Aller au contenu principal

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/4180/2014

ACPR/586/2015 (3) du 02.11.2015 ( MP ) , REJETE

*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : COMPÉTENCE; ASSOCIATION PROFESSIONNELLE; AVOCAT
Normes : CPP.61; CPP.127; LLCA.12

 

 

R E P U B L I Q U E E T C A N T O N D E G E N E V E P O U V O I R J U D I C I A I R E

P/4180/2014 ACPR/586/2015

 

 

COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du lundi 2 novembre 2015

 

 

 

Entre

 

A , domicilié , (VS), comparant par Me Yannis SAKKAS, avocat, SAKKAS

& LOCHER, rue de la Poste 7, case postale 935, 1920 Martigny,

 

recourant, contre la décision rendue le 17 juin 2015 par le Ministère public,

et

 

B , domicilié , Genève, comparant par Me Gérald PAGE, avocat, Grand-Rue

23, 1204 Genève,

 

C , domicilié , (GE), comparant par Me K______, avocate, rue

Pierre-Fatio 8, 1204 Genève,

 

D , domicilié , (FR), comparant par Me Christian LUSCHER, avocat, CMS

von Erlach Poncet SA, rue Bovy-Lysberg 2, case postale 5824, 1211 Genève 11,

 

E , ayant son siège , Genève, comparant par Me G , avocat, Genève,

 

F , ayant son siège , Genève, comparant par Me Laurent BAERISWYL, avocat, LHA Avocats, rue du Rhône 100, case postale 3403, 1211 Genève 3,

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,

1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

 

intimés.


 

EN FAIT:

 

 

A. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le lundi 29 juin 2015, A recourt contre la décision du Ministère public du 17 juin 2015, notifiée en audience le même jour, dans la cause P/4180/2014, qui a refusé d'admettre sa compétence pour statuer sur une incapacité de postuler de Me G , subsidiairement qui a admis la capacité de postuler de ce conseil.

 

 

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à la constatation de l'incapacité de postuler de Me G et, subsidiairement, au renvoi de la procédure au Ministère public pour nouvelle décision.

 

 

B. Les faits pertinents pour l'issue du litige sont les suivants :

 

 

A , actif dans le domaine du vin, est concerné par plusieurs procédures, civiles, pénales et déontologiques, dont certaines sont évoquées très succinctement ci-après, dans la mesure strictement nécessaire.

 

 

a. P/4180/2014

 

 

a.a. Le 7 mars 2014, E et F ont chacun déposé plainte pénale contre inconnu pour tentative de soustraction de données (art. 143 CP), voire tentative d'accès indu à un système informatique (art. 143bis CP), exposant que H , alors journaliste à E , et I , journaliste correspondante du quotidien

F , avaient été l'objet d'une tentative d'attaque informatique. Tous deux


avaient travaillé sur des sujets consacrés aux activités de A

développements judiciaires.


et à leurs


 

 

a.b. Un rapport de police du 28 avril 2014 mentionne des écoutes téléphoniques portant sur un numéro appartenant à C , détective privé, entre le 27 novembre

2013 et le 27 février 2014, qui auraient mis en évidence des conversations entre et/ou

concernant, en plus de son titulaire, H , A , D - fonctionnaire


du Service de renseignement de la Confédération - et B

activités dans la sécurité informatique -.


- connu pour ses


 

 

a.c. A , C , B et D ont été mis en prévention le 12 juin


2014 en lien avec les faits dénoncés par E

séparément le même jour par le Ministère public.


et F


et entendus


 

 

a.d. H n'apparaît pas en qualité de partie dans cette procédure, mais doit être entendu en tant que témoin.


 

a.e. Après une confrontation générale et le tri des écoutes téléphoniques, le Ministère public a indiqué aux parties, le 14 janvier 2015, quel raccordement avait été écouté et pendant quelle durée, et quelles écoutes étaient versées au dossier.

 

 

a.f. Déférant à une demande des parties, le Ministère public leur a communiqué, le

16 janvier 2015, les documents permettant d'analyser la légalité des contrôles téléphoniques effectués. Cet envoi n'a engendré aucune réaction de leur part.

 

 

a.g. Le 21 avril 2015, le Ministère public a, notamment, interdit aux parties à la procédure de produire, mentionner ou utiliser, de quelque manière que ce soit, les pièces obtenues par le biais de la présente procédure pénale, dans le cadre de toute

autre procédure en Suisse et à l'étranger. A , Me Yannis SAKKAS, son


conseil, et B


ont recouru contre cette décision. Par arrêt du 28 août 2015


(ACPR/466/2015), cette interdiction a été levée.

 

 


a.h.Dans cette procédure, la E

témoin, n'a pas désigné d'avocat.

 

 

b. P/1______/2014


a comparu par Me G . H ,


 

 

Cette procédure a été ouverte suite à la plainte déposée par A , le 12 juillet


2014, contre H


et C , notamment du chef d'abus de confiance. Son


instruction est conduite via la P/4180/2014, dans laquelle les écoutes du raccordement téléphonique de C ont été entendues, de sorte que les parties à la P/1______/2014 ont accès à la P/4180/2014.

 

 


Il n'apparaît pas que Me G

procédure.

 

 

c. P/2______/2015


soit constitué pour quiconque dans cette


 

 

c.a. Le 26 mars 2015, H , assisté de Me G , a déposé plainte pénale contre A et J du chef de tentative de contrainte au sens des art. 22 et

181 CP.

 

 

Il exposait s'être intéressé, en tant qu'employé de la E , à l'élaboration d'un reportage portant sur "l'affaire A ", diffusé le 6 décembre 2013, mentionnant diverses procédures ouvertes contre ledit A et/ou J pour fraude fiscale,

falsification de marchandises, escroquerie et faux dans les titres.

 

 


Suite à cette diffusion, A


et J


avaient intenté des procédures à


l'encontre de la E et de H , leur faisant notamment notifier à chacun des commandements de payer à hauteur de CHF 30'000'000.-, le 11 décembre 2014,


 

dont la cause était ainsi systématiquement décrite : "Prétentions en dommages et intérêts, tort moral et gain manqué pour atteinte à la personnalité, concurrence déloyale et acte illicite sur la base ou en rapport avec les articles de presse et/ou reportages vidéo et/ou audio concernant directement ou indirectement J publiés et/ou diffusés le 6 décembre 2013".

 

 

H évoquait aussi la tentative de hacking de mars 2014 visant des ordinateurs de journalistes, dont le sien, instruite dans la P/4180/2014, et reprochait à A d'avoir tenté de le contraindre à garder le silence sur l'affaire le concernant, alors qu'il détiendrait encore des informations, en lui faisant notifier les commandements de payer susvisés.

 

 

c.b. Une ordonnance de non-entrée en matière a été rendue par le Ministère public, le

3 juin 2015 et, dans le cadre de la procédure de recours entreprise, Me Nicola

MEIER a succédé à Me G à la défense de H , le 7 juillet 2015.

 

 

d. Procédures déontologiques

 

 

A a saisi le Conseil suisse de la presse de diverses plaintes en décembre 2014 et en février 2015. Il est affirmé, sans être sérieusement contesté, que Me G______ serait constitué pour E , voire pour H _, dans le cadre de ces procédures.

 

 

e. Procédure de poursuite et requête en incapacité de postulation dans la

P/4180/2014

 

 

e.a. Le Ministère public a convoqué les parties pour le 17 juin 2015, afin de les confronter au sujet des écoutes téléphoniques.

 

 

e.b. En raison d'un commandement de payer la somme de CHF 8'000'000.- notifié


par B


à H _ le 15 juin 2015, Me G a interpellé le conseil du


premier nommé le lendemain pour lui demander de retirer cet acte de poursuite. Par fax du même jour à 10h59, son conseil a demandé à Me G en quelle qualité il intervenait. Sitôt après, à 11h56, Me G a confirmé au conseil de B qu'il l'avait approché le matin même en qualité d'avocat de H ; le "concerne"

mentionne E contre B , sans numéro de procédure.

 

 


e.c.Le 16 juin 2015 à 16h20, le conseil de B_


a, notamment, demandé le


report de l'audience du lendemain, reprochant à Me G d'être constitué tant pour E que pour H .

 

 

e.d. Le 16 juin 2015 à 17h05, le conseil de A a fait savoir au Ministère public qu'il ne voyait aucune objection à ce que l'audience du lendemain soit renvoyée, adhérant aux remarques du conseil de B .


 

e.e. Toujours le 16 juin 2015, à 18h07, le conseil de D


a aussi sollicité le


report de l'audience du lendemain, en raison du conflit d'intérêts qui avait été porté à la connaissance du Ministère public.

 

 

e.f. A l'ouverture de l'audience le 17 juin 2015, le conseil de B a demandé au Procureur de statuer sur le conflit d'intérêts de Me G , lequel s'est exprimé en ces termes : "Je n'agis pas au civil pour H , je ne le représente pas dans les procédures pénales, à savoir celle-ci et celle dirigée contre lui sur plainte de

A pour escroquerie. J'ai exclusivement été constitué à la défense des intérêts


de H


dans une procédure pénale ouverte sur plainte de celui-ci contre


A du chef de tentative de contrainte, dans le cadre des commandements de payer notifiés par A et J , pour CHF 30'000'000.- chacun. Cela a été fait à la demande de ma cliente E , qui estime qu'elle a un devoir de

protection vis-à-vis d'un journaliste exposé à des poursuites du fait de son activité


d'employé de E ". Le conseil de B


a répondu qu'il voyait un conflit


d'intérêts dans le fait que Me G avait écrit devant l'autorité de recours appelée à statuer sur l'ordonnance de non entrée en matière que "Le travail journalistique de H était irréprochable" ce qui, selon lui, démontrait qu'il était bien le conseil dudit H .

 

 

Le représentant de E , présent à l'audience, a déclaré qu'il adhérait aux conclusions de son conseil, que les questions de déontologie n'avaient pas leur place devant l'autorité pénale et qu'il soutenait pleinement le travail de son ancien collaborateur.

 

 

C. a. C'est sur ces entrefaites que la décision querellée a été rendue. Le Procureur a considéré, par une mention au procès-verbal, qu'il n'existait pas de conflit d'intérêts puisque Me G n'était pas constitué, ni n'avait jamais manifesté la volonté de l'être, pour la défense des intérêts de H , dans la présente procédure. La requête était écartée, d'une part, en raison de son irrecevabilité, la compétence d'une telle décision revenant en droit genevois au Bâtonnier de l'Ordre des avocats (recte : à la Commission du barreau) et, subsidiairement, au fond, car il n'y avait pas de conflit d'intérêts. L'inscription faite au procès-verbal d'audience de ces motifs valait

notification de la décision.

 

 


b.Interpellé par le conseil de A


le 29 juin 2015, le Procureur a répondu


immédiatement que l'annotation figurant au procès-verbal du 17 juin 2015 était bien une décision, conformément à ce qui avait été convenu en dite audience avec plusieurs des avocats présents, et nonobstant l'absence de mention des voies de recours, connues des personnes présentes, ajoutant "j'ai exprimé ma position "sur le siège" plutôt que par écrit, après l'audience et en tenant compte de vos observations annoncées".


 

D. a. A l'appui de son recours, A


conteste qu'il ne revienne pas au Procureur de


statuer sur une requête d'incapacité de postuler et, au fond, considère qu'un conflit


d'intérêts concret existe en l'occurrence, Me G


ne pouvant défendre


loyalement à la fois la E et H , leurs intérêts étant appelés à diverger. Pour ce motif, ledit avocat ne pouvait plus représenter aucune des deux parties. Subsidiairement, le recourant se plaint de n'avoir pu présenter d'observations et des pièces à l'appui de sa requête, alors qu'il l'avait demandé lors de l'audience du 17 juin

2015, ainsi que de la brièveté de la motivation, ces deux éléments violant son droit d'être entendu.

 

 

b. Dans ses observations du 13 juillet 2015, le Ministère public opère une distinction entre conflit d'intérêts abstrait et concret, le premier relevant de la Commission du barreau et le second possiblement de la direction de la procédure. Arguant de l'absence de conflit d'intérêts concret, il s'en tient à sa décision et persiste à considérer que sa compétence n'est pas donnée en l'état. S'agissant de l'absence de conflit d'intérêts concret, il relève que E et H ont un lien contractuel et une communauté d'intérêts, ce que souligne la cause des commandements de payer qui leur ont été adressés, rédigée de manière identique.

 

 

Enfin, le Procureur invoque un abus de droit dans le fait que la problématique du conflit d'intérêts avait été soulevée pour la toute première fois par B dans un fax adressé au Ministère public le 16 juin 2015 à 16h20 alors qu'une audience était


fixée au lendemain à 9h30, et que A


avait appuyé cette demande par fax


quarante minutes plus tard. Quant à D , il s'était exprimé dans le même sens une heure après, par courriel. Et le Procureur de s'interroger sur la nature dilatoire de

cette manœuvre, contraire au principe de la bonne foi, alors que chacun savait depuis


décembre 2014, sinon juin 2014 déjà, que Me G

mandataire de E et de H .


agissait en tant que


 

 

c.a. D a, par courrier du 7 juillet 2015, appuyé le recours de A .

 

 

B en a fait de même par courrier du 15 juillet 2015, précisant que le fait que

Me G se soit départi de son mandat en faveur de H démontrait à lui seul l'existence d'un conflit d'intérêts concret. Cette mesure était toutefois


insuffisante et le conseil de E


devait se retirer, ne pouvant conserver son


devoir de fidélité envers H , dont le comportement était répréhensible, et envers E , qui devait aussi se plaindre dudit comportement.

 

 

c.b. Les conseils de F et de C s'en sont rapportés à justice.

 

 

c.c. Dans ses observations du 14 juillet 2015, E a conclu à ce que le recours soit déclaré irrecevable, voire sans objet, subsidiairement rejeté.


 

Parmi les pièces produites par E


figure une décision vaudoise rejetant un


recours de A


et de J


, à la suite d'une ordonnance de refus d'entrer en


matière rendue par le Ministère public du canton de Vaud le 28 mars 2014, cause


dans laquelle H


était représenté par Me G , ordonnance qui a été


confirmée jusqu'au Tribunal fédéral (arrêt 6B_916/2014, du 17 février 2015).

 

 

d. En date du 4 août 2015, le Chambre de céans a informé les parties qu'elles avaient eu suffisamment l'occasion de s'exprimer et leur a accordé un délai non prolongeable de 5 jours pour d'éventuelles observations.

 

 


d.a.Dans ce délai, B


a tenu à préciser qu'il avait réagi aussi vite qu'il le


pouvait l'après-midi du 16 juin 2015 à la télécopie de Me G du matin même et qu'aucun abus de droit ne pouvait lui être reproché, de sorte que le Ministère public n'était pas fondé à lui reprocher une manœuvre dilatoire constitutive d'un tel abus.

 

 

d.b. Dans ce délai également, A a insisté sur le fait que le Ministère public devait, que le conflit d'intérêts soit abstrait ou concret, admettre sa compétence, deux autorités ne pouvant subsister pour un même problème. Sur le fond, n'ayant pas eu suffisamment la possibilité de se déterminer avant que la décision ne fut prise, la violation de son droit d'être entendu devait être admise et la cause renvoyée au Procureur pour nouvelle décision. Cela était d'autant plus évident qu'il n'avait pu faire valoir ses arguments dans le délai de dix jours qu'il avait sollicité. Au-delà, il estimait, entre autres, que le dommage qu'il solliciterait après avoir obtenu gain de cause dans la présente procédure devrait inévitablement être réparti entre H et E en fonction de leurs fautes respectives, ce qui créait de toute évidence un conflit d'intérêts concret.

 

 

d.c. Les autres parties n'ont pas répliqué.

 

 

EN DROIT:

 

 

1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

 

 

1.2. La question de l'intérêt pour agir, discutable en l'espèce, peut néanmoins rester ouverte, au vu des considérations qui suivent.


 

2. Par un premier grief, le recourant estime que le Ministère public s'est déclaré à tort incompétent pour rendre la décision querellée.

 

 

2.1. Selon l'art. 61 let. a CPP, le ministère public est investi de la direction de la procédure jusqu'à la décision de classement ou la mise en accusation. La direction de la procédure ordonne les mesures nécessaires au bon déroulement et à la légalité de la procédure (art. 62 al. 1 CPP).

 

 

2.2. Celui qui, en violation des obligations énoncées à l'art. 12 LLCA, accepte ou poursuit la défense d'intérêts contradictoires doit se voir dénier par l'autorité la capacité de postuler (ATF 138 II 162, p. 167). L'autorité en charge de la procédure statue d'office et en tout temps sur la capacité de postuler d'un mandataire professionnel (arrêts 1B_98/2015 du 28 juillet 2015 destiné à la publication consid.

2.2; 1B_149/2013 du 5 septembre 2013 consid. 2.4.2 in fine).

 

 

Ces décisions récentes mettent en exergue qu'il revient à l'autorité en charge de la procédure de statuer sur la capacité de postuler.

 

 

2.3. Jusqu'à présent, la Chambre de céans avait plutôt considéré qu'il appartenait à la

Commission du barreau de statuer sur cette question.

 

 

Ainsi, les décisions rendues après l'entrée en vigueur du CPP, mais concernant les juges d'instruction, admettaient à Genève la compétence de cette Commission pour statuer sur la capacité de postuler d'un avocat en présence d'un conflit d'intérêts. Cette compétence a été ensuite reconnue pour les décisions prises par les procureurs (ACPR/74/2012 du 22 février 2012, ACPR/167/2014 du 25 mars 2014), sous certaines réserves (ACPR/503/2013 du 8 novembre 2013, à teneur duquel le Ministère public, selon l'art. 61 let. a CPP, pouvait refuser d'autoriser la présence d'un avocat à l'audience, non pas en raison de manquement aux devoirs professionnels, mais mû par la volonté de préserver des moyens de preuve et d'éviter tout risque de collusion ultérieur) et malgré l'opinion d'autres juridictions cantonales (arrêt de la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud du

10 mai 2011 consid. 2d, in JdT 2011 III p. 76) et d'une partie de la doctrine (BOHNET,

Les conflits d'intérêts en matière de défense au pénal - TF 1B_7/2009 du 16 mars

2009, in : Revue de l'avocat 5/2009, p. 267; BOHNET/MARTENET, Droit de la profession d'avocat, 2009, ch. 1145 p. 494; cf. aussi arrêt 2A.560/2004 du 1er décembre 2005 consid. 8).

 

 

Récemment, le Tribunal fédéral, à teneur de deux arrêts rendus le 29 janvier 2013 (arrêts 1B_611/2012 et 1B_613/2012), a retenu que le Ministère public (en l'occurrence du canton de Lucerne) pouvait, vu les circonstances de l'espèce (soit la défense de plusieurs coinculpés dont l'un pouvait vouloir rejeter la responsabilité sur


 

l'autre et inversement) interdire à un avocat de conseiller et défendre les deux inculpés, sans violer le droit fédéral ou conventionnel (consid. 2.4 des deux arrêts).

 

 

Enfin, la doctrine récente considère que le droit fédéral de procédure fait obstacle à l'adoption ou à l'application de règles cantonales qui éludent des règles de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit. Puisque la compétence en matière de procédure civile et pénale échoit désormais exclusivement à la Confédération, et que l'interdiction de postuler est une décision qui relève de la procédure selon la jurisprudence actuelle (ATF 138 II 162 consid. 2.5.1.), il s'agit de rendre une décision sur la base du CPP, décision qui peut être prise que par l'autorité en charge de la procédure soit, in casu, le Procureur (GRODECKI/JEANDIN, Approche critique de l'interdiction de postuler chez l'avocat aux prises avec un conflit d'intérêts, in SJ

2015 II p. 107 ss, n° X p. 127 ss, notamment 131, et les références citées).

 

 

2.4. Ainsi, l'interdiction faite à un avocat de représenter une partie vise à garantir la bonne marche du procès, notamment en s'assurant qu'aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l'une d'elles - en cas de défense multiple - respectivement en évitant qu'un mandataire puisse utiliser les connaissances d'une partie adverse, acquises lors d'un mandat antérieur, au détriment de celle-ci.

 

 

Par conséquent, la compétence du Ministère public pour statuer sur ses questions doit être admise, que le conflit soit abstrait ou concret, car il ne saurait y avoir une double compétence à ce sujet, et la décision querellée modifiée en ce sens, de même que la jurisprudence de la Chambre de céans; il doit être entré en matière sur le fond, sous réserve du respect du droit d'être entendu.

 

 

3. Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu.

 

 

3.1. Il découle notamment du droit d'être entendu, garanti par les art. 80 CPP et 29 al. 2 Cst., l'obligation pour l'autorité d'indiquer dans son prononcé les motifs qui la conduisent à sa décision, afin de donner à la personne touchée les moyens d'apprécier la portée du prononcé et de le contester efficacement, cas échéant. L'objet et la précision des indications à fournir dépendent de la nature de l'affaire et des circonstances particulières du cas; néanmoins, en règle générale, il suffit que l'autorité mentionne au moins brièvement les motifs qui l'ont guidée, sans qu'elle soit tenue de discuter de manière détaillée tous les arguments soulevés par les parties (ATF 112 Ia 107 consid. 2b; v. aussi ATF 126 I 97 consid. 2b, 125 II 369 consid. 2c,

124 II 146 consid. 2a).

 

 

3.2. En l'espèce, s'agissant du contexte, le conseil d'un des quatre prévenus a informé le Procureur qu'il formait incident au sujet de la représentation par le même avocat d'une partie plaignante et d'un témoin dans la présente procédure, tous deux impliqués à des degrés divers dans d'autres procédures connexes et représentés par


 

ledit avocat. Ces procédures sont toutes connues du recourant, qui y participe et qui ne s'est aucunement plaint de cette problématique et alors que, si elle était avérée, elle existerait depuis plus d'une année. Cela étant, les avocats des trois autres prévenus, dont le recourant, ont immédiatement conclu dans le même sens. En audience, le lendemain de l'annonce de l'incident, son auteur a demandé au Procureur de le trancher sur le siège, sans que cela ne suscite d'objections parmi ses confrères, sous réserve du conseil du recourant, qui a dit qu'il s'exprimerait par écrit. Ce nonobstant, dans un contexte connu de chaque partie, toutes représentées par avocat, la décision fut rendue immédiatement, par une mention lapidaire, mais complète et compréhensible, inscrite au procès-verbal, ce que la loi n'interdit pas (art. 80 al. 3 CPP).

 

 

Ainsi, la position des parties au regard de l'incident soulevé a été présentée par courriels, la veille de l'audience, et oralement lors de celle-ci, et rien n'indique que quiconque aurait été empêché de le faire complètement, avant que le Procureur ne rende sa décision. Chacun ayant eu l'opportunité de s'exprimer sur un problème connu, le droit d'être entendu n'a pas été violé en l'espèce et le seul fait pour le recourant d'avoir dit qu'il s'exprimerait par écrit ne lui conférait aucun droit particulier.

 

 

Au surplus, le recourant est seul à se plaindre du traitement de l'incident, alors que les autres parties, qui l'avaient soulevé avant lui, non seulement s'en sont satisfaites, mais, plus encore, avaient sollicité qu'il soit résolu ainsi par le Ministère public.

 

 

Quoi qu'il en soit, au vu de la nature du problème soulevé, et au regard des écritures échangées depuis lors, qui ont abondamment abordé le fond, un renvoi à l'autorité inférieure constituerait une vaine formalité, provoquant un allongement inutile de la procédure, incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197; 133 I 201 consid. 2.2 p. 204; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1), sans oublier que la possibilité qui a été donnée au recourant de s'exprimer sans restriction dans le cadre de la présente procédure de recours ne pourrait que conférer à une éventuelle violation du droit d'être entendu une importance nécessairement mineure, et aussitôt réparée devant la Chambre de céans, qui jouit d'un plein pouvoir de cognition en fait, en droit et en opportunité (art. 393 al. 2 CPP).

 

 

Il faut donc admettre que, sous cet angle, le droit d'être entendu du recourant a été respecté.

 

 

Enfin, la motivation de la décision paraît manifestement suffisante au regard des principes énoncés ci-dessus. On ne discerne pas en quoi la problématique évoquée nécessitait d'autres développements. En outre, les arguments mentionnés dans les


 

deux écritures sur recours démontrent que la problématique du conflit d'intérêts consiste pour chacun des participants dans l'analyse des mêmes arrêts du Tribunal fédéral. Les réquisits posés par la jurisprudence ont ainsi été pleinement respectés, l'autorité précédente ayant indiqué, brièvement, les motifs décisifs qui fondaient sa décision et le recourant ayant eu suffisamment la possibilité de s'exprimer.

 

 

4. Le recourant considère qu'il existe en l'espèce un conflit d'intérêts concret.

 

 

4.1. A teneur de l'art. 127 al. 3 CPP, un conseil juridique peut défendre dans la même procédure les intérêts de plusieurs participants à la procédure dans les limites de la loi et des règles de sa profession. La défense des prévenus étant réservée aux avocats (art. 127 al. 5 CPP), les règles à respecter en l'espèce sont celles qui ressortent de la LLCA. Il s'agit en particulier du principe énoncé à l'art. 12 let. c LLCA, qui commande à l'avocat d'éviter tout conflit entre les intérêts de son client et ceux des personnes avec lesquelles il est en relation sur le plan professionnel ou privé. Cette règle est en lien avec la clause générale de l'art. 12 let. a LLCA, selon laquelle l'avocat exerce sa profession avec soin et diligence, de même qu'avec l'obligation d'indépendance rappelée à l'art. 12 let. b LLCA (ATF 134 II 108 consid. 3 p. 109 s.). Le Tribunal fédéral a souvent rappelé que l'avocat a notamment le devoir d'éviter la double représentation, c'est-à-dire le cas où il serait amené à défendre les intérêts opposés de deux parties à la fois, car il n'est alors plus en mesure de respecter pleinement son obligation de fidélité et son devoir de diligence envers chacun de ses clients (ATF 135 II 145 consid. 9.1 p. 154 s.; arrêts 1B_376/2013 du 18 novembre

2013 consid. 3; 1B_420/2011 du 21 novembre 2011 consid. 1.2.2; 2C_688/2009 du

25 mars 2010 consid. 3.1 in SJ 2010 I p. 433).

 

 

Les règles susmentionnées visent avant tout à protéger les intérêts des clients de l'avocat, en leur garantissant une défense exempte de conflit d'intérêts (arrêt

1B_420/2011 du 21 novembre 2011 consid. 1.2.2). Elles tendent également à garantir la bonne marche du procès, notamment en s'assurant qu'aucun avocat ne soit restreint dans sa capacité de défendre l'un de ses clients - notamment en cas de défense multiple -, respectivement en évitant qu'un mandataire puisse utiliser les connaissances d'une partie adverse acquises lors d'un mandat antérieur au détriment de celle-ci (arrêt 1B_376/2013 du 18 novembre 2013 consid. 3).

 

 

Ces principes sont d'autant plus importants en matière pénale s'agissant de la défense des prévenus. En effet, en cas de représentation multiple - et même si l'avocat entend adopter une stratégie commune et plaider pour l'ensemble de ses mandants l'acquittement -, il ne peut être exclu qu'à un moment donné l'un des prévenus ne tente de reporter ou de diminuer sa propre culpabilité sur les autres (GRODECKI/JEANDIN, op. cit., p. 107 ss, n° VII p. 122 s. et les références citées). Ce qui, a contrario, démontre qu'il est plus aisé et plus courant qu'un même avocat représente plusieurs parties plaignantes, ce qui d'ailleurs souvent le cas en matière de


 

presse, le même conseil défendant l'éditeur, le rédacteur en chef et le journaliste sans que cela ne pose problème. L'analyse des règles concernant la capacité de postuler n'est donc pas identique selon qu'il s'agit de la représentation des prévenus ou des parties plaignantes.

 

4.2. En l'occurrence, le recourant émet une série d'hypothèse susceptibles d'entraîner la possible naissance d'un conflit d'intérêts en la personne du conseil de E et de H . De ce fait, il admet ainsi implicitement qu'un tel conflit n'existe pas encore et qu'il s'agit au plus d'un conflit abstrait, potentiel. En effet, selon lui, il

faudrait qu'il obtienne gain de cause dans la présente procédure, sinon dans plusieurs


autres, et que le dommage qu'il a fait valoir en adressant tant à E


qu'à


H par voie de poursuite soit admis, pour qu'ensuite seulement E

envisage de se retourner contre son ancien collaborateur, ce qui générerait alors le


conflit d'intérêts. C'est oublier que E


a d'ores et déjà écrit, et confirmé en


audience, ce dont le journaliste sera amené à se prévaloir le cas échéant, que le travail de son collaborateur était irréprochable (cf. ad e.f. ci-dessus).

 

Au surplus, en l'espèce, l'avocat a représenté, mais ne représente plus, les deux parties dans des procédures pénales différentes. Il n'a jamais représenté ces deux parties dans la même procédure. Il apparaît enfin, pour l'heure et comme l'a relevé le Procureur, que les intérêts de ces deux parties convergent. Rien ne vient donc soutenir l'existence d'un conflit concret.

 

La communauté d'intérêts existant entre les parties en cause va d'ailleurs plus dans le sens d'une représentation commune, qui paraît logique. Elle l'est également d'un point de vue économique et il est fréquent qu'un employeur prenne en charge la défense des intérêts d'un employé, ou ex-employé, lorsqu'il considère que les faits qui lui sont reprochés ont été commis dans l'exercice accompli de son travail, sans démériter, tel qu'en l'espèce. Enfin, le conseil de E______ a clairement dit qu'il cessait d'occuper pour H non pas en raison d'un conflit d'intérêts, mais en raison de l'attitude de ses confrères et afin d'éviter une inutile perte de temps. En tirer argument pour dire que ce seul fait démontrerait l'existence d'un conflit d'intérêts est fallacieux.

 

Partant, un risque concret de conflit d'intérêts n'existe pas dans cette procédure et le Ministère public n'a pas méconnu les exigences de l'art. 12 LLCA en confirmant la capacité de postuler de l'avocat de la partie plaignante dans la présente cause.

 

Ce point de l'ordonnance querellée sera par conséquent confirmé.

 

 

5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'Etat, qui comprendront un émolument de CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

 

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

 

 

 


Reçoit le recours formé par A


contre la décision rendue le 17 juin 2015 par le


Ministère public dans la procédure P/4180/2014. Le rejette.

Condamne A aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 1'000.-.

 

 

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A _ , soit pour lui son conseil, à B , soit pour lui son conseil, à C , soit pour lui son conseil, à D , soit pour lui son conseil, à E , soit pour elle son conseil, au journal F , soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

 

 

 

Siégeant:

 

 

Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juge;

Monsieur Louis PEILA, juge suppléant; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

 

 


Le greffier :

 

Julien CASEYS


Le président :

 

Christian COQUOZ


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.


 

 

P/4180/2014 ÉTAT DE FRAIS ACPR/586/2015

 

 

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale

(E 4 10.03).

 

 

Débours (art. 2)

 

- frais postaux CHF 70.00

 

Émoluments généraux (art. 4)

 

- délivrance de copies (let. a) CHF 0.00

 

- délivrance de copies (let. b) CHF 0.00

 

- état de frais (let. h) CHF 75.00

 

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

- décision sur recours (let. c) CHF 1'000.00

 

- CHF

 

 

 

Total CHF 1'145.00