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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2827/2018

ATA/1189/2018 du 06.11.2018 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2827/2018-PRISON ATA/1189/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 6 novembre 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON

 



EN FAIT

1. Monsieur A______ est incarcéré à la prison de Champ-Dollon depuis le 19 juillet 2017.

2. a. Un incident est survenu le 21 juin 2018 lors de la remontée de la promenade quotidienne.

Selon la prison de Champ-Dollon, M. A______ aurait refusé de remonter à l’étage. Il aurait tenu des propos injurieux à l’égard de l’agent de détention présent. Contrairement aux détenus qui se dirigeaient vers la porte, il aurait marché à l’opposé. Rappelé à ses devoirs par un agent de détention, il aurait réitéré des propos injurieux et refusé, pendant plusieurs minutes, de regagner l’étage.

b. M. A______ a été placé en cellule forte.

Selon la prison de Champ-Dollon, à cette occasion, lors de la fouille de l’intéressé, celui-ci aurait injurié le personnel en disant « Fils de pute, nique ta mère ! ».

3. Par décision du 21 juin 2018, M. A______ a été sanctionné de sept jours de cellule forte pour trouble à l’ordre de l’établissement, refus d’obtempérer et injures envers le personnel.

4. Par acte du 16 juillet 2018, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction précitée. Implicitement il a conclu à son annulation.

Le 21 juin 2018, en sortant de la promenade, il avait été agressé par un gardien-chef qui avait été appelé à intervenir. Il avait été à nouveau victime d’une agression lorsqu’il avait été amené à la cellule forte. Il contestait avoir été agressif ou avoir adopté une attitude contraire au règlement de la prison.

5. À la demande du juge délégué, les images de vidéosurveillance des incidents ont été versées au dossier par la prison de Champ-Dollon. Leur contenu sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

6. La prison de Champ-Dollon a conclu au rejet du recours.

Le recourant avait déjà fait l’objet de huit sanctions disciplinaires, comprise celle du 21 juin 2018, notamment pour injures, trouble à l’ordre de l’établissement, injures envers le personnel, entraînant des placements en cellule forte pour une durée variant de deux à cinq jours. La dernière sanction remontait au 23 juin 2018 pour les mêmes motifs. Il semblait avoir des difficultés à se plier au règlement interne de la prison et se montrait régulièrement injurieux envers le personnel.

7. M. A______ n’a pas répliqué dans le délai qui lui avait été imparti.

8. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa p. 43 ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002, consid. 3 ; ATA/759/2012 du 6 novembre 2012).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 128 II 34 consid. 1b). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 ; 118 Ib 1 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3).

d. Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 ; 131 II 361 consid. 1.2 ;
128 II 34 ; ATA/917/2018 du 11 septembre 2018 consid. 2c).

e. En l’espèce, le recourant dispose d'un intérêt digne de protection à recourir contre la sanction prononcée à son encontre, la légalité devant pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée, nonobstant l’absence d’intérêt actuel, dans la mesure où cette situation pourrait encore se présenter (ATA/591/2014 du 29 juillet 2014 consid. 2 ; ATA/183/2013 du 19 mars 2013 et la jurisprudence citée).

Le recours est donc recevable à tous points de vue.

3. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, sont l'objet d'une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs – la faute étant une condition de la répression – qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

4. Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP), et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP). À teneur de l’art. 47 al. 3 RRIP, le directeur est compétent pour prononcer, notamment, le placement en cellule forte pour dix jours au plus (let. g).

5. Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/310/2017 du 21 mars 2017; ATA/245/2017 du 28 février 2017 et les références citées).

Les sanctions disciplinaires étant régies par les principes généraux du droit pénal, l’autorité doit tenir compte, lorsqu’elle fixe la sanction, des motifs d’atténuation, voire d’exemption de peine au sens des art. 48ss et
52ss CP.

Ainsi, la peine doit être atténuée notamment si l'auteur a agi dans une détresse profonde (art. 48 let. a ch. 2 CP), en proie à une émotion violente que les circonstances rendaient excusable ou s'il a agi dans un état de profond désarroi (art. 48 let. c CP).

6. La sanction doit être conforme au principe de la proportionnalité (ATA/499/2017 du 2 mai 2017).

Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/735/2013 du 5 novembre 2013 consid. 11).

7. De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés (ATA/99/2014 précité), sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 LOPP), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers.

8. En l'espèce, deux extraits d’images de vidéosurveillance ont été produits.

Il ressort du premier extrait, qui filme la cour de promenade de la prison, qu’à l’issue de la promenade, alors que tous les détenus se dirigent vers la porte de l’établissement, l’intéressé tourne le dos à celui-ci pour se diriger vers un coin de la cour, à l’opposé. Il est suivi par deux agents de détention à quelques mètres de lui. Tous trois sortent alors du champ de vision pour n’y revenir que deux minutes plus tard au moment où le détenu se dirige vers la porte de l’établissement, qu’il réintègre. Il est alors entouré de trois agents de détention, à même distance que précédemment. Toute la scène se déroule dans le calme. La cour de la prison est vide depuis plus de deux minutes.

Le second extrait montre la mise en cellule forte. On voit le détenu arriver, entouré de plusieurs gardiens. La mise en cellule forte se déroule dans le calme.

En conséquence, il est établi que le recourant n’a pas obtempéré aux ordres de se rendre dans le bâtiment à l’issue de la promenade et est resté dans la cour de l’établissement près de deux minutes supplémentaires. Le recourant allègue avoir été agressé. Quand bien même les intervenants sortent du champ de vision pendant deux minutes, aucun indice ne permet d’envisager qu’il y ait eu de la violence de part ou d’autre. Sur toutes les images, le détenu est libre de ses mouvements et les agents de détention à plusieurs mètres de lui. Il n’y a pas de signes d’agressivité.

De même, dans son recours, l’intéressé se plaint de violences à son égard lorsqu’il a été « amené » à la cellule forte. Contrairement à ce qu’il soutient, aucune violence n’est visible sur les images où la mise en cellule forte se déroule calmement.

Le détenu n’apporte en conséquence aucun élément qui irait à l’encontre des faits tels que relatés par les agents de détention. Il se contente d’opposer sa version à celle du gardien. Compte tenu de la jurisprudence précitée, la chambre administrative retiendra que l’incident s’est déroulé conformément à ce qui est décrit dans le rapport, rien ne permettant de s’en écarter. Le fait que le son n’accompagne pas les images et qu’en conséquence les injures ne soient pas audibles est dès lors sans pertinence.

Le principe de la sanction est fondé.

S’agissant de la proportionnalité de la sanction, il sera retenu qu’elle porte sur deux incidents. La sanction est apte à atteindre le but visé, nécessaire et proportionnée au sens étroit compte tenu des antécédents du recourant.

Dans ces conditions et compte tenu du pouvoir d’appréciation limité de la chambre administrative (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/504/2010 du 3 août 2010), le directeur de la prison n’a ni abusé ni excédé son pouvoir d’appréciation en prononçant une mise en cellule forte pour sept jours pour trouble à l’ordre de l’établissement, refus d’obtempérer et injures envers le personnel.

Le recours est rejeté.

9. Vu la nature du litige et son issue, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 juillet 2018 par Monsieur A______ contre la décision du directeur de la prison de Champ-Dollon du 21 juin 2018 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Pagan, juges.


Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :