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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/15569/2017

AARP/415/2018 du 21.12.2018 sur JTCO/72/2018 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : LÉSION CORPORELLE SIMPLE ; LÉSION CORPORELLE GRAVE ; LÉGITIME DÉFENSE ; FIXATION DE LA PEINE ; MESURE THÉRAPEUTIQUE INSTITUTIONNELLE ; TORT MORAL ; RESPONSABILITÉ RESTREINTE(DROIT PÉNAL)
Normes : CP.122.al2; CP.122.al3; CP.123; CP.15; CP.47; CP.19.al2; CP.56; CP.59.al3; CO.49
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15569/2017AARP/415/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 21 décembre 2018

 

Entre

A______, anciennement domicilié ______, mais actuellement détenu à la prison B______, ______, comparant par Me C______, avocate,

D______, domicilié c/o E______, rue ______, comparant par Me F______, avocat,

appelants et intimés sur autre appel,

 

contre le jugement JTCO/72/2018 rendu le 11 juin 2018 par le Tribunal correctionnel,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a.a. Par courrier du 8 juin 2018, A______ a annoncé appeler du jugement du 30 mai précédent, dont les motifs lui ont été notifiés le jour de l'annonce d'appel, aux termes duquel le Tribunal correctionnel l'a reconnu coupable de lésions corporelles graves (art. 122 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 [CP ; RS 311.0]) et l'a condamné à une peine privative de liberté de neuf mois, sous déduction de 306 jours de détention avant jugement.

Les premiers juges ont notamment :

-          ordonné que A______ soit soumis à un traitement institutionnel et suspendu l'exécution de la peine privative de liberté au profit de la mesure, à charge pour le Service de l'application des peines et mesures (SAPEM) de s'assurer de son application,

-          ordonné par prononcé séparé le maintien en détention de A______ pour des motifs de sûreté,

-          condamné A______ à payer à D______ CHF 6'000.-, avec intérêts à 5% dès le 29 juillet 2017, à titre de réparation du tort moral, CHF 3.655.65, avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 2018, à titre de réparation du dommage matériel (période du 1er novembre 2017 au 28 février 2018), ainsi que les frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 11'026.-, y compris un émolument de jugement de CHF 1'500.-.

a.b. Par la déclaration d'appel déposée devant la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), A______ conclut à sa culpabilité pour lésions corporelles simples (art. 123 CP) et au prononcé d'une peine pécuniaire, au versement de CHF 5'000.- à D______ pour tort moral, à une astreinte à un traitement ambulatoire et à la prise en charge des frais par l'Etat, la partie plaignante étant renvoyée à agir par la voie civile.

A______ conclut sur question préjudicielle au renvoi de la procédure au Tribunal correctionnel pour nouveau jugement, dans une composition différente de celle du 30 mai 2018, à ce que les premiers juges attendent l'issue de la procédure pénale portant n° P/1______/2016 avant nouveau jugement et à la prise en charge des frais d'appel par l'Etat. A titre de réquisition de preuves, l'audition de G______ est sollicitée pour les mêmes motifs que ceux déjà développés en première instance.

b.a. D______ forme appel devant la CPAR. Il conclut au versement par A______ d'un montant de CHF 10'000.- à titre d'indemnité pour tort moral, avec intérêts à 5% dès le 29 juillet 2017, et au rejet de la réquisition de preuves tendant à l'audition de G______, celle-ci étant appelée à témoigner sur les faits tirés de la P/1______/2016 dont la jonction avec la présente procédure n'a pas été opérée.

c. Le Ministère public conclut au rejet de l'appel de A______ et s'en rapporte à justice pour celui de D______. Il conclut au rejet de la réquisition de preuves pour les motifs retenus par le Tribunal correctionnel.

d. Selon l'acte d'accusation du 28 février 2018, il est reproché à A______ d'avoir, au 2______ [adresse] à H______ [GE], le 29 juillet 2017, peu après minuit, après avoir attiré sa victime pour un motif fallacieux dans le studio qu'il occupait, assené à D______ un coup de poing sur la nuque, puis, une fois celui-ci accroupi, successive-ment un coup de poing au menton et une série de coups au visage, un coup de pied à hauteur des côtes droites, puis une série de coups de pied et de poing des deux mains au flanc droit et au visage.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Le 29 juillet 2017 vers 00h15, l'intervention d'une patrouille de police a été requise à H______ pour une agression dans une chambre d'hôtel. Sur place, la victime, identifiée comme étant D______, était grièvement blessée au visage et avait de la peine à s'exprimer. Le locataire de la chambre, A______, ne se trouvait plus sur les lieux. Plusieurs taches de sang ont été relevées par la police sur le sol de la salle de bains.

La victime a été acheminée aux urgences [de l'hôpital] I______ pour y recevoir des soins.

i. De la version de D______ et des éléments d'ordre financier le concernant

b.a. Entendu oralement sur place, D______, qui exerçait la fonction de concierge, a déclaré s'être rendu dans la chambre de A______, lequel s'était plaint d'une fuite d'eau dans la salle de bains. Une fois arrivé sur place, A______ avait fermé la porte de sa chambre avant de le frapper à plusieurs reprises.

b.b. Le 7 août 2017, D______ a déposé plainte pénale.

Sous le prétexte précité, A______ lui avait demandé son aide. Le concierge lui avait répondu qu'il serait préférable qu'il s'adressât directement au propriétaire. Quelques minutes plus tard, A______ était revenu à la charge. Pour lui rendre service, D______ avait finalement décidé de l'accompagner dans la chambre qu'il occupait.

Après qu'il eut constaté l'absence de fuite d'eau, D______ avait senti un coup violent dans la nuque. Il s'était retourné vers son agresseur en lui demandant d'arrêter mais le locataire lui avait assené un coup de poing au menton, provoquant ainsi une vive douleur. Alors même qu'il cherchait à se protéger, son agresseur, plus fort que lui, avait continué à le frapper à coups de poing puis lui avait donné un coup de pied latéral dans les côtes. Il avait encore reçu une vingtaine de coups, par séries de quatre ou cinq, tandis qu'il le suppliait en vain d'arrêter. Il s'était finalement laissé tomber à terre en simulant une perte de connaissance afin que les coups cessent. Son agresseur avait immédiatement arrêté, puis quitté la chambre.

D______ avait ensuite pu appeler le propriétaire, J______.

b.c. La partie plaignante a été entendue par leMinistère public, notamment le 22 janvier 2018.

A______ lui avait indiqué avec insistance qu'il y avait de l'eau partout, bien que lui-même ait constaté que la salle de bains était sèche. Le premier coup avait été porté par derrière sur la nuque, plus précisément juste au-dessus de l'oreille. En se retournant, il avait reçu un deuxième coup sur la mâchoire, après que son agresseur l'avait accusé "de lui [avoir] mis quelque chose dans sa barbe". Il avait par la suite reçu d'autres coups de poing et des coups de pied dans les côtes, sans avoir la force de se défendre. Il était demeuré deux ou trois minutes au sol avant d'appeler son patron.

Il n'avait assené aucun coup à A______ auquel il n'avait pas parlé en arabe. A la question de savoir s'il avait dit : "J'ai pas le temps pour les carlouches", il a relevé ignorer la signification du terme "carlouche" que A______ lui reprochait d'avoir prononcé. Avant les faits, il n'avait jamais eu de problème avec le locataire précité.

b.d. Le récit des événements rapporté par D______ aux médecins urgentistes [de] I______ n'est pas différent de celui qui précède.

b.e. En première instance, la partie plaignante a dit ignorer que A______ se plaignait de vols dans sa chambre et d'actes de malveillance dans sa barbe et sur ses cheveux. Aucun échange verbal n'avait eu lieu dans la salle de bains avant le premier coup reçu. Lui-même ne l'avait pas insulté ni frappé, faute de force pour se défendre.

b.f. D______ a versé à la procédure différentes pièces relatives à sa situation financière, soit :

- quatre fiches de salaire émanant de K______ SA faisant état d'un salaire mensuel brut de CHF 4'333.33 pour les mois de septembre et octobre 2017, respectivement d'indemnités accident de CHF 113.97 par jour (janvier et février 2018) ;

- un avis du 22 janvier 2018 de K______ SA résiliant, avec effet au 28 février 2018, son contrat de travail ;

- cinq reçus justifiant le paiement de contribution d'entretien en faveur de son épouse et de ses enfants domiciliés en Espagne, de l'ordre d'un peu moins de CHF 1'000.- à chaque fois (4 juillet, 9 septembre, 4 octobre et 4 décembre 2017), auxquels s'ajoutait le paiement d'environ CHF 500.- en avril 2018.

ii. Des éléments médicaux concernant D______

c.a. Selon les photographies versées au dossier, la partie plaignante présentait à son arrivée [à] I______ d'importantes contusions au visage, plus particulièrement au niveau du front, des pommettes, du nez et des lèvres. Son visage était partiellement ensanglanté. Deux fractures mandibulaires, neuf dents fracturées ou touchées ainsi que de nombreux hématomes et tuméfactions ont été médicalement constatés. A teneur de la lettre de sortie [de] I______, D______ avait été hospitalisé du 29 juillet au 5 août 2017.

Malgré les séances de physiothérapie suivies jusqu'en décembre 2017, le lésé a expliqué en janvier 2018 qu'il n'arrivait toujours pas à ouvrir complétement la bouche et, partant, à s'alimenter normalement. Il avait dû manger des aliments mixés et faire de la rééducation. Son visage était encore gonflé. Selon ses propos tenus en audience, il était en proie à des angoisses et à des troubles de concentration, peinant à trouver ses mots, et il souffrait de maux de tête. Pour dormir et calmer ses angoisses, il prenait des médicaments dont son médecin avait dû doubler les doses. Il devait encore être opéré pour ôter les quatre plaques posées au niveau de la mâchoire.

Ce tableau n'est pas différent de celui dressé par I______ en novembre 2017 (physiothérapie tendant à récupérer la mobilité de la mâchoire sans assurance d'une issue positive, alimentation exclusivement limitée aux aliments liquides puis mous pendant six semaines, etc.).

c.b. Le 2 août 2017, D______ a subi une opération chirurgicale de réduction et d'osthéosynthèse des deux fractures mandibulaires.

Pour le médecin [de] I______, si le patient était désormais en mesure de manger presque tous les aliments, le problème persistait au niveau dentaire. Une attelle avait dû être posée pour attacher toutes les incisives et éviter que le patient n'avale ses dents. Certaines d'entre elles, mobiles ou fracturées, devaient être enlevées et remplacées par une ou plusieurs prothèses. Pour quatre dents en particulier, il était difficile de déterminer si leur état était consécutif au trauma ou à la présence de caries préexistantes.

Sur le plan physique, malgré une reprise de sa faculté de mastication et une ouverture buccale atteignant 75 à 80%, le patient n'arrivait toujours pas à se nourrir normale-ment, incapable qu'il était de pouvoir mordre dans les aliments, notamment dans de la viande. Son visage restait gonflé sur le côté gauche et les plaques posées sur la mâchoire le gênaient au niveau du menton. Deux opérations étaient prévues dans le futur, pour le retrait des plaques et le remplacement de huit dents fracturées ou touchées.

Avant les faits, D______ avait selon lui des dents saines, sinon la présence d'une ou deux petites caries sur celles du bas.

c.c. Des documents médicaux ont été versés au dossier en cours de procédure, à savoir :

- une attestation médicale du 28 mai 2018, émanant de l'Unité R______ [à] I______, selon laquelle le patient bénéficiait d'une prise en charge psychiatrique et psycho-traumatologique soutenue depuis le 21 août 2017. D'importants impacts sur sa santé physique et de nature psycho-traumatique avaient été observés qui avaient eu un effet déstructurant sur son organisation psychique. Il avait bénéficié de 34 consultations et d'un important traitement médicamenteux et psychothérapeutique ;

- deux certificats médicaux faisant état de son incapacité totale de travail jusqu'au 17 juin 2018.

iii. De la version de A______ au sujet de l'agression du 29 juillet 2017.

d.a. A______ s'est présenté le 29 juillet 2017 vers 03h30 au poste de police des L______ en déclarant être l'auteur d'une agression qui s'était déroulée dans sa chambre d'hôtel. Ne supportant plus ni d'être harcelé depuis plusieurs mois par le concierge ni de se faire couper les cheveux durant son sommeil, il lui avait assené des coups de poing.

A______ a dans un premier temps été relaxé, faute de plainte en mains de la police. Il a finalement été interpellé le même jour, vers 10h15, alors qu'il s'apprêtait à regagner sa chambre d'hôtel en tenant des propos incohérents.

d.b. A______ s'est plaint à la police que, depuis son arrivée à l'hôtel, fin octobre 2016, des personnes volaient son argent, déchiraient ses vêtements, vidaient son briquet, coupaient ses cheveux et sa barbe dans son sommeil. Il suspectait J______ et D______ d'être les auteurs de ces actes de malveillance puisqu'ils étaient les seuls à disposer d'une clé de sa chambre, quand bien même il ne les avait jamais vus agir. Il souffrait psychologiquement de cette situation et l'avait dénoncée à plusieurs reprises à la police.

Le 29 juillet 2017, le concierge se trouvait dans sa chambre en raison du fait que l'évier était bouché. A______ l'avait frappé pour se défendre, ne sachant plus que faire, dès lors qu'il lui manquait de respect et se moquait de lui.

d.c.a. Devant le Ministère public, A______ a dans un premier temps contesté avoir donné des coups, tout en persistant dans ses explications motivant la présence du lésé dans sa chambre.

Le concierge s'était énervé, l'avait traité de "sale nègre" et l'avait frappé sur le pied avec sa bottine. Lui-même s'était défendu en se protégeant sans faire usage de violence. D______ était alors tombé à terre sans qu'il ne sache comment tandis que lui-même s'était rendu au poste de police des L______ où il avait raconté ce qui s'était passé, avant de regagner sa chambre.

Il avait un problème dans le sens où il était agressé tous les soirs. On lui volait son argent et vidait son briquet. Ses habits étaient déchirés, ses cheveux coupés et des produits étaient mis dans sa barbe pour faire des trous, lesquels avaient été constatés par le Ministère public, tant sur la barbe que sur son cuir chevelu.

d.c.b. Lors de sa confrontation avec la victime, A______ a réitéré ses propos concernant le motif de la venue du concierge dans sa chambre. Il lui avait demandé pour quelles raisons il lui volait du gel douche, du tabac et une partie de l'argent qu'il recevait de l'Hospice général, et pourquoi il lui mettait du produit à épiler dans la barbe et les cheveux. Comme D______ lui avait répondu qu'il n'avait "pas le temps de parler avec des nègres", respectivement "pour les carlouches", il l'avait poussé en arrière. Le concierge lui avait assené alors un coup de bottine sur le pied, puis essayé de le frapper au visage, coup dont il était parvenu à se protéger avec sa main droite. Pour riposter, il avait à son tour donné deux ou trois coups, "des directs du droit". D______ s'était laissé glisser à terre. Constatant qu'il saignait, A______ s'était rendu à la police.

A______ a présenté des excuses à D______ qu'il a réitérées par courrier du
13 février 2018 versé à la procédure, ainsi qu'en audience.

d.d. Devant les premiers juges, A______ a expliqué avoir débuté une discussion dans sa salle de bains. Le concierge était fâché et lui avait dit qu'il n'avait "pas le temps pour les sales carlouches", ce qui l'avait conduit à lui demander de ne pas lui parler de la sorte. La réaction de D______ avait été celle déjà décrite (coup de talon avec sa bottine, tentative de coup au visage). Il s'était protégé d'une manière telle qu'il s'était blessé à la main droite. A______ avait riposté mais sans donner de coup de pied. Le concierge s'était ensuite appuyé en arrière contre le mur de la salle de bains avant de glisser au sol.

A______ n'avait jamais eu de problème avec le concierge, qui venait toutefois, tous les mois, voire tous les deux mois, la nuit dans sa chambre, afin de lui voler notamment son argent et du gel douche, de même que pour lui appliquer de la mousse dépilatoire sur la barbe et les cheveux. Il a répété ce qu'il avait déjà dit à la police au sujet de ses soupçons et des motifs qui les avait vus naître. Il n'avait pas eu de problèmes avec d'autres résidents de l'hôtel, sous réserve de ce qui s'était passé chez M______ (NdR : la procédure le concernant porte le n° P/1______/2016).

iv. Des faits d'ordre médical concernant A______

d.e. A teneur des rapports de consultation médico-infirmière à son entrée à B______ et du constat de lésions traumatiques [de] I______ du 2 août 2017, A______ présentait une tuméfaction et des douleurs de la main droite et du 5ème orteil au pied droit, ainsi que des douleurs aux côtes et au genou gauches, étant précisé qu'il souffrait d'une gonalgie chronique. Les radiographies effectuées le même jour n'avaient cependant révélé aucune fracture ou autre lésion, si ce n'est une micro-calcification en regard de l'articulation MTP du premier rayon au niveau du pied droit, sans exclusion d'un arrachement osseux.

Selon ses dires, A______ aurait été agressé verbalement et physiquement par D______, qui lui aurait assené plusieurs coups de poing et de pied au niveau du pied droit ainsi que du genou gauche et qui lui aurait en outre donné un coup de tête dans l'abdomen. Il aurait également reçu des coups sur la main droite en se protégeant le visage.

A______ présentait des troubles du comportement probablement avec un délire de persécution au premier plan, dans la mesure où il se prétendait victime d'un homme, qui n'était pas le concierge, résidant dans un garage au bas de son immeuble qui venait lui couper les cheveux ainsi que la barbe durant la nuit et boucher son lavabo.

Il s'était montré logorrhéique, en s'animant parfois et en haussant la voix, reconnaissant avoir donné, en réponse à une insulte et à un coup de pied, deux ou trois coups de poing au concierge, avec lequel il était en conflit suite à des vols récurrents et la pose de crème dépilatoire pendant la nuit sur le sommet du crâne et les joues. Selon ses dires, l'avocat ainsi que le procureur lui "[mettaient] la pression" pour qu'il se soumette à une expertise psychiatrique, qu'il refusait du fait de "l'injustice" dont il se sentait victime. Il a refusé catégoriquement et à plusieurs reprises tout soin psychologique et psychiatrique car il "[n'avait] aucun problème". Il était toutefois d'accord que les médecins aient accès à son dossier médical.

v. De l'expertise psychiatrique

d.f. A______ a fait l'objet d'une expertise psychiatrique qui a été exécutée malgré les trois refus essuyés par les experts pour le rencontrer. Le rapport d'expertise s'est ainsi basé sur les éléments du dossier médical et du dossier pénal auxquels les experts ont eu accès.

Au moment des faits, l'expertisé A______ souffrait d'une schizophrénie paranoïde, voire héboïdophrénique, de sévérité élevée. En raison de ce grave trouble mental, sa faculté de percevoir le caractère illicite de ses actes était fortement réduite. Il n'avait pas pleinement la faculté de se déterminer d'après cette appréciation, eu égard à une importante altération du contact avec la réalité, si bien que sa responsabilité était fortement restreinte.

Au vu des éléments cliniques et anamnestiques, un traitement médical dispensé en milieu institutionnel fermé, tel que N______, semblait nécessaire pour la prise en charge du trouble mental et ainsi diminuer le risque important de récidive d'actes de violence, traitement qui pouvait être ordonné même contre la volonté de l'expertisé. Le traitement institutionnel en milieu fermé était le seul moyen d'éviter que le risque de récidive ne perdure, selon la déclaration des experts devant le Ministère public.

Toujours devant cette autorité, les experts ont laissé entendre que le diagnostic différentiel entre une schizophrénie paranoïde ou héboïdophrénique était sans incidence sur le degré de responsabilité de l'expertisé, le risque de récidive et la mesure préconisée, seule la prise en charge thérapeutique concrète étant susceptible de varier. Les experts avaient été en mesure d'accomplir leur mission grâce à la précision des pièces du dossier pénal et, surtout, du dossier médical auxquels ils avaient eu accès. Le diagnostic avait pu être établi à partir de symptômes et de signes apparaissant dans les comptes rendus d'audience, le dossier médical de l'expertisé en confirmant la teneur.

A la différence clinique du psychopathe, dont le passage à l'acte apaisait la violence, l'angoisse délirante du psychotique était alimentée par la peur générée par la victime. S'il n'était pas possible de savoir ce qui permettait d'arrêter le sujet dans le déferlement de coups, l'absence de signe de vie de la victime pouvait être un des éléments susceptibles d'avoir arrêté l'action du sujet psychotique.

d.g. Devant les premiers juges, A______ a expliqué qu'il ne suivait aucun traitement médical à B______. Il contestait le diagnostic de schizophrénie paranoïde et était réfractaire à la mesure de traitement institutionnel préconisée. Il acceptait néanmoins de suivre une thérapie pour contrôler sa violence, ayant réalisé, au vu des lésions présentées par la victime, qu'il avait "tapé trop fort".

vi. Des faits antérieurs au 29 juillet 2017 concernant A______

e.a. Les diverses "mains courantes" déposées par A______ auprès de la police ont été versées au dossier :

- celle du 20 mars 2017 mentionne une plainte de A______ pour une agression, qui se serait déroulée le 17 mars 2017 entre 03h00 et 14h00, durant son sommeil, au 2______à H______. A son réveil, il aurait présenté une légère brûlure sur le visage. Lors du dépôt de plainte, A______ tenait des propos incohérents. Le constat médical effectué le 20 mars 2017 avait mis en évidence une zone de perte de pilosité au sein de la barbe de A______, au niveau de sa joue droite, faisant 4 x 2.5 centimètres, au fond de laquelle la peau présentait une éruption sous forme de quelques nodules non inflammatoires.

- la "main courante" du9 avril 2017 attestait de ce que la police était intervenue le même jour à H______, à la demande de J______. Sur place, les policiers avaient parlé avec A______, qui tenait des propos incohérents et soutenait qu'on lui avait tondu la barbe pendant son sommeil. Les policiers s'étaient par la suite entretenus avec O______ et P______, qui disposaient d'un badge permettant d'ouvrir la porte de la chambre de A______. Tous deux avaient affirmé n'y avoir jamais pénétré, ayant d'ailleurs passé la nuit à la maison.

- à teneur de la "main courante" du 24 juillet 2017, A______ s'était présenté à la police pour dénoncer les incidents nocturnes dont il était toujours la cible.

e.b. Le Ministère public a versé au dossier la procédure P/1______/2016 dirigée contre A______, lequel a dit se souvenir avoir donné une à deux gifles à son ancien logeur M______. A cette époque également, des personnes entraient dans sa chambre pour le voler et lui casser ses lunettes.

A______ a été condamné par ordonnance pénale du 26 octobre 2018 à une peine pécuniaire de 120 jours-amende à CH 10.- l'unité, pour avoir, le 1er septembre 2016, à son domicile d'alors au Q______, insulté M______, son logeur, en le traitant de "fils de pute", avoir endommagé des habits et lui avoir assené trois coups de poing sur la nuque. Son geste avait notamment eu pour conséquence un traumatisme du rachis cervico-dorsal nécessitant le port d'une minerve.

La condamnation précitée n'est pas entrée en force, car A______ a formé opposition. La procédure est désormais en mains du Tribunal de police après que la Chambre des recours eut retourné le dossier au Ministère public. L'irrecevabilité d'une demande de révision a entretemps été prononcée par la CPAR.

vii. Des déclarations des témoins

f.a. J______ a été entendu par le Ministère public.

Il avait déjà rencontré des problèmes avec A______, lequel s'était montré violent avec des locataires, notamment en en bousculant un dans la partie commune à tous les résidents, et en assenant un coup de poing à un autre, ce dont attestaient les images de vidéosurveillance de l'établissement. Deux ou trois jours après le coup de poing précité, A______ lui avait expliqué que quelqu'un lui coupait la barbe pendant son sommeil, ajoutant qu'il pensait qu'il s'agissait d'un membre du personnel disposant des clés de sa chambre. A cette occasion, A______ s'était montré verbalement agressif, si bien que J______ lui avait demandé de quitter l'hôtel. Le locataire y était toutefois revenu, son curateur témoignant de son caractère inoffensif.

f.b. La sœur de A______ a été entendue comme témoin par le Tribunal de police.

Ses enfants et elle-même entretenaient de très bonnes et étroites relations avec lui. Il gardait parfois ses deux enfants et avait participé à l'éducation de son fils aîné. Très apprécié par tout le monde, il était un frère normal, calme, respectueux, inoffensif et avait de nombreux amis. Elle ne reconnaissait pas son frère dans le diagnostic posé par les experts psychiatriques. Malgré des hauts et des bas, il avait su garder la tête froide et faire au mieux. Il éprouvait, ainsi, un sentiment d'injustice car il avait déposé des "mains courantes", cherché de l'aide et prévenu l'Hospice général pour tendre vers un apaisement des conflits entre voisins.

viii. Du jugement du Tribunal correctionnel

g.a. Les premiers juges ont rejeté les questions préjudicielles présentées par A______.

Le report d'audience dans l'attente de l'issue de la P/1______/2016 ne s'imposait notamment pas. Certes, une procédure de révision et un recours avaient été engagés mais ils n'avaient pas d'effet suspensif. En tout état, une telle demande de révision n'était pas susceptible d'avoir une incidence sur la procédure pendante, tant du point de vue de la culpabilité que de la peine éventuelle venant sanctionner le comportement du prévenu.

g.b. Pour qualifier les lésions de graves, le Tribunal s'est fondé sur leur nature (mâchoire et dents fracturées), la multiplication des opérations et interventions pratiquées, la durée de la convalescence et de l'incapacité de travail, les douleurs physiques et psychiques, les séquelles secondaires, le tout atteignant un seuil suffisant pour pouvoir être qualifiées de graves.

g.c. D______ a notamment conclu en première instance au versement de
CHF 10'000.-, avec intérêts à 5% dès 29 juillet 2017, pour le tort moral subi.
Au-delà de l'indemnité pour perte de gain requise et obtenue, il a demandé à ce que ses droits civils soient réservés pour le surplus.

Selon le Tribunal correctionnel, "sans vouloir minimiser [ses] souffrances", le montant réclamé a été tenu pour trop élevé "en regard des indemnités usuellement allouées dans de tels cas à teneur de la jurisprudence du Tribunal fédéral", ce qui l'a conduit à fixer l'indemnité à CHF 6'000.-.

C. a. La direction de la procédure de la juridiction d'appel a rejeté les questions préjudicielles présentées par A______ sous couvert de l'argumentation suivante :

" […] G______ ne saurait témoigner sur un complexe de faits où elle n'était pas présente. […] Son témoignage relatif à la manière dont l'appelant A______ se [comportait] avec ses compagnes n'[était] guère relevant, la victime des faits de violence du prévenu étant un homme qu'il ne tenait pas pour un proche. […]

- aucune explication n'[était] avancée pour un renvoi de la procédure devant le Tribunal correctionnel, dont on [voyait] mal en quoi sa composition poserait un problème qui justifierait une telle démarche ;

- la P/1______/2016 [était] en cours d'instruction après que la Chambre de recours de la Cour de justice [avait] retourné le dossier au Ministère public ; une audience de confrontation [avait] eu lieu le 10 septembre 2018 ; rien ne [permettait] de prévoir une issue de la procédure à court ou moyen terme ; si la P/1______/2016 [arrivait] à son terme après la présente procédure et que A______ y [était] reconnu coupable, rien [n'empêchait] juridiquement le Tribunal du fond de faire application de l'art. 49 al. 2 CP, sans préjudice aucun pour l'appelant".

b. Par ordonnance présidentielle du 20 septembre 2018, les parties ont été citées aux débats d'appel qui ont duré trois heures.

c. Dans un courrier du 1er octobre 2018, le conseil de A______ s'est plaint auprès de la CPAR de la détention de son mandant en violation de diverses dispositions procédurales et de l'art. 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), dans la mesure où il était détenu dans un établissement non approprié en tout cas depuis le 30 avril 2018.

A______ conclut à son indemnisation par l'Etat de Genève par CHF 200.- pour chaque jour dépassant la peine qui sera prononcée, avec intérêts à 5% dès le premier jour de détention illicite.

d. Des procès-verbaux d'audiences tirés de la P/1______/2016 qui se sont tenues en août et septembre 2018 ont été produits par A______.

d.a. A______ y exprimait des regrets, tout en contestant la qualification de lésions corporelles retenues par le Ministère public. A ses yeux, il s'agissait d'une bousculade mutuelle. M______ ne partageait pas cette appréciation, dès lors qu'il s'agissait bien à ses yeux d'une agression qui l'avait contraint à subir une opération à l'épaule.

d.b. La témoin G______ a été entendue le 10 septembre 2018. Elle s'est expliquée sur les faits dont avait été victime M______. Elle n'en avait qu'un vague souvenir.

Un avis d'audience pour le 17 octobre 2018 a été joint aux pièces produites par le conseil de A______ dans son bordereau de pièces relatif à la P/1______/2016.

e.       Des débats d'appel

i.        De l'appel de A______

Sur question préjudicielle

e.a. Au début de l'audience d'appel, A______ est revenu sur les réquisitions de preuves soulevées en vain devant la direction de la procédure.

Le renvoi au Tribunal correctionnel s'imposait car l'autorité de jugement avait retenu à tort à la charge de l'appelant un antécédent spécifique datant de 2016 pour la fixation de la peine. Or, la condamnation y relative n'était pas en force à ce jour. La question était d'importance dès lors que les experts en avaient tenu compte dans l'appréciation de la mesure à ordonner en mettant en évidence les comportements violents de l'appelant (au pluriel). Il convenait en tout état d'attendre l'issue de la P/1______/2016 avant de juger l'appelant dans la présente procédure.

e.b. Pour le Ministère public, il était faux de prétendre que les antécédents spécifiques avaient joué le rôle décrit. Les premiers juges s'étaient fondés sur différents arguments pour conclure à une absence de pronostic favorable, ce qui avait conduit au refus du sursis. L'affaire de 2016 n'était qu'un des éléments d'appréciation pour décider de la mesure de l'art. 59 CP, mais de loin pas le seul. Il y avait eu notamment la prise en compte de la gifle infligée à M______ que l'appelant avait reconnue. Ces arguments devaient conduire la juridiction d'appel à rejeter les questions préjudicielles.

e.c. Le conseil de D______ s'est rallié aux arguments évoqués par le Ministère public. Aux yeux des experts, les antécédents violents de l'appelant avaient été mis en évidence au-delà des cas pénaux rapportés par l'employeur de la victime.

e.d. La CPAR a écarté les questions préjudicielles susmentionnées au bénéfice d'une brève motivation orale, renvoyant pour le surplus les parties au présent arrêt pour un complément de motivation.

Au fond

f.a.a. A______ avait refusé de rencontrer les experts au motif que ses récriminations (les trous dans sa barbe et ses cheveux) avaient déjà fait l'objet d'un constat, notamment du Ministère public. Il reconnaissait avoir donné deux ou trois coups à la partie plaignante, ce qui ne représentait pas un motif pour qu'il se soumette à une expertise, car ce n'était pas des coups comme d'autres vu son état de légitime défense. En disant que le concierge lui avait manqué de respect, il faisait allusion au fait qu'il avait refusé de venir dans sa chambre pour s'occuper du problème d'eau qu'il dénonçait. Une fois qu'il était venu, il s'était moqué de lui en demandant ce qu'il y avait comme problème et l'avait alors traité de "sale carlouche", ce qu'il n'avait pas accepté. Il l'avait alors frappé deux ou trois fois, en riposte à un coup de talon donné sur un doigt de pied. Le concierge avait fait le geste de le frapper. Dans un geste de défense, A______ avait retenu le coup mais s'était fait mal.

A______ a présenté ses excuses à la partie plaignante. Il n'avait pas voulu la blesser mais se défendre. S'il était vrai qu'il racontait des blagues en se plaignant de vols et de la coupe de poils ou de cheveux, cela se saurait. Preuve en était que depuis qu'il était en prison, rien de tel ne s'était produit.

f.a.b. Pour le conseil de A______, il n'était pas question de minimiser les souffrances endurées par la partie plaignante, mais il convenait de replacer l'affaire dans son contexte.

L'instruction avait été menée à charge, sans que des éléments, tel le passage au poste de police des L______ après les faits, aient été positivement pris en compte.

A______ n'avait pas varié dans ses déclarations et ses blessures à la main et au pied accréditaient sa thèse. On ne pouvait en dire autant de la partie plaignante, qui avait même parlé d'une vingtaine de coups reçus. Une vidéosurveillance aurait permis de savoir lequel des deux avait commencé. Il y avait place pour une légitime défense fondée sur l'art. 15 CP.

La qualification juridique des lésions subies par la victime imposait une certaine prudence. Le lésé avait certes subi un long arrêt de travail mais sa vie n'avait pas été mise en danger. Il n'avait pas été défiguré, même s'il n'était pas contestable qu'il avait dû être soigné. La lésion grave de l'art. 122 CP requérait une application stricte. Une dent n'était pas un organe, sans compter qu'il était douteux que sa dentition eût été saine ab initio.

Le principe de la libre appréciation de l'expertise par l'autorité de jugement s'imposait. En face de doutes, celle-ci pouvait et devait même s'en écarter. En tout état, l'expertise était boiteuse car l'expertisé n'avait pas été entendu. Ce fait ne pouvait lui être reproché, car il avait le droit de refuser sa collaboration. Les experts avaient retenu deux sortes de schizophrénie, tout en n'étant pas certains du diagnostic. Des contradictions étaient apparues dans l'expertise. Certaines allégations de l'appelant, notamment sur les coupes opérées dans son système pileux, s'étaient révélées conformes à la réalité, ce qui permettait d'écarter le diagnostic de paranoïa.

Il y avait aussi lieu de tenir compte des excuses que l'appelant avait réitérées à l'endroit de la partie plaignante. Celui-là était d'accord de se faire soigner mais dans l'optique de mieux gérer sa violence.

f.b. Dans l'appréciation à laquelle devait procéder la juridiction d'appel au sujet de la qualification des lésions subies, le conseil de D______ a mis en évidence la disparité de la corpulence réciproque des deux appelants ainsi que la crédibilité supérieure qu'il fallait tirer des déclarations de son mandant, ainsi que l'avait retenu le Tribunal correctionnel.

Pour qualifier les lésions corporelles de graves, plusieurs éléments pouvaient être mis en évidence :

- la fracture de la mâchoire à deux endroits et le nombre de dents endommagées (9), sans que l'état originaire de la dentition de la victime n'importât à cet égard ;

- la nécessité d'avoir eu recours à des poses de plaques dans la mâchoire, dont certaines resteront à vie, ainsi que les nombreuses interventions dentaires, dont la pose de prothèses sur les quatre dents de devant ;

- l'impossibilité de pouvoir manger des aliments solides pendant plusieurs semaines et, encore à ce jour, de les croquer ;

- l'inaptitude à ouvrir complètement la mâchoire et la déformation de son visage à laquelle s'ajoutait une contraction des muscles du visage encore sensible.

f.c. Pour le Ministère public, la simple mention des champs des lésions subies était évocatrice de la violence exercée. La double fracture de la mâchoire, consécutive à deux ou trois coups portés, en était l'illustration flagrante. Plusieurs éléments (opération de la mâchoire, d'autres interventions médicales à venir, l'attelle sur les dents, le visage gonflé, les maux de tête, la problématique dentaire, les troubles de la concentration, l'incapacité de travail de longue durée, les souffrances psychiques) conduisaient à retenir des lésions corporelles graves. Le pire avait pu être évité en raison du réflexe de la victime de "faire le mort" pour échapper à encore plus de violence.

Il n'y avait pas place pour la légitime défense qui dépendait de l'existence d'une attaque immédiate et soudaine. Peu importait à cet égard que les coups aient été précédés d'attaques personnelles telles que décrites par A______. Certes, celui-ci croyait avoir été agressé et victime de différentes interventions illicites de la part du concierge mais rien ne permettait de fonder ses allégations dues à sa maladie mentale.

L'expertise n'était pas entachée d'irrégularité, les experts ayant pu notamment accéder au rapport médical de l'expertisé pour être à même de faire une analyse probante et conclure à un cas de schizophrénie. Ainsi son défaut n'empêchait-il pas la mise en application des mesures qu'ils avaient ordonnées. Ceux-ci avaient exclu le traitement ambulatoire, au motif principal du refus opposé par l'expertisé à recevoir de l'aide et de son état anosognosique. Aussi les mesures préconisées devaient-elles être confirmées.

Au chapitre de la peine, le Ministère public a souligné l'échec des anciennes condamnations sous forme de peine pécuniaire. Même la peine privative de liberté infligée par la Chambre pénale en 2011 n'avait pas eu l'effet escompté. Le constat ne pouvait être différent en 2018, de sorte que le pronostic n'était à l'évidence pas favorable, ce qui justifiait le prononcé d'une peine sans sursis.

ii. de l'appel de D______

g.a. Selon le conseil de la partie plaignante, le montant sollicité au titre du tort moral n'était pas surévalué au vu de l'ampleur des lésions physiques et psychiques endurées. Tant qu'à se baser sur une casuistique, il fallait le faire valablement, les premiers juges n'ayant pas comparé le présent cas à des affaires d'une même intensité. Un montant de CHF 10'000.- avait par exemple été octroyé à une victime rouée de coups, atteinte à l'oeil et souffrant de troubles de l'attention et du sommeil, avec des conséquences sur sa vie sociale et professionnelle. Il en était de même pour un lésé après des coups au visage et dans le ventre qui avaient nécessité une incapacité de travail de sept semaines et engendré une anxiété par rapport à son futur professionnel.

En l'espèce, D______ souffrait, au-delà des lésions physiques, des conséquences psychiques des lésions qui nécessitaient encore à ce jour un traitement psycho-thérapeutique une fois par semaine et des angoisses persistantes. Sa vie sociale avait été durement affectée. Il suffisait à ce propos de penser au plaisir de partager un bon repas et une soirée entre amis. Il avait dû faire face à des troubles du sommeil et de la concentration. Il avait été licencié alors même qu'il donnait toute satisfaction à son employeur. De forts doutes persistaient sur sa capacité à retrouver un emploi, et ce plus d'un an et demi après les faits, ce qui induisait une forte précarisation. Cela n'était pas sans conséquence sur sa capacité à faire face à ses obligations financières à l'égard de sa famille résidant en Espagne, ce qui avait d'ailleurs conduit D______ à leur cacher sa situation à ce jour.

g.b. Aux yeux du prévenu, l'appel de la partie plaignante ne tenait pas compte de l'importance réelle des lésions. Au vu de la jurisprudence, un montant de CHF 10'000.- avait été accordé pour un coup de couteau au cœur avec un pronostic vital engagé et une culpabilité du chef de tentative de meurtre. Le présent cas n'était pas comparable, ce qui conduisait A______ à conclure au rejet de l'appel de la partie plaignante.

D. A______, né le ______ 1977, de nationalité suisse, est célibataire et sans enfant. Il est né en Haïti, pays dans lequel il a vécu jusqu'à ses 9 ans, avant de rejoindre sa grand-mère en Suisse. Sa tante et sa sœur ainée résident à Genève. Il a été scolarisé jusqu'à l'âge de 16 ans puis a intégré une école de ______, où il a étudié pendant trois ans, sans obtention de diplôme. Il a joué au ______ au niveau national. Il a occupé divers emplois temporaires, comme animateur pour personnes handicapées et aide-soignant. Il a par la suite obtenu un certificat de ______, domaine dans lequel il n'a toutefois pas travaillé. Il est sans emploi depuis 2013 ou 2014.

A partir de 2014, il a été placé par l'Hospice général dans différentes structures. Depuis fin 2016, il logeait dans l'hôtel sis au 2______à H______. Avant son interpellation, il percevait mensuellement CHF 1'100.- de l'Hospice général.

Selon l'extrait du casier judiciaire suisse, A______ a été condamné :

-   le 29 janvier 2009, par le Ministère public, à une peine pécuniaire de 35 jours-amende à CHF 30.- l'unité, avec sursis, délai d'épreuve de trois ans, ainsi qu'à une amende de CHF 260.-, pour violation grave des règles de la circulation routière ;

-  le 31 janvier 2011, par la Chambre pénale de Genève, à une peine privative de liberté de huit mois, avec sursis, délai d'épreuve de quatre ans, pour violation de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) et blanchiment d'argent ;

-  le 7 décembre 2015, par le Ministère public, à une peine pécuniaire de 180 jours-amende à CHF 30.- l'unité, ainsi qu'à une amende de CHF 700.-, pour divers délits et contravention en matière de législation routière, contravention selon l'art. 19a LStup et opposition aux actes de l'autorité.

E. a. Me C______ dépose un état de frais pour son activité du 1er juin au 8 octobre 2018. Elle mentionne quatre entretiens avec le client d'1h30 chacun (7 juin, 26 juillet, 30 août et 4 octobre 2018) auxquels s'ajoute un cinquième programmé après les débats d'appel pour fournir au prévenu les explications utiles sur l'arrêt de la CPAR. Viennent s'ajouter 1h pour la préparation des conclusions en indemnisation et 4h30 pour celle de l'audience d'appel et du chargé de pièces ainsi que CHF 50.- pour le forfait du déplacement au Palais de justice.

b. Me F______, conseil juridique gratuit de D______, dépose un état de frais pour son activité du 31 mai au 8 octobre 2018. Y sont répertoriés 1h50 pour des entretiens avec le mandant (juin, septembre et octobre 2018), 3h40 consacrées à l'examen du dossier (40 mn) et la préparation de l'audience d'appel et de la plaidoirie (3h). S'y ajoute CHF 35.- pour le déplacement aux débats d'appel du 8 octobre 2018, le tout au tarif d'avocat-stagiaire.

c. En première instance, le défenseur d'office de A______ avait été indemnisé pour plus de 40 heures d'activité de cheffe d'étude.

Le conseil juridique gratuit de D______ avait été indemnisé à hauteur de
CHF 5'045.-, TVA comprise, pour 28 heures d'activité, réparties entre avocat-stagiaire, collaborateur et chef d'étude.

EN DROIT :

1. 1.1 Les appels sont recevables pour avoir été interjetés et motivés selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale, du 5 octobre 2007 [CPP ; RS 312.0]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

1.2.1 Sur question préjudicielle, l'appelant A______ plaide au bénéfice du renvoi de la procédure au Tribunal correctionnel.

Selon la CPAR, les experts ont certes évoqué l'affaire de 2016 mais sans fonder leur appréciation sur ce seul élément. Pour la partie discussion et le choix de la mesure prônée, ils se sont basés sur la maladie de l'expertisé et sa violence à l'égard des personnes, ainsi qu'en atteste la présente cause.

La juridiction d'appel se rallie à cet égard aux arguments développés par les premiers juges pour lesquels les experts se sont principalement fondés sur les rapports médicaux.

Un renvoi au Tribunal correctionnel ne répond à aucun impératif dirimant, étant rappelé que la CPAR est libre de son appréciation sur la base des conclusions de l'appel et de son plein pouvoir de cognition. Rien n'empêche donc de mener jusqu'à son terme la présente cause qui est prête à être jugée en l'état. Au demeurant, le sort suivi par la P/1______/2016, à nouveau en mains du Tribunal de police, démontre que son issue n'est pas imminente, quitte à ce qu'il soit fait ultérieurement application de l'art. 49 al. 2 CP en cas de condamnation dans la P/1______/2016.

Aussi s'impose-t-il de rejeter la question préjudicielle de l'appelant A______ pour ces motifs et ceux déjà développés dans l'ordonnance présidentielle du 20 septembre 2018.

1.2.2 La conclusion présentée le 1er octobre 2018 par l'appelant A______ tendant au constat d'une violation de la CEDH n'a pas été reprise en audience ni d'ailleurs plaidée.

Le mode de détention actuel de l'appelant A______ est adéquat. L'appel a eu un effet suspensif sur la mesure prônée par les premiers juges, empêchant ainsi le Service d'application des peines et mesures de déplacer l'appelant A______ dans un lieu approprié à son état.

Au demeurant, il est singulier de se plaindre d'une non-application anticipée d'une mesure institutionnelle en milieu fermé dont l'appelant A______ conteste la pertinence au fond.

Il n'y a quoi qu'il en soit nulle violation de la CEDH en l'état et, partant, pas matière à indemniser l'appelant A______ pour les jours de détention illicite alléguée.

2. i. De l'appel de A______

2.1 L'art. 123 CP réprime les lésions du corps humain ou de la santé qui ne peuvent être qualifiées de graves au sens de l'art. 122 CP. Cette disposition protège l'intégrité corporelle et la santé tant physique que psychique. À titre d'exemples, la jurisprudence cite […] tout acte qui provoque un état maladif, l'aggrave ou en retarde la guérison, comme les blessures, les meurtrissures, les écorchures ou les griffures, sauf si ces lésions n'ont pas d'autres conséquences qu'un trouble passager et sans importance du sentiment de bien-être (ATF 134 IV 189 consid. 1.1. p. 191 ;
ATF 107 IV 40 consid. 5c p. 42 ; ATF 103 IV 65 consid. 2c p. 70).

2.2 Dans le cas des lésions corporelles graves, prévues et punies par l'art. 122 CP, il faut donc tout d'abord déterminer quelle est la lésion voulue (même sous la forme du dol éventuel) et obtenue (sous réserve de la tentative). Ce n'est qu'ensuite qu'il faut déterminer si ce résultat doit être qualifié de grave, afin de distinguer les hypothèses de l'art. 122 CPet celles de l'art. 123 CP(lésions corporelles simples).

L'art. 122 CP énumère diverses hypothèses dans lesquelles les lésions corporelles graves doivent être retenues (al.1 [mise en danger de la personne blessée] et al. 2 [celui qui aura mutilé le corps d'une personne, un de ses membres ou un de ses organes importants ou celui qui aura causé à une personne une incapacité de travail, une infirmité ou une maladie mentale permanentes, ou aura défiguré une personne d'une façon grave et permanente]), avant d'énoncer une clause générale (al. 3). Celle-ci a pour but d'englober les cas de lésions du corps humain ou de maladies, qui ne sont pas cités par l'art. 122 CP, mais qui entraînent néanmoins des conséquences graves sous la forme de plusieurs mois d'hospitalisation, de longues et graves souffrances ou de nombreux mois d'incapacité de travail (ATF 124 IV 53 consid. 2
p. 56 s.).

Il faut procéder à une appréciation globale et plusieurs atteintes, dont chacune d'elles est insuffisante en soi, peuvent contribuer à former un tout représentant une lésion grave (arrêts du Tribunal fédéral 6B_405/2012 du 7 janvier 2013 consid. 3.2.1 et 6B_518/2007 du 15 novembre 2007 consid. 3). Un organe ou un membre important est inutilisable lorsque ses fonctions de base sont atteintes de manière significative. Une atteinte légère ne suffit en revanche pas, même lorsqu'elle est durable et
qu'il ne peut y être remédié (ATF 129 IV 1 consid. 3.2 p. 3 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_405/2012 du 7 janvier 2013 consid. 3.2.1 et 6B_26/2011 du 20 juin 2011
consid. 2.4.1).

S'agissant de l'incapacité de travail, la jurisprudence n'exige pas que celle-là soit complète, ni que l'invalidité ait un caractère permanent (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6P_54/2002 du 22 novembre 2002 consid. 2.1.1). Des lésions corporelles peuvent être qualifiées de graves alors même qu'elles ne sont pas la cause d'une incapacité de travail complète ou permanente (arrêt du Tribunal fédéral 6B_373/2016 du
12 septembre 2016 consid. 2.2 = SJ 2017 I 22).

2.3 Quiconque, de manière contraire au droit, est attaqué ou menacé d'une attaque imminente a le droit de repousser l'attaque par des moyens proportionnés aux circonstances ; le même droit appartient aux tiers (art. 15 CP).

La légitime défense suppose une attaque, c'est-à-dire un comportement visant à porter atteinte à un bien juridiquement protégé, ou la menace d'une attaque, soit le risque que l'atteinte se réalise. Il doit s'agir d'une attaque actuelle ou à tout le moins imminente, ce qui implique que l'atteinte soit effective ou qu'elle menace de se produire incessamment (ATF 106 IV 12 consid. 2a p. 14 ; ATF 104 IV 232 consid. c p. 236 s. ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_600/2014 du 23 janvier 2015 consid. 5.1 non publié in ATF 141 IV 61 ; 6B_632/2011 du 19 mars 2012 consid. 2.1).

Celui qui invoque un fait justificatif susceptible d'exclure sa culpabilité ou de l'amoindrir doit en rapporter la preuve, car il devient lui-même demandeur en opposant une exception à l'action publique. Si une preuve stricte n'est pas exigée, l'accusé doit rendre vraisemblable l'existence du fait justificatif. Il convient ainsi d'examiner si la version des faits invoquée par l'accusé pour justifier la licéité de ses actes apparaît crédible et plausible eu égard à l'ensemble des circonstances (G. PIQUEREZ / A. MACALUSO, Procédure pénale suisse, 3e éd., Genève/Bâle/ Zurich 2011, n. 555, p. 189).

D'un point de vue subjectif, la légitime défense implique que l'auteur agisse dans le but de se défendre contre une attaque (K. Seelmann, Strafrecht : Allgemeiner Teil, 5e édition, Bâle 2012, p. 79 ; G. STRATENWERTH, Schweizerisches Strafrecht, Allgemeiner Teil I : Die Straftat, 4e édition, Berne 2011, § 10 n. 83).

2.4.1 Il est établi que la victime a reçu des coups de la part de A______ (ci-après : l'appelant A______) alors qu'elle s'était rendue à sa demande dans la salle de bains de la chambre qu'il occupait.

Dans un premier temps, l'appelant A______ a reconnu avoir donné des coups de poing (première déclaration au poste L______) avant de se réfugier derrière un acte de légitime défense, dont il a esquissé les contours lors de sa seconde déposition à la police. Il a persisté dans cette voie après une brève dénégation la première fois qu'il a été entendu par le Ministère public. L'appelant A______ a justifié ses actes par des motifs différenciés (un devoir de riposte face à un harcèlement [main courante du
29 juillet 2017] et un manque de respect associé à des moqueries [police]). Le motif principal invoqué initialement était lié aux interventions humaines dans sa chambre, qui se traduisaient par des vols et des amputations sur son système pileux (barbes et cheveux). Une évolution s'est faite au fil du temps, puisque est venu s'y substituer une réponse à des insultes après que la victime lui eut frappé sur le pied avec sa bottine [Ministère public], version qu'il a reprise ultérieurement, jusqu'à et y compris les débats d'appel.

Les violents coups de poing dans le visage ne sont guère contestables, ni même finalement contestés, dans la mesure où l'appelant A______ a admis avoir donné "des directs du droit", réalisant même devant les premiers juges qu'il avait "tapé trop fort". A chaque fois qu'elle a été interrogée, la victime en a fait un récit constant corroboré par les éléments médicaux et photographies versés en procédure, de sorte que la CPAR les retiendra comme des faits avérés. Certes, le nombre de coups subis n'est pas établi et l'évaluation faite par la victime dans sa plainte pénale parait peu réaliste, ce qui n'enlève rien à la réalité de l'attaque subie sans qu'elle-même n'ait été active. Même si l'appelant A______ n'en a pas fait mention initialement, il n'est certes pas impossible d'écarter l'existence d'une réaction involontaire de la victime qui a pu se retourner sous l'effet de la violence et marcher sur l'orteil de son agresseur au point de le blesser au pied. Une telle réaction peut s'apparenter à un effet réflexe, sans qu'on puisse y déceler l'ombre d'une attaque imminente qui aurait pu fonder un acte de légitime défense. En tout état, les coups de poing sont antérieurs à la réaction de la victime, pour autant que son geste ait eu les conséquences médicales dont l'appelant A______ s'est plaint.

Une preuve supplémentaire du défaut d'en vouloir à l'appelant A______ tient dans la méconnaissance des griefs dont celui-ci était porteur. Ne sachant pas que le locataire s'était plaint de vols dans sa chambre et d'actes de malveillance sur sa barbe et ses cheveux, la victime n'avait aucun motif d'être agressive à son égard.

Rien dans le dossier ne permet ainsi de retenir l'existence d'une attaque préalable qui fonderait un état de légitime défense. Les injures seraient-elles établies qu'elles n'y contribueraient pas davantage. L'argumentation de l'appelant A______ sur ce point sera ainsi rejetée comme non fondée.

2.4.2 La qualification des lésions corporelles ne laisse guère de place au doute, même s'il est exact que la vie de la victime n'a pas été mise en danger. Mais ce cas de figure n'est que l'une des hypothèses énumérées par l'art. 122 CPP.

Les détails fournis par la victime, corroborés par les certificats médicaux et les explications du corps médical, démontrent une atteinte sévère et persistante au niveau de la mâchoire qui a été doublement fracturée. Non seulement la victime n'a-t-elle pas recouvré l'usage intégral de la mâchoire mais encore souffre-telle de ne pas pouvoir manger normalement. C'est sans compter une déformation du visage et des séquelles qui, si elles ne peuvent être tenues pour permanentes, n'en restent pas moins présentes près de 18 mois après l'agression. La problématique des dents fonde aussi le qualificatif de lésions graves, sans qu'on puisse tirer du mauvais état antérieur de tout ou partie de la dentition une relation de cause à effet documentée.

D'autres éléments militent dans le sens de la gravité des lésions. La victime est en incapacité de travail depuis bientôt une année et demie. Son état général psychique est à ce point atteint qu'il n'est pas sûr qu'elle retrouve une capacité de s'engager dans une activité salariée. Le suivi thérapeutique, encore actuel après plus de 30 consultations [à l'unité] R______ [de I______], témoigne de la profondeur de son traumatisme psychique. C'est sans compter les interventions médicales déjà pratiquées et celles à venir, sans que les médecins puissent en l'état garantir un rétablissement complet des facultés physiques et psychiques de la victime.

Tous ces éléments permettent de conclure à des lésions qui doivent être qualifiées de graves au sens de l'art. 122 al. 2 et 3 CP.

Le jugement du Tribunal correctionnel sera confirmé sur ce point, ce qui conduit la CPAR à rejeter les conclusions de l'appelant A______ tendant à retenir des lésions corporelles non qualifiées.

3. Le nouveau droit des sanctions en vigueur depuis le 1er janvier 2018 ne cumule plus les deux conditions que posait l'art. 41 al. 1 aCP pour le prononcé d'une peine privative de liberté ferme de moins de six mois. Il est donc moins restrictif sur ce point mais, parallèlement, plus sévère puisqu’il n’érige plus en priorité le prononcé d’une peine alternative à la privation de liberté (art. 41 CP). Son application n’entre par conséquent pas en ligne de compte dans le cas d'espèce où la question du genre de sanction se pose (art. 2 al. 2 CP).

4. 4.1.1 Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la
lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 p. 147 ; ATF 141 IV 61 consid. 6.1.1 p. 66 s. ; ATF 136 IV 55 consid. 5 p. 57 ss). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (arrêts du Tribunal fédéral 6B_798/2017 du 14 mars 2018 consid. 2.1 et 6B_718/2017 du 17 janvier 2018 consid. 3.1).

Bien que la récidive ne constitue plus un motif d'aggravation obligatoire de la peine (art. 67 aCP), les antécédents continuent de jouer un rôle très important dans la fixation de celle-ci (M. NIGGLI / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar Strafrecht I : Art. 1-110 StGB, Jugendstrafgesetz, 3ème éd., Bâle 2013, n. 130 ad
art. 47 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1202/2014 du 14 avril 2016 consid. 3.5.). En général, la culpabilité de l'auteur est amplifiée du fait qu'il n'a pas tenu compte
de l'avertissement constitué par la précédente condamnation, et sa rechute
témoigne d'une énergie criminelle accrue (R. ROTH / L. MOREILLON (éds), Code pénal I : art. 1-100 CP, Bâle 2009, n. 55 ad art. 47). Les antécédents judiciaires ne sauraient toutefois conduire à une augmentation massive de la peine, parce que cela reviendrait à condamner une deuxième fois pour des actes déjà jugés
(ATF 120 IV 136 consid. 3b p. 145).

4.1.2 Dans la conception de la nouvelle partie générale du Code pénal, dans sa teneur avant la réforme de 2018, la peine pécuniaire constitue la sanction principale. Les peines privatives de liberté ne doivent être prononcées que lorsque l'État ne peut garantir d'une autre manière la sécurité publique.

Les principes de l'art. 47 CP valent aussi pour le choix entre plusieurs sanctions possibles, et non seulement pour la détermination de la durée de celle qui est prononcée. Que ce soit par son genre ou sa quotité, la peine doit être adaptée à la culpabilité de l'auteur. Le type de peine, comme la durée de celle qui est choisie, doivent être arrêtés en tenant compte de ses effets sur l'auteur, sur sa situation personnelle et sociale ainsi que sur son avenir. L'efficacité de la sanction à prononcer est autant décisive pour la détermination de celle-ci que pour en fixer la durée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_611/2014 du 9 mars 2015 consid. 4.2).

4.1.3 Selon la jurisprudence, sursis et mesures sont incompatibles. En effet, la mesure doit être de nature à écarter un risque de récidive et, partant, suppose qu'un tel risque existe. Le prononcé d'une mesure implique donc nécessairement un pronostic négatif. A l'inverse, l'octroi du sursis suppose que le juge n'ait pas posé un pronostic défavorable et, partant, qu'il ait estimé qu'il n'y avait pas de risque de récidive (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1227/2015 du 29 juillet 2016 consid. 1.2.4 et les arrêts cités).

4.2.1 Les expertises psychiatriques ne peuvent en principe être établies dans les règles de l'art que lorsqu'elles se basent sur l'examen personnel de l'intéressé. Les expertises fondées sur les pièces du dossier de la procédure doivent rester l'exception. De telles exceptions sont possibles s'il existe déjà une ou plusieurs expertises sur l'auteur de l'infraction de récente date et si les données ayant servi de base à l'expertise ne se sont guère modifiées (toujours les mêmes symptômes). Une expertise sur la base des pièces du dossier est aussi envisageable (…) si [le prévenu] refuse l'expertise. C'est l'expert chargé du dossier qui doit décider en première ligne si, dans de telles circonstances, une expertise sur la base des pièces du dossier est envisageable (ATF 127 I 54 consid. f = JdT 2004 IV 96).

4.2.2 Les experts se sont exprimés sur la validité de l'expertise nonobstant le défaut de l'expertisé. Il serait en tout état choquant que le refus d'un expertisé de se soumettre à une expertise puisse avoir pour effet de l'invalider, ce que la jurisprudence du Tribunal fédéral ne retient pas. Le risque serait grand sinon qu'un prévenu, par hypothèse en proie à un grave trouble mental, puisse être jugé sans être mis au bénéfice d'une responsabilité restreinte et, à terme, ne bénéficie pas d'un traitement approprié, sans préjudice d'une peine qui n'aurait pas été allégée eu égard à son trouble.

En l'occurrence, les experts ont pu s'appuyer sur les nombreux rapports médicaux en leur possession ainsi que d'autres pièces tirées du dossier pénal. Ils ont écarté les doutes exprimés par le conseil de l'expertisé et confirmé que leur mission avait pu être accomplie à satisfaction, nonobstant le biais initial auquel ils ont dû faire face.

La nature psychotique des troubles a pu être mise en évidence avec certitude. Ils se sont expliqués en audience sur la question du diagnostic différentiel à évaluer par les praticiens appelés à traiter l'expertisé (de type paranoïde ou de type héboïdo-phrénie), sans que la question en suspens n'altère leur diagnostic et leur appréciation de son degré de responsabilité.

Rien dans l'expertise ne permet en conséquence de s'écarter du diagnostic retenu. La perte de pilosité constatée médicalement en 2017 ne saurait à elle seule faire naître un doute, ce d'autant que le dossier regorge de nombreuses occurrences où l'appelant s'est plaint d'attaques de ce type sans constat l'établissant (cf. main courante du9 avril 2017 avec les dénégations véhémentes des mis en cause O______ et P______, actes de malveillance d'un homme dans un garage au bas de son immeuble tel que rapporté aux instances médicales, main courante du24 juillet 2017, propos rapportés au témoin J______).

Il convient en conséquence de rejeter les conclusions de l'appelant A______ tendant à écarter l'expertise comme boiteuse pour avoir été réalisée en non-conformité des règles de l'art.

4.3 Le juge atténue la peine en application de l'art. 19 al. 2 CP si, au moment d'agir, l'auteur ne possédait que partiellement la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d'après cette appréciation. Les principes qui gouvernent l'application de cette disposition sont développés notamment dans un arrêt du Tribunal fédéral du 8 mars 2010 (ATF 136 IV 55).

Le juge doit apprécier la culpabilité subjective de l'auteur à partir de la gravité objective de l'acte. Dans le cadre de cette appréciation, il doit aussi tenir compte de la diminution de responsabilité de l'auteur et doit indiquer dans quelle mesure celle-ci exerce un effet atténuant sur la culpabilité. Une diminution de la responsabilité au sens de l'art. 19 CP ne constitue qu'un critère parmi d'autres pour déterminer
la faute liée à l'acte, et non plus un facteur qui interfère directement sur la peine.
La réduction de la peine n'est que la conséquence de la faute plus légère mais elle peut être compensée par d'autres éléments comme des mauvais antécédents
(ATF 127 IV 101 consid. 2b p. 103 s et ATF 136 IV 55 consid. 5.5, 5.6 et 6.1
p. 59 ss ;.arrêt du Tribunal fédéral 6B_975/2015 du 7 avril 2016 consid. 6.1.2).

4.4 L'importance de la faute de l'appelant A______, même tempérée par une responsabilité fortement restreinte, apparait bien réelle. L'intégrité corporelle de la partie plaignante a été durablement et gravement affectée, alors même que celle-ci avait finalement obtempéré à la demande pressante de son agresseur à une heure où le concierge pouvait prétendre à du repos. La victime souffre encore à ce jour des lésions subies, tant sur les plans physique que psychique.

Les mobiles de l'auteur ne sont guère discernables, sinon que son comportement a été altéré par le grave trouble mental dont il souffre, quoiqu'il en pense. Il s'est certes présenté à un poste de police après les faits et a fait part de ses regrets au lésé. Il reste que sa collaboration ne peut être tenue pour bonne, l'appelant A______ n'ayant eu de cesse de contester les faits et de se poser en victime. Ses antécédents, même largement non spécifiques, ne sont pas de nature à permettre l'émission d'un pronostic favorable, le risque de récidive étant élevé à dires d'expert. L'appelant ne revendique d'ailleurs pas l'octroi du sursis dans son appel, lequel n'aurait en tout état pas été envisageable en présence du prononcé d'une mesure.

Le choix d'une peine privative de liberté s'impose, au-delà de la priorité de principe apportée à la peine pécuniaire dans l'ancien droit. L'appelant A______ a
déjà fait l'objet de deux condamnations dans lesquelles la peine pécuniaire a sanctionné son comportement illicite, dont celle plus récente de 2015, lesquelles n'ont manifestement pas eu l'effet escompté.

La peine privative de liberté de neuf mois prononcée par les premiers juges tient équitablement compte de l'ensemble des critères posés par les art. 47 et 19 CP. Même si l'ampleur de la faute doit être atténuée, il n'en reste pas moins que la violence gratuite des coups, leurs conséquences durables et les circonstances de l'attaque fondent un caractère de gravité. La sanction sera de la sorte confirmée, ce qui conduit la CPAR à rejeter les conclusions prises par l'appelant A______ sur la peine.

4.5.1 Selon l'art. 56 al. 1 CP, une mesure doit être ordonnée si une peine seule ne peut écarter le danger que l'auteur commette d'autres infractions (let. a), si l'auteur a besoin d'un traitement ou que la sécurité publique l'exige (let. b) et si les conditions prévues aux art. 59 à 61, 63 ou 64 sont remplies (let. c). Le prononcé d'une mesure suppose en outre que l'atteinte aux droits de la personnalité qui en résulte pour l'auteur ne soit pas disproportionnée au regard de la vraisemblance qu'il commette de nouvelles infractions et de leur gravité (art. 56 al. 2 CP ; ATF 134 IV 121 consid. 3.4.4 p. 131). Pour ordonner une des mesures prévues aux art. 59 à 61, 63 et 64 CP ou en cas de changement de sanction au sens de l'art. 65 CP, le juge se fonde sur une expertise. Celle-ci se détermine sur la nécessité et les chances de succès d'un traitement, sur la vraisemblance que l'auteur commette d'autres infractions et sur la nature de celles-ci ainsi que sur les possibilités de faire exécuter la mesure (art. 56 al. 3 let. a à c CP).

Toute sanction pénale qui restreint un droit fondamental doit respecter le principe de proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst). En matière de mesure, ce principe a été concrétisé à l'art. 56 al. 2 CP. Aux termes de cette disposition, le prononcé d'une mesure suppose que l'atteinte aux droits de la personnalité qui en résulte pour l'auteur ne soit pas disproportionnée au regard de la vraisemblance qu'il commette de nouvelles infractions et de leur gravité. Ce principe vaut tant pour le prononcé d'une mesure que pour son examen postérieur. Concrètement, il convient de procéder à une pesée des intérêts divergents en présence, c'est-à-dire entre la gravité du danger que la mesure cherche à prévenir et l'importance de l'atteinte aux droits de la personne concernée inhérente à la mesure. Cette atteinte dépend non seulement de la durée de la mesure, mais également des modalités de son exécution et des effets positifs de la mesure dans l'intérêt de l'auteur (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1160/2013 du 20 février 2014 consid. 3.1.5 et 6B_517/2013 du 19 juillet 2013 consid. 1.4.3).

4.5.2 En vertu de l'art. 63 al. 1 CP, lorsque l'auteur souffre d'un grave trouble mental (…), le juge peut ordonner un traitement ambulatoire si, d'une part, l'acte punissable – crime, délit ou contravention (art. 104 CP et 105 al. 3 CP a contrario) – est lié à ce trouble mental (…) et si, d'autre part, il est à prévoir que le traitement détournera l'auteur d'autres infractions en relation avec son état. Cette mesure doit être ordonnée lorsqu'une peine ne peut écarter à elle seule le danger que l'auteur commette d'autres infractions en relation avec son état (cf. art. 56 al. 1 let. a CP), mais sans qu'il soit pour autant nécessaire de prévoir une mesure thérapeutique institutionnelle (cf. art. 56a al. 1 CP).

Le juge peut aussi ordonner un traitement thérapeutique institutionnel selon l'art. 59 CP, si l'auteur a commis un crime ou un délit en relation avec ce trouble (let. a) et qu'il est à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble (let. b).

4.5.3 La loi ne désigne pas l'autorité compétente pour ordonner le placement en milieu fermé selon l'art. 59 al. 3 CP. Selon la jurisprudence, le choix du lieu d'exécution de la mesure thérapeutique institutionnelle constitue une modalité d'exécution de la mesure qui relève de la compétence de l'autorité d'exécution. Cela étant, si un placement en milieu fermé apparaît déjà nécessaire au moment du prononcé du jugement, le juge peut et doit l'indiquer dans les considérants en traitant des conditions de l'art. 59 al. 3 CP. Dans ces circonstances, il est souhaitable que le tribunal s'exprime dans les considérants de son jugement – mais non dans son dispositif – sur la nécessité d'exécuter la mesure en milieu fermé et recommande une telle modalité d'exécution, de manière non contraignante, à l'autorité d'exécution (ATF 142 IV 1 consid. 2.5 p. 10 s. ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_22/2016
du 1er novembre 2016 consid. 2.1.2, 2.3 et 6B_1040/2015 du 29 juin 2016 consid. 3.1.1).

4.6 L'expertise, même réalisée dans des conditions non optimales, a permis de définir le profil de l'expertisé de façon convaincante. Elle ne recèle aucune faille ou contradiction qui autoriserait l'autorité de jugement à s'écarter de ses conclusions. Certes, l'appelant fait grand cas de son prétendu défaut de force probante mais sa critique ne va pas au-delà d'une pétition de principe sur la manière dont les experts ont dû procéder. Comme déjà expliqué, on ne saurait faire en sorte de rendre plus ardue la tâche d'un expert en refusant sa collaboration et utiliser ensuite ce prétexte pour en dire du mal en affirmant que l'expertise est incomplète ou boiteuse.

Les conclusions sont claires et parfaitement adaptées au trouble dont souffre l'expertisé. Celui-ci oublie un peu facilement le nombre de fois où il s'est plaint d'actes de malveillance sur sa personne, qu'il s'agisse de vols ou d'attaque sur son système pileux, sans ancrage dans la réalité, sous réserve d'une seule fois où des problèmes cutanés ont été observés sans lien objectivé avec la cause alléguée. Sa réaction face à ce qu'il a pris pour une insulte, celle-ci dut-elle être réelle, ce que rien n'établit, témoigne d'une colère froide qui fait craindre pour l'avenir si l'appelant ne fait rien pour se soigner. C'est le lieu de constater que des faits de violence ont déjà été reprochés à l'appelant dans un contexte assez similaire, dont une gifle reconnue et d'autres actes tels que rapportés par le propriétaire de l'hôtel, sans que ceux-ci ne puissent peser sur la présente décision dans la mesure où la sanction judiciaire n'est pas définitive.

L'incapacité de l'appelant à gérer ses émotions, à réagir autrement que par la violence à une contrariété ou un malentendu, justifie une prise en charge qui aille au-delà d'un traitement ambulatoire. La mesure institutionnelle prônée par les experts est adaptée aux risques que fait courir l'appelant pour la sécurité publique ainsi qu'au besoin de soins que sa maladie mentale requiert, ce d'autant plus qu'il se réfugie dans le déni, ce qui rend un traitement ambulatoire encore plus inadéquat.

Face à ce constat, le témoignage de la sœur de l'expertisé n'autorise pas une autre conclusion, sans que son honnêteté ne soit remise en cause, car il est assez usuel qu'un membre de la famille fasse preuve de bienveillance face à un proche en situation difficile. C'est sans compter qu'elle a pu ne pas être confrontée aux accès de violence de l'appelant.

L'appelant A______ sera ainsi débouté de son appel sur ce point également et le jugement querellé confirmé.

ii. De l'appel de D______

5. 5.1 Les conclusions civiles consistent principalement en des prétentions en dommages-intérêts (art. 41 ss de la loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse [CO - RS 220]) et en réparation du tort moral (art. 47 et 49 CO) dirigées contre le prévenu. La preuve du dommage incombe au demandeur (art. 42 al. 1 CO).

Aux termes de l'art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale. Les circonstances particulières évoquées dans la norme consistent dans l'importance de l'atteinte à la personnalité du lésé, l'art. 47 CO étant un cas d'application de l'art. 49 CO. Les lésions corporelles, qui englobent tant les atteintes physiques que psychiques, doivent donc en principe impliquer une importante douleur physique ou morale ou avoir causé une atteinte durable à la santé. (A. GUYAZ, Le tort moral en cas d’accident: une mise à jour, in SJ 2013 II p. 215, p. 229, et la doctrine citée). Des séquelles mineures ou une guérison complète ne permettent pas encore d’exclure de façon absolue toute indemnité pour tort moral, et d’autres circonstances peuvent, selon les cas, justifier l'application de l’art. 47 CO (ibidem). Parmi lesdites circonstances figurent avant tout le genre et la gravité de la lésion, l'intensité et la durée des répercussions sur la personnalité de la personne concernée, le degré de la faute de l'auteur ainsi que l'éventuelle faute concomitante du lésé (ATF 141 III 97 consid. 11.2 p. 98 et les références). Une longue période de souffrance et d'incapacité de travail, de même que les préjudices psychiques importants sont des éléments déterminants (arrêt 4A_373/2007 du
8 janvier 2008 consid. 3.2, non publié in ATF 134 III 97 ; 132 II 117 consid. 2.2.2 ;
arrêt du Tribunal fédéral 6B_1066/2014 du 27 février 2014 consid. 6.1.2).

En raison de sa nature, l'indemnité pour tort moral, qui est destinée à réparer un dommage qui ne peut que difficilement être réduit à une simple somme d'argent, échappe à toute fixation selon des critères mathématiques, de sorte que son évaluation en chiffres ne saurait excéder certaines limites. L'indemnité allouée doit toutefois être équitable. Le juge en proportionnera donc le montant à la gravité de l'atteinte subie selon les règles du droit et de l'équité (art. 4 du Code civil suisse du
10 décembre 1907 [CC – RS 210]), en disposant d'un large pouvoir d'appréciation (ATF 141 III 97 consid. 11.2 ; 130 III 699 consid. 5.1 et les arrêts cités).

5.2 En l'espèce, le principe du droit à une indemnité pour tort moral n'est pas remis en question, tant il est vrai que le traumatisme subi par l'appelant D______ est évident. Il s'ensuit que seul son montant fait débat.

5.3 Toute comparaison avec d'autres affaires doit intervenir avec prudence, dès lors que le tort moral touche aux sentiments d'une personne déterminée dans une situation donnée et que chacun réagit différemment face au malheur qui le frappe. Une comparaison avec d'autres cas similaires peut cependant, suivant les circonstances, constituer un élément d'orientation utile (ATF 138 III 337 consid. 6.3.3 p. 345 et l'arrêt cité). C'est ainsi que le Tribunal fédéral a :

- jugé équitable une indemnité de CHF 10'000.- en faveur d'une victime ayant souffert de graves atteintes aux membres supérieurs entraînant une diminution durable de leur usage, ainsi que d'une phobie sociale qui s'était aggravée à la suite d'une agression perpétrée lors d'une violation de domicile (arrêt du Tribunal fédéral 6B_405/2012 du 7 janvier 2013 consid. 4.2) ;

- confirmé une indemnité de CHF 8'000.- en faveur d’une victime d’un coup de couteau, enfoncé au niveau du thorax, ayant provoqué une hémorragie interne susceptible d’entraîner la mort et une hospitalisation de neuf jours (arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2012 du 10 juillet 2012) ;

- réduit une indemnité de CHF 10'000.- à CHF 6’000.- octroyée à la victime d’une agression de très courte durée, n’ayant pas entraîné de lésions physiques, mais ayant provoqué une incapacité de travail, un état de stress post-traumatique et de dépression sévère ayant perduré sept mois après les faits et nécessité la prise d’anxiolytiques et des somnifères (arrêt du Tribunal fédéral 6B_135/2008 du 24 avril 2008).

Différentes décisions de la CPAR peuvent être mises en évidence comme élément d'orientation. A ainsi été accordée une indemnité de :

- CHF 10'000.- en faveur d'une jeune femme d'une vingtaine d'année percutée par un véhicule, souffrant de séquelles aux jambes ayant pour effet qu'elle ne pouvait plus porter de talons et qu'elle gardait des cicatrices des interventions chirurgicales subies, ainsi qu'au moment du jugement une excroissance au niveau de la cuisse (AARP/22/2015 du 12 janvier 2015 consid. 6.2) ;

- CHF 15'000.- à une victime âgée de 20 ans qui avait subi, suite à des coups de couteau, une paralysie et une hypoesthésie [affaiblissement d'un type ou des différents types de sensibilité, selon la définition du Larousse] de l’ensemble du pied droit, y compris de la voûte plantaire, avec un déficit moteur de la jambe droite (AARP/254/2012 du 28 août 2012 consid. 5.2) ;

- CHF 40'000.- à un jeune homme de 23 ans agressé par des individus, lui causant de multiples fractures du massif facial (os frontal, sinus maxillaire bilatéral et spénoïdal, plancher de l'orbite avec atteinte du canal du nerf) et un enfoncement naso-éthmoïdal, ces nombreuses lésions ayant également causé un passage d'air dans le cerveau avec fuite de liquide céphalo-rachidien, ce qui avait nécessité de longues interventions chirurgicales, une hospitalisation d'environ cinq semaines, et avaient causé une modification permanente de la forme du nez, une perte totale de l'odorat et partielle du goût, ainsi que la pose de plaques de métal dans le visage (AARP/258/2016 du 1er février 2016 consid. 4.3.1) ;

- CHF 4'000.- à un homme d'une cinquantaine d'années qui avait subi des coups de couteau sans atteinte durable à son intégrité physique, bien qu'il ait craint pour sa vie et eût le sentiment qu’il aurait pu mourir s’il n’était pas parvenu à opposer de la résistance. Avait été posé le diagnostic d’un épisode dépressif sévère, d’un état de stress post-traumatique et de troubles anxieux phobiques, en mentionnant d’importants troubles de la concentration, des pertes de mémoire et une difficulté à gérer des stress nouveaux.

5.4 Il est regrettable que le Tribunal correctionnel n'ait pas assis son appréciation sur une casuistique documentée. Il aurait été possible de savoir à quelle jurisprudence il faisait allusion.

En l'espèce, la CPAR ne partage pas les interrogations des premiers juges. Il ne fait guère de doute que l'appelant D______ a été sérieusement et durablement affecté par les conséquences de l'agression subie. Il est non seulement fait référence ici aux conséquences physiques et psychiques déjà mentionnées, aux souffrances endurées et à venir mais de manière plus insidieuse à une altération dramatique de son art de vivre. L'appelant a été privé durablement de pouvoir manger normalement, contraint pendant des mois à s'alimenter sous forme liquide puis avec des aliments mous. C'est une sorte de quarantaine sociale qu'il a dû subir, sans compter les conséquences professionnelles pour quelqu'un qui semblait correspondre parfaite-ment au profil recherché par son employeur et répondre à ses attentes. Les répercussions financières sur sa famille en Espagne n'ont pas à être ignorées, tant il est vrai que l'appelant D______ doit souffrir de ne pas pouvoir faire face à ses obligations, ce qui l'a d'ailleurs conduit à ne pas en révéler les motifs.

Au vu de ce qui précède, l'indemnisation à accorder à l'appelant D______ doit être revue à la hausse. Sa situation actuelle est relativement proche des causes susmentionnées où une indemnité de CHF 10'000.- a été accordée, étant relevé que celles pour lesquelles l'indemnité a été fixée à un montant inférieur se caractérisent toutes deux par une absence de lésions physiques, ce qui les différencie de la présente affaire.

Il est ainsi acquis qu'une indemnité pour tort moral de CHF 10'000.- est adéquate dans la mesure où elle prend en compte la longue période de souffrance et d'incapacité de travail, les souffrances psychiques encore existantes et la mise en retrait social de la victime.

L'appelant D______ obtient ainsi gain de cause, contrairement à l'appelant A______ qui concluait à une réduction du montant de l'indemnité qu'il jugeait trop élevée.

6. Les motifs ayant conduit les premiers juges à prononcer, par ordonnance séparée du 30 mai 2018, le maintien de l'appelant A______ en détention pour des motifs de sûreté sont toujours d'actualité, ce que celui-ci ne conteste au demeurant pas sinon par l'absence de la mise en place des soins qui devraient lui être prodigués, sans que cet argument soit jugé pertinent à ce stade. La mesure sera ainsi reconduite mutatis mutandis (ATF 139 IV 277 consid. 2.2 à 2.3).

7. L'appelant A______, qui succombe entièrement, supportera les frais de la procédure envers l'État (art. 428 CPP), lesquels comprennent un émolument de CHF 3'000.-.

8. 8.1 Les frais imputables à la défense d'office ou à l'assistance juridique gratuite pour la partie plaignante sont des débours (art. 422 al. 2 let. a CPP) qui constituent des frais de procédure (art. 422 al. 1 CPP) et doivent, conformément à l'art. 421 al. 1 CPP, être fixés par l'autorité pénale dans la décision finale au plus tard
(ATF 139 IV 199 consid. 5.1 p. 201 s. = JdT 2014 IV 79). La juridiction d'appel est partant compétente, au sens de l'art. 135 al. 2 CPP, pour statuer sur l'activité postérieure à sa saisine.

8.2 Selon l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit (cf. art. 138 al. 1 CPP) est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. S'agissant d'une affaire soumise à la juridiction cantonale genevoise, l'art. 16 du règlement sur l'assistance juridique du 28 juillet 2010 (RAJ ; E 2 05.04) s'applique.

Cette dernière disposition prescrit que l'indemnité, en matière pénale, est calculée selon le tarif horaire de CHF 110.- pour l'avocat stagiaire et de CHF 200.- pour un chef d'étude. En cas d'assujettissement, l'équivalent de la TVA est versé en sus.

8.3 Reprenant l'activité de taxation suite à l'entrée en vigueur du CPP, la CPAR a maintenu dans son principe l'ancienne pratique selon laquelle l'activité consacrée aux conférences, audiences et autres actes de la procédure était forfaitairement majorée de 10% lorsque l'état de frais porte sur plus de 30h00, pour couvrir les démarches diverses, telles que la rédaction de courriers ou notes, les entretiens téléphoniques et la lecture de communications, pièces et décisions, sous réserve d'exceptions possibles, pour des documents particulièrement volumineux ou nécessitant un examen poussé, charge à l'avocat d'en justifier. Cette pratique s'explique par un souci de simplification et de rationalisation, l'expérience enseignant qu'un tel taux permet de couvrir les prestations n'entrant pas dans les postes de la procédure et répondant à l'exigence de nécessité et d'adéquation.

8.4 La rémunération forfaitaire de la vacation aller/retour au et du Palais de justice est arrêtée, depuis la modification du RAJ du 1er octobre 2018, à CHF 100.- pour les chefs d'étude et CHF 55.- pour les avocats-stagiaire, dite rémunération étant allouée d'office pour la juridiction d'appel pour les débats devant elle.

8.5.1 L'état de frais produit par MeC______, considéré dans sa globalité, paraît adéquat, à l'exception du temps consacré à un futur entretien avec son mandant qui n'a pas à être pris en charge par la CPAR. Il convient donc d'en retrancher 1h30 mais d'y ajouter la durée des débats d'appel (3h), le forfait pour activités diverses, qu'il sied de fixer à 10% eu égard à l'activité déployée en première instance, et la vacation relative aux débats d'appel par CHF 100.-.

Une indemnité de CHF 3'535.65 lui sera ainsi allouée, forfait pour activités diverses et TVA à 7,7% compris. Le montant se décompose en CHF 1'200.- pour quatre entretiens d'une heure et demie (6 x CHF 200.-), CHF 1'100.- pour les actes de procédure (conclusions en indemnisation et préparation de l'audience d'appel), CHF 600.- pour la participation aux débats d'appel (3 x CHF 200.-) et CHF 100.- pour le déplacement à l'audience.

8.5.2 L'état de frais déposé par Me F______ est conforme aux principes régissant la taxation du conseil juridique gratuit, de sorte qu'une indemnité de CHF 1'172.45 lui sera allouée, forfait à 10 % pour activités diverses et TVA à 7.7% compris. Ce montant se décompose en CHF 201.50 pour trois entretiens avec son mandant,
CHF 403.20 pour la préparation de l'audience et de la plaidoirie, CHF 330.- pour sa participation aux débats d'appel et CHF 55.- pour le déplacement y relatif.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Reçoit les appels formés par A______ et D______ contre le jugement JTCO/72/2018 rendu le 11 juin 2018 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/15569/2017.

Rejette l'appel de A______.

Admet l'appel de D______ dans la mesure où A______ a été condamné à lui payer
CHF 6'000.-, avec intérêts à 5 % dès le 29 juillet 2017, à titre de réparation du tort moral.

Et, statuant à nouveau :

Condamne A______ à payer à D______ CHF 10'000.-, avec intérêts à 5 % dès le 29 juillet 2017, à titre de réparation du tort moral.

Ordonne le maintien de A______ en détention pour motifs de sûreté.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, qui comprennent un émolument de CHF 3'000.-.

Arrête à CHF 3'535.65, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de MeC______, défenseur d'office de A______.

Arrête à CHF 1'172.45, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me F______, conseil juridique gratuit de D______.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel (Chambre 3), à la prison de B______, au Service d'application des peines et mesures et au Service des contraventions.

Siégeant :

Monsieur Jacques DELIEUTRAZ, juge suppléant et président ; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Pierre BUNGENER, juges ; Madame Nina SCHNEIDER, greffière-juriste.

 

La greffière :

Florence PEIRY

 

Le président :

Jacques DELIEUTRAZ

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération du 19 mars 2010 (LOAP; RS 173.71), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).


 

 

P/15569/2017

ÉTAT DE FRAIS

AARP/415/2018

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal correctionnel :

Condamne A______ aux frais de procédure de 1ère instance.

CHF

11'026.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

0.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

240.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

50.00

État de frais

CHF

75.00

Émolument de décision

CHF

3'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

Condamne A______ aux frais de procédure d'appel.(Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

3'365.00

Total général (première instance + appel) : (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9. Attention, calculer d'abord le « Total des frais de la procédure d'appel » avant le « Total général (première instance + appel »)

CHF

14'391.00