Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2470/2011

ATA/14/2015 du 06.01.2015 sur JTAPI/776/2013 ( ICC ) , REJETE

Recours TF déposé le 11.02.2015, rendu le 31.07.2015, REJETE, 2C_152/15
Descripteurs : IMPÔT ; IMPÔT CANTONAL ET COMMUNAL ; REVENU D'UNE ACTIVITÉ LUCRATIVE ; SALAIRE ; ASSUJETTISSEMENT(IMPÔT) ; APPARTENANCE ÉCONOMIQUE ; DÉCISION DE TAXATION ; CALCUL DE L'IMPÔT ; RÉALISATION(EN GÉNÉRAL) ; ÉTANCHÉITÉ
Normes : LIPP.72.al1 ; aLIPP-II.1 ; aLIPP-II.2 ; aLIPP-IV.1 ; aLIPP-V.2
Résumé : Les données de taxation pour l'année fiscale 2008 sont figées au 31 décembre 2008. Une modification rétroactive, intervenue en octobre 2013, des comptes de l'exercice 2008 clos le 31 décembre 2008 de la société employeur serait contraire aux principes régissant l'établissement des bilans et de l'étanchéité des exercices. L'avenant au contrat de travail du 30 octobre 2013 qui diminuait sensiblement le salaire du recourant dès le 1er janvier 2008 ne visait pas la suppression du droit au versement du salaire initial restant dû sous certains conditions et n'avait pas pour objectif de modifier sensiblement la situation du recourant par rapport à son employeur dont il est du reste administrateur. Dans ces circonstances, la chambre de céans ne voit pas quel autre but que la réalisation d'une économie d'impôt le recourant aurait poursuivi. Malgré les difficultés financières de la société employeur, le recourant n'a pas démontré que le degré de probabilité du recouvrement de sa créance de salaire pour 2008 était nul, dans la mesure où la société est toujours active et réalise des bénéfices, quelle que soit leur importance. Par conséquent, le TAPI a à juste titre considéré que la prétention ferme en salaire du montant initialement dû représentait un revenu imposable pour la taxation 2008 du recourant.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2470/2011-ICC ATA/14/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 janvier 2015

en section

 

dans la cause

 

Mme et M. A______
représentés par Me Michel Valticos, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 24 juin 2013 (JTAPI/776/2013)


EN FAIT

1) La société B______ SA (ci-après : B______ SA), est inscrite au registre du commerce de Genève. Son but est le développement et le financement d'affaires immobilières ; achat, vente, gestion et administration de tous biens mobiliers et immobiliers, appartements et actions de sociétés immobilières ; achat, vente et exploitation de tous brevets, licences et procédés dans le domaine de la construction ; étude, réalisation ou financement de toutes constructions ou projets de travaux publics ; fourniture de conseils et d'assistance en matière immobilière ou de travaux publics. 

2) M. A______, domicilié dans le canton de Genève, né en 1949, est administrateur et employé de B______ SA. Il est marié à Mme A______, fille de M. C______.

3) Dans leur déclaration fiscale pour l'année 2008, les époux A______ ont mentionné que le salaire réalisé par M. A______ auprès de la société B______ SA s'élevait à CHF 0.-. Était jointe à ce document une attestation de la société I______ du 17 juillet 2009, selon laquelle l'intéressé n'avait pas perçu les montants de son salaire pour l'année 2008, ceux-ci devant faire l'objet d'un règlement ultérieur.

4) Par courrier du 28 janvier 2011, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a invité les époux A______ à lui faire parvenir une attestation de créance mentionnant le montant total des salaires non perçus auprès de B______ SA pour la période fiscale 2008.

5) Le 8 février 2011, les époux A______ ont transmis à l'AFC-GE un certificat de salaire de M. A______ pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2008, datant du 11 avril 2009 et délivré par B______ SA, indiquant qu'il avait réalisé un salaire brut de CHF 275'324.-.

6) Le 8 mars 2011, l'AFC-GE a notifié aux époux A______ leur bordereau de taxation pour l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) pour l'année 2008 d'un montant de CHF 48'389.50, fondé sur la base d'un revenu net de
CHF 281'862.-. Le couple devait être imposé sur la totalité des salaires non payés par B______ SA de M. A______, puisque celui-ci avait une créance ferme contre son employeur.

7) Par pli du 17 mars 2011, les époux A______ ont formé réclamation contre ce bordereau, concluant à son annulation et au réexamen de leur taxation.

Ils contestaient le fait que M. A______ soit titulaire d'une « créance de salaire ferme » contre B______ SA, dans la mesure où la situation financière de la société ne lui permettait pas de verser un salaire à son employé. Par ailleurs, ce salaire faisait déjà l'objet d'une saisie auprès de l'office des poursuites (ci-après : OP), notamment en faveur de l'AFC-GE. La saisie n'ayant pas pu être honorée par B______ SA constituait la preuve qu'il n'existait pas de créance ferme contre l'employeur.

8) Par courrier du 31 mai 2011, l'AFC-GE a invité les époux A______ à lui faire parvenir un acte de défaut de biens relatif à la créance ferme contre B______ SA pour le salaire de l'année 2008 dû à M. A______.

9) Dans sa réponse du 6 juin 2011, le couple A______ a indiqué qu'en dépit de la situation financière délicate de B______ SA, celle-ci n'avait pas été déclarée en faillite, de sorte qu'un acte de défaut de biens ne pouvait pas être obtenu. Cependant, vu que cette situation précaire perdurait depuis des années, ce que l'AFC-GE ne pouvait pas ignorer, il était invraisemblable que M. A______ puisse recouvrer sa créance contre la société.

10) Par courrier du 8 juin 2011, les époux A______ ont à nouveau transmis à l'AFC-GE le certificat de salaire délivré par B______ SA pour l'année 2008, tout en expliquant que les charges sociales sur le salaire non versé avaient été payées, afin de ne pas prétériter le droit à la rente future de M. A______. Ils ont joint une copie de l'état des dettes de la société assorti de justificatifs.

11) Par décision du 23 juin 2011, l'AFC-GE a rejeté la réclamation des époux. M. A______ conservait à ce jour une créance ferme contre son employeur. Cette décision pouvait faire l'objet d'une révision en application des dispositions législatives en matière de procédure fiscale.

12) Par acte du 28 juillet 2011, les époux A______ ont recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant à son annulation et à ce qu'il soit constaté que le salaire non versé à
M. A______ pour l'année 2008 n'était pas un élément de revenu taxable pour la période fiscale 2008 tant que M. A______ ne le percevait pas effectivement.

La société B______ SA avait rencontré des difficultés financières dans les années 1990 et ses administrateurs avaient été contraints de prendre des mesures d'assainissement. Ils avaient décidé de diminuer le nombre des employés et de renoncer au versement de leur propre salaire afin de privilégier le paiement des charges courantes de la société. M. A______ n'avait ainsi pas perçu de salaire de janvier 2008 à novembre 2010.

Dès lors, le salaire de celui-ci pour l'année 2008 n'était pas réalisé en l'état, puisqu'il n'était pas à sa libre disposition. Il devait, dès lors, être considéré comme une expectative qui ne déclenchait pas encore de droit à l'imposition.

13) Dans sa réponse du 9 mai 2012, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

À teneur du certificat de salaire établi par B______ SA pour l'année 2008, celle-ci aurait dû verser à M. A______ un salaire brut de CHF 275'324.-. L'employé avait donc acquis, au 31 décembre 2008, une créance ferme au versement de son salaire.

Quand bien même B______ SA rencontrait des difficultés financières,
M. A______ n'avait pas apporté la preuve de l'insolvabilité de celle-ci et du caractère définitivement irrécouvrable de la créance de salaire pour l'année 2008.

14) Par jugement du 24 juin 2013, le TAPI a rejeté le recours.

Il incombait aux époux A______, faisant valoir l'incertitude de l'exécution de la créance en salaire en tant que contribuables pour échapper à leur imposition, d'apporter la preuve de l'insolvabilité définitive de B______ SA. Les intéressés n'ayant rien démontré, l'AFC-GE était légitimée à imposer le revenu de
M. A______ de CHF 275'324.-.

15) Par acte déposé le 11 septembre 2013, les époux A______ ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant, « avec suite de frais et dépens », à son annulation, à ce qu'il soit constaté que le salaire non versé à M. A______ pour l'année 2008 n'était pas un élément de revenu taxable pour la période fiscale 2008 et tant et aussi longtemps que M. A______ ne le percevait pas effectivement, l'AFC-GE ne saurait procéder à sa taxation, enfin à ce que la cause soit renvoyée au TAPI, afin qu'il statue dans le sens des considérants.

La société B______ SA faisait partie du groupe de sociétés D______ qui avait rencontré des difficultés financières en raison de prêts accordés à E______ pour un montant de USD 1'500'000'000.- dans les années 1990. Ces prêts avaient été garantis par des livraisons de gasoil et de mazout, arrêtées prématurément en 1993. Malgré l'exigibilité immédiate de la créance, E______ avait refusé de payer, des procédures de recouvrement étant toujours en cours.

Toutes les sociétés du groupe D______, intrinsèquement liées les unes aux autres, étaient maintenues « en vie » dans l'attente du paiement de cette créance. Si elles devaient tomber en faillite, les conséquences seraient lourdes pour les intérêts de leurs créanciers.

La société B______ SA, insolvable, ne disposait pas des liquidités nécessaires pour faire face à la créance salariale de M. A______. Une réquisition de poursuite formée à son encontre, alors qu'il tentait de la sauver, n'était pas envisageable, compte tenu du devoir de l'administrateur de veiller aux intérêts de la société.

Les administrateurs de la société B______ SA avaient décidé de différer le paiement de leurs propres salaires pour des raisons économiques, pour limiter des pertes. Un abus ne pouvant être retenu, le revenu découlant du salaire 2008 de
M. A______ devait être réputé réalisé au moment de son versement, en application de la jurisprudence.

16) Le 1er octobre 2013, le TAPI a transmis son dossier, sans formuler d’observation.

17) Le 15 octobre 2013, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Il importait peu que M. A______ ait, de sa propre initiative en tant que salarié et administrateur de B______ SA, décidé de ne pas prétendre à l'obtention de son revenu pour l'année 2008, dès lors qu'il n'avait pas réussi à rendre le degré de probabilité du recouvrement de sa créance comme nul, ce d'autant que, d'après les comptes des exercices 2009 et 2010, la société avait réalisé des bénéfices. L'intéressé avait acquis un droit ferme au versement de son salaire attesté sur son certificat de salaire 2008. Ce revenu était donc imposable pour l'année fiscale 2008 et non pas l'année de son versement.

En tout état, M. A______ pouvait demander, le cas échéant, la révision de la taxation en cause, en apportant la preuve du caractère définitivement irrécouvrable de sa créance salariale pour l'année 2008.

18) Le 22 novembre 2013, les époux A______ ont répliqué, persistant dans leurs conclusions, de même que dans les arguments précédemment développés.

Contrairement à ce que l'AFC-GE alléguait, B______ SA avait réalisé en 2009 un maigre bénéfice de l'ordre de CHF 103'480.53.-, alors qu'en 2010 la société avait fait état d'une perte d'un montant de CHF 34'029.64.-. Par ailleurs, depuis 2007, les bilans de la société montraient une perte reportée, avoisinant les CHF 7'000'000.-, de sorte que la moitié de son capital-actions et de ses réserves légales n'était plus couvertes. Il en résultait que la société était surendettée et seule la postposition du salaire des administrateurs permettait sa survie artificielle.

19) Le 28 janvier 2014, les époux A______ ont formé une demande en révision auprès de l'AFC-GE concernant les taxations des années fiscales 2008, 2009 et 2010.

En date du 30 octobre 2013, M. A______ avait signé avec B______ SA un avenant à son contrat de travail, selon lequel les parties réduisaient rétroactivement, à partir du 1er janvier 2008, le salaire de M. A______ à concurrence de CHF 84'000.- brut par an. M. A______ n'ayant pas perçu de salaire pour les années 2008, 2009 et 2010, la somme totale brute de
CHF 252'000.-, nouvellement due, lui serait versée en deux fois, soit
CHF 50'000.- à la signature de l'avenant et CHF 202'000.- dans un délai de
12 mois. M. A______ renonçait à la différence entre son salaire annuel brut de CHF 275'324.- et CHF 84'000.-, soit à un montant de CHF 191'324.- pour chacune des années 2008, 2009 et 2010. Toutefois, si B______ SA venait à percevoir un montant minimal de CHF 10'000'000.- dans le cadre d'un futur règlement de la créance E______ en faveur du groupe D______, la société s'engageait à verser à
M. A______ les montants auxquels il avait renoncé.

M. A______ a annexé son certificat de salaire modifié pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2008, datant du 4 novembre 2013 et délivré par B______ SA, indiquant qu'il avait réalisé un salaire brut de CHF 84'000.-.

Par ailleurs, en date du 2 juillet 2014, la société B______ SA avait fait part de l'avenant susmentionné à l'office cantonal des assurances sociales dans le but de se faire rembourser les charges sociales sur le salaire initial de
CHF 275'324.- versées en trop.

Ainsi, cet avenant consacrait un fait nouveau important qui n'existait pas au moment où l'AFC-GE avait statué sur la taxation fiscale 2008 des époux A______, dont ils ne pouvaient pas se prévaloir auparavant. Dès lors, il existait bien un motif de révision.

20) Le 6 février 2014, les époux A______ ont fait parvenir à la chambre de céans une copie de l'arrêt de la Cour de justice du 18 décembre 1998, homologuant le concordat de la compagnie F______ SA (ci-après : la société F______) en sursis concordataire. Cet arrêt attestait que la société F______ avait obtenu l'accord de B______ SA, à l'instar d'autres sociétés, de renoncer à la postposition de sa créance ainsi qu'à son maintien au bilan de la société F______, pour devenir une créancière ordinaire de troisième classe et percevoir un dividende concordataire sans garantie pour un montant de
CHF 13'240'914.-. La Cour considérait notamment que le recouvrement de la créance E______ était une procédure lourde et aléatoire dont on ne voyait pas l'issue à l'heure actuelle.

21) Le 11 juin 2014, le juge délégué a entendu les parties, qui ont persisté dans leurs conclusions et leur argumentation, et a procédé à l'audition de MM. G______ et H______, entendus comme témoins.

a. M. G______ avait été commissaire, chargé du sursis concordataire du groupe D______ depuis le milieu des années 1990 jusqu'à la fin des années 1990. Il était actif uniquement au sein de la société F______ à l'exclusion des autres sociétés, dont B______ SA. Certains créanciers avaient postposé leurs créances dans l'attente de l'encaissement à l'égard de E______, tandis que d'autres créanciers y avaient renoncé définitivement.

b. M. H______ avait été commissaire chargé du sursis concordataire du groupe D______ entre 1994 et 1998. Il ne se souvenait pas avoir conseillé à des administrateurs de sociétés du groupe D______, dont B______ SA, de renoncer à leurs salaires. Cependant, si les membres de la famille de M. C______, actionnaire principal du groupe, avaient reçu des salaires à titre d'administrateurs, les commissaires auraient refusé l'ajournement de la faillite du groupe D______.

c. Selon M. A______, la société F______ et B______ SA étaient intrinsèquement liées et le sort de l'une dépendait de l'autre. Il était également administrateur de la société F______. Son épouse était la fille de M. C______, tous deux étant actionnaires de la société B______ SA. La société F______ avait obtenu en février 2014 au Luxembourg un jugement de « validation de saisies arrêts » sur les actifs de E______ qui portait sur un montant de USD 90'000'000.-.

Jusqu'au 31 décembre 2007, il avait reçu un salaire d'employé de B______ SA de CHF 260'000.-, année au cours de laquelle plusieurs immeubles que la société gérait jusqu'alors avaient été réalisés. Cette perte avait rendu la situation financière de la société critique. M. A______ avait négocié avec les actionnaires de B______ SA d'abord une renonciation de son salaire en 2008, 2009 et 2010, puis un salaire de CHF 84'000.-. Il s'agissait d'une renonciation définitive, le paiement des salaires abandonnés ne pouvant avoir lieu qu'en cas d'encaissement de la créance à l'égard de E______.

Il n'y avait pas eu de conseils proprement dits de la part de commissaires portant sur la société B______ SA, mais la renonciation de son salaire s'était inspirée de ce qui avait été fait dans le cadre du sursis concordataire de la société F______.

Actuellement, les revenus que B______ SA obtenait principalement par des prestations de conseil permettaient de couvrir les charges courantes de la société et de ne pas accroître les pertes. Sur les deux employés que comptait la société, il était le seul à ne pas percevoir de salaire.

d. L'AFC-GE ne savait rien sur la situation financière de B______ SA, les comptes produits dans le cadre de la présente procédure étant les premières informations qu'elle avait obtenues.

22) Dans ses observations après enquêtes du 16 juillet 2014, l'AFC-GE a persisté dans ses conclusions.

Il ressortait de l'audition des personnes entendues que ni M. G______, ni M. H______ n'avaient conseillé à des administrateurs des sociétés du groupe D______ ou de B______ SA de renoncer à leur salaire. En revanche, M. A______ avait modifié sa version des faits, en contradiction avec son recours du
11 septembre 2013 et de ses déterminations du 22 novembre 2013, en affirmant qu'en renonçant à son salaire, il s'était inspiré de ce qui avait été pratiqué dans le cadre du sursis concordataire de la société F______.

Ne ressortait pas non plus du dossier que les sociétés du groupe D______ étaient intrinsèquement liées les unes aux autres au point que les difficultés rencontrées par le groupe avaient une incidence directe et considérable sur la situation financière de B______ SA. Dans la mesure où les comptes financiers de la société n'avaient pas été audités, les affirmations relatives au surendettement n'avaient pas de valeur probante. Partant, les époux A______ n'avaient pas démontré le caractère irrécouvrable de la créance de salaire de M. A______ ni n'avaient apporté la preuve de l'insolvabilité définitive de la société.

23) Le 25 août 2014, les époux A______ ont produit leurs observations après enquêtes.

Il ressortait des enquêtes que depuis les années 1990, il était devenu habituel pour la famille C______ d'abandonner ses créances et de renoncer à ses salaires afin de préserver l'équilibre financier des sociétés du groupe. En 2008, la société B______ SA rencontrant de nouvelles difficultés, ses administrateurs avaient réinstauré le même type de mesure. Ainsi, M. A______ n'avait à aucun moment modifié sa version des faits, mais avait expliqué de manière constante s'être appuyé sur les conseils prodigués par les commissaires en charge de la procédure de sursis concordataire.

Le fait que la société B______ SA fût une société appartenant à la famille C______, et donc au groupe D______, était notoire. L'arrêt homologuant le concordat de la société F______, selon lequel B______ SA avait accepté de se satisfaire d'un dividende sans garantie à payer sur sa créance, qui s'élevait à
CHF 13'240'914.-, contre la société F______, ainsi que les extraits du registre du commerce de ces sociétés, selon lesquels leurs administrateurs avaient toujours été les mêmes personnes depuis leur création, prouvaient également ce lien.

M. A______ a également confirmé que les comptes 2008 avaient été audités.

24) Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées par courrier du 25 août 2014.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc -
D 3 17 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 -
LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Le litige porte sur la question de savoir si les époux A______ doivent être imposés dans leur taxation ICC 2008 sur la base du salaire annuel brut du recourant d'un montant de CHF 275'324.- en vertu de son certificat de salaire 2008 du 11 avril 2009 ou sur la base d'un montant de CHF 84'000.- effectivement reçu rétroactivement, en vertu de l'avenant au contrat de travail du 30 octobre 2013 stipulant que la part de CHF 191'324.- serait uniquement due si la société B______ SA percevait un montant minimal de CHF 10'000'000.- dans le cadre d'un futur règlement de la créance E______ en faveur du groupe D______.

2) a. Conformément à l’art. 72 al. 1 de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) entrée en vigueur le 1er janvier 2010, c’est l’ancien droit qui s'applique aux périodes fiscales antérieures.

b. Concernant ces périodes, plusieurs lois fiscales sur l'imposition des personnes physiques ont été adoptées à Genève en application de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du
14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14). Ces lois sont entrées en vigueur le
1er janvier 2001 (LIPP I et III à V et LITPP II). Elles ont abrogé, à partir de cette date, la plupart des dispositions de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05).

c. Le présent litige concernant la période fiscale 2008, ces lois lui sont applicables, en particulier la loi sur l'imposition des personnes physiques sur le revenu du 22 septembre 2000 (aLIPP-IV - D 3 14).

3) Selon l'art. 1 de l'ancienne loi genevoise du 31 août 2000 sur l'imposition dans le temps des personnes physiques (aLIPP-II - D 3 12), abrogé le 31 décembre 2009, toutefois applicable à la période en cause, les impôts sur le revenu et la fortune des personnes physiques sont fixés et prélevés pour chaque période fiscale (al. 1), cette dernière correspondant à l'année civile (al. 2). Le revenu imposable se détermine d’après les revenus acquis pendant la période fiscale (art. 2 al. 1
LIPP-II).

4) a. L'impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus, prestations et avantages du contribuable, qu'ils soient uniques ou périodiques, en espèces ou en nature et quelle qu'en soit l'origine, avant déductions (art.1 aLIPP-IV). Sont imposables tous les revenus et autres avantages appréciables en argent provenant d'une activité exercée dans le cadre d'un rapport de travail (art. 2 aLIPP-V).

b. Un revenu n'est imposable que s'il est réalisé. La réalisation du revenu est le fait générateur de son imposition (Jean-Marc RIVIER, Droit fiscal suisse - L'imposition du revenu et de la fortune, 2ème éd., 1998, p. 326 ss ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 3ème éd., 2007, p. 83 ss ; Yves NOËL, Commentaire Romand - Impôt fédéral direct - Commentaire de la loi sur l'impôt fédéral direct, 2008, ad art. 16 n. 27 ss). Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, un revenu est réalisé lorsqu'une prestation est faite au contribuable ou que celui-ci acquiert une prétention juridique ferme sur laquelle il a effectivement un pouvoir de disposition (ATF 113 Ib 26 ; 95 I 21 consid. 5a ; 94 I 375 consid. 3 ; 73 I 135 consid. 1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2A.146/2002 du 13 février 2003 ; ATA/332/2014 du 13 mai 2014 consid. 7b ; ATA/271/2008 du
27 mai 2008 consid. 6a ; Yves NOËL, op. cit., ad art. 16 n. 30 ; Jean-Marc RIVIER, op. cit., p. 327 et les références citées).

En principe, le moment de l'acquisition du revenu coïncide avec sa réalisation, c'est-à-dire le moment où le contribuable acquiert le droit à une prestation et non celui où il reçoit effectivement la prestation. Il existe des exceptions au principe de réalisation effective, lorsque les revenus sont soumis par la loi à une réalisation comptable ou systématique (Jean-Marc RIVIER, op. cit.,
p. 327 et 329).

c. En droit fiscal, l'acquisition d'une créance entraîne la réalisation du revenu, à moins que l'exécution par le débiteur soit incertaine (ATF 122 II 221 consid. 5c ; 113 Ib 23 consid. 4 p. 26 ; ATA/723/2012 du 30 octobre 2012 consid. 5b ; ATA/213/2006 du 11 avril 2006 consid. 4d ; ATA/440/2005 du 21 juin 2005 consid. 7c ; ATA/147/2003 du 18 mars 2003 consid. 8 ; Jean-Marc RIVIER,
op. cit., p. 327 ; Yves NOËL, op. cit., ad art. 16 n. 30 et les références citées). S'agissant de l'incertitude de l'exécution d'une créance, la jurisprudence a posé des critères restrictifs : il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable (ATA/677/2009 du
22 décembre 2009 consid. 6 ; ATA/440/2005 du 21 juin 2005 consid. 7c).

L'insolvabilité est une notion de droit fédéral. Le débiteur est insolvable lorsqu'il ne dispose pas de moyens liquides suffisants pour acquitter ses dettes exigibles, qu'il ne peut plus exécuter ses obligations financières parce qu'il manque de liquidités et ne peut pas en acquérir à court terme. L'insolvabilité ne se confond toutefois pas avec des difficultés de trésorerie ou un manque passager de moyens financiers. Il faut que les possibilités d'appel à des ressources suffisantes soient vaines ou épuisées. L'insolvabilité ne doit pas être passagère, mais doit être durable, exister de manière indubitable et s'être étendue sur certaines périodes sans possibilité de redressement de la situation financière ni d'amortissement régulier des dettes. Il y aura insolvabilité notamment en cas de faillite, concordat ou saisie infructueuse (arrêt du Tribunal fédéral 5A_589/2008 du 22 janvier 2010 ; ATA/486/2014 du 24 juin 2014 consid 6d ; ATA/782/2013 du
26 novembre 2013 consid. 7 ; ATA/260/2013 du 23 avril 2013 consid. 4 ; ATA/576/2012 du 28 août 2012 consid 4). La délivrance d'un acte de défaut de biens définitif constitue à cet égard un indice clair. Si l'existence d'un tel acte est propre à faire naître une présomption de fait, celle-ci peut toutefois être renversée par des preuves contraires (arrêt du Tribunal fédéral 5A_589/2008 précité, et les références citées; ATA/325/2008 du 17 juin 2008 consid. 8b ; ATA/444/2005 du 21 juin 2005 consid 7).

5) En vertu des principes de l’étanchéité des exercices et de la périodicité de l’impôt, chaque exercice est considéré comme un tout autonome sans que le résultat d’un exercice puisse avoir une influence sur les suivants, et le contribuable ne saurait choisir au cours de quelle année fiscale il fait valoir les déductions autorisées (ATA/959/2014 du 2 décembre 2014 consid. 12b ; ATA/268/2011 du 3 mai 2011 consid. 8 ; ATA/443/2007 du 4 septembre 2007 consid. 3 ; ATA/217/2007 du 8 mai 2007 consid. 7b). Les déductions doivent être demandées dans la déclaration d'impôts de l'année au cours de laquelle les faits justifiant l'octroi des déductions se sont produits (ATA/547/2012 du 21 août 2012 consid. 6).

La modification rétroactive des comptes d’exercices déjà clos est contraire aux principes régissant l’établissement des bilans. Du point de vue fiscal, il est contraire au principe de l’étanchéité des exercices. La modification des comptes ne peut pas intervenir lorsque son but est purement fiscal, à savoir la réalisation d’une économie d’impôts (ATA/629/1997 du 14 octobre 1997 consid. 3e ; DCCR/55/2000 du 25 mai 2000 p. 7 ; DCCR/222/1995 du 16 novembre 1995
p. 6).

6) En l'espèce, le recourant était lié par un contrat de travail à la société B______ SA selon lequel il réalisait un salaire brut de CHF 275'324.-. En vertu de l'attestation de B______ SA du 17 juillet 2009, le salaire précité n'avait pas été perçu pour la période fiscale 2008.

En date du 30 octobre 2013, la société B______ M SA et M. A______ ont signé un avenant au contrat de travail de ce dernier selon lequel dès le 1er janvier 2008, les parties avaient réduit rétroactivement le salaire du recourant à concurrence de CHF 84'000.- brut par an. Il était stipulé que ce dernier avait renoncé à la différence entre son salaire précédemment convenu et celui négocié, soit à un montant de CHF 191'324.-. Cet avenant était assorti d'une clause, selon laquelle si B______ SA venait à percevoir un montant minimal de
CHF 10'000'000.- dans le cadre du recouvrement de la créance envers E______, elle s'engageait à verser au recourant le montant auquel il avait renoncé.

Toutefois, les données de taxation pour l'année fiscale 2008 sont figées au 31 décembre 2008. Une modification rétroactive, intervenue en octobre 2013, des comptes de l'exercice 2008 clos le 31 décembre 2008 de la société B______ SA serait contraire aux principes régissant l'établissement des bilans et de l'étanchéité des exercices.

En outre, le 31 décembre 2008, le recourant détenait une créance ferme de salaire d'un montant de CHF 275'324.- à l'encontre de son employeur, la société B______ SA. Ce fait a été confirmé par son certificat de salaire du
11 avril 2009 et par l'attestation du 17 juillet 2009 établie par l'employeur. Par ailleurs, avec la signature de l'avenant du 30 octobre 2013, le recourant ne conteste pas non plus détenir la créance précitée, qui serait réactivée de fait si son employeur venait à percevoir un montant minimal de CHF 10'000'000.- dans le cadre du recouvrement de la créance envers E______. Ainsi, l'avenant du 30 octobre 2013 ne visait pas la suppression du droit au versement du salaire d'un montant CHF 275'324.- et n'avait pas pour objectif de modifier sensiblement la situation du recourant par rapport à son employeur, dont il est du reste administrateur. Dans ces circonstances, la chambre de céans ne voit pas quel autre but que la réalisation d'une économie d'impôt le recourant aurait poursuivi.

Partant, le recourant a acquis, en 2008, un droit ferme au versement de son salaire d'un montant de CHF 275'324.- et la modification du salaire de l'année 2008 de manière rétroactive par un avenant au contrat de travail datant du
30 octobre 2013 ne peut pas être prise en compte au plan fiscal.

Malgré les difficultés financières de la société B______ SA, le recourant n'a pas démontré que le degré de probabilité du recouvrement de sa créance de salaire pour 2008 était nul, dans la mesure où la société est toujours active et réalise des bénéfices, quelle que soit leur importance.

La chambre de céans considère, dès lors, que les possibilités d'appel à des ressources suffisantes ne sont ni vaines ni épuisées et que le débiteur ne présente pas un état d’insolvabilité durable et indubitable au sens de la jurisprudence.

Par conséquent, le TAPI a à juste titre considéré que la prétention ferme en salaire d'un montant de CHF 275'324.- représentait un revenu imposable pour la taxation 2008 de M. A______.

7) Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

8) Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge conjointe et solidaire des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 septembre 2013 par Mme A______ et M. A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 24 juin 2013 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge conjointe et solidaire de Mme A______ et M. A______ ;

dit qu’il ne leur est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Michel Valticos, avocat des recourants, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'à l'administration fiscale cantonale.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :