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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/720/2002

ATA/147/2003 du 18.03.2003 ( FIN ) , ADMIS

Descripteurs : FIN
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 18 mars 2003

 

 

 

dans la cause

 

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 

 

 

contre

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D'IMPÔTS

 

et

 

Monsieur G_____

représenté par H_____ Fiduciaire et Révision SA, mandataire

 

 

 

___________

A/720/2002-FIN



EN FAIT

 

 

1. M. G_____ (ci-après: M. G_____ ou le contribuable) est administrateur de sociétés.

 

2. Dans sa déclaration fiscale ICC 1995, M. G_____ a mentionné, pour mémoire, dans la formule de l'état de titres, parmi d'autres éléments, une créance postposée de CHF 348'500.- contre la société R_____ S.A. (ci-après: R_____ ou la société)

 

3. Le 28 décembre 1995, l'administration fiscale cantonale (ci-après: l'AFC) a notifié au contribuable un bordereau de taxation provisoire 1995 calculé notamment sur une fortune imposable de CHF 2'147'500.-

 

4. Le 9 avril 1996 l'AFC a établi un bordereau de taxation définitive faisant état d'une fortune imposable de CHF 2'137'846.-.

 

5. En procédant à la taxation, l'AFC n'a pas tenu compte de la créance notée pour mémoire à l'encontre de R_____. Elle a considéré que la valeur de cette créance était égale à zéro.

 

6. Par pli recommandé du 27 février 1997, l'AFC a avisé les époux G_____ de l'ouverture d'une procédure de vérification de leur déclaration ICC 1995 en vertu de l'article 333 alinéa 1 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP - D 3 05).

 

En effet, l'AFC avait constaté que le contribuable n'avait pas déclaré dans l'état des titres le compte courant actionnaire de CHF 3'485'009,68 qu'il avait auprès de R_____ en 1994. Pour l'impôt cantonal et communal, cette somme était considérée comme un élément de la fortune imposable et, partant, devait être prise en compte pour le calcul de l'impôt.

 

7. Le 2 mai 1997, suite à la vérification, l'AFC a adressé au contribuable un bordereau rectificatif 1995 calculé sur une fortune imposable portée à CHF 5'568'132.-. S'ensuivait un supplément d'impôts de CHF 32'688,60. Le bordereau rectificatif était accompagné d'un bordereau d'intérêts de retard s'élevant à CHF 2'188.-.

 

8. Le 5 mai 1997, H_____ fiduciaire & révision S.A. (ci-après: la fiduciaire ou le mandataire) a fait parvenir à l'AFC le rapport de l'organe de révision de R_____ et le procès-verbal de l'assemblée générale de la société du 5 mars 1997. Il ressortait de ce dernier document que la créance de M. G_____ était postposée à concurrence de CHF 3'000'000.-.

 

9. Le contribuable a déposé une réclamation à l'encontre du bordereau rectificatif en date du 2 juin 1997. Il faisait valoir qu'au vu de la situation financière de la société, il avait postposé sa créance à hauteur de CHF 3'000'000.-. Comme les plans de redressement de R_____ n'avaient pas abouti favorablement, il n'avait pas la possibilité de recouvrer la créance. En conséquence il demandait que le montant postposé ne soit pas inclu dans la fortune imposable.

 

10. Dans sa décision sur réclamation du 14 juillet 2000, l'AFC a maintenu la taxation au motif qu'aussi longtemps qu'il n'y avait pas eu abandon définitif de la créance, celle-ci devait être imposée conformément à l'article 35 LCP.

 

11. Un recours a été interjeté à l'encontre de cette décision auprès de la Commission cantonale de recours en matière d'impôts (ci-après: CCRMI) en date du 10 août 2000.

 

Le contribuable a fait valoir qu'il avait indiqué pour mémoire uniquement la créance postposée dans sa déclaration fiscale, parce que sa valeur économique était nulle puisque la société était surendettée. Economiquement, la postposition équivalait à la renonciation au remboursement. Par la suite, il avait formellement abandonné sa créance puisqu'il n'y avait aucune chance de remboursement. Il lui était impossible de produire copie de la postposition, de l'abandon de la créance ainsi que du bilan de la société étant donné que ces documents avaient été saisis par le juge dans le cadre de l'instruction en cours à l'encontre de M. N_____ G_____, frère du contribuable. M. G_____ concluait à l'annulation de la décision de l'AFC.

 

12. Dans son écriture du 13 décembre 2000, l'AFC s'est prévalue de l'article 45 alinéa 1 et 7 LCP. Elle faisait valoir que les créances non cotées en bourse étaient estimées à leur valeur nominale. Si elles étaient litigieuses ou douteuses, il était tenu compte du degré de probabilité de leur recouvrement. La créance litigieuse figurait dans les comptes de R_____ au 31 décembre 1994. Elle n'avait été postposée que le 20 mars 1995. Le contribuable n'ayant pas établi que la créance était compromise au 31 décembre 1994, l'AFC concluait au rejet du recours.

 

13. Suite à la demande formée le 23 avril 2002 par la CCRMI, le mandataire de M. G_____ lui a transmis copie du rapport de l'organe de révision concernant les comptes de l'exercice 1994 de R_____ et copie de la convention de postposition du 20 mars 1995 faisant état de la postposition de la créance de M. G_____ à l'encontre de R_____ au 31 décembre 1994.

Dans son rapport, l'organe de révision remarquait qu'il n'avait pas pu s'assurer de la solvabilité des créances contre les sociétés du groupe puisqu'il ne disposait ni de comptes individuels ni de comptes consolidés à la date du bilan. Si la solvabilité de ces sociétés devait être remise en question, R_____ serait en situation de surendettement prévue par l'article 725 alinéa 2 du Code des obligations (RS 220). Il recommandait néanmoins d'approuver les comptes puisque rien ne permettait de dire que les actifs étaient surévalués et que l'administration semblait confiante quant à l'issue de certaines affaires.

 

Après avoir pris connaissance du bilan au 31 décembre 1994, M. G_____ a signé la déclaration de postposition de sa créance à concurrence de CHF 3'000'000.-

 

14. Dans sa décision du 27 juin 2002, la CCRMI a admis partiellement le recours.

 

Elle a considéré que le rapport de l'organe de révision portant sur les comptes de R_____ arrêtés au 31 décembre 1994 mettait en évidence la situation financière précaire de la société, qui ne s'était pas redressée depuis. En conséquence la partie postposée de la créance soit CHF 3'000'000.- avait perdu toute valeur. Ce montant ne devait donc pas être compris dans le calcul de la fortune imposable de M. G_____. En revanche, celui-ci n'avait pas démontré la perte du solde de la créance non postposée, soit CHF 485'009,68. Ce montant devait être pris en compte dans la détermination de la fortune imposable de M. G_____.

 

15. Par courrier du 31 juillet 2002, l'AFC a recouru à l'encontre de cette décision, faisant valoir que l'insolvabilité de R_____ au 31 décembre 1994 n'avait pas été établie, que la créance litigieuse n'avait pas perdu toute valeur et qu'en conséquence c'était à juste titre qu'elle avait inclus la totalité de la créance de M. G_____ dans le calcul de sa fortune imposable. L'AFC conclut à l'annulation de la décision de la CCRMI et à la confirmation de sa propre décision.

 

16. La CCRMI et M. G_____ concluent à la confirmation de la décision de la CCRMI.

 

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. De nouvelles dispositions fiscales sont entrées en vigueur le 1er janvier 2001 (loi sur l'imposition des personnes physiques - détermination du revenu net - calcul de l'impôt et du rabais d'impôt - compensation des effets de la progression à froid du 22 septembre 2000 - LIPP - V D 3 16). Toutefois, dans la présente espèce, l'ensemble des faits pertinents, antérieur à l'entrée en vigueur du nouveau droit, doit être examiné sous l'angle des dispositions légales applicables au moment des faits (ATA M. du 19 avril 1994). La LCP est donc applicable au présent litige.

 

Le 1er janvier 2002 est également entrée en vigueur la loi de procédure fiscale (LPFisc du 4 octobre 2001 D 3 17). La LPFisc prévoit expressément en son aricle 86 que les règles de procédure s'appliquent dès l'entrée en vigueur de cette loi aux causes encore pendantes. Il s'ensuit qu'en matière de procédure, c'est la LPFisc qui est applicable à la présente cause. Cependant cette modification législative n'influe nullement sur la solution du litige.

 

3. La seule question litigieuse est de savoir si la créance de CHF 3'485'009,68 détenue par le contribuable à l'encontre de R_____, doit être considérée comme un élément de sa fortune imposable et doit être prise en compte pour le calcul de l'impôt.

 

4. L'article 35 let. c LCP dispose que sont notamment soumis à l'impôt sur la fortune les créances hypothécaires et chirographaires.

 

S'agissant d'une créance chirographaire, en principe, la créance détenue par M. G_____ à l'encontre de R_____ doit être prise en compte pour le calcul de l'impôt.

 

5. Aux termes de l'article 45 alinéa 1 LCP, l'état de la fortune mobilière est établi à sa valeur vénale au 31 décembre de l'année précédant celle au titre de laquelle l'impôt est dû, sous réserve des dispositions ci-après.

 

Il est précisé à l'article 45 alinéa 7 LCP que les créances non cotées en bourse, y compris celles qui sont incorporées dans des titres tels que cédules, obligations, bons de caisse, sont estimées à leur valeur nominale. Toutefois, dans l'estimation de ces créances, si elles sont litigieuses ou douteuses, il est tenu compte du degré de probabilité de leur recouvrement.

 

6. Il résulte du texte de la loi que pour juger du degré de probabilité de recouvrement d'une créance qui concerne l'impôt cantonal et communal 1995, il faut se référer à la situation financière du débiteur de la créance litigieuse au 31 décembre 1994. On ne peut donc suivre la CCRMI lorsque dans son raisonnement, elle tient compte de la situation financière de R_____ au moment où elle a rendu la décision attaquée. Seule est déterminante la situation de R_____ au 31 décembre 1994.

 

La créance de M. G_____ à l'encontre de R_____ figure dans son intégralité dans les comptes de la société au 31 décembre 1994 sous la rubrique "compte courant actionnaire". La déclaration de postposition de créance à concurrence de CHF 3'000'000.-, n'a été signée que le 20 mars 1995. Cet élément ne peut donc être pris en compte pour se prononcer sur la solvabilité de la société.

 

Ce raisonnement est conforme au principe de l'étanchéité des exercices, s'agissant d'apprécier la fortune du recourant pour l'exercice 1994.

7. Reste à examiner ce qu'on entend par degré de probabilité du recouvrement d'une créance au sens de l'article 45 alinéa 7 LCP.

 

La jurisprudence du Tribunal administratif est très pauvre sur cette notion. Il convient donc de se référer aux cas dans lesquels, en matière fiscale, le Tribunal a dû se prononcer sur les possibilités de recouvrement d'une créance. Même si le litige portait sur la notion de pertes déductibles ou d'amortissements, les critères dégagés sont applicables mutatis mutandis.

 

- Le Tribunal de céans a jugé que le contribuable avait considéré à tort comme une perte sa créance à l'encontre d'une personne qui était incarcérée et était dans une situation financière particulièrement critique, dès lors que celle-ci pouvait reprendre une activité économique et revenir à meilleure fortune. Ce n'est qu'en cas d'insuccès définitif d'une procédure de recouvrement que le créancier pouvait déduire sa créance comme une perte commerciale (ATA B. du 9 avril 1986).

 

- En matière de perte commerciale, la doctrine considère que "la perte est définitive lorsque, à vue humaine, il n'apparaît pas possible d'attendre le retour à l'état antérieur, ni de compter sur une appréciation réelle de la valeur du bien en cause" (cf. Raoul Oberson, Les pertes commerciales fiscalement déductibles, in Archives 48 p. 109 cité in ATA B. du 9 avril 1986).

 

- En faisant référence aux amortissements acceptables fiscalement, le Tribunal a rappelé que selon sa jurisprudence constante, ceux-ci ne peuvent être pris en considération qu'en cas de diminution certaine et définitive de la valeur du bien pendant l'exercice déterminant (cf. RDAF 1967 p.209; ATA B. du 9 avril 1986; ATA E. N. du 5 mai 1982.).

 

- En matière de droits des successions, le Tribunal a jugé que des créances étaient partiellement ou totalement perdues, et, partant, exonérées d'impôt, si les justificatifs présentés établissaient suffisamment l'insolvabilité absolue des débiteurs (ATA F. du 8 décembre 1992).

 

8. A l'évidence, les critères posés par la jurisprudence pour juger de la difficulté de recouvrer une créance sont restrictifs: il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable.

 

Dans le cas d'espèce, il est établi que la société traversait des difficultés économiques. Cependant, dans son rapport relatif aux comptes arrêtés au 31 décembre 1994, l'organe de révision recommandait d'approuver les comptes puisque rien ne permettait de dire que les actifs étaient surévalués et que l'administration semblait confiante quant à l'issue de certaines affaires. La société n'était pas en situation de surendettement au sens de l'article 725 CO, encore moins insolvable au sens de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 (LP, RS 281.1). Par ailleurs, le contribuable n'a pas démontré que R_____ était en proie à des difficultés financières qui n'apparaissaient pas à la lecture des comptes.

 

Il s'ensuit qu'au 31 décembre 1994, la société ne paraissait pas définitivement insolvable. Le degré de probabilité du recouvrement de la créance détenue par M. G_____ à l'encontre de R_____ n'était pas nul. C'est donc à juste titre que l'AFC a considéré la créance de M. G_____ à l'encontre de la société comme un élément de sa fortune.

 

9. Le recours sera ainsi admis. La décision de la CCRMI est annulée.

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 31 juillet 2002 par l' Administration fiscale cantonale contre la décision du 27 juin 2002 de la Commission cantonale de recours en matière d'impôts et M. G_____;

 

au fond :

 

admet le recours;

 

annule la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 27 juin 2002;

 

renvoie la cause à l'administration fiscale cantonale afin qu'elle notifie un bordereau d'impôts 1995 dans le sens des considérants;

 

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ni alloué d'indemnité;

 

communique le présent arrêt à l'Administration fiscale cantonale ainsi qu'à la Commission cantonale de recours en matière d'impôts et à H_____ fiduciaire et révision S.A., mandataire de M. G_____.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin et Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni et Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le vice-président :

 

M. Tonossi F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci