel sera typiquement le cas lorsque, au regard des circonstances, le minoritaire dispose d’une « beherrschende Stellung » dans la société distributrice. Il en va typiquement ainsi lorsque l’actionnaire minoritaire préside par exemple le Conseil d’administration de la société. Cela étant, ce critère de domination ne constitue toutefois qu’un indice parmi d’autres. La doctrine, quant à elle, est divisée sur cette question. Certains auteurs estiment que ce contrôle sur l’entreprise (Beherrschungsmöglichkeit) fait partie des éléments constitutifs de la notion de distribution dissimulée de bénéfice. Partant, une distribution dissimulée de bénéfice à un actionnaire minoritaire est uniquement concevable si la position de cette personne est « compensée » par certains droits sociaux lui permettant d’exercer ce contrôle. En l’occurrence, selon certains auteurs, cette position peut découler (i) d’actions à droit de vote privilégié, (ii) des statuts ou encore (iii) d’une convention d’actionnaires permettant au porteur de parts de siéger au conseil d’administration et d’influer sur les décisions de l’entreprise. De simples circonstances économiques ou même personnelles (rapports familiaux) ne sont au contraire pas déterminantes. Pour d’autres auteurs, en revanche, seul est déterminant le fait que la prestation repose sur le rapport de participation (causa societatis). Lorsque cette condition est réalisée, peu importe alors que le récipiendaire soit un actionnaire majoritaire ou minoritaire (Robert DANON in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct, 2ème édition, 2017, art. 58, § 107-199, p. 1109-1110 et les réf.).

9) Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de considérer que le versement au directeur et actionnaire unique de la société, au bénéfice certes d’une longue expérience, mais qui dirige une petite société, d'une rémunération dépassant de plus de CHF 100'000.- le salaire moyen supérieur versé dans la branche, peut être qualifié d'excessif et justifier une reprise pour distribution dissimulée de bénéfice au sens où l'entend la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 2C_421/2009 précité consid. 3.2).

10) a. Selon la maxime inquisitoire, qui prévaut en particulier en droit public, l'autorité définit les faits pertinents et ne tient pour existants que ceux qui sont dûment prouvés ; cette maxime oblige notamment les autorités compétentes à prendre en considération d'office l'ensemble des pièces pertinentes qui ont été versées au dossier. Elle ne dispense pas pour autant les parties de collaborer à l'établissement des faits ; il incombe à celles-ci d'étayer leurs propres thèses, de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles, spécialement lorsqu'il s'agit d'élucider des faits qu'elles sont le mieux à même de connaître (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_649/2020 du 10 novembre 2020 consid. 6.4).

En matière fiscale, il appartient à l'autorité de démontrer l'existence d'éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d'impôts. S'agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve, ces règles s'appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.5 ; ATA/1239/2021 du 16 novembre 2021 consid. 5a ; ATA/1223/2020 du 1er décembre 2020 consid. 3c).

b. Par ailleurs, en droit fiscal, le principe de la libre appréciation de la preuve s'applique. L'autorité forme librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées, en choisissant entre les preuves contradictoires ou les indices contraires qu'elle a recueillis. Cette liberté d'appréciation, qui doit s'exercer dans le cadre de la loi, n'est limitée que par l'interdiction de l'arbitraire. Il n'est pas indispensable que la conviction de l'autorité de taxation confine à une certitude absolue qui exclurait toute autre possibilité ; il suffit qu'elle découle de l'expérience de la vie et du bon sens et qu'elle soit basée sur des motifs objectifs (ATA/1239/2021 précité consid. 5b et les références citées).

c. Dans le domaine des prestations appréciables en argent, telles que des distributions dissimulées de bénéfice, le fardeau de la preuve se répartit comme suit : les autorités fiscales doivent apporter la preuve que la société a fourni une prestation et qu'elle n'a pas obtenu de contre-prestation ou une contre-prestation insuffisante ; si les preuves recueillies par l'autorité fiscale fournissent suffisamment d'indices révélant l'existence d'une telle disproportion, il appartient alors au contribuable d'établir l'exactitude de ses allégations contraires (arrêts du Tribunal fédéral 2C_207/2019 du 16 juillet 2019 consid. 4.2 ; 2C_1157/2016 du 2  novembre 2017 consid. 4.2.3). Par ailleurs, une fois qu'un fait est tenu pour établi, la question du fardeau de la preuve ne se pose plus (ATF 137 III 226 consid. 4.3). Les autorités doivent en effet pouvoir s'assurer que seules des raisons commerciales, et non les rapports personnels et économiques étroits entre la société et le bénéficiaire de la prestation, étaient déterminantes pour le choix de la prestation présentant un caractère insolite (arrêt du Tribunal fédéral 2C_18/2011 du 31 mai 2011 consid. 5.2 et les références citées ; ATA/222/2019 du 5 mars 2019 consid. 7).

11) En l’espèce, la recourante considère que les conditions permettant de retenir l’existence d’une prestation appréciable en argent ne seraient pas remplies. Elle relève en particulier qu’elle avait bénéficié d’une « prestation équivalente » de la part des associés, lesquels avaient déployé une activité très importante pour son compte, qu’un tiers employé chez elle avec le même engagement que les associés aurait reçu une rémunération équivalente et que les organes n’auraient pas pu se rendre compte de l’avantage octroyé aux associés, compte tenu de l’avantage énorme obtenu par la société elle-même (augmentation du chiffre d’affaires, du bénéfice, du nombre d’employés).

a. Afin de vérifier l’existence d’une prestation appréciable en argent, il convient en premier lieu d’examiner si la rémunération des associés était disproportionnée ou si au contraire elle correspondait au prix du marché.

À titre préalable, il sera relevé que si la recourante critique l’utilisation de la « méthode valaisanne » pour établir le salaire admissible des associés, elle n’offre aucune alternative fiable ni aucun élément probant qui permettrait de procéder à une comparaison avec les rémunérations de personnes de rang et de fonction similaires. En particulier, son argument revenant à calculer le salaire moyen versé aux associés entre 2011 et 2018, pour parvenir à la conclusion que le montant obtenu est conforme au marché ne résiste pas à l’examen. Eu égard au principe de périodicité et d’étanchéité des exercices fiscaux, seules les rémunérations versées durant l’année litigieuse, soit en 2018, seront examinées dans le cas d’espèce. La recourante considère qu’aucune comparaison ne serait possible compte tenu des particularités de ses activités et des associés. Celle-ci se contente alors de substituer sa propre appréciation selon laquelle le salaire de base devrait être celui convenu, soit CHF 30'000.- par mois pour chaque associé. Malgré les reproches qui lui ont été faits dans ce sens tant par l’autorité intimé que l’instance précédente, la recourante n’a pas produit les contrats de travail des associés ni un autre accord équivalent, qui auraient permis de comprendre selon quelles modalités les rémunérations ont été calculées, voire de vérifier si la part fixe de la rémunération des associés s’élevait réellement à CHF 30’000.- par mois. Il ne peut dès lors être reproché à l’autorité intimée de s’être fondée sur la « méthode valaisanne », méthode maintes fois validées tant par la chambre de céans que par le Tribunal fédéral, pour déterminer les salaires admissibles.

b. La recourante considère que plusieurs paramètres retenus dans l’application de la « méthode valaisanne » ne sont pas corrects.

Elle considère en premier lieu que le salaire de base était sensiblement trop bas pour des « créateurs géniaux » tels que les associés. La recourante argumente que compte tenu de ces profils hors normes et de ses activités dans des domaines nouveaux, il n’existait pas de comparatifs dans les statistiques du SECO. Le salaire de base de CHF 30'000.- par mois devait dès lors être pris en compte. Toutefois, comme susmentionné, la recourante n’apporte aucun élément de comparaison ni pièce probante qui permettrait de vérifier si les salaires de base seraient conformes au marché. Sans nier les compétences et la créativité déployés par les associés, il n’apparaît pas que des activités dans le domaine de la communication et de la publicité pour des marques reconnues, et ce même si essentiellement dans le domaine numérique, soient à ce point particulières qu’elles empêcheraient l’application du calculateur national des salaires. À cet égard, il sera relevé que l’autorité intimée a accepté, dans le cadre de sa réponse au TAPI, de prendre en compte le salaire supérieur (dernier quartile), et non plus le salaire médian.

La recourante reproche également à l’autorité intimée d’avoir pris en compte le nombre d’années d’existence de la société pour déterminer le nombre d’années de service. Toutefois, à teneur du site internet du SECO relatif au calculateur national de salaires (https://entsendung.admin.ch/Lohnrechner/lohnberechnung, consulté le 26 janvier 2022), par « années de service » on entend le « nombre d'années au service de l'entreprise ». Ce faisant, il ne peut être reproché à l’AFC-GE d’avoir pris en considération huit années de service dans le calculateur du SECO – la société ayant été créé en 2010 – et non le nombre d’années d’expérience des associés.

Les autres données inscrites dans le comparateur de salaire n’apparaissent pas critiquables, notamment concernant le nombre d’heures effectuées, à savoir soixante heures. Si la recourante a d’abord indiqué suite à une demande de renseignements de l’AFC-GE que les associés travaillaient entre cinquante et soixante heures par semaine, ce nombre pouvant augmenter en fonction des besoins, elle a par la suite allégué, dès la procédure contentieuse par-devant le TAPI, que ce nombre s’élevait à quatre-vingts heures par semaine. Or, de jurisprudence constante, en présence de déclarations contradictoires, la préférence doit en principe être accordée à celles que l'intéressé a données en premier lieu, alors qu'il en ignorait les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (arrêt du Tribunal fédéral 9C_728/2013 du 16 janvier 2014 consid. 4.1.2 ; ATA/1325/2021 du 3 décembre 2021 consid. 6a et les références citées). L’autorité intimée était ainsi fondée à retenir les premières déclarations de la recourante.

La recourante ne conteste pas non plus les montants retenus à titre de supplément en fonction du chiffres d’affaires et de part au bénéfice. Les calculs établis par le TAPI lors de l’application de la « méthode valaisanne », qui seront ainsi confirmés, laissent effectivement apparaître que les salaires qui ont été versés aux associés étaient en partie excessifs.

c. Il convient toutefois de vérifier encore que les autres conditions permettant de conclure à l’existence d’une prestation appréciable en argent sont remplies.

Contrairement à ce que prétend la recourante, il existe effectivement une disproportion reconnaissable par ses organes entre les prestations effectuées par les associés pour la société et les rémunérations perçues, qui n’auraient pas été accordées dans une telle proportion à des tiers.

Comme susmentionné, les rémunérations perçues par les trois associés sont très largement en dessus des salaires du marché. S’il est vrai que le chiffre d’affaires et le bénéfice de la recourante n’ont fait qu’augmenter aux fils des années depuis la création de la société, cela ne permet pas pour autant de justifier une telle disproportion.

Les associés ont en effet perçu à eux trois des salaires à hauteur de
CHF 1'582'600.- en 2018, lesquels représentent près de six fois le bénéfice net de la recourante pour cette année (soit en l'occurrence CHF 265'048.- selon leur taxation avant reprises). Dans ces conditions, le montant des salaires revêtait un caractère disproportionné, lequel était par ailleurs reconnaissable pour les organes de la recourante.

Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence précitée que le simple fait d’être un actionnaire minoritaire n’empêche pas de reconnaître l’existence d’une distribution dissimulée de bénéfice. Comme relevé tant par le TAPI et l’autorité intimée, il ressort du dossier et notamment des écritures de la recourante, que MM. C______ et D______ étaient, au même titre que M. B______ qui en était l’actionnaire majoritaire en 2018, des animateurs de la société, pour laquelle ils déployaient tous plusieurs activités. La recourante a elle-même qualifié dans son recours devant la chambre de céans MM. C______ et D______ de « moteurs de la société », au même titre que M. B______. Les trois associés-gérants disposaient d’ailleurs tous de la signature collective à deux.

Il ressort par ailleurs du dossier, soit du récapitulatif des salaires AVS pour l’année 2018 de la recourante, que l’employé le mieux rémunéré, après les trois associés, était Monsieur I______, avec un salaire annuel de CHF 130'000.- (sans qu’il ne soit possible d’établir si ce montant comprend uniquement une rémunération de base ou également une part variable), lequel occupe la fonction de « Chief Operating Officer » selon le site internet de la recourante (https://www.buzzbrothers.ch/team/, consulté le 26 janvier 2022), soit directeur des opérations. Ce salaire annuel, pour un poste de cadre, était pratiquement trois fois inférieur au salaire de base annuel de CHF 360'000.- que la société allègue avoir fixé pour chacun des trois associés. Cela confirme dès lors également le fait que les salaires perçus par MM. C______, D______ et B______ l’ont été du fait de leur qualité d’associés.

Pour le surplus, il sera relevé que s’il est vrai que la comptabilisation de dividendes en lieu et place d’un salaire apparaît effectivement fiscalement plus avantageuse du point de vue des associés-gérants, tel n’est pas le cas du point de vue de la société, laquelle a au contraire tout intérêt à faire diminuer ses charges.

d. Au vu de ce qui précède, les conditions de la dissimulation de bénéfice, pour la partie excessive des salaires, sont dès lors réalisées. L'AFC-GE était fondée, tant pour l'ICC que pour l'IFD, à retenir des salaires excessifs confirmés dans leur principe par le TAPI en appliquant la « méthode valaisanne » pour la période fiscale en cause et à réintégrer ceux-ci dans le bénéfice imposable de la recourante.

12) La recourante soutient enfin qu’il faudrait tenir compte des frais forfaitaires de représentation, auxquels auraient eu droit les associés et qu’elle aurait donc pu déduire de son bénéfice, pour atténuer le montant de la prestation appréciable en argent.

a. L'art. 58 al. 1 let. a LIFD énonce le principe de l'autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance ; « Massgeblichkeitsprinzip »), selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal. Les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices spécifiques. L'autorité fiscale peut donc s'écarter du bilan remis par le contribuable lorsque des dispositions impératives du droit commercial sont violées ou que des normes fiscales correctrices l'exigent (ATF 141 II 83 consid. 3.1 et les références; arrêts du Tribunal fédéral 2C_857/2020 du 11 février 2021 consid. 4.1 ; 2C_132/2020 du 26 novembre 2020 consid. 7.2). Selon ce principe, le contribuable est lié à la situation patrimoniale de la période fiscale, telle qu'elle ressort des livres de compte régulièrement établis (arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/2019 du 23 septembre 2019 consid. 5.2 et les références). En revanche, si la comptabilisation se fait de manière contraire au droit commercial, une correction de bilan est possible jusqu'à l'entrée en force de la déclaration d'impôt. La correction de bilan peut intervenir en faveur ou en défaveur du contribuable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_490/2016 du 25 août 2017 consid. 5.1 et les références).

b. La recourante admet, à juste titre, que le principe de déterminance s’oppose à la prise en considération de ces frais. Elle argue toutefois qu’il conviendrait de les prendre en compte dès lors que l’autorité fiscale s’était également écartée du principe de l’autorité du bilan pour redresser son bilan en lien avec des salaires prétendument excessifs.

Ce raisonnement ne saurait toutefois être suivi. En effet, la reprise pour salaires excessifs est motivée par l’existence d’une prestation appréciable en argent en faveur des associés. Dès lors que celle-ci viole une disposition impérative du droit fiscal, l'AFC-GE était en droit de s'écarter du bilan afin de rétablir une situation conforme au droit.

En revanche, dans la mesure où la recourante n'a comptabilisé aucune charge pour frais de représentation – de tels frais ne ressortant par ailleurs pas non plus des certificats de salaire des associés , et attendu que cette situation n'est pas contraire au droit fiscal, elle ne saurait modifier ses comptes joints à sa déclaration fiscale sans violer le principe de déterminance.

Par conséquent, cet argument sera également écarté.

Dans ces circonstances, le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

13) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 2'500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 avril 2021 par A______ Sàrl contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 8 mars 2021 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'500.-, à la charge de A______ Sàrl ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Dominique Morand, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme McGregor, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :