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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4399/2016

ATA/1101/2019 du 25.06.2019 sur JTAPI/379/2018 ( ICCIFD ) , REJETE

Descripteurs : IMPÔT SUR LE BÉNÉFICE DES ENTREPRISES ; BÉNÉFICE NET ; PROVISION, RÉSERVE, CORRECTION DE VALEUR(DROIT FISCAL) ; MAXIME INQUISITOIRE ; FARDEAU DE LA PREUVE ; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Normes : LPA.61; LIFD.58.al1.leta; LIFD.58.al1.letb; LHID.24.al1.leta; LHID.24.al1.letb; LIFD.63.al1; LIFD.63.al1.letc; Cst.8; LIFD.59.al1.leta
Résumé : Compte tenu du caractère aléatoire des facteurs susceptibles de générer le paiement de vacances et heures supplémentaires, il ne peut en être déduit un risque de perte certain ou quasi-certain. Les sommes réellement versées aux employés ne représentent qu'une faible part des montants provisionnés à titre de « provision pour vacances et heures supplémentaires ». Vu l'impossibilité de requalifier aujourd'hui cette provision en provision pour garantie et la formulation générique des aléas liés à ses activités auxquels fait référence la recourante, un forfait ne peut être appliqué pour son seul principe, sans aucune justification. Les documents fournis par la recourante ne comportant pas d'éléments comptables, ils ne permettent pas de comparaison précise de leur situation. Il ne peut ainsi être retenu que la recourante a démontré avoir été traitée différemment des autres contribuables dans la même situation. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4399/2016-ICCIFD ATA/1101/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 juin 2019

4ème section

 

dans la cause

 

A______ SA
représentée par Me Robert Hensler, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 23 avril 2018 (JTAPI/379/2018)


EN FAIT

1) Inscrite au registre du commerce de Genève le 7 juin 1967, la société A______ SA (ci-après : A______) a pour but « fabrication, vente et achat en gros de tous articles de boulangerie, pâtisserie, confiserie et produits diététiques, destinés notamment à approvisionner les hôtels, grands magasins, cantines et autres établissements du même genre. La société gère également ses propres points de vente (magasins et tea-rooms) ».

2) Sur la formule B de sa déclaration fiscale 2014, A______ a mentionné une « provision pour vacances et heures supplémentaires » de CHF 937'351.-.

3) Sur demande de renseignements de l'administration fiscale cantonale
(ci-après : AFC-GE) du 16 octobre 2015 concernant cette provision, A______ a expliqué, par courrier du 5 novembre 2015, que le montant de CHF 937'351.- était déterminé par des jours de vacances ou des heures supplémentaires valorisées à un taux horaires moyen de CHF 25.- auquel s'ajoutaient les charges sociales. Ce mode de calcul était identique d'année en année, et la charge était justifiée par un droit acquis des employés durant les périodes précédant le 31 décembre 2014. Les vacances non prises n'étaient pas payées.

Était notamment joint un tableau détaillant la provision pour vacances et heures supplémentaires par établissement.

4) Sur nouvelle demande de renseignements et justificatifs complémentaires de l'AFC-GE du 26 avril 2016, A______ a précisé, par courrier du 30 mai 2016, que la provision couvrait le total des heures de vacances et heures supplémentaires non compensées à la date de clôture. Le droit aux vacances des collaborateurs était de cinq semaines par année. Le solde des vacances ne devait pas être pris à un moment donné. Les vacances non prises n'étaient pas payées mais reportées. Seule la résiliation du contrat de travail pouvait entraîner une compensation salariale, si l'employé n'était pas en mesure de prendre son solde de vacances avant le terme de son engagement. La politique de la société concernant les vacances non prises s'appliquait à tous les employés. En raison de la nature récurrente de cette provision, celle-ci n'avait pas pu être dissoute lors d'exercices précédents.

En annexe figuraient les listes des employés concernés par points de vente accompagnées d'un tableau récapitulatif correspondant au total de la provision de CHF 937'351.38. Selon une déclaration de l'administratrice et du directeur du personnel de la société, datée du 24 mai 2016, les usages en vigueur dans l'entreprise quant à la durée du temps de travail régulier, les heures supplémentaires et le droit aux vacances, prévoyaient notamment que :

« 2. Les heures supplémentaires [étaient] systématiquement compensées sur la base d'une planification établie par le chef de service. En cas de départ de l'entreprise elles [étaient] rémunérées sur la base du taux contractuel de 125 %.

3. Les vacances [étaient] prises pour une durée convenue de deux semaines minimum à trois semaines maxi. Le solde étant attribué dans le courant de l'année selon la demande des collaborateurs. Les vacances non prises [étaient] toujours reportées d'une année à l'autre. En cas de départ de l'entreprise le solde des jours de vacances non pris [était] rémunéré ».

5) Par bordereaux de taxation du 1er septembre 2016, l'AFC-GE a fixé l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) 2014 à CHF 716'977.60 sur la base d'un bénéfice net imposable de CHF 3'059'854.- et d'un capital propre imposable de CHF 6'611'162.-. Calculé sur un bénéfice net imposable de CHF 3'202'964.-, l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) 2014 s'élevait quant à lui à CHF 272'246.50.

Selon les avis de taxation joints à ces bordereaux, la « provision pour vacances et heures supplémentaires » de CHF 937'351.- n'avait pas été admise fiscalement, car non justifiée par l'usage commercial. Cette provision s'apparentait à une réserve latente arbitraire, incompatible avec le principe de sincérité du bilan. De plus, si les vacances et heures supplémentaires pouvaient être prises et qu'elles n'étaient pas payées, cette provision ne pouvait être admise, car il s'agissait d'une charge non monétaire n'entraînant aucun décaissement pour A______.

6) Par courrier du 16 septembre 2016, A______ a élevé réclamation contre ces bordereaux de taxation ICC et IFD 2014 en concluant à ce que la « provision pour vacances et heures supplémentaires » soit également admise sur le plan fiscal.

7) Sur la formule B de la déclaration fiscale 2015, A______ a mentionné une « provision pour vacances et heures supplémentaires » de CHF 1'007'097.-.

8) Par bordereaux de taxation du 22 septembre 2016, l'AFC-GE a fixé l'ICC 2015 à CHF 548'270.15 sur la base d'un bénéfice net imposable de CHF 2'380'290.- et d'un capital propre imposable de CHF 6'829'020.-. Calculé sur un bénéfice net imposable de CHF 2'455'584.-, l'IFD 2015 s'élevait quant à lui à CHF 208'717.50.

Elle avait procédé à une reprise de CHF 69'746.- sur la « provision pour vacances et heures supplémentaires » (soit CHF 1'007'097.- moins
CHF 937'351.-) pour les mêmes motifs que ceux de l'année précédente.

9) Le 28 septembre 2016, A______ a élevé réclamation contre ces bordereaux de taxation ICC et IFD 2015.

10) Par quatre décisions sur réclamation datées du 29 novembre 2016,
l'AFC-GE a rejeté les réclamations ICC et IFD 2014 et 2015.

La condition de l'existence d'un risque certain ou quasi-certain de perte ou de charge n'était pas remplie en l'occurrence. La provision s'apparentait à une provision pour charge future ou à une réserve latente arbitraire, incompatible avec le principe de sincérité du bilan.

Excepté les cas de fin de rapports de travail, le règlement de A______ ne prévoyait pas que les vacances non prises et les heures supplémentaires devaient être payées. Il s'agissait donc d'une charge non monétaire n'entraînant aucun décaissement pour A______.

Cette dernière n'ayant pas démontré que cette provision était justifiée, la reprise était maintenue.

11) Par acte du 21 décembre 2016, A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre les quatre décisions précitées, en concluant à ce que cette « provision pour vacances et heures supplémentaires » soit admise pour l'ICC et l'IFD 2014 et 2015.

Dûment comptabilisée, cette provision servait à couvrir des charges certaines, dès lors que les vacances et les heures supplémentaires non compensées à la date de clôture constituaient une charge justifiée par un droit acquis des employés durant les périodes précédant le 31 décembre. Elle était réévaluée à chaque clôture annuelle, en étant soit complétée, soit dissoute partiellement, impactant ainsi le résultat de l'exercice concerné.

12) L'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

13) Le 31 mai 2017, A______ a répliqué en persistant dans ses précédents conclusions et développements, concluant à l'annulation des bordereaux et décomptes ICC et IFD 2014 et 2015, ainsi que subsidiairement, à ce que la reprise fiscale soit affectée à une provision pour impôts déductible du revenu imposable de ces mêmes années fiscales.

À l'appui de ses écritures, elle produisait notamment une attestation de son organe de révision du 30 mai 2017 confirmant que « conformément aux principes comptables généralement admis en Suisse, la provision pour heures supplémentaires et vacances non prises, s'agissant en particulier des années 2014 et 2015 [était] factuellement et comptablement justifiée », ainsi qu'une liste répertoriant tous les contrats de travail ayant pris fin entre 2013 et 2016. Étaient également joints des tableaux mentionnant en particulier les éléments suivants :


 

 

Année

Risque effectif basé sur les statistiques du personnel

 

Provision pour vacances et heures supplémentaires

 

Chiffre d'affaires selon le bilan

Nombre de personnes ayant terminé leur contrat (nombre effectif)

Personnel engagé en moyenne annuelle

Taux de rotation

Durée moyenne du contrat

2013

297

520

57 %

18 mois

CHF 942'872.-

CHF 69'732'488.-

2014

267

536

50 %

19 mois

CHF 937'351.-

CHF 70'126'936.-

2015

278

528

53 %

24 mois

CHF 1'007'097.-

CHF 69'644'842.-

2016

301

520

58 %

25 mois

--

--

14) À la suite de la duplique de l'AFC-GE, A______ a transmis des observations spontanées le 28 juillet 2017.

15) Sur demande du TAPI du 3 novembre 2017, A______ a remis le 1er décembre 2017, un tableau indiquant les montants payés pour les vacances et les heures supplémentaires aux employés ayant quitté l'entreprise durant les exercices comptables 2013 à 2016. Était également jointe notamment une attestation de son organe de révision du 30 novembre 2017 confirmant que « la provision pour heures supplémentaires et vacances non prises, s'agissant en particulier des années 2014 et 2015, se bas[ait] sur la situation effective et contrôlée, à savoir les droits contractuels effectivement acquis des employés. Cette provision n'[était] ainsi pas une estimation, mais vis[ait] un risque chiffré et concret dont la réalisation [était] certaine ».

16) Par courrier du 22 janvier 2018, A______ a fait valoir le cas d'une autre entreprise pour laquelle l'AFC-GE avait admis les provisions pour heures supplémentaires et vacances non prises. La position incohérente de celle-ci violait le principe de l'égalité de traitement.

17) Le 5 février 2018, l'AFC-GE a relevé que sur la base des chiffres fournis pour les années 2013 à 2016, le paiement effectif des vacances non prises et des heures supplémentaires non compensées représentait une moyenne de CHF 80'000.- par année. Par ailleurs, l'exemple de l'autre entreprise contribuable ne pouvait servir de base pour fonder la taxation d'A______, une analyse adéquate de chaque taxation devant être opérée en tenant compte des circonstances propres à chaque cas.

18) Par jugement du 23 avril 2018, le TAPI a admis partiellement le recours précité, en renvoyant le dossier à l'AFC-GE pour de nouvelles taxations ICC et IFD 2014 et 2015 conformes aux considérants.

Les montants annuels de la provision en cause étaient disproportionnés par rapport aux montants effectivement versés aux employés concernés, vu le tableau produit par A______ pour les années 2013 à 2016. Les provisions concernées ne représentaient qu'une part se situant entre 5,71 % et 10,48 % de celles prévues à cet effet. Malgré un taux de rotation du personnel très élevé, les sommes finalement versées en compensation des vacances et des heures supplémentaires non récupérées représentaient une moyenne annuelle de CHF 79'514.50 sur ces quatre années. Le paiement de ces vacances et heures supplémentaires n'étant pas prévisible, A______ ne pouvait soutenir que ces charges salariales étaient suffisamment certaines ou quasi-certaines pour justifier l'importance des montants provisionnés.

Cette provision n'étant pas une provision pour garantie en lien avec le chiffre d'affaires. Une corrélation entre celle-ci et le total des ventes annuelles, qui justifierait l'application d'un taux forfaitaire, n'était pas établie. La réalisation de la condition des engagements apparaissait dès lors peu vraisemblable, de sorte que le risque de perte était loin d'être certain ou quasi certain.

Une violation du principe de la bonne foi devait être écartée, dès lors qu'A______ n'avait pas démontré que l'AFC-GE lui aurait fait une quelconque promesse quant au maintien de la provision litigieuse parce que cette dernière l'avait admise durant plusieurs années consécutives.

En application du principe de la proportionnalité, compte tenu des sommes versées par A______ en 2014 et 2015 au personnel ayant quitté l'entreprise, soit CHF 68'918.- et CHF 105'580.-, il était justifié d'admettre un solde de provision pour vacances et heures supplémentaires non compensées s'élevant à CHF 105'580.- au 31 décembre 2014 et de CHF 89'712.- au 31 décembre 2015. Le recours était donc partiellement admis à cet égard.

Quant au principe de l'égalité de traitement, chaque imposition nécessitait de tenir compte des circonstances propres à chaque cas d'espèce. Les explications et pièces justificatives fournies par A______ au sujet de la société tierce ne pouvaient suffire à servir de base de comparaison. Les sommes effectivement payées par cette société aux employés ayant quitté l'entreprise n'étaient pas indiquées, de sorte qu'il n'était pas possible de vérifier si la provision prévue à cet effet était justifiée quant à son montant. En l'occurrence, le TAPI estimait avoir correctement déterminé le montant de la provision litigieuse, A______ ne pouvait ainsi revendiquer un traitement différent, fondé sur la taxation d'un autre contribuable, sans démontrer que les conditions découlant de la jurisprudence étaient remplies in casu.

L'AFC-GE devait enfin prendre en considération l'augmentation de la provision d'impôt découlant des reprises admises par le TAPI précédemment.

19) Par acte posté le 28 mai 2018, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, en concluant à son annulation, à celle des décisions sur réclamation ICC et IFD 2014 et 2015, et des bordereaux et décomptes y relatifs, ainsi qu'à l'admission de la provision pour vacances et heures supplémentaires de CHF 937'351.- pour l'ICC et l'IFD 2014 et CHF 1'007'097.- pour l'ICC et l'IFD 2015, et au renvoi du dossier à l'AFC-GE pour nouvelles taxations 2014 et 2015 dans le sens des considérants, le tout « sous suite de frais et dépens ».

En tant que le jugement querellé acceptait le principe des provisions mais pas leur montant, il violait les art. 58 al. 1, 63 al. 1 let. b et 63 al. 2 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11). Il ignorait notamment la réalité des pertes encourues et contrevenait au principe selon lequel la fixation des provisions devait se faire selon les faits connus au moment de l'établissement des provisions et non ultérieurement. Il avait également appliqué à tort un facteur « temps » dans la détermination des provisions, telles que prévues par A______, en retenant incorrectement que la « durée des contrats » les affecterait.

Depuis des années, une provision pour heures supplémentaires et vacances avait été inscrite à son bilan. Elle permettait de couvrir et de garantir les engagements liés aux heures supplémentaires et aux vacances non payées des très nombreux contrats de travail d'une moyenne de plus de cinq-cent-vingt collaborateurs. Actualisée et auditée chaque année, cette provision correspondait à la réalité des engagements pour l'ensemble de ses employés pendant l'année de référence. Au vu notamment du taux de rotation des employés, le risque de perte lié à cet engagement était réel et concret. Au moment de l'établissement des comptes et des provisions, les engagements concrètement risqués, établis par son organe de révision, s'élevaient à respectivement CHF 937'351.- et CHF 1'007'097.-. Ce n'était que postérieurement à l'établissement des comptes que des paiements inférieurs à ces montants s'étaient avérés nécessaires pour les années concernées uniquement. Les montants qu'elle avait inscrits étaient ainsi les seuls valables, toute fixation ultérieure étant contraire au droit. Le risque de perte, réel et concret, qui s'était produit pendant les années de référence, était donc certain. Les provisions en question étaient ainsi justifiées par l'usage commercial. Par ailleurs, le facteur de la durée n'intervenait que dans la reconduction ou non d'une provision ou d'une partie de celle-ci et non directement dans la fixation du montant. La provision était adaptée en fonction des engagements contractuels à l'égard des différents collaborateurs sous contrat au moment de l'établissement des comptes. Si des engagements contractuels n'existaient plus, la part de la provision y relative n'était pas reconduite.

S'il fallait considérer que la fixation des provisions pour les comptes 2014 et 2015 à respectivement CHF 937'351 et CHF 1'007'097.- était contraire au droit, elle devrait l'être forfaitairement. Le but des provisions pour vacances et heures supplémentaires était identique à celui de provisions pour des défauts, à savoir se protéger face à des aléas liés à l'activité de la société. Elles venaient en garantie d'un risque lié au nombre élevé d'employés. Compte tenu des montants en jeu, le taux forfaitaire retenu devait être de 1,5 % au minimum conformément à la jurisprudence. Ainsi, la provision pour vacances et heures supplémentaires pour 2014 aurait pu être fixée à CHF 1'051'904.04 et celle pour 2015 à CHF 1'044'672.63.

En traitant différemment des situations comparables de contribuables, le jugement querellé violait le principe de l'égalité de traitement. Alors qu'elle avait fourni toutes les pièces qui pouvaient lui être raisonnablement demandées s'agissant de données fiscales d'une société tierce, démontrant que dans un cas semblable, l'AFC-GE avait admis l'ensemble des provisions pour vacances et heures supplémentaires non prises pour une contribuable, le sien avait été traité différemment sans aucune explication. Faute pour l'AFC-GE d'avoir allégué une quelconque volonté de changer sa pratique tendant à accepter les provisions pour vacances et heures supplémentaires non prises, il y avait une inégalité de traitement. S'il fallait considérer, comme le TAPI, que les pièces produites ne suffisaient pas à servir de base de comparaison, le jugement entrepris consacrait alors une violation de la maxime d'office (recte : inquisitoire) et du principe de l'établissement des faits.

Subsidiairement, les décisions de l'AFC-GE devraient être annulées afin de tenir compte de la provision afférente à la charge d'impôt additionnelle qu'elle subirait pour les périodes fiscales 2014 et 2015, autant pour l'ICC que l'IFD, en déduction du bénéfice imposable.

20) L'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Aucun argument nouveau n'était avancé, ni aucune pièce nouvelle produite.

Il ressortait des comptes que la provision litigieuse n'avait jamais été utilisée en totalité et n'avait cessé d'augmenter. Admettre la provision constituée reviendrait à considérer que tous les employés qui avaient effectué des heures supplémentaires non compensées à la fin de l'année ou qui n'avaient pas pris leurs vacances cesseraient de travailler pour A______ en même temps. Cette situation était irréaliste au vu de l'évolution de la provision depuis sa création et de son utilisation. Ainsi, seuls les montants de CHF 105'580.- au 31 décembre 2014 et de CHF 89'712.- au 31 décembre 2015 pouvaient être considérés comme remplissant l'existence d'un risque certain ou quasi-certain de perte. S'agissant de la notion de durée de la provision pour en fixer le montant, il ressortait uniquement du jugement du TAPI qu'il constatait l'évolution de celle-ci sur une période de cinq années (2012 à 2016) permettant de constater qu'elle était exagérée au vu de son utilisation effective. Le risque supposé être couvert par la provision litigieuse ne pouvait pas être qualifié de certain ou de quasi-certain.

Concernant la violation du principe de fixation forfaitaire des provisions, la jurisprudence se référait à des provisions garantissant un certain volume annuel de travaux de garantie entrepris au cours des exercices précédents et non de provisions portant sur un risque lié au personnel.

À l'exclusion d'un seul cas qu'elle décrivait comme semblable au sien, A______ n'alléguait pas l'existence de cas dans lesquels l'AFC-GE aurait « admis l'ensemble des provisions pour vacances et heures supplémentaires non prises pour un contribuable ». Outre le fait qu'elle alléguait mais ne démontrait pas la similitude de ces deux cas, elle n'avait pas non plus rapporté la preuve de l'existence d'une pratique constante.

21) A______ a répliqué en persistant dans ses conclusions et précédents développements.

De manière générale, l'AFC-GE ne répondait pas à ses arguments juridiques, se contentant de répéter les mêmes éléments sans prendre en compte des développements essentiels. Elle ne se conformait pas à la jurisprudence ou en faisait une application erronée.

22) L'AFC-GE n'ayant pas de requêtes ou observations complémentaires à formuler, les parties ont été informées le 14 septembre 2018 que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 145 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) En vertu de l'art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b, al. 1). Les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

3) a. Le litige concerne les périodes fiscales 2014 et 2015, tant en matière d'ICC que d'IFD, de sorte qu'il convient au préalable d'examiner le droit matériel applicable.

b. De jurisprudence constante, les questions de droit matériel sont résolues en fonction du droit en vigueur lors des périodes fiscales litigieuses (ATA/379/2018 du 24 avril 2018 et les références citées).

Le présent litige porte sur les taxations opérées en septembre 2016 concernant les périodes fiscales 2014 et 2015. La cause est ainsi régie par le droit en vigueur durant ces périodes, à savoir respectivement les dispositions de la LIFD et celles de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15 ; ATA/1270/2017 du 12 septembre 2017).

c. La question étant traitée de manière semblable en droit fédéral et en droit cantonal, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme cela est admis par la jurisprudence (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_662/2014 du 25 avril 2015 consid. 1 et 2C_394/2013 du 24 octobre 2013 consid. 1.1).

4) L'objet du litige est l'admissibilité, en tant que charges justifiées par l'usage commercial, des provisions pour « vacances et heures supplémentaires » de respectivement CHF 937'351.- et CHF 1'007'097.- enregistrées dans les comptes 2014 et 2015 de la recourante.

a. Selon le droit fédéral, l'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net, tel qu'il découle du compte de pertes et profits établi selon les règles du droit commercial (art. 57, 58, al. 1 LIFD ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème éd., 2012, p. 224).

Tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l'usage commercial sont ajoutés au bénéfice imposable (art. 58 al. 1 let. b LIFD), telle par exemple une provision non justifiée.

L'art. 58 al. 1 let. a LIFD énonce également le principe de l'autorité du bilan commercial (ou principe de déterminance), selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal, et sur lequel il sera revenu ci-après au consid. 7.

b. Les cantons doivent imposer l'ensemble du bénéfice net dans lequel doivent notamment être inclus les charges non justifiées par l'usage commercial, portées au débit du compte de résultats, ainsi que les produits et les bénéfices en capital, de liquidation et de réévaluation qui n'ont pas été portés au crédit du compte de résultats (art. 24 al. 1 let. a et b de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14).

c. À Genève, le 30 mars 2016 est entrée en vigueur la nouvelle teneur de l'art. 12 LIPM, adoptée le 29 janvier 2016 par le Grand Conseil. La LIPM ne comprend aucune disposition transitoire prévoyant notamment l'application de la nouvelle teneur de son art. 12 aux causes pendantes au moment de son entrée en vigueur. Il sera ainsi fait application des dispositions légales idoines dans leur teneur antérieure aux décisions de taxation en cause (ci-après : aLIPM ; ATA/737/2018 du 10 juillet 2018 consid. 4b et les références citées).

Selon l'art. 12 let. a aLIPM, constitue le bénéfice net imposable celui qui résulte du compte de pertes et profits augmenté de certains prélèvement énoncés aux art. 12 let. b à i aLIPM, ainsi que des produits qui n'ont pas été comptabilisés dans le compte de résultats, y compris les bénéfices en capital, les bénéfices de réévaluation ou de liquidation, ainsi que les montants des réserves et provisions transférées à l'étranger qui avaient été constituées en franchises d'impôt (art. 12 let. j aLIPM). L'art. 12 aLIPM, même rédigé différemment, est de même portée que l'art. 58 al. 1 LIFD (ATA/380/2018 du 24 avril 2018 et les arrêts cités).

d. Selon l'art. 63 al. 1 LIFD, des provisions peuvent être constituées à la charge du compte de résultats pour les risques de pertes sur des actifs circulants (let. b) et les risques de pertes imminentes durant l'exercice (let. c). En ICC, les provisions justifiées par l'usage commercial sont également admises en déduction du bénéfice (art. 13 let. e aLIPM).

Pour être admise, la provision doit être justifiée par l'usage commercial et, conformément au principe de périodicité, porter sur des faits dont l'origine se déroule durant la période de calcul (ATF 137 II 353 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_392/2009 du 23 août 2010 consid. 2.1 ; ATA/532/2013 du 27 août 2013 consid. 3c et 3d). Est justifiée par l'usage commercial toute provision portée au passif du bilan qui exprime le fait que le résultat de l'exercice ne peut pas être tenu pour définitif ; cette correction prévient le risque que le résultat ne soit pas conforme à la réalité et qu'une perte apparaisse ultérieurement, qui existait déjà au moment du bouclement des comptes. Encore faut-il que ce risque de perte soit réel, concret et imminent (arrêts du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1 ; 2C_392/2009 précité consid. 2.3, in RDAF 2011 II 70).

Dans la mesure où une provision ne peut avoir pour objet que des pertes imminentes (art. 63 al. 1 let. c LIFD), les provisions pour des charges futures ainsi que pour risques ou investissements futurs ne sont pas admissibles (arrêts du Tribunal fédéral 2C_478/2011 du 10 novembre 2011 consid. 2.1 ; 2C_581/2010 précité consid. 3.1). Pour être acceptées, les provisions doivent prévenir des pertes imminentes ou parer à des risques menaçants découlant d'engagements ou de charges encourues et non pas couvrir des risques aléatoires (Division Études et supports/AFC, juin 2012, « L'imposition des personnes morales », in Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts CSI, ch. 411.3, p. 56).

Le droit fiscal ne permet pas la constitution de réserves latentes par le biais de provisions, pourtant tolérées en droit commercial (ATF 103 Ib 366 ; Robert DANON, in Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN, Commentaire romand de la loi sur l'impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, n. 15 ad art. 63 LIFD). En particulier, les provisions constituées en vue d'une utilisation future, notamment pour faire face à des dépenses que l'entreprise devra supporter en raison de son activité à venir constituent des réserves ; en tant que telles, elles font partie du revenu imposable et ne sauraient être déduites de ce dernier avant que la société n'ait à supporter les charges en cause, conformément au principe de périodicité du droit fiscal (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1 et les arrêts cités). Le droit fiscal n'admet ainsi pas la diminution artificielle du bénéfice par le biais de provisions injustifiées (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1101/2014 du 23 novembre 2015 consid. 3).

e. Deux conditions doivent être réunies pour que les provisions soient admises : les faits qui sont la cause du risque de perte doivent s'être produits au cours de l'exercice clos pendant la période de calcul ; le risque de perte doit être certain ou quasi certain, mais non nécessairement définitif. Par ailleurs, l'appréciation du risque doit être faite en tenant compte de tous les faits connus à la date du bouclement des comptes et non de faits ultérieurs qui viendraient confirmer ou infirmer le montant de la provision (arrêts du Tribunal fédéral 2C_581/2010 précité consid. 3 ; 2C_392/2009 précité consid. 2.1 et les références citées ; ATA/174/2016 du 23 février 2016 et les références citées).

Pour juger de la justification commerciale de la provision, il convient d'examiner la situation concrète de l'entreprise, notamment s'il y a des actions en dommages et intérêts en suspens. Les provisions pour dommages et intérêts sont admises si elles se rapportent à des événements ayant déjà eu lieu et pour lesquels il n'existe pas de couverture d'assurance. Le Tribunal fédéral a jugé qu'un contribuable ne saurait constituer de provisions « pour accidents non liquidés » en l'absence de preuves telles que des échanges de correspondance, ou encore en l'absence d'une indication exacte des faits et des procédures en cours accompagnée du mode de calcul du dommage redouté (arrêt du Tribunal fédéral 2C_394/2013 du 24 octobre 2013 consid. 6.2 ; Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], Commentaire romand - Impôt fédéral direct, 2017, n. 19 ad art. 63 LIFD). Les provisions constituées en prévision de risques potentiels ne sont pas conformes à l'usage commercial. Pour être acceptées, les provisions doivent prévenir des pertes imminentes ou parer à des risques menaçants découlant d'engagements ou de charges encourues et non pas couvrir des risques aléatoires (Division Études et supports/administration fédérale des contributions, juin 2012, L'imposition des personnes morales, in Informations fiscales éditées par la Conférence suisse des impôts CSI, ch. 411.3, p. 56).

Lorsque des provisions, qui ont été passées en charge du compte de résultats, ne sont pas admissibles, l'autorité fiscale est en droit de procéder à la dissolution de la provision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1). La dissolution d'une provision est susceptible d'intervenir dès qu'elle n'est plus justifiée commercialement, engendrant une correction en défaveur du contribuable (Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], op. cit., 2008, n. 41 et 67 ad art. 58 LIFD).

À titre d'exemple, une « provision pour litiges » n'a pu être admise, car faute d'action judiciaire dirigée à l'encontre de la société contribuable durant les années concernées, il n'existait pas de risque certain ou quasi-certain (ATA/174/2016 précité consid. 6). De même, une provision pour malfaçon inutilisée de 2005 à 2007, puis utilisée dans une faible proportion en 2008 et 2009, ne permettait pas de démontrer un risque de perte certain ou quasi-certain (ATA/659/2015 du 23 juin 2015 consid. 6).

f. La maxime inquisitoire est applicable à la détermination de la dette fiscale. L'administration fiscale supporte le fardeau de la preuve de l'existence d'éléments imposables et, selon un principe généralement admis en matière fiscale, il incombe à celui qui prétend à l'existence d'un fait de nature à éteindre ou à diminuer sa dette fiscale d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve (arrêt du Tribunal fédéral 2C_288/2008 du 1er octobre 2008 consid 4.4 ; ATA/761/2013 du 12 novembre 2013). Le montant et la justification commerciale des provisions étant de nature à diminuer la dette fiscale, c'est au contribuable d'en apporter la preuve (arrêt du Tribunal fédéral 2A.71/2006 du 21 juin 2006 consid. 3.3.3 ; arrêt du Tribunal administratif de Bâle-Ville 510 09 13 du 3 juillet 2009 consid. 4c).

5) Il appartient à l'autorité fiscale de démontrer l'existence d'éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation fiscale. S'agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve (ATF 133 II 153 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_89/2014 du 26 novembre 2014 consid. 7.2). Ces règles s'appliquent également à la procédure devant les autorités de recours (arrêt du Tribunal fédéral 2C_47/2009 du 26 mai 2009 consid. 5.4 ; ATA/1309/2015 du 8 décembre 2015).

6) Dans le cas d'espèce, au regard des documents que la recourante a fournis au cours de la procédure, il ressort que, nonobstant le taux de rotation élevé de ses employés, les « provisions pour vacances et heures supplémentaires » comptabilisées entre 2013 et 2016 n'ont été que faiblement utilisées par rapport aux montants provisionnés. Il ressort effectivement du tableau comparatif des provisions effectuées à ce titre, établi par ses soins et repris par le premier juge, que les sommes réellement versées aux employés ne représentent qu'une part se situant entre 5,71 % et 10,48 %. Devant la chambre de céans, la contribuable ne conteste pas que les sommes finalement versées en compensation des vacances et de heures supplémentaires non récupérées représentent une moyenne annuelle de CHF 79'514.50 sur les quatre années susmentionnées. Force est de constater qu'un tel montant est très éloigné de ceux provisionnés de 2012 à 2016, en particulier des CHF 937'351.- et CHF 1'007'097.- comptabilisés en 2014 et 2015.

Dans ce contexte, c'est à juste titre que les premiers juges ont relevé le caractère aléatoire des facteurs susceptibles de générer le paiement de vacances et heures supplémentaires. À cet égard, l'indication de la durée du contrat de travail comme élément susceptible d'influencer les charges dues aux employés constitue un facteur parmi d'autres. Si celui-ci est bien pris en considération lors de l'établissement des comptes, selon les dires de la recourante, il reste que la disproportion susévoquée demeure. En effet, il ne saurait être admis qu'une telle provision puisse être fixée en partant du postulat que l'ensemble des employés quittera l'entreprise durant l'année en cours. Malgré le taux de rotation élevé, tel n'est manifestement pas le cas. Cela implique que le risque de devoir payer ces charges salariales ne peut être considéré comme suffisamment prévisible pour justifier l'importance des montants provisionnés.

Au vu de ce qui précède, et en se fondant sur les pièces fournies par la contribuable elle-même, force est de constater qu'elle n'a pas été en mesure de démontrer un risque de perte certain ou quasi certain allant au-delà de celui retenu par le TAPI. Ces considérations sont conformes aux dispositions légales et à la jurisprudence précitées.

7) Le recourante invoque également une prise en considération des provisions en cause comme des provisions pour garantie, dans la mesure où celles-ci viendraient en garantie des risques liés à la prise de vacances et d'heures supplémentaires non prises pour plus de cinq cents employés, justifiant l'application d'un taux forfaitaire de 1,5 %.

a. Dans sa jurisprudence, la chambre de céans admet, notamment pour les entreprises de construction, la constitution de provisions forfaitaires de garantie, à hauteur de 1,5 % du chiffre d'affaires annuel (ATA/1238/2015 du 17 novembre 2015 consid. 3 et 4 ; ATA/552/2014 du 17 juillet 2014 ; ATA/520/2014 du 1er juillet 2014).

b. En définissant le bénéfice imposable par renvoi au solde du compte de résultats, l'art. 58 al. 1 let. a LIFD énonce le principe de l'autorité du bilan commercial ou de déterminance, selon lequel le bilan commercial est déterminant en droit fiscal. Les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices spécifiques. L'autorité peut en revanche s'écarter du bilan remis par le contribuable lorsque des dispositions impératives du droit commercial sont violées ou des normes fiscales correctrices l'exigent (ATF 137 II 353 consid. 6.2 ; 136 II 88 consid. 3.1 ; 119 Ib 111 consid. 2c ; Robert DANON, in Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], op. cit., n. 33 à 55 et 62 ad art. 57-58 LIFD).

Le droit fiscal et le droit comptable suisses poursuivent en effet des objectifs différents. Le premier recherche une présentation qui fasse ressortir au mieux le résultat effectif et la réelle capacité contributive de l'entreprise, tandis que le second est avant tout orienté sur la protection des créanciers et fortement marqué par le principe de prudence. Dans ce contexte, les règles correctrices fiscales figurant à l'art. 58 al. 1 let. b et c LIFD visent à compenser le fait que le résultat comptable puisse s'éloigner de la réalité économique ; elles assurent une imposition du bénéfice qui tienne compte au mieux de la réelle situation patrimoniale d'une société. Par leur intermédiaire, le droit fiscal cherche à se rapprocher d'un système fondé sur le principe de l'image fidèle (« true and fair »), qui prévaut dans les normes de comptabilité internationales (Pierre-Marie GLAUSER, Apports et impôt sur le bénéfice, vol. 2, 2005, p. 96 s.).

Le principe de déterminance déploie aussi un effet contraignant pour le contribuable. En effet, celui-ci est lié par son mode de comptabilisation et seules les écritures ressortant des comptes sont décisives (Robert DANON, in Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], op. cit., n. 51 ad art. 57-58 LIFD). Les écritures comptables effectivement passées doivent être reprises par le droit fiscal et le contribuable ne peut se prévaloir que des écritures qu'il a effectivement enregistrées dans ses comptes, lesquels lui sont d'ailleurs opposables (principe de comptabilisation). Ce dernier principe implique donc que le contribuable est lié par les comptes qu'il a joints à sa déclaration (Pierre-Marie GLAUSER, op. cit., p. 89 ; Pierre-Marie GLAUSER, Goodwill et acquisitions d'entreprises - Une analyse sous l'angle du droit fiscal et comptable, in Droit des sociétés : mélanges en l'honneur de Roland RUEDIN, 2006, 421-445, p. 430).

c. Il découle du principe précité, en particulier du devoir de comptabilisation et de qualification qui incombe au contribuable, qu'une requalification d'une provision en une autre est exclue (Markus REICH/Marina ZÜGER, in Martin ZWEIFEL/Peter ATHANAS [éd.], op. cit., n. 7 ad art. 29 LIFD ; Jürg STOLL, Die Rückstellung im Handels- und Steuerrecht, 1992, p. 232).

8) Ainsi, il n'est pas possible de requalifier aujourd'hui en provision pour garantie la provision clairement décrite dans les comptes 2014 et 2015 comme provision pour « vacances et heures supplémentaires », étant rappelé que la recourante n'a pas évoqué que la dénomination utilisée aurait été fausse, quand bien même elle a précisé qu'elle entendrait se protéger « face à des aléas liés à ses activités ». Il reste que, de par leur formulation toute générique, ceux-ci ne sont en l'occurrence pas suffisamment établis.

Un forfait ne saurait en outre être appliqué pour son seul principe, sans aucune justification.

9) Finalement, la recourante se plaint d'une violation du principe de l'égalité de traitement. Elle avait fourni des documents concernant un autre cas semblable au sien, dans lequel l'AFC-GE avait admis l'ensemble des provisions pour vacances et heures supplémentaires non prises. L'AFC-GE n'avait toutefois pas allégué une quelconque volonté de changer sa pratique tendant à accepter les provisions pour vacances et heures supplémentaires non prises.

a. Une décision ou un arrêté viole le principe de l'égalité de traitement garanti par l'art. 8 Cst. lorsqu'il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu'il omet de faire des distinctions qui s'imposent au vu des circonstances (ATF 138 V 176 consid. 8.2 et les références citées). Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante (ATF 138 I 225 consid. 3.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_582/2013 du 2 mai 2014 consid. 6.2.1).

En matière fiscale, le principe de l'égalité de traitement est concrétisé par les principes de la généralité et de l'égalité de l'imposition, ainsi que par le principe de la proportionnalité de la charge fiscale fondée sur la capacité économique. Le principe de la généralité de l'imposition interdit, d'une part, que certaines personnes ou groupes de personnes soient exonérés sans motif objectif (interdiction du privilège fiscal), car les charges financières de la collectivité qui résultent des tâches publiques générales qui lui incombent doivent être supportées par l'ensemble des citoyens (ATF 133 I 206 consid. 6.1 ; ATA/459/2018 du 8 mai 2018 consid. 3) ; il prohibe, d'autre part, une surimposition d'un petit groupe de contribuables (interdiction de la discrimination fiscale ; ATF 122 I 305 consid. 6a ; arrêt du Tribunal fédéral 2P.152/2005 du 25 octobre 2005 consid. 3.1). Les différents principes de droit fiscal déduits de l'égalité de traitement ont été codifiés à l'art. 127 al. 2 Cst. (ATF 133 I 206 consid. 6.1).

Les contribuables qui sont dans la même situation économique doivent supporter une charge fiscale semblable ; lorsqu'ils sont dans des situations de fait différentes qui ont des effets sur leur capacité économique, leur charge fiscale doit en tenir compte et y être adaptée. Ainsi, d'après le principe de la proportionnalité de la charge fiscale à la capacité contributive (ATA/459/2018 précité consid. 3), chaque citoyen doit contribuer à la couverture des dépenses publiques compte tenu de sa situation personnelle et en proportion de ses moyens (ATF 140 II 157 consid. 7.1).

b. Le 22 janvier 2018, la recourante a produit divers documents consistant en un échange de correspondance entre l'AFC-GE et une société tierce contribuable. Il en ressort que cette dernière appliquerait une méthode de calcul semblable à celle de la recourante afin de déterminer le montant de sa provision pour « vacances non prises ». Cela étant dit, ces éléments ne comportent pas les documents comptables de la contribuable concernée, de sorte qu'ils ne permettent pas une comparaison précise de leur situation. Il ne peut ainsi être retenu que la recourante a démontré avoir été traitée différemment des autres contribuables dans la même situation. Au contraire, l'examen de sa situation, seule objet de la présente procédure, apparaît comme étant conforme aux dispositions légales susmentionnées, de même qu'à la jurisprudence y relative.

10) Dans son dernier grief, subsidiaire, la recourante requiert un ajustement de la provision pour impôt.

a. Aux termes des art. 59 al. 1 let. a LIFD et 13 al. 1 let. a aLIPM, les charges justifiées par l'usage commercial comprennent également les impôts fédéraux, cantonaux et communaux. Lors d'une reprise de bénéfice effectuée dans le cadre d'une correction de bilan, l'autorité fiscale doit donc également corriger d'office les montants de provision pour impôts des années en cause, cette correction devant au demeurant intervenir indépendamment de la volonté du contribuable et du fait qu'il ait ou non pu reconnaître l'erreur figurant dans son bilan commercial (arrêts du Tribunal fédéral 2C_490/2016 du 25 août 2017 consid. 5.1 ; 2C_662/2014 précité consid. 6.5, in RDAF 2015 II 267).

b. En l'espèce, la question d'un éventuel ajustement de la provision pour impôt liée à la reprise du bénéfice a été examinée et admise en première instance. Partant, le jugement sera également confirmé sur ce point. La cause sera renvoyée à l'AFC-GE conformément aux instructions des premiers juges.

11) Mal fondé, le recours sera rejeté et le jugement querellé confirmé.

12) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 mai 2018 par A______ SA contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 23 avril 2018 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge d'A______ SA un émolument de CHF 1'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Robert Hensler, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :