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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/645/2016

ATA/1470/2017 du 14.11.2017 sur JTAPI/1229/2016 ( ICCIFD ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/645/2016-ICCIFD ATA/1470/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 novembre 2017

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

Monsieur A______

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 novembre 2016 (JTAPI/1229/2016)


EN FAIT

1) Le 4 septembre 1987, Monsieur A______ a épousé Madame B______ , née C______. De cette union est né un enfant, D______, le ______ 1996.

2) Par arrêt 10 mai 2013, la chambre civile de la Cour de justice (ci-après : la chambre civile), a condamné M. A______, sur mesures provisionnelles, à verser à Mme A______, par mois et d'avance, à titre de contribution à l'entretien de la famille, CHF 4'400.- du 27 mai 2011 au 31 août 2012 et CHF 2'200.- à partir du 1er septembre 2012, jusqu'à une date indéterminée.

3) Par jugement du 25 novembre 2013, le Tribunal de première instance (ci-après le TPI) a prononcé le divorce des époux A______. Il a condamné M. A______ à verser en mains de Mme A______, à titre de contribution à l'entretien de leur fils, CHF 1'800.- jusqu'au 31 décembre 2013, puis CHF 1'200.- dès le 1er janvier 2014 jusqu'à la majorité de l'enfant, voire au-delà, mais jusqu'à 25 ans au plus, si l'enfant poursuivait une formation ou des études sérieuses et régulières.

Il a en outre condamné M. A______ à verser, par mois et d'avance, à Mme A______, à titre de contribution post-divorce à son entretien, la somme de CHF 2'000.-.

4) Par commandement de payer n° ______ du 28 février 2014, Mme A______ a requis de M. A______ le versement de CHF 66'786.65, avec intérêts à 5 % dès le 10 mai 2013, pour les contributions d'entretien dues par ce dernier pour la période du 27 mai 2011 au 30 mai 2013, selon l'arrêt de la chambre civile du 10 mai 2013.

5) Le 15 avril 2014, le juge du séquestre du TPI a ordonné le séquestre de CHF 68'200.-, avec intérêts à 5 % dès le 10 mai 2013, et de CHF 2'000.-, avec intérêts à 5 % dès le 25 novembre 2013, de la part de copropriété de M. A______ sur un immeuble sis route de E______ à Plan-Les-Ouates.

6) Le 16 mai 2014, afin de solder la poursuite n° ______, M. A______ a payé la somme de CHF 70'689.40 à l'office des poursuites.

7) Le 25 mars 2015, M. A______ a déposé sa déclaration fiscale pour la période fiscale 2014, indiquant notamment CHF 119'489.- versés à titre de contribution d'entretien.

8) Le 15 juin 2015, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) lui a adressé une demande de renseignements afin qu'il fournisse les justificatifs de la pension alimentaire qu'il aurait versée durant l'année 2014.

9) Le 25 juin 2015, M. A______ a transmis à l'AFC-GE l'arrêt de la chambre civile du 10 mai 2013, le jugement du TPI du 25 novembre 2013, l'ordonnance de séquestre du TPI du 15 avril 2014 et la quittance datée du 16 mai 2014 pour solde de la poursuite n° ______.

10) Le 14 juillet 2015, l'AFC-GE a notifié à M. A______ deux bordereaux et avis de taxation 2014 concernant tant l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) que l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC). L'arriéré de pension alimentaire de CHF 66'786.65 n'était pas admis comme déductible fiscalement à titre de pension. Un montant de CHF 70'689.- était toutefois comptabilisé comme dette chirographaire.

11) Le 6 août 2015, M. A______ a formé réclamation contre les décisions de taxation du 14 juillet 2015, au motif que l'AFC-GE aurait dû tenir compte des CHF 66'786.65 qu'il avait payés en date du 16 mai 2014 à titre d'arriéré de pension pour les années 2011 à 2013.

12) Par décisions du 18 janvier 2016, l'AFC-GE a rejeté cette réclamation et a maintenu la taxation du 14 juillet 2015, au motif que le montant de CHF 66'786.65 versé en 2014 correspondait à un remboursement de dettes au sens de l'art. 34 let. c de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11). Au demeurant, il ne s'agissait pas d'un fait nouveau, de sorte qu'une demande de révision des précédentes taxations ne pouvait pas non plus être admise.

13) Le 24 février 2016, M. A______ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre ces décisions, concluant à leur annulation et à l'admission de la déduction des CHF 66'786.65 versés le 16 mai 2014 à titre d'arriéré de pension.

Selon la jurisprudence, le paiement d'un arriéré de pension pouvait être déduit lorsqu'une planification fiscale de la part du débiteur était exclue, ce qui était le cas lorsque le débiteur avait retardé le paiement en raison de la contestation du bien-fondé de cette obligation. Or tel était précisément son cas, puisqu'il avait contesté les montants dus jusqu'au jugement du 25 novembre 2013. Il était donc impossible d'attendre de lui qu'il verse le montant litigieux durant l'année 2013.

L'AFC-GE ne pouvait en outre considérer l'arrêt statuant sur mesures provisionnelles du 10 mai 2013 comme le fondement de l'obligation de paiement, dans la mesure où il avait continué à le contester.

Afin de régler l'arriéré de pension dû, son père lui avait prêté la somme nécessaire, qu'il s'efforçait de lui rembourser par le biais de versements échelonnés chaque mois.

14) Dans sa réponse du 27 mai 2016, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours. Le montant de CHF 66'786.65 se rapportait à un arriéré de pension alimentaire pour la période concernant les années 2012 et 2013, correspondant au montant arrêté dans le commandement de payer du 28 février 2014, auquel des intérêts de 5 % dès le 10 mai 2013 avaient été ajoutés. Le montant litigieux se fondait donc uniquement sur l'arrêt de la chambre civile du 10 mai 2013 et pas sur le jugement du TPI du 25 novembre 2013.

Faute d'avoir recouru au Tribunal fédéral contre l'arrêt du 10 mai 2013, l'arriéré des pensions alimentaires fixées dans celui-ci était devenu exigible dès son entrée en force, en juin 2013.

Or, selon la jurisprudence, la déductibilité de la prétention devait être invoquée au cours de la période fiscale durant laquelle elle n'était plus contestée, le moment du règlement n'étant pas déterminant. Le recourant aurait donc dû faire valoir la déduction pour la période fiscale 2013 et non pour la période fiscale 2014.

15) Par jugement du 14 novembre 2016, le TAPI a admis le recours et renvoyé le dossier à l'AFC-GE pour nouvelles décisions de taxation dans le sens des considérants.

La jurisprudence cantonale rendue une voire deux décennies auparavant retenait que les rentes et pensions qui n'étaient pas payées dans l'année au cours de laquelle elles étaient dues n'étaient en principe pas déductibles. Les cas particuliers dans lesquels une planification fiscale pouvait certainement être exclue étaient réservés ; ainsi, le contribuable qui prouvait notamment avoir retardé le paiement de la pension parce qu'il en contestait le bien-fondé devait pouvoir prétendre à la déduction de celle-ci l'année de son versement.

Un arrêt du Tribunal fédéral rendu en 2007 retenait par ailleurs que le paiement des contributions d'entretien, même s'il était différé, échappait à la règle générale de non-déductibilité des remboursements de dettes et permettait sa déduction quand bien même l'année du paiement était postérieure à celle où la dette était née. Il n'était dès lors pas nécessaire d'examiner si le paiement avait été retardé par M. A______ parce que ce dernier contestait le bien-fondé de la contribution, une planification fiscale apparaissant au demeurant peu probable en l'espèce.

16) Par acte posté le 23 décembre 2016, l'AFC-GE a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à son annulation et à la confirmation (recte : au rétablissement) de ses décisions sur réclamation du 18 janvier 2016.

L'arrêt du Tribunal fédéral cité par le TAPI n'était pas applicable en l'espèce, dans la mesure où il s'agissait d'un cas dans lequel la collectivité publique avait avancé les contributions d'entretien que le débirentier avait remboursées trois ans plus tard. Le TAPI faisait l'impasse sur les exigences liées aux principes de périodicité et d'étanchéité des exercices. Dans la présente espèce, les contributions étaient dues dès le 10 mai 2013 et n'avaient jamais été contestées. M. A______ ne se trouvait par ailleurs pas dans une situation financière difficile. Ce n'était qu'au terme d'une procédure de poursuite qu'il avait procédé au paiement. En outre, l'arrêt du Tribunal fédéral cité n'avait pas vocation à initier une pratique généralisée.

L'arrêt du TAPI risquait d'inciter les contribuables à procéder à un nouveau type de planification fiscale, en choisissant le moment opportun pour payer leur arriéré, la déduction étant désormais toujours admise. Il convenait dès lors de considérer le montant litigieux uniquement comme dette déductible de la fortune.

17) Le 4 janvier 2017, le TAPI a communiqué son dossier sans formuler d'observations.

18) Le 31 janvier 2017, M. A______ a conclu à la confirmation du jugement attaqué.

L'interprétation faite par l'AFC-GE ne tenait pas compte du principe fiscal fondamental voulant que le bénéficiaire de la pension alimentaire soit taxé sur le montant reçu, alors que le débirentier pouvait déduire la somme de son revenu.

Le soupçon de planification fiscale était infondé, le paiement tardif résultant uniquement des circonstances de son divorce, qui avait été très houleux. Il avait contesté non le principe, mais la quotité de la pension alimentaire due à son ex-épouse, et ne pouvait pas payer l'intégralité de la pension avant que la maison familiale ne fût vendue, ce qui avait pris du temps. Pour payer les pensions en retard, il avait dû emprunter de l'argent à son père, et vendre sa montre et sa voiture. Il fournissait en annexe le contrat de prêt avec son père et le contrat de vente de sa voiture.

Enfin, il lui aurait été difficile (recte : impossible) de déduire fiscalement le montant de la pension alimentaire en 2013 alors qu'il n'avait pas encore été payé.

19) Le 9 février 2017, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 3 mars 2017 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

20) Le 3 mars 2017, l'AFC-GE a persisté dans ses conclusions.

21) M. A______ ne s'est quant à lui pas manifesté.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 145 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).

2) Les questions de droit matériel sont résolues en fonction du droit en vigueur lors des périodes fiscales litigieuses (arrêts du Tribunal fédéral 2C_835/2012 du 1er avril 2013 consid. 8 ; 2A.568/1998 du 31 janvier 2000 ; ATA/1154/2017 du 2 août 2017 consid. 2 ; ATA/780/2013 du 26 novembre 2013 consid. 2 et les références citées).

L’imposition concerne l’exercice fiscal 2014. Sont ainsi applicables : en matière d’IFD, les dispositions de la LIFD, et en matière d’ICC, celles de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) et de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08).

3) L'AFC-GE reproche au TAPI d'avoir admis en déduction pour l'exercice 2014 un montant de CHF 66'786.65 versé en date du 16 mai 2014 à titre d'arriéré de contribution d'entretien pour les années 2011 à 2013.

4) a. La déduction pour contribution à l'entretien de son ex-conjoint ou de ses enfants mineurs est réglée de manière identique pour l'IFD et pour l'ICC, ce qui autorise la chambre de céans à trancher la question au moyen d'un seul et même arrêt (ATF 135 II 260 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_87/2016 du 19 août 2016 consid. 1).

b. Ainsi, selon l'art. 33 al. 1 let. c LIFD, est déduite du revenu la pension alimentaire versée au conjoint divorcé, séparé judiciairement ou de fait, ainsi que les contributions d'entretien versées à l'un des parents pour les enfants sur lesquels il a l'autorité parentale. L'art. 34 let. a LIFD exclut quant à lui la possibilité de déduire les frais d'entretien du contribuable et de sa famille, y compris les dépenses privées résultant de sa situation professionnelle.

c. Selon l'art. 9 al. 2 let. c LHID, fait partie des déductions générales la pension alimentaire versée au conjoint divorcé, séparé judiciairement ou de fait, ainsi que les contributions d'entretien versées à l'un des parents pour les enfants sur lesquels il a l'autorité parentale. L'art. 33 LIPP prévoit quant à lui également que sont déduites du revenu la pension alimentaire versée au conjoint divorcé, séparé judiciairement ou de fait, ainsi que les contributions d'entretien versées à l'un des parents pour les enfants sur lesquels il a l'autorité parentale.

5) a. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il découle de ces dispositions que, aussi longtemps que la famille du contribuable forme une unité économique, le montant de la contribution de ses membres au revenu global n'est en principe pas fiscalement pertinent. En dehors de l'hypothèse visée par l'art. 33 al. 1 let. c LIFD, les frais servant à l'entretien du contribuable et de sa famille, alors qu'ils vivent en communauté, ne sont pas déductibles. En revanche, une fois la famille séparée, la pension alimentaire obtenue par le contribuable divorcé ou séparé judiciairement ou de fait, ainsi que les contributions d'entretien versées pour les enfants sur lesquels il exerce l'autorité parentale, sont imposables dans son chapitre fiscal (art. 23 let. f LIFD), tandis que ces mêmes montants peuvent être déduits par le contribuable qui les verse (art. 33 al. 1 let. c LIFD par renvoi de l'art. 212 al. 3 LIFD, applicable à la période fiscale 2012 en vertu des art. 41 et 208 LIFD ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_87/2016 précité consid. 5.2.1). Il s'agit là du principe dit de correspondance ou de congruence.

b. Par ailleurs, les contributions d'entretien versées sous forme de capital ne sont pas déductibles, pas plus du reste qu'elles ne sont imposées (sur le revenu) chez le bénéficiaire (arrêt du Tribunal fédéral 2A.146/1997 du 29 janvier 1999, in RF 1999 408).

c. Bien qu'en principe les déductions admises par la loi fassent l'objet d'une interprétation restrictive de leur nature et de leur étendue vu leur caractère d'exception (ATA/958/2014 du 2 décembre 2014 consid. 14b ; ATA/668/2014 du 26 août 2014 consid. 3 ; ATA/132/2009 du 17 mars 2009 consid. 5 ; ATA/380/2005 du 24 avril 2005 consid. 3a), le Tribunal fédéral ne s'est jamais montré extrêmement restrictif en matière de déduction des contributions d'entretien, admettant notamment à ce titre les contributions dites indirectes, c'est-à-dire payées en nature, par exemple sous forme d'écolage ou de paiement total ou partiel du loyer ou de primes d'assurance du crédirentier (arrêts du Tribunal fédéral 2C_502/2015 du 29 février 2016 consid. 4.2 ; 2C_1008/2013 du 6 juin 2014 consid. 2.3.2).

d. En vertu des principes de l’étanchéité des exercices et de la périodicité de l’impôt, chaque exercice est considéré comme un tout autonome sans que le résultat d’un exercice puisse avoir une influence sur les suivants, et le contribuable ne saurait choisir au cours de quelle année fiscale il fait valoir les déductions autorisées (ATA/14/2015 du 6 janvier 2015 consid. 5 ; ATA/959/2014 du 2 décembre 2014 consid. 12b ; ATA/268/2011 du 3 mai 2011 consid. 8). Les déductions doivent être demandées dans la déclaration d'impôts de l'année au cours de laquelle les faits justifiant l'octroi des déductions se sont produits (ATA/547/2012 du 21 août 2012 consid. 6) ; plus généralement, les deux principes précités impliquent que tous les revenus effectivement réalisés, ainsi que tous les frais engagés durant la période fiscale en cause sont déterminants pour la taxation de cette période (arrêt du Tribunal fédéral 2C_87/2015 du 23 octobre 2015 consid. 8.1.2 et les références citées).

6) a. Le droit pénal prévoit que celui qui n'aura pas fourni les aliments ou les subsides qu'il doit en vertu du droit de la famille, quoiqu'il en eût les moyens ou pût les avoir, sera, sur plainte, puni d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (art. 217 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0). La jurisprudence et la doctrine retiennent que le débiteur viole aussi son obligation s'il s'acquitte de la contribution avec retard (arrêts du Tribunal fédéral 6B_72/2011 du 19 juillet 2011 consid. 3.7 ; 6B_205/2010 du 8 avril 2010 consid. 7.1 ; 6S.248/2004 du 28 octobre 2004 consid. 3.1 ; 6S.208/2004 du 19 juillet 2004 consid. 2.1 ; Marcel Alexander NIGGLI/Hans WIPRÄCHTIGER, Strafrecht II – Basler Kommentar, 3ème éd., 2013, n. 4 ad art. 217 CP), quand bien même un retard minime dans le paiement des contributions – généralement exigibles, comme en l'espèce, dès avant le début du mois courant – peut permettre l'application de l'art. 52 CP (Alain MACALUSO/Laurent MOREILLON/Nicolas QUELOZ [éd.], Code pénal II – Commentaire romand, 2017, n. 10 ad art. 217 CP ; Michel DUPUIS et al., Code pénal – Petit commentaire, 2012, n. 14 ad art. 217 CP).

b. Le principe de la bonne foi, garanti par les art. 9 et 5 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), interdit à chacun d’abuser de ses droits. Compris dans cette perspective, il impose aux justiciables et aux parties à une procédure l’obligation d’exercer leurs droits dans un esprit de loyauté. L’interdiction de l’abus de droit représente un correctif qui intervient dans l’exercice des droits (Andreas AUER/ Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. 2, 3ème éd., 2013, n. 1183). L’abus de droit consiste à utiliser une institution juridique à des fins étrangères au but même de la disposition légale qui la consacre, de telle sorte que l’écart entre le droit exercé et l’intérêt qu’il est censé protéger s’avère manifeste (Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, op. cit., n. 1184 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, 2012, vol. 1, 3ème éd., n. 6.4.4 p. 933 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, n. 583). L’interdiction de l’abus de droit vaut, tout comme la notion de fraude à la loi qui en constitue une composante, en droit administratif (ATF 142 II 206 consid. 2.3), et ce tant pour les administrés que pour l’administration (ATA/1043/2016 du 13 décembre 2016 consid. 2b ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 584).

7) a. Malgré la prédominance du principe de correspondance en matière de déduction des contributions d'entretien, certaines ruptures de ce dernier sont néanmoins admises par la jurisprudence et la doctrine ; il en va notamment ainsi lorsque le crédirentier habite l'étranger et que la pension touchée ne sera donc pas imposable en Suisse (Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH [éd.], Bundesgesetz über die direkte Bundessteuer [DBG] – Basler Kommentar, 3ème éd., 2017). De plus, le principe de correspondance ne vaut que d'un point de vue quantitatif, et non temporel (Peter LOCHER, Kommentar zum DBG, vol. I, 2001, n. 39 ad art. 33 LIFD). Cela signifie que des décalages dans le temps entre la déduction chez le débirentier et l'imposition chez le crédirentier – ou vice versa – sont possibles (Daniel DE VRIES REILINGH, Les conséquences fiscales en cas de séparation et de divorce : mode d'emploi pour le praticien, PJA 2010 267 ss, p. 279), l'imposition et la déduction ne devant pas impérativement avoir lieu pendant la même période fiscale (Yves NOËL/Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Impôt fédéral direct – Commentaire romand, 2ème éd., 2017, n. 25 ad art. 33 LIFD ; Hugo CASANOVA, Recht und Unrecht der Familienbesteuerung, RDS 2010 I 187-215, p. 202).

b. Dans un arrêt de 2004, le Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si l'art. 33 al. 1 let. c LIFD impliquait que les pensions dues durant la période de calcul devaient avoir été payées durant cette période pour être prises en compte, ou si un montant acquitté pendant une période postérieure était également déductible (arrêt du Tribunal fédéral 2A.541/2003 du 24 août 2004 consid. 7.1 et 7.2).

En revanche, dans un arrêt de 2007 sur lequel le TAPI fonde son raisonnement juridique, le Tribunal fédéral a considéré que les contributions d'entretien avancées par la collectivité devaient être traitées, sur un plan fiscal, de la même manière que les contributions versées de manière ordinaire, à savoir que les paiements correspondant à des rentes étaient déductibles chez le débirentier et imposables chez le crédirentier, tandis que les paiements en capital n'étaient ni déductibles ni imposables (arrêt du Tribunal fédéral 2A.613/2005 du 20 février 2007 consid. 3.3). Dans le cas d'espèce, les rentes avaient été avancées par la collectivité publique en 1999 et 2000, et le débirentier avait remboursé un montant (correspondant à la contribution d'août 2000) en 2003. Selon le Tribunal fédéral, quand bien même l'imposition et la déduction des contributions d'entretien n'avaient pas eu lieu lors de la même période fiscale, le montant payé par le débirentier, qui correspondait à une contribution périodique due trois ans auparavant, pouvait néanmoins se voir déduite de ses revenus l'année où le paiement avait été effectué (ibid., consid. 3.4).

c. La doctrine majoritaire considère, de manière encore plus précise, que tant la déduction chez le débiteur de la pension que l'imposition chez le créancier doivent avoir lieu non au moment de l'exigibilité du montant, mais à celui de son paiement effectif (Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH [éd.], op. cit., n. 31 ad art. 23 LIFD et n. 21h ad art. 33 LIFD ; Peter LOCHER, op. cit., n. 61 et 70 ad art. 23 LIFD). De plus, en cas de paiement de plusieurs contributions périodiques en une seule fois en vue de rattraper un retard de paiement, il ne s'agit pas d'un versement en capital mais bien du versement – imposable – de prestations sous forme de rente (Martin ZWEIFEL/Michael BEUSCH [éd.], Steuer harmonisierungsgesetz – Basler Kommentar, 3ème éd., 2017, n. 39 ad art. 9 LHID ; Felix RICHNER et al., Handkommentar zum DBG, 3ème éd., 2016, § 31 n. 56 ; Peter LOCHER, op. cit., n. 71 ad art. 23 LIFD et n. 42 ad art. 33 LIFD).

8) a. S'agissant de la jurisprudence cantonale, dans un arrêt rendu en 2006, l'ancien Tribunal administratif, dont les compétences ont été reprises en 2011 par la chambre de céans, a renvoyé à l'un de ses arrêts de 1995 (ATA/534/1995 du 10 octobre 1995), en précisant que le recourant n'avait pas contesté ce point ; il n'en a pas moins admis le recours de ce dernier pour des motifs liés à une reformatio in pejus irrégulière (ATA/70/2006 du 7 février 2006 consid. 3).

b. L'ATA/534/1995 précité a été rendu alors que la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre l887 (LCP - D 3 05) régissait encore entièrement l'ICC, la LHID n'ayant pas acquis à cette époque force obligatoire directe pour les cantons en vertu de ses dispositions transitoires (art. 72 LHID). Dans cet arrêt, le Tribunal administratif a considéré que ni l'interprétation historique, ni l'interprétation systématique ne permettaient d'inférer de l'art. 21 let. f de l’ancienne loi sur les contributions publiques (aLCP) – qui prévoyait la déductibilité des contributions d'entretien – une quelconque restriction à la déduction des pensions alimentaires payées durant l'exercice déterminant ; en revanche, selon une interprétation téléologique de la LCP, celle-ci avait clairement pour but de combattre les évasions fiscales abusives, dont faisait partie la planification fiscale, laquelle permettrait au contribuable de décider lors de quelle période fiscale il entendait déduire la pension alimentaire dont il est débiteur. Dans cette mesure, les rentes et pensions qui n'étaient pas payées dans l'année au cours de laquelle elles étaient dues n'étaient en principe pas déductibles ; il convenait toutefois d'admettre l'existence de cas particuliers dans lesquels une planification fiscale pouvait être certainement exclue, et le contribuable qui prouvait notamment avoir retardé le paiement de la pension qu'il devait car il en contestait le bien-fondé devait pouvoir prétendre à la déduction de ladite pension de son revenu réalisé pendant l'année du ou des versements (ATA/534/1995 précité consid. 9 et 11).

9) L'arrêt du Tribunal fédéral 2A.613/2005 sur lequel se fonde le TAPI, et qui est largement cité par la doctrine, retient qu'un montant versé à titre de contribution d'entretien n'a pas besoin de l'avoir été au cours de la période à laquelle il était dû pour être déductible ; ce constat ne se limite du reste pas aux cas dans lesquels le montant est avancé par la collectivité publique, dès lors que le Tribunal fédéral indique expressément qu'il n'y a pas de différence entre cette hypothèse et le paiement standard des contributions périodiques.

Cette position confirme en outre en grande partie celle de la doctrine dominante, selon laquelle tant la déduction que l'imposition de la pension alimentaire ou de la contribution d'entretien doivent avoir lieu non au moment de l'exigibilité du montant, mais à celui de son paiement effectif. Ce dernier point de vue ne pose pas de problème vis-à-vis des principes de la concordance et de la périodicité ou de l'étanchéité des exercices, puisque même versé avec retard, le montant sera déductible chez le débirentier et imposable chez le crédirentier – qui plus est, lorsqu'il n'y a pas eu versement d'avances, la même année, soit celle où le versement a eu lieu et pas une autre.

Quant à la crainte de la planification fiscale, que développe la recourante dans ses écritures et qui est à la base de la jurisprudence cantonale sur la question, le fait que tout retard dans le paiement des contributions périodiques puisse entraîner une sanction pénale constitue déjà un frein puissant à l'immense majorité des velléités de planification fiscale, d'autant que même si la violation d'une obligation d'entretien n'est punissable que sur plainte, la contribution est généralement indispensable à l'entretien courant de l'ex-conjoint ou de ses enfants, si bien que l'on ne saurait prévoir que beaucoup de bénéficiaires acquiescent aux souhaits éventuels de paiement différé à des fins de planification fiscale – dont ils ne profiteront du reste en principe pas. Par ailleurs, on ne saurait dire que la déductibilité du paiement arriéré devrait être acceptée dans tous les cas, dès lors que l'abus de droit peut être opposé à un contribuable qui paierait ses contributions de manière différée avec l'accord du crédirentier dans un but prédominant de planification fiscale, par exemple en groupant ses paiements sur une seule année au lieu de deux ou trois ; ou encore, alors qu’il ne conteste que la quotité de la pension et dispose de la somme correspondante, attendrait l’issue du litige pour la verser. Les institutions juridiques existantes sont donc à même de minimiser le risque de planification fiscale dans ce domaine, bien plus sûrement d'ailleurs que dans le champ d'application d'autres déductions autorisées telles que, par exemple, l'entretien des immeubles.

Enfin, retenir l'approche restrictive défendue par la recourante, approche qui ne trouve aucune assise ni dans le texte légal ni dans les principes fiscaux susmentionnés, entraînerait des conséquences indésirables : ainsi, le débirentier qui s'acquitterait de la contribution de janvier non le 31 décembre mais le 2 janvier ne pourrait-il plus la déduire de son revenu.

Il convient dès lors de renverser l'approche suivie jusqu'ici par la jurisprudence cantonale, en ce sens que le paiement différé d'une contribution d'entretien périodique est en principe déductible l'année où il a été effectué, à moins qu'il ne découle des circonstances d'espèce que le débirentier commet ce faisant un abus de droit, notamment en mettant ainsi en œuvre une planification fiscale à son avantage.

10) En l'espèce, un tel but peut clairement être exclu au vu du dossier, tant au regard de l'historique de la fixation de la contribution d'entretien que des explications – crédibles – de M. A______ au sujet des circonstances du paiement différé de celle-ci.

11) Au vu de ce qui précède, le recours, infondé, sera rejeté.

12) Bien que la recourante succombe, aucun émolument ne sera mis à sa charge dans la mesure où elle défendait ses propres décisions (art. 87 al. 1 2ème phr. LPA). Il ne sera pas non plus alloué d'indemnité de procédure, M. A______ n'y ayant pas conclu et n'invoquant pas avoir exposé de frais particuliers pour la défense de ses intérêts, et n'étant du reste plus représenté depuis le début de la présente instance (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 décembre 2016 par l'administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 novembre 2016 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale, à Monsieur A______, à l'administration fédérale des contributions, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Junod, présidente, MM. Thélin, Pagan et Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :