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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1737/2025

JTAPI/615/2025 du 06.06.2025 ( MC ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1737/2025 MC

JTAPI/615/2025

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 6 juin 2025

 

dans la cause

 

 

Madame A______, représentée par Me Mansour CHEEMA, avocat, avec élection de domicile

contre

COMMISSAIRE DE POLICE

 


EN FAIT

1.            Madame A______, née le ______ 2001, est originaire de Roumanie.

2.            Le 10 mai 2025, une patrouille de la police genevoise a interpellé aux abords de la gare de Cornavin Mesdames B______ et A______ après les avoir reconnues comme les personnes ayant commis, le 7 avril 2025, un vol à l'étalage dans le magasin C______ à ______[GE]. Le montant précis de la marchandise n'avait pas été déterminé car les intéressées étaient sorties avec un chariot entier du supermarché. Le représentant légal du magasin avait estimé le préjudice à CHF 400.-.

3.            Entendue par les services de police, Mme A______, a reconnu avoir commis le vol en question de concert avec son amie. Elle avait agi de la sorte car elle était démunie de moyens financiers pour s'acheter de la nourriture. S'agissant de sa situation personnelle, elle a déclaré venir régulièrement à Genève mais vivre le plus souvent en la Roumanie. N'ayant pas de travail dans son pays, elle venait à Genève pour y gagner de l'argent grâce à la mendicité, ce qui lui permettait à la fois de subsister et d'envoyer une partie de ses gains en Roumanie. Il lui était également arrivé, dans le passé, de se prostituer. Elle n'avait pas de logement à Genève et dormait parfois chez son ami, Monsieur D______, dont elle a précisé l'adresse.

4.            Prévenue d'infraction au code pénal (art 139 al. 1 CP – vol), elle a été mise à disposition du Ministère public sur ordre du Commissaire de police.

5.            Le 11 mai 2025, Mme A______ a été condamnée par ordonnance pénale du Ministère public de Genève pour les faits ayant conduit à son arrestation, puis elle a été remise en mains des services de police.

6.            Le même jour, en application de l'art. 74 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), le commissaire de police a prononcé à l'encontre de Mme A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au canton de Genève) pour une durée de douze mois.

7.            Le 19 mai 2025, Mme A______ a formé opposition, par l'intermédiaire de son conseil, contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal).

8.            Lors de l'audience de ce jour, Mme A______ a indiqué qu’elle s’était opposée à la mesure d’interdiction car elle avait à Genève un ami, Monsieur D______, qui l’aidait à trouver du travail. Elle connaissait M. D______ depuis deux ans et demi et c’était une personne avec qui elle formait un couple. C’était quelqu’un de gentil et avec qui elle se sentait bien. Ils avaient déjà eu l’occasion de discuter d’un éventuel mariage et également de fonder une famille, mais pour l’instant cela restait des projets, car ils voulaient laisser passer encore un peu de temps avant de s’engager de la sorte. Sur question du tribunal de savoir ce qu’elle aurait pu dire de M. D______ en cherchant à le présenter pendant trois minutes, elle ne voyait pas ce qu’elle aurait pu dire. Invitée par le tribunal à décrire par exemple ce que M. D______ aimait faire ou n’aimait pas faire, elle a répondu qu’il se levait tous les matins à 4h pour se rendre à son travail et qu’il revenait le soir, qu’il prenait son repas et qu’il se couchait pour dormir. Sur question du tribunal, il était âgé de 52 ans. Elle ignorait quel était son métier. Il n’avait ni frère, ni sœur et ses parents étaient morts tous les deux. Il était né à Genève et il y avait toujours vécu. Il n’y avait pas eu de période où il avait vécu dans un autre canton ou à l’étranger. Sur question du tribunal de savoir quelles avaient été les démarches effectuées par M. D______ pour l’aider à trouver du travail, elle a expliqué qu’il l’avait mise en contact deux ou trois jours auparavant avec une personne chez laquelle elle aurait pu travailler dans la récolte de fruits et qui lui avait dit qu’elle pourrait essayer de lui obtenir un permis de travail. Sur question du tribunal de savoir quelle aide M. D______ lui aurait apportée précédemment en vue de lui trouver un emploi, elle a précisé que jusque-là, elle ne lui avait pas demandé de l’aider à trouver du travail. Elle ne l’avait fait que récemment. Elle a confirmé que, quand bien même elle savait qu’il partait à 4h du matin pour se rendre à son travail, elle ne savait pas quel emploi il avait, car elle ne lui avait pas demandé. Lorsqu’il avait congé le week-end, ils restaient à Genève. Ils n’avaient jamais fait ensemble d’excursions, par exemple pour des visites touristiques en France voisine ou dans un autre pays, ni même dans une autre ville de Suisse. Elle lui avait proposé de venir avec elle en Roumanie, mais il lui avait dit que c’était encore un peu tôt. Ils n’avaient jamais passé du temps ensemble pendant les vacances de son ami, mais peut-être c’était parce que, à ce moment-là, elle était elle-même en Roumanie. Il ne connaissait pas sa fille mais il l’avait déjà vue lorsqu’elle parlait avec cette dernière au téléphone. Elle ignorait quels étaient les revenus de M. D______. Sur question du tribunal, il ignorait de son côté que lorsqu’elle était à Genève, elle vivait grâce à la mendicité. Il l’ignorait encore aujourd’hui. Sur question du tribunal, elle a confirmé qu’elle vivait plus souvent en Roumanie qu’à Genève, la plus longue durée de son séjour à Genève ayant été de deux mois et demi. Elle n’avait pas dormi uniquement chez M. D______ pendant cette durée, car il lui arrivait aussi d’aller à ______[VD] où elle avait une copine chez laquelle elle dormait aussi. Sur question du tribunal, M. D______ savait déjà depuis leur rencontre qu’elle n’avait pas de travail. Il ne l’avait pas spécialement questionnée sur sa situation. Il lui donnait de l’argent pour l’aider à vivre et savait par ailleurs qu’elle n’avait pas le droit de rester à Genève plus de trois mois d’affilée, et qu’en plus elle avait une petite fille qu’elle souhaitait voir en Roumanie. Il était arrivé qu’il paie son billet d’avion pour qu’elle vienne à Genève. Elle s’organisait pour obtenir des billets les meilleurs marchés, aux alentours de CHF 120.-. Sur question du tribunal, M. D______ avait été mis au courant de l'interdiction d’entrer dans le canton de Genève dès le moment où cette décision avait été prononcée. Mme A______ a confirmé que cela n’avait pas été simple pour lui de réaliser qu’ils risquaient de ne plus pouvoir se voir pendant douze mois dans le canton de Genève. Il lui avait dit que, si cette interdiction était confirmée, il pourrait par exemple venir la trouver à ______[VD] chez sa copine. Elle n’avait pas souhaité demander à M. D______ de venir témoigner à l’audience de ce jour, car c’était elle qui était concernée par cette décision et pas lui. Elle ne lui avait pas demandé non plus une attestation concernant leurs liens, car elle n’y avait pas pensé. Sur question du tribunal de savoir si les conséquences de l’interdiction seraient vraiment problématique pour elle, étant donné que l’on pourrait imaginer qu’elle réside à ______[VD] lorsqu’elle viendrait en Suisse, qu’elle pourrait y déployer son activité de mendicité et recevoir également la visite de M. D______ qui pourrait continuer à lui apporter une aide financière, elle a rappelé qu’elle avait désormais trouvé du travail à Genève et qu’elle pourrait obtenir un permis et que par ailleurs il lui arrivait de venir à Genève par avion. Sur son dernier retour trois ou quatre jours auparavant, elle a précisé qu’elle s’était rendue par avion à ______[FRANCE] puis à Genève en bus. Sur question de la représentante du commissaire de police, elle a confirmé que M. D______ ignorait qu’elle avait fait illicitement l’exercice de la prostitution, mais elle avait désormais arrêté cette activité. Elle a confirmé que M. D______ pourvoyait à son entretien, y compris en ce qui concernait l’alimentation. Par conséquent, elle avait volé de la nourriture dans un magasin pour pouvoir l’envoyer en Roumanie. Sur question du tribunal, M. D______ l’avait parfois soutenue par l’envoi de sommes d’argent (CHF 100.- ou CHF 150.-) directement à sa mère en Roumanie, ou en lui donnant de l’argent afin qu’elle le ramène en Roumanie, ou encore en lui donnant de l’argent pour qu’elle achète de la nourriture à destination de la Roumanie. Sur question de la représentante du commissaire de police, elle avait demandé que cette dernière appelle son ami E______ plutôt que son ami D______, car elle s’était souciée surtout d’informer sa mère de son arrestation et il fallait donc contacter quelqu’un qui puisse le lui expliquer en roumain. E______ était simplement un ami qui comme elle faisait des voyages entre la Roumanie et la Suisse.

Le conseil de l’intéressé a déposé un bordereau de pièces incluant une opposition de Mme A______ à l’ordonnance pénale, formée le 19 mai 2025.

La représentante du commissaire de police a déposé l’extrait du casier judiciaire de Mme A______, dont il ressort qu'elle a été condamnée à trois reprises par le Ministère public du canton de Genève, le 7 avril 2022, le 11 avril 2024 et le 23 juillet 2024, à chaque fois pour exercice d'une activité lucrative sans autorisation au sens de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) et pour exercice illicite de la prostitution, les périodes pénales couvertes par cette dernière infraction ce rapportant aux mois de mars et avril 2022, septembre à décembre 2023 et janvier à juillet 2024.

Le conseil de l’intéressée a plaidé et a conclu préalablement à ce que Mme A______ soit mise au bénéfice de l’assistance juridique et que l’indemnité de procédure soit fixée à hauteur de l’état de frais transmis au tribunal, augmenté d’une vacation aller-retour au tribunal et de la durée de l’audience et principalement à l’annulation de l’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève prise à l’encontre de sa mandante le 11 mai 2025, subsidiairement à ce que la mesure concerne uniquement le périmètre de la Gare de Cornavin et ses alentours, au quartier des Paquis, dans le magasin C______ où avait été commis le vol, soit l’______[GE] et dans un périmètre de 50 m.

La représentante du commissaire de police a plaidé et conclu au rejet de l'opposition et à la confirmation de l'interdiction de pénétrer sur le canton de Genève pour une durée de douze mois.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.

3.             Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.

4.             Selon l'art. 74 al. 1 LEI, l’autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée dans les cas suivants :

- l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a);

- l’étranger est frappé d’une décision de renvoi ou d’expulsion entrée en force et des éléments concrets font redouter qu’il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou il n’a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire (let. b);

- l’exécution du renvoi ou de l’expulsion a été reportée (art. 69, al. 3) (let. c).

5.             Selon l'alinéa 2, 1ère phrase de cette disposition, la compétence d'ordonner ces mesures incombe au canton qui exécute le renvoi ou l'expulsion.

6.             De son côté, l'art. 6 al. 3 LaLEtr précise que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

7.             Les mesures prévues par l'art. 74 al. 1 LEI visent à prévenir les atteintes à la sécurité et à l'ordre publics, plutôt qu'à sanctionner un comportement déterminé (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2a).

8.             Les étrangers dépourvus d'une autorisation de séjour n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle, le seuil pour ordonner de telles mesures n'a pas été placé très haut. Pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics, il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police. En particulier, des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue suffisent, de même que la violation grossière des règles classiques de la cohabitation sociale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 2.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1 ; 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 et la référence citée ; ATA/233/2018 du 13 mars 2018 consid. 4b ; ATA/1041/2017 du 30 juin 2017 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017 ; ATA/885/2016 du 20 octobre 2016. De simples vétilles ne sauraient toutefois suffire, au regard du principe de la proportionnalité, pour prononcer une telle mesure (cf. Grégor CHATTON/Laurent MERZ, Code annoté de droit des migrations, vol. II, n. 16 ad art. 74 p. 733 et les arrêts cités).

9.             La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise en particulier à combattre le trafic de stupéfiants et à éloigner les personnes qui sont en contact répété avec le milieu de la drogue des lieux où se pratique le commerce de stupéfiants (arrêts du Tribunal fédéral 2C_570/2016 du 30 juin 2016 consid. 5.1 ; 2C_1142/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.1 ; 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.2 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; ATA/199/2017 du 16 février 2017 ; ATA/73/2014 du 10 février 2014 ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014). D'autres comportements permettent néanmoins aussi de retenir un trouble ou une menace de la sécurité et de l'ordre publics. On peut songer à la commission de vols et d'autres larcins (réitérés), même de peu d'importance du point de vue du droit pénal, à la mendicité organisée ou aux « jeux » de bonneteau sur la voie publique, qu'ils soient ou non pénalisés, à des contacts que l'étranger entretiendrait avec des groupes d'extrémistes politiques, religieux ou autres, à la violation grave et répétitive de prescriptions et d'injonctions découlant du droit des étrangers, notamment le fait d'avoir passé outre à une assignation antérieure ou de tenter de saboter activement les efforts entrepris par les autorités en vue d'organiser le renvoi de l'étranger (cf. Grégor CHATTON/Laurent MERZ, op. cit., n. 20 ad art. 74 p. 735 et les arrêts cités).

10.         La jurisprudence considère qu'une condamnation pénale n'a pas besoin d'être définitive pour fonder au moins l'existence de soupçons d'une infraction, lesquels sont suffisants dans le cadre de l'application de l'art. 74 LEI.

11.         En l'espèce, s'agissant de la première condition de l'art. 74 al. 1 let. a LEI, l’intéressée, qui est de nationalité roumaine, n'est pas au bénéfice d'une autorisation de courte durée (art. 32 LEI), de séjour (art. 33 LEI) ou d'établissement en Suisse (art. 34 LEI), ce qu’elle ne conteste pas. Son appartenance à un État partie à l’ALCP ne lui octroie par ailleurs pas ex lege une autorisation de séjour, et n’exclut pas par principe le prononcé d’une mesure de l’art. 74 LEI.

S'agissant de la seconde condition, Mme A______ a notamment été condamnée par ordonnance pénale du 11 mai 2025 pour vol. Suite à son arrestation, elle a non seulement admis les faits mais également indiqué avoir agi de la sorte car elle était démunie de moyens financiers, faire des allers-retours entre la Suisse et la Roumanie et subvenir à ses besoins grâce à la mendicité. Dans ces conditions, il n'est pas déraisonnable de penser que sa présence à Genève résulte d'une volonté de commettre ou de permettre la commission d’activités délictuelles et criminelles, telles que celle pour laquelle elle est actuellement poursuivie et qu'elle pourrait encore être amenée à en commettre ou à permettre leur commission. En particulier, le fait qu'elle aurait un ami intime qui la soutiendrait financièrement ne l'a manifestement pas empêchée de commettre l'infraction pour laquelle elle est actuellement poursuivie, de sorte que l'on ne saurait a priori considérer cette prétendue relation comme un facteur propre à empêcher la réitération de nouvelles infractions.

Dès lors, le commissaire de police pouvait effectivement considérer que Mme A______ constituait une menace pour l'ordre et la sécurité publics suffisante pour justifier l'application des art. 74 al. 1 let. a LEI et 6 al. 3 LaLEtr, dont les conditions sont donc réunies. Il convient à cet égard d'ajouter que l'argument de la précitée selon lequel elle pourrait finalement n'être condamnée pénalement que pour un vol d'importance mineure et qu'elle ne constituerait donc pas une réelle menace, ne tient pas compte de ses antécédents, qui démontrent sa persistance à troubler l'ordre public nonobstant les condamnations dont elle a successivement fait l'objet.

12.         Les mesures interdisant de pénétrer dans une région déterminée doivent respecter le principe de la proportionnalité énoncé à l’art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101).

Elles doivent être nécessaires et suffisantes pour empêcher que la sécurité et l'ordre publics ne soient troublés ou menacés. Il faut en outre qu'il existe un rapport raisonnable entre les effets de la mesure sur la situation de la personne visée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 137 I 167 consid. 3.6 ; 136 I 197 consid. 4.4.4). En particulier, la délimitation géographique et la durée de la mesure doivent être prises en considération en fonction du but poursuivi. En matière d'interdiction de pénétrer sur une partie du territoire, le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles. Elles ne peuvent en outre pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c).

13.         L'art. 74 LEI ne précise pas la durée de la mesure. Celle-ci doit répondre au principe de proportionnalité, à savoir être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3).

14.         Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (cf. not. arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 ; ATA/1371/2020 du 30 décembre 2020 consid. 5); vers le haut, des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2 ; ATA/1347/2018 du 13 décembre 2018 consid. 6), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.

15.         Le périmètre d'interdiction doit être déterminé de manière à ce que les contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes puissent rester possibles ; elles ne peuvent en outre pas être ordonnées pour une durée indéterminée (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1 ; 2C_1044/2012 du 5 novembre 2012 consid. 3.3 ; 2A.514/2006 du 23 janvier 2007 consid. 3.3.1 ; 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3c). Cela étant, le périmètre d'interdiction peut inclure l'ensemble du territoire d'une ville (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.2 ; 2A.647/2006 du 12 février 2007 consid. 3.3 pour les villes d'Olten et de Soleure ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 4.2 pour la ville de Berne).

16.         Les étrangers dépourvus d'autorisation de séjour n'ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S'agissant d'une atteinte relativement légère à la liberté personnelle, le seuil pour ordonner les mesures d'assignation d'un lieu de séjour et d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée n'a pas été placé très haut. Pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l'ordre publics, il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police. Des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue suffisent, de même que la violation grossière des règles classiques de la cohabitation sociale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 et la référence citée ; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2b et les références citées ; ATA/45/2014 du 27 janvier 2014 ; ATA/778/2012 du 14 novembre 2012).

17.         A titre d'exemple, dans sa jurisprudence récente, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a notamment confirmé une première mesure d’interdiction de pénétrer visant tout le canton pour une durée de douze mois prononcée contre une ressortissante roumaine, sans antécédents, condamnée pour vol, relevant que l’intéressée était dépourvue de tout lien ou attaches dans le canton de Genève, n’avait pas rendu vraisemblable qu’elle y serait à la recherche d’un emploi, ne disposait d’aucun moyen de subsistance, ayant déclaré vivre de la mendicité, loger dans des hébergements d’urgence et se rendre aux cantines sociales. L’interdiction de périmètre ne comportant qu’une atteinte à la liberté personnelle relativement légère, il n’y avait pas lieu de la réduire en l’espèce, sous peine de la priver de son effet dissuasif (ATA/1501/2024 du 23 décembre 2024 ; cf aussi ATA/1468/2024 du même jour).

Elle a également confirmé une première mesure d’interdiction de pénétrer visant tout le canton pour une durée de douze prononcée contre un ressortissant portugais pour vol et violation de domicile (non-respect d’une interdiction d'entrer dans un magasin F______), relevant que l’intéressé n’avait aucun emploi, ni titre de séjour en Suisse, ni de lien avéré avec ce pays ou même avec le canton de Genève, ne disposait pas de moyens de subsistance et n’avait pas allégué une nécessité de se rendre à Genève. Il n’avait également pas respecté la mesure d’interdiction qui faisait l’objet de la procédure (ATA/385/2024 du 19 mars 2024 du 19 mars 2024).

Elle a de même confirmé l’interdiction du territoire de tout le canton pour une durée de douze mois prononcée contre un ressortissant français sans casier judiciaire ni en Suisse ni en France interpellé par la police genevoise, dans le quartier des Pâquis, après avoir, selon les agents de police, été observé en train de participer à la vente à un tiers de 2.8 g de marijuana contre la somme de CHF 40.- mais dont la condamnation pénale pour les faits précités avait toutefois fait l’objet d’une ordonnance de classement, après son audition, vu la prévention pénale insuffisante s’agissant de la vente de produits stupéfiants et la faible quantité de cannabis détenue, destinée à sa propre consommation. Quand bien même les faits de trafic n’étaient plus retenus, restait que l'intimé détenait du haschich pour sa propre consommation et n'avait pas contesté se trouver dans un lieu notoire de revente de stupéfiants (carrefour entre la rue du Môle et la rue de Berne aux Pâquis), étant rappelé d'une part qu'une mesure basée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne présupposait pas une condamnation pénale de l’intéressé, et qu'elle pouvait se fonder à teneur de la jurisprudence sur la seule possession de stupéfiants destinés à une consommation personnelle, ce qui était le cas en l'espèce. Dès lors, le classement de la procédure pénale ne suffisait pas à permettre la levée de la mesure d'interdiction de périmètre. La mesure était au surplus proportionnée dans la mesure où l’intéressé n’avait pas démontré une quelconque nécessité de se rendre dans le canton de Genève, notamment pour y trouver du travail (ATA/34/2024 du 12 janvier 2024).

18.         En l’espèce, concernant le périmètre de l'interdiction, étendu à l'ensemble du canton de Genève, comme la jurisprudence le retient désormais de manière constante, il ne constitue pas en soi un usage excessif du pouvoir d'appréciation de l'autorité intimée.

19.         Mme A______ prétend qu'elle aurait différents intérêts privés à pouvoir continuer à séjourner à Genève de manière répétée, comme jusqu'à présent. Elle a tout d'abord mentionné le couple qu'elle formerait avec Monsieur D______, avec lequel elle aurait déjà eu des discussions sur l'éventualité d'un mariage ou de fonder une famille. Le tribunal doute néanmoins fortement de la véritable nature de la relation qui lierait ces deux personnes. En effet, Mme A______ semble n'avoir qu'une connaissance extrêmement superficielle du précité, sur lequel elle n'a été en mesure de faire au tribunal quasiment aucune déclaration, sinon en se trompant sur son âge véritable (inscrit dans les bases de données de l'office cantonal de la population et des migrations), ainsi que sur son parcours de vie (indication également inscrite dans les mêmes bases de données, mais sur laquelle le tribunal conservera la confidentialité pour des raisons de protection des données). Invitée par le tribunal à préciser quels pouvaient être par exemple les goûts de son ami, Mme A______ n'a pas été en mesure de répondre, ni sur quoi que ce soit d'autre qui concerne personnellement l'intéressé. La seule explication qu'elle a pu donner se réfère à l'heure à laquelle son ami se rendrait quotidiennement à son travail, dont elle ignore la nature. Mme A______ a déclaré passer les week-ends avec son ami lorsqu'elle est à Genève, mais, alors qu'ils formeraient un couple depuis deux ans et demi, ils n'ont jamais fait ensemble la moindre excursion, ni n'ont passé ensemble ne serait-ce qu'une partie des vacances dont bénéficierait l'intéressé. Le tribunal ne peut par ailleurs que s'étonner du fait que Mme A______ n'ait pas demandé à son ami de venir témoigner lors de l'audience de ce jour. Sa crainte que son activité dans la prostitution ne soit révélée à son ami lors de l'audience ne suffit pas à expliquer cette absence, dès lors qu'elle aurait pu essayer de convenir à l'avance avec sa partie adverse et le tribunal que cette question ne serait pas abordée. À tout le moins, la crainte exprimée par Mme A______ ne saurait expliquer l'absence d'attestation de son ami, qu'elle aurait pu produire avant ou pendant l'audience. Pour toutes ces raisons, le tribunal ne saurait retenir l'existence d'un réel lien affectif entre Mme A______ et son ami, lien qui, s'il existe, semble avant tout de nature intéressée.

20.         Par ailleurs, s'agissant du fait que Mme A______ pourrait désormais exercer une activité lucrative dans le canton de Genève, le tribunal constate que, là aussi, les affirmations de la précitée ne trouvent pas le début d'une preuve dans le dossier. L’on relèvera d'ailleurs, à ce sujet, que seul le canton de Genève lui est interdit et qu’il lui est dès lors loisible, en l'état, de chercher du travail dans un autre canton.

21.         Pour toutes ces raisons, on ne voit pas en quoi la situation de Mme A______ se distinguerait de celle des ressortissants européens au sujet desquels la jurisprudence précitée a confirmé la possibilité de prononcer une mesure d'interdiction de pénétrer dans l'ensemble du territoire genevois pour une durée de 12 mois. Pour ce motif, il n'y a pas de raison de se pencher sur la nécessité de réduire l'étendue géographique de cette mesure, comme le demande Mme A______ dans ses conclusions subsidiaires. Le tribunal relèvera encore que la mesure litigieuse ne constitue pas, dans la perspective de poursuivre des séjours en Suisse, un obstacle qu'il serait excessivement difficile de surmonter, puisque la précitée a expliqué qu'elle s'était déjà rendue dans ce pays par voie terrestre et que dernièrement, elle était passée par l'aéroport de Lyon (France) et avait terminé son trajet en bus.

22.         Partant, le tribunal confirmera l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise à l'encontre de Mme A______ pour une durée de douze mois.

23.         Les conclusions que la prise au sujet des dépens de la procédure devront être rejetées, compte tenu de l'issue de cette dernière.

24.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à Mme A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.

25.         Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable l'opposition formée le 20 mai 2025 par Madame A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 11 mai 2025 pour une durée de douze mois ;

2.             la rejette ;

3.             confirme la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 11 mai 2025 à l'encontre de Madame A______ pour une durée de douze mois ;

4.             dit qu'il n'est pas octroyé d'indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;

6.             dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Madame A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève,

 

La greffière