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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2980/2013

ATA/520/2014 du 01.07.2014 sur JTAPI/226/2014 ( ICCIFD ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2980/2013-ICCIFD ATA/520/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er juillet 2014

1ère section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

et

A______ Sàrl
_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 mars 2014 (JTAPI/226/2014)


EN FAIT

1) A______ Sàrl (ci-après : la société) exploite un atelier de mécanique de précision et a son siège dans le canton de Genève.

2) Dans la déclaration qu’elle a rempli concernant l’année fiscale 2010, elle a annoncé un bénéfice imposable de CHF 568’000.- et un capital propre de CHF  21'615.-.

Selon le bilan au 31 décembre 2010, le total des produits ascendait à CHF  588'753,49. Elle mentionnait de plus une « provision travaux sur garantie » de CHF 28'300.-.

3) À la demande de l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC), la société a précisé que, lorsqu’elle effectuait des réparations, elle garantissait les pièces et la main d’œuvre pendant deux ans. En 2010, le produit des réparations était de CHF 283'029.-. Elle avait donc constitué une provision représentant 10 % de ce montant pour la garantie. Elle n’était pas couverte par une assurance pour ce risque.

4) Par bordereau du 6 juin 2013, l’AFC a notifié à la société ses bordereaux d’impôts cantonal et communal (ICC) ainsi que d’impôt fédéral direct (IFD) pour l’année 2010. La provision de CHF 28'300.- n’avait pas été admise.

5) Le 26 août 2013, la société a formé réclamation contre la provision pour la garantie sur travaux soit déduite du bénéfice.

6) L’AFC a maintenu sa position le 15 août 2013. La société n’avait pas démontré que cette provision était justifiée par un volume annuel de travaux de garantie au cours des exercices précédents. Le risque n’était pas certain ni quasi certain et la provision litigieuse visait à couvrir un risque futur. La société avait refusé d’admettre une provision forfaitaire de 1,5 % de son chiffre d’affaires.

7) Le 13 septembre 2013, la société a saisi le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) d’un recours, pour les motifs ressortant de sa réclamation initiale.

8) Par jugement du 3 mars 2014, le TAPI a partiellement admis le recours. Selon sa jurisprudence, une provision forfaitaire de 3 % du chiffre d’affaire était conforme à la doctrine et tenait mieux compte du risque que le taux de 1,5 % proposé par l’AFC ainsi que de la durée pendant laquelle la recourante pouvait être actionnée pour des défauts de constructions.

Dès lors, la provision pour garantie de travaux devait s’élever à CHF 16'754,40 au lieu de CHF 28'300.-, et cela tant en matière d’IFD que d’ICC.

9) Le 7 avril 2014, l’AFC a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre le jugement précité.

Le calcul effectué par le TAPI était erroné, dès lors que le 3 % de CHF 588'753,49 correspondait à CHF 17'662,60 et non CHF 16'754,40.

Selon la doctrine et la jurisprudence, une provision pour garantie devait être fixée en examinant la situation concrète de l’entreprise. Le risque devait être certain ou quasi certain. Tel n’était pas le cas en l’espèce puisque la société ne justifiait pas le calcul qu’elle proposait en se fondant sur les chiffres fondés sur les réparations réalisées sous garantie au cours des années précédentes.

Au surplus, l’AFC maintenait sa proposition d’admettre une provision forfaitaire de 1,5 % du chiffre d’affaires si la société ne pouvait justifier un certain volume annuel de travaux de garantie au cours des exercices précédents.

Ce taux ne devait pas être multiplié par deux en raison de la durée de la garantie de deux ans, dès lors que c’était la provision en elle-même qui devait être maintenue au bilan pendant deux ans et non pas son pourcentage doublé. Dès lors, la provision admissible devait être fixée à CHF 8'831.-.

10) Le 5 mai 2014, le TAPI a transmis son dossier, sans émettre d’observations.

11) Le 12 mai 2014, la société a conclu au rejet du recours. Les conditions exigées par la jurisprudence et rappelées par l’administration étaient remplies dès lors que la provision était comptabilisée et défaite de moitié chaque année, que la société fournissait une garantie - pièces et main d’œuvre - de deux ans à ses clients et que tous les travaux provisionnés avaient été effectués et terminés en 2010.

12) La recourante n’ayant pas d’autres observations à faire dans le délai qui lui avait été accordé, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 13 juin 2014.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur le traitement fiscal réservé à la « provision travaux sur garantie » de CHF 28'300.- figurant au passif du bilan 2010 de la contribuable.

Impôt fédéral direct

a. L’impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net, tel qu’il découle du compte de pertes et profits établi selon les règles du droit commercial (art. 57, 58 al. 1 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11) ; Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème éd., 2012, p. 224).

b. Tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l’usage commercial sont ajoutés au bénéfice imposable (art. 58 al. 1 let. b LIFD), telle par exemple une provision non justifiée.

c. Les provisions sont des déductions portées à la charge du compte de résultat pour tenir compte de dépenses ou de pertes dont le montant exact ou l’ampleur n’est pas encore établi de façon certaine (Archives 56 377). La provision a un caractère provisoire et pour être admise elle doit être justifiée par l’usage commercial et, conformément au principe de périodicité porter sur des faits dont l’origine se déroule durant la période de calcul (art. 29 al. 1 let a LIFD ; RDAF 1975 p. 355). Ainsi, sont admissibles des provisions pour des engagements de l’exercice dont le montant est encore à déterminer (art. 29 al. 1 let. a LIFD), soit l’obligation de devoir verser des dommages-intérêts ou d’une obligation de garantie si l’engagement en question a pris naissance durant l’exercice en cause. Ne sont pas admissibles, les provisions pour des charges futures (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2010 consid. 3.1).

Les provisions ne constituent pas un élément du bénéfice et ne sont, partant, pas imposables mais, à teneur de l’art. 29 al. 2 LIFD, les provisions qui ne se justifient pas ou plus sont ajoutées au revenu commercial imposable.

d. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, deux conditions doivent être réunies pour que les provisions soient admises : les faits qui sont la cause du risque de perte doivent s’être produits au cours de l’exercice clos pendant la période de calcul ; le risque de perte doit être certain ou quasi certain, mais non nécessairement définitif. Par ailleurs l’appréciation du risque doit être faite en tenant compte de tous les faits connus à la date du bouclement des comptes et non de faits ultérieurs qui viendraient confirmer ou infirmer le montant de la provision (ATA/829/2013 du 17 décembre 2013 ; ATA/607/2008 du 4 février 2009 et les références citées).

Ainsi, seules sont justifiées par l’usage commercial les provisions qui sont portées au bilan en vue de couvrir un risque de perte imminent. Les provisions pour les engagements de l’exercice qui entrent en considération doivent reposer sur un contrat ou sur une loi. Cela comprend les engagements conditionnels, pour autant que la réalisation de la condition soir très vraisemblable. La question doit être examinée sur la base de tous les éléments en présence à la lumière de la situation prévalant au moment où le bilan est établi (ATF 103 Ib 366 consid. 4 p. 370).

e. La constitution d’une provision pour garantie calculée forfaitairement sur les recettes de la période fiscale concernée devrait être exclue, en application des principes rappelés ci-dessus. Cette provision devrait être établie en se fondant sur la situation concrète de l’entreprise, soit en particulier sur les prestations de garantie ressortant des exercices précédents (Danielle YERSIN/Yves NOËL, Impôt fédéral direct, Commentaire de la loi sur l’impôt fédéral direct, 2008, p. 850 no 19).

La pratique et la jurisprudence ont toutefois assoupli ces principes, en admettant la constitution d’une provision forfaitaire, leur donnant parfois une base légale ou réglementaire (cf. art. 15 de l’ordonnance du Conseil exécutif du canton de Berne sur les amortissements 18 octobre 2000 - RS BE 661.312.59 ; voir aussi l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_553/2007 du 29 septembre 2008 consid. 2.1), les cantons concernés appliquant ces provisions forfaitaires aussi bien en matière d’impôt cantonaux que fédéraux. Les taux appliqués varient, dans ces cantons, entre 1 % et 2 % (arrêt 2C_553/2007 précité consid. 2.1, dernier paragraphe).

Les contribuables concernés conservent la possibilité de constituer une provision dépassant le taux forfaitaire, pour autant qu’ils démontrent que le montant retenu se fonde sur les appels aux prestations de garantie apparu au cours des exercices précédents (ATA/484/2013 du 30 juillet 2013).

3) En l’espèce, la société indique que la détermination du risque repose sur un calcul forfaitaire fondé sur le 10 % de l’ensemble des réparations effectuées au cours de l’exercice concerné et non sur le volume annuel de travaux de garantie entrepris aux cours des exercices précédents. Le TAPI retient un taux de 3 %, alors que l’AFC propose un taux de 1,5 %.

Ce dernier taux doit être retenu. La création d’une provision sur une base forfaitaire constitue aussi une entorse aux règles régissant l’établissement des provisions et il n’y a pas lieu de s’écarter du taux retenu par l’administration, dès lors que la société garde la possibilité de constituer une provision pour garanties plus importantes si elle démontre que, concrètement, le risque à provisionner est plus haut que celui couvert par le taux retenu. A juste titre, l’administration intimée relève que la durée de la garantie offerte - soit deux ans en l’espèce - n’implique pas une augmentation du taux de la provision, mais bien le maintien de cette dernière dans le bilan de la société pendant les deux années concernées.

Au vu de ces éléments le recours sera admis et « la provision travaux sur garantie » sera fixée à 1,5 % du chiffre d’affaires annuel de la société, soit CHF 8’831.-. La provision excessive, à réintégrer dans le bénéfice, sera donc de CHF 19’469.-.

4) Impôts cantonaux et communaux

Les dispositions légales régissant l'assujettissement des sociétés anonymes à l'impôt sur les personnes morales (art. 20 al. 1 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14 et 1 al. 2 de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 - LIPM - D 3 15), l'objet de l'impôt sur le bénéfice (art. 24 al. 1 LHID et 11 LIPM), ainsi que la constitution de provisions (art. 12 let. e et art. 13 LIPM) ont une teneur identique à celles de la LIFD citées plus haut.

Une solution identique doit donc prévaloir en matière d'ICC.

5) En conséquence, le recours de l’AFC sera admis et le jugement du TAPI annulé. La cause sera retournée à l’AFC afin que cette dernière établisse des nouveaux bordereaux fiscaux retenant une provision pour risques de garantie de CHF 8’831.-.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la contribuable et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 avril 2014 par l’administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 mars 2014 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 mars 2014 ;

renvoie la cause à l’administration fiscale cantonale au sens des considérants ;

met à la charge de A______ Sàrl un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à A______ Sàrl, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'à l'administration fédérale des contributions.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :