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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1215/2008

ATA/777/2010 du 09.11.2010 sur DCCR/465/2010 ( ICC ) , ADMIS

Descripteurs : ; SALAIRE ; PRESTATION APPRÉCIABLE EN ARGENT ; DISTRIBUTION DISSIMULÉE DE BÉNÉFICES ; DÉCISION DE TAXATION
Normes : LIFD.57 ; LIFD.58.al1.letb ; LIPM.12.leta ; LIPM.12.leth
Résumé : La part excédant le salaire maximum fiscalement admissible, déterminée par la méthode valaisanne et fixée selon le calculateur de l'observatoire genevois du marché du travail, constitue une distribution dissimulée de bénéfice et doit faire l'objet d'une reprise.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1215/2008-ICC ATA/777/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 9 novembre 2010

1ère section

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

C______ S.A.

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 30 mars 2010 (DCCR/465/2010)


EN FAIT

1. La société C______ S.A. (ci-après : la contribuable ou la société) a son siège à Genève. Elle a pour but l'assistance commerciale au profit de sociétés tierces, le commerce et l'entretien de logiciels, la location de services, le conseil en matière informatique, la formation et la diffusion de matériel éducatif.

Monsieur R_____ en est l'actionnaire et l'administrateur.

2. Le présent litige concerne l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) et l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) 2006.

3. Dans sa déclaration fiscale 2006, la contribuable a indiqué un bénéfice net imposable de CHF 85'152.-.

Selon les comptes 2006 annexés à la déclaration, le chiffre d'affaires était de CHF 5'551'152.- et les frais généraux de CHF 4'651'971.-.

4. Par courrier du 25 octobre 2007, l'administration fiscale cantonale
(ci-après : AFC-GE) a notamment demandé à la contribuable de lui remettre une copie du certificat de salaire de R______.

5. En date du 1er novembre 2007, la contribuable a produit les documents demandés et indiqué que le salaire de CHF 515'393,20 de l'administrateur se composait d'un salaire annuel de CHF 264'000.- (soit 12 x CHF 22'000.-), d'un salaire annuel d'administrateur de CHF 48'000.- et de commissions sur les ventes de CHF 203'393,20.

6. Par bordereau de taxation ICC 2006 du 20 novembre 2007, l'AFC-GE a fixé l'impôt cantonal et communal à CHF 71'713,75 en tenant compte d'un bénéfice imposable de CHF 298'588.- et d'un capital imposable de CHF 396'508.-.

Par bordereau de taxation IFD 2006 du 26 novembre 2007, l'IFD a été fixé à CHF 25'372,50.

L'AFC-GE a notamment considéré qu'une partie du salaire de l'administrateur, soit CHF 75'697.- constituait une prestation à l'actionnaire.

Le montant du salaire excessif a été déterminé de la façon suivante :

Salaire de base: CHF 313'970.-

Supplément de CHF 45'302.- en fonction du chiffre d'affaires de
CHF 4'811'304.-, soit

- 1% jusqu'à 2 mios CHF 20'000.-

- 0.9% entre 2 et 12 mios CHF 25'302.-

Part du bénéfice de 2/3 pour une société employant moins de
vingt personnes, soit CHF 160'849.-

Bénéfice net comptable CHF 85'152.-

Salaires effectifs CHF 515'393.-

dont à déduire :

Salaire de base CHF 313'970.-

Supplément en fonction du chiffre d'affaires CHF 45'302.-

Sous total CHF 241'273.-

Part de bénéfice imposable 2/3 CHF 160'849.-

Part de bénéfice supplémentaire 1/3 CHF 80'424.-

La rémunération maximale totale admise pour l'administrateur était donc de CHF 439'696.-

Salaire de base CHF 313'970.-

Supplément en fonction du chiffre d'affaires CHF 45'302.-

Part. du bénéfice supplémentaire CHF 80'424.-

CHF 439'696.-

Salaire excessif : CHF 75'697.- (CHF 515'393.- moins CHF 439'696.-)

7. Le 10 décembre 2007, la contribuable a formé réclamation contre les bordereaux de taxation précités.

Elle contestait notamment le salaire excessif de R______ retenu par l'AFC-GE. Il n'y avait aucune dissimulation de bénéfice, les salariés ayant tous bénéficié de l'essor de la société par le versement de plus de CHF 100'000.- de primes et par des augmentations de salaire en 2007.

Si la société avait pu subsister pendant trente ans et passer de deux à trente, voire quarante salariés, c'était grâce à l'activité de R______ qui recherchait sans cesse de nouvelles affaires, grâce aux liens qu'il avait tissés avec la clientèle ainsi qu'aux bonnes relations et conditions de travail qu'il avait crées.

En conséquence, elle demandait à l'AFC-GE de revoir les taxations.

8. Par décisions du 26 mars 2008, l'AFC-GE a partiellement admis les réclamations et rectifié les taxations litigieuses.

Elle a notamment fixé le salaire de base de R______ à CHF 150'000.- et l'augmenté des commissions sur son chiffre d'affaires de CHF 203'393.- pour le porter à CHF 353'393.-. Par ailleurs, la part du chiffre d'affaires qu'elle a prise en considération dans le calcul du salaire excessif, soit CHF 1'483'358.- représentait la différence entre le chiffre d'affaires global de la société de CHF 5'551'222.- et le chiffre d'affaires réalisé par R______ de CHF 4'067'864.-. Quant au montant du salaire excessif, elle l'a fixé à CHF 69'727.- de la façon suivante:

1) Salaire de base : CHF 353'393.-

2) Supplément de CHF 14'834.- en fonction du chiffre d'affaires de
CHF 1'483'358.-, soit

- 1% jusqu'à 2 mios CHF 14'834.-

3) Part du bénéfice de 2/3 pour une société employant moins de vingt personnes, soit CHF 154'879.-.

Bénéfice net comptable CHF 85'152.-

Salaire effectif CHF 515'393.-

dont à déduire:

Salaire de base CHF 353'393.-

Supplément en fonction du chiffre d'affaires CHF 14'834.-

Sous total CHF 232'318.-

Part de bénéfice imposable 2/3 CHF 154'879.-

Par de bénéfice supplémentaire 1/3 CHF 77'439.-

La rémunération maximale totale admise pour l'administrateur était donc de CHF 445'666.-.

Salaire de base CHF 353'393.-

Supplément en fonction du chiffre d'affaires CHF 14'834.-

Part du bénéfice supplémentaire CHF 77'439.-

CHF 445'666.-

Salaire excessif: CHF 69'727.- (CHF 515'393.- moins CHF 445'666.-).

Par bordereau rectificatif ICC 2006 du 18 mars 2008, l'AFC-GE a fixé l'impôt cantonal et communal à CHF 46'461,90 compte tenu d'un bénéfice imposable de CHF 191'042.- et d'un capital imposable de CHF 396'508.-.

Par bordereau rectificatif IFD 2006 du 26 mars 2008, l'IFD a été fixé à
CHF 16'235.-.

9. Le 8 avril 2008, la contribuable a recouru contre les décisions précitées auprès de la commission cantonale de recours en matière d'impôts au motif que le salaire de R______ ne pouvait être qualifié d'excessif.

Le salaire annuel de R______ se composait d'un salaire de base de
CHF 264'000.- (12 x 22'000.-), de commissions sur les ventes fixées contractuellement à CHF 203'393.- et d'un salaire d'administrateur de
CHF 48'000.-.

Le salaire de base de CHF 150'000.- retenu par l'AFC-GE était erroné. En 1993 le salaire de l'administrateur était de CHF 144'000.-. Une augmentation de CHF 6'000.- en treize ans n'était pas acceptable pour un directeur d'entreprise.

Une bonne partie des salariés de l'entreprise bénéficiaient d'une rémunération allant de CHF 100'000.- à CHF 130'000.- ainsi que d'un statut supérieur à celui que prévoyait la loi s'agissant de vacances, d'assurances maladie et accidents prises en charge par la société, du versement de primes en fin d'année et parfois également au mois de juillet, ainsi que d'augmentations régulières. Certains salariés nommés au poste de « business development manager » recevaient également une commission de 5 % sur le chiffre d'affaires qu'ils généraient.

La société avait connu un essor important depuis 1988, passant de trois à une quarantaine d'employés et les perspectives étaient excellentes pour la suite. L'avenir de la société reposait entièrement sur R______, son salaire du montant de CHF 22'000.- par mois n'était donc pas exagéré. Ce dernier devait faire face à un énorme travail. Il gérait les clients en Valais, sur Vaud, à Genève ainsi qu'à l'étranger, en semaine ainsi que le week-end, afin d'entretenir les bonnes relations commerciales qu'il avait pu nouer et de rechercher de nouvelles affaires. L'administrateur avait également la responsabilité de toute la société et des personnes qui en dépendaient.

L'AFC-GE n'avait pas tenu compte du salaire d'administrateur de
CHF 48'000.- pour le salaire de base.

La copie de l'avenant n° 1 au contrat de travail à durée déterminée de
R______, signé les 13 et 15 décembres 2004, dont il ressortait qu'en raison de son essor la société lui rétrocédait, du 1er janvier au 31 décembre 2005, un commissionnement sur la facturation hors taxes des clients auprès desquels il a placé des consultants à raison de 5 % de 0 à 1'000'000.-, de 7,5 % de
CHF 1'000'001.- à CHF 2'000'000.- et de 10 % au-dessus de CHF 2'000'001.- . Un acte notarié mentionnant qu'en janvier 2008, R______ s'était engagé solidairement aux côtés de la contribuable, en tant que caution à hauteur de
CHF 420'000.-, était annexé au recours.

10. L'AFC-GE a répondu le 19 décembre 2008. Pour déterminer les salaires excessifs, elle appliquait la méthode valaisanne, compte tenu de son caractère fiable reconnu par la jurisprudence. Cette méthode était applicable lorsque les données servant de fondement à la définition de la rémunération des cadres faisaient défaut ou étaient inexploitables.

La part de salaire qui apparaissait comme excessive, en application de la méthode valaisanne, avait fait l'objet d'une reprise, à juste titre. Un salaire aussi élevé n'aurait de toute évidence jamais été accordé à une personne ne possédant pas tant de liens étroits avec la société contribuable.

Les qualifications professionnelles de l'administrateur avaient été prises en compte dans le cadre de la détermination du salaire de base en fonction du type d'activité, sur la base de données statistiques relatives au secteur économique concerné répondant pleinement aux exigences du Tribunal fédéral. Pour le surplus, la recourante ne démontrait pas que la méthode appliquée était arbitraire.

L'AFC-GE a conclu au rejet des recours.

11. La contribuable a déclaré, le 25 mars 2009, qu'elle maintenait son recours et a demandé à la commission de revoir sa position relative à la méthode valaisanne arrêtant le salaire de base de l'administrateur à CHF 150'000.-. Selon ses informations, de grosses sociétés en Valais offraient à leurs informaticiens, n'ayant pas d'autres responsabilités que leur travail, des salaires plus élevés.

12. A la demande de la commission, la contribuable a, par écriture du
6 novembre 2009, exposé qu'en 2008, R______ avait généré à lui seul un chiffre d'affaires de plus de CHF 4'700'000.- sur le chiffre d'affaires total de
CHF 5'600'000.-, en raison principalement des excellentes relations qu'il entretenait avec ses clients et de sa bonne gestion du personnel. Chaque année, la société facturait à hauteur de CHF 80'000.- les prestations de R______ auprès du Groupe Mutuel. Ce dernier œuvrait sans cesse à la recherche de nouveaux développements de l'activité de la contribuable. Toutes ces activités nécessitaient une très grande disponibilité, beaucoup de réflexion, de travail et un horaire dépassant largement 40 heures par semaine.

R______ décidait seul de l'engagement des collaborateurs qui bénéficiaient de salaires au-dessus de la moyenne pratiquée à Genève, ainsi que de primes versées en juillet et décembre de chaque année et d'augmentations régulières. Leurs primes d'assurance perte de gains, accident et accident complémentaire étaient prises en charge par la société et les vacances octroyées étaient supérieures au minimum légal. La rémunération des collaborateurs de la contribuable oscillait entre CHF 100'000.- et CHF 170'000.- alors qu'ils n'avaient pas la charge de faire fonctionner la société. Il n'était pas normal d'appliquer la méthode valaisanne au salaire de R______.

R______ était à l'origine de la contribuable, qu'il avait créée en 1989. Il était titulaire d'une maturité scientifique, puis avait suivi une formation complète d'ingénieur système auprès de la Société de banques suisse ainsi que divers cours de management et de gestion de personnel chez K______.

13. Par décision du 30 mars 2010, la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : commission ou CCRA), qui a repris depuis le
1er janvier 2009 les compétences de la commission cantonale de recours en matière d'impôts (art. 162 al. 4 de la loi sur l'organisation judiciaire du
22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05), a joint les recours concernant l'IFD et l'ICC 2006 et les a admis.

a) Pour déterminer le salaire mensuel brut médian de l'administrateur de la contribuable, il y avait lieu d'utiliser le calculateur de salaire 2006 de l'observatoire genevois du marché du travail (ci-après : OGMT) dans un premier temps, puis d'appliquer la méthode valaisanne. Cette méthode était utilisée pour déterminer l'IFD ainsi que l'ICC.

b) Les éléments suivants ont été retenus pour procéder au calcul du salaire mensuel estimé à l'aide du calculateur de salaire de l'OGMT :

Formation Maturité

Age 56 ans en 2006

Position hiérarchique cadre supérieur

Ancienneté 17 ans en 2006

Qualification travaux les plus exigeants

Domaine d'activité définition de la stratégie de l'entreprise

Nombre d'heures admises 60 heures

La détermination du salaire de l'OGMT comprenait les cotisations à charge du salarié, divers versements de primes et autres commissions, un douzième de l'éventuel treizième (ou quatorzième) salaire et un douzième des paiements spéciaux annuels. Les heures supplémentaires et les allocations pour enfants n'étaient en revanche pas comptabilisées.

L'OGMT a estimé le salaire brut médian à CHF 25'185.-, soit
CHF 302'220.- brut (12 x CHF 25'185.-) durant l'année 2006.

c) Au salaire annuel de base ont été ajoutés la participation au chiffre d'affaires de 2 % jusqu'à 1 mio, de 1,8% jusqu'à 5 mio et de 1,6 % sur le solde, s'agissant d'une société de service, soit une participation de CHF 100'820.- sur le chiffre d'affaires de CHF 5'551'222.-.

d) Une part de bénéfice de 1/3 correspondant à une société occupant moins de vingt personnes, retenue par l'administration et non contestée par la recourante, a également été ajoutée au salaire annuel de base.

La part au bénéfice du montant de CHF 66'108.- a été calculée de la manière suivante :

Bénéfice net CHF 85'152.-

Salaires versés CHF 515'393.-

- Salaire de base CHF 302'220.-

- Supplément en fonction du CA CHF 100'820.-

Sous total CHF 198'325.-

(sic ; recte : CHF 197'505.-)

Part au bénéfice CHF 66'108.-

(sic ; recte : CHF 65'841.65)

e) Le salaire excessif s'est déterminé de la façon suivante :

Salaire de base CHF 302'220.-

Supplément en fonction du CA CHF 100'820.-

Part au bénéfice CHF 66'108.-

(sic ; recte : CHF 65'735.-)

Rémunération maximum CHF 469'148.-

(sic; recte : CHF 468'755.-)

Salaire effectif CHF 515'393.-

Salaire excessif CHF 46'245.-

(sic; recte : CHF 46'638.-)

f) La société avait versé à son administrateur un salaire excessif de
CHF 46'245.- alors que l'AFC-GE avait retenu que le salaire excessif était de
CHF 69'727.-.

Le salaire excessif représentait 9,85 % du salaire fiscalement admissible, de sorte que la disproportion entre la prestation et la contreprestation n'était pas manifeste et reconnaissable par les organes sociaux. Il n'y avait pas de distribution dissimulée de bénéfice.

14. Par acte du 11 mai 2010, l'AFC-GE a interjeté recours auprès du Tribunal administratif concluant à l'annulation de la décision de la CCRA, tant en ce concernait l'IFD que l'ICC.

Les données telles qu'elle les avait retenues dans la taxation initiale de la contribuable n'étaient pas arbitraires, dès lors que le salaire de base avait été déterminé en fonction du type d'activité, sur la base de données statistiques relatives au secteur économique concerné. L'AFC-GE n'entendait cependant pas revenir sur le calcul de la commission.

La CCRA n'avait pas appliqué correctement la méthode valaisanne.

En insérant les données dans le calculateur de salaire de l'OGMT, notamment en indiquant 60 heures de travail hebdomadaire de l'administrateur, la commission avait retenu des critères trop larges, lesquels aboutissaient systématiquement à la rémunération la plus élevée. Cette méthode établissait un salaire prenant déjà en compte le salaire excessif de l'administrateur.

La part excédant le salaire maximum fiscalement admissible constituait une distribution dissimulée de bénéfice dès le premier franc, dont l'importance ne pouvait échapper aux organes de la société. Cette part n'aurait pas été versée à un tiers dans de mêmes circonstances. Aucun élément autre que la qualité d'actionnaire du bénéficiaire ne permettait de justifier le versement supplémentaire de CHF 46'245.-. Ce montant devait faire l'objet d'une reprise en tant que prestation appréciable en argent.

15. Le 27 mai 2010, la CCRA a transmis son dossier et persisté dans les considérants et le dispositif de sa décision.

16. En date du 7 juin 2010, la contribuable a fait part de ses observations et a confirmé les conclusions prises dans le cadre de son recours du 8 avril 2008.

Il n'y avait pas de dissimulation de bénéfice. Le succès de la société était dû aux capacités et aux relations de son administrateur, ce qui justifiait un salaire élevé de ce dernier. Il s'acquittait de plus de CHF 160'000.- d'impôts annuels à titre personnel, l'administration fiscale n'était pas lésée.

Aucun directeur de société n'accepterait un salaire de CHF 150'000.- tel qu'indiqué par la méthode valaisanne. Cette méthode était dépassée pour un nombre important d'entreprises. Plusieurs salariés de l'entreprise, qui eux avaient une responsabilité très limitée dans le cadre de la société, avaient un salaire entre
CHF 140'000.- et CHF 163'000.-. L'ensemble du personnel bénéficiait de conditions sociales largement au-dessus de la moyenne.

17. Par courrier du 29 juin 2010, l'administration fédérale des contributions (ci-après l'AFC-CH) a conclu à l'admission du recours déposé par l'AFC-GE et à l'annulation de la décision de la CCRA.

La méthode de calcul appliquée par la CCRA avait fixé le maximum admissible. Ce qui dépassait ce montant devait être reconnaissable par les organes de la société.

Les salaires de CHF 100'000.- à CHF 130'000.- allégués par la contribuable étaient sans commune mesure avec le montant de CHF 515'393.- accordé à l'administrateur. Cette disproportion ne pouvait s'expliquer que par sa qualité d'actionnaire.

Le salaire excessif de CHF 46'245.- déterminé par la CCRA représentait une distribution dissimulée de bénéfice et devait être réintégré dans le bénéfice imposable de la contribuable.

18. Le juge délégué a accordé un délai au 30 juillet 2010 aux parties pour formuler d'éventuelles requêtes complémentaires, à défaut de quoi la cause serait gardée à juger.

Les parties n'ont pas sollicité d'autres actes d'instruction.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56 A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le présent litige porte sur la question de savoir si c'est à bon droit que la CCRA a considéré que le salaire excessif de R______, du montant de
CHF 46'245.-, soit 9,85 % du salaire fiscalement admissible, ne constituait pas de distribution dissimulée de bénéfice et que l'AFC-GE n'était pas légitimée à ajouter ce montant au bénéfice net imposable de la contribuable pour les taxations IFD et ICC 2006.

3. a) L'art. 57 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) prévoit que l'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net.

Aux termes de l'art. 58 al. 1 let. b LIFD, sont considérés comme bénéfice imposable tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l'usage commercial tels que, notamment, les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l'usage commercial.

b) Concernant l'ICC, l'art. 12 let. a et h de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15) prévoit que sont considérés comme bénéfice net imposable le bénéfice net tel qu'il résulte du compte de pertes et profits, ainsi que les allocations volontaires à des tiers et les prestations de toute nature fournies gratuitement à des tiers ou à des actionnaires de la société.

c) Bien qu'elles ne le mentionnent pas expressément, les deux dispositions susmentionnées visent notamment les distributions dissimulées de bénéfice (S. KUHN/P. BRÜLISAUER, in : M. ZWEIFEL/P. ATHANAS, Kommentar zum schweizerischen Steuerrecht, I/1, Bundesgesetz über die Harmonisierung des direkten Steuern der Kantone und Gemeinden (StHG), 2e éd., n° 74 ad. art. 24
p. 406), soit des prélèvements qui ne sont pas conformes au droit commercial et qui doivent donc être réintégrés au bénéfice imposable. L'art. 12 let. h LIPM est conforme à l'art. 58 al. 1 let. b LIFD quand bien même il est rédigé différemment.

d) Selon la jurisprudence, l'existence d'une prestation appréciable en argent suppose la réalisation de quatre conditions cumulatives : la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante; cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le touchant de près; elle n'aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers; la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que les organes de la société auraient pu se rendre compte de l'avantage qu'ils accordaient (ATA/21/2005 du 18 janvier 2005 ; X. OBERSON, Droit fiscal suisse, Bâle 2007, p. 197 n° 33 et réf. citées).

Il appartient à la société de prouver que les prestations en question sont justifiées par l'usage commercial afin que les autorités fiscales puissent s'assurer que seules des raisons commerciales, et non les étroites relations personnelles et économiques entre la société et le bénéficiaire de la prestation ont conduit à la prestation insolite (Arrêt du Tribunal fédéral 2A.223/2000).

Les prestations appréciables en argent peuvent apparaître de diverses façons. Elles peuvent être réalisées par un accroissement injustifié de frais généraux, notamment par des versements de salaires excessifs (X. OBERSON, op. cit.
p. 197 n° 34).

Par rémunération salariale excessive, il faut entendre tout avantage octroyé dans le contexte des rapports de travail. Il peut ainsi s'agir du salaire disproportionné octroyé à un actionnaire-directeur. La délimitation entre revenus du travail et distribution dissimulée de bénéfices se pose toutefois également pour toutes les autres formes de rémunération, à savoir les indemnités de départ, les bonus, les revenus en nature, etc. (D. YERSIN, Y. NOËL, Commentaire romand, Bâle 2008, art. 57-58 n° 142, p. 755).

En présence d'une prestation appréciable en argent, les conséquences fiscales sont multiples. Au niveau de la société, l'autorité fiscale réintégrera la prestation dans les bénéfices imposables de celle-ci (X. OBERSON, op. cit.
p. 197 n° 35).

4. Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a confirmé l'application de la méthode valaisanne, consistant à utiliser un salaire de base annuel conforme aux usages commerciaux, en se référant à des données statistiques, soit aux salaires publiés par les offices cantonaux de statistiques lorsque les données servant de base à la détermination de la rémunération dans une société font défaut, pour autant que le salaire de base sélectionné corresponde aux responsabilités et critères des personnes concernées (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_188/2008 du 19 août 2008, consid. 5.3).

Selon cette méthode, une fois le salaire de base calculé, il convient de prendre en compte une participation au chiffre d'affaires de 2 % jusqu'à 1 mio, de 1,8 % jusqu'à 5 mio et de 1,6% sur le solde s'agissant d'une société de service. Il y a encore lieu d'effectuer la différence entre le salaire effectivement versé et le salaire pour une activité équivalente figurant dans les données statistiques en tenant compte de l'éventuelle participation au chiffre d'affaires. Le résultat ainsi obtenu est ensuite ajouté au bénéfice net déclaré par la société et constitue un sous-total permettant de définir la part au bénéfice admissible. L'importance de cette part est en fonction du nombre de personnes travaillant dans l'entreprise : en dessous de vingt personnes, cette part est d'un tiers. Enfin, le salaire de base annuel, la participation au chiffre d'affaires et la part au bénéfice sont additionnés et constituent le salaire conforme aux usages commerciaux. La différence avec le salaire effectivement versé par la société constitue alors la part excessive qu'il convient de reprendre en compte au titre de distribution dissimulée de bénéfice (Arrêts du Tribunal administratif du canon de Vaud FI.2004.0092 du 21 avril 2005 et FI.2004.0127 du 27 juin 2005).

5. En l'espèce, la CCRA a pris comme salaire de base le calculateur en ligne de l'OGMT.

a) Ce calculateur, en fonction depuis l'année 2002, est l'autorité compétente pour la politique générale du marché du travail dans le canton. L'OGMT est rattaché au conseil de surveillance du marché de l'emploi (ci-après : CSME). Ce dernier joue également un rôle dans le cadre de la passation des marchés publics en matière de fournitures et de services définie par la loi cantonale. Il mobilise les compétences respectives de trois entités: l'office cantonal de la statistique (ci-après : l'OCSTAT), le laboratoire d'économie appliquée de l'université, et l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail. L'OCSTAT est le répondant de l'OGMT. La source statistique de référence de l'OGMT est l'enquête suisse sur la structure des salaires. Dans les cas où les données statistiques sont insuffisantes, l'OGMT réalise, sur mandant du CSME, des enquêtes de terrain spécifiques dans les branches sélectionnées.

b) Au vu de ce qui précède, les données de l'OGMT doivent être considérées comme objectives et conformes aux méthodes de calcul préconisées par le Tribunal fédéral. C'est donc à raison que la commission a utilisé le calculateur en ligne de l'OGMT comme salaire de base.

c) En insérant les données dans le calculateur de salaire de l'OGMT, la commission a retenu les critères les plus favorables au recourant, lesquels ont abouti à une rémunération élevée.

Le calculateur OGMT utilisé par la commission indique des salaires bruts totaux, toutes prestations comprises. La méthode de calcul prise en compte par la CCRA établit donc un salaire maximal fixé au point le plus élevé de fourchette des rémunérations possibles, et prend déjà en compte l'appréciation du caractère du salaire excessif.

De cette manière, la commission parvient à un salaire maximum fiscalement admissible calculé de manière très large d’un montant de CHF 469'148.-, soit
CHF 23'482.- de plus que celui qui avait été retenu par l'AFC-GE
(CHF 445'666.-).

La part de salaire dépassant ce maximum admissible constitue ainsi non seulement un salaire excessif, mais également une distribution dissimulée de bénéfice. Le rapport de dépassement fixé en pourcentage du salaire maximum (9.85 %) confirme l'existence d'une distribution dissimulée de bénéfice. Cette part excède le salaire maximum qui aurait été versé à un tiers dans les mêmes circonstances et s'explique uniquement par la qualité d'actionnaire du bénéficiaire. Le montant de CHF 46'245.- représente une disproportion, reconnaissable par les organes et doit par conséquent faire l'objet d'une reprise en tant que prestation appréciable en argent.

6. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis, la décision du 30 mars 2010 de la CCRA annulée et les bordereaux de taxation IFD et ICC 2006 du
20 novembre 2007 rétablis.

7. Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de C______ S.A. Il ne sera pas alloué d'indemnité (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 mai 2010 par l'administration fiscale cantonale contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 30 mars 2010 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du 30 mars 2010 de la commission cantonale de recours en matière administrative ;

rétablit les bordereaux IFD et ICC 2006 émis par l'administration fiscale cantonale le
20 novembre 2007 ;

met à la charge de C______ S.A. un émolument de
CHF 1'500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt (la présente décision) et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions, à la commission cantonale de recours en matière administrative, ainsi qu'à C______ S.A.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy et Junod, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adjointe :

 

 

F. Glauser

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :