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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/545/2024

JTAPI/761/2024 du 07.08.2024 ( OCIRT ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION DE FRONTALIER;SALON DE COIFFURE;DROIT D'ÊTRE ENTENDU;COMMISSION EXTRAPARLEMENTAIRE
Normes : LEI.19; Cst; LIPAD.24; LCOf.15
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/545/2024

JTAPI/761/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 7 août 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Mathias ZINGGELER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 


EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1979, est ressortissant de la République dominicaine.

2.             Il est marié depuis le ______ 2017 à Madame B______, citoyenne allemande. Mme B______ travaille à Genève auprès de C______ (ci-après: C______) et est au bénéfice d'une carte de légitimation.

De cette union est né l'enfant D______ le ______ 2019, lequel est de nationalité allemande.

3.             Depuis le 20 avril 2018, M. A______ réside en France voisine, à E______, au bénéfice d'un titre de séjour français de longue durée, valable jusqu'au 30 décembre 2025. Avec son épouse, ils sont copropriétaires du logement qu'ils occupent.

4.             Le 13 février 2023, M. A______ a signé le contrat de remise du fonds de commerce « F______ » avec Madame G______, l'ancienne propriétaire.

5.             Par formulaire du 8 novembre 2023, M. A______ a soumis à l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) une demande de permis frontalier (permis G) avec activité lucrative indépendante, en vue d'exploiter un salon de coiffure et d'esthétique à Genève sous l'enseigne H______ (ci-après: F______), lequel est inscrit au registre du commerce de Genève depuis le ______ 2023 sous la forme d'une entreprise individuelle.

Il ressort notamment du business plan transmis à l'appui de sa demande que :

-          le but du F______ était de créer un lieu offrant une large gamme de services de soins capillaires pour hommes, femmes et enfants avec prise de rendez-vous en ligne ;

-          le F______ disposait de six postes de travail. Il était prévu d'engager deux collaborateurs d'ici la 2ème année d'exercice et cinq collaborateurs d'ici la 3ème année d'exercice ;

-          une fiduciaire devait accompagner M. A______ dans le processus d'ouverture du salon ;

-          la 1ère année, le chiffre d'affaire devait être de CHF 72'000.-, la 2ème année de CHF 108'000.- et la 3ème année de CHF 177'600.-.

6.             Par décision du 18 janvier 2024, l'office cantonal de l'inspection et des relations du travail (ci-après: OCIRT), après examen du dossier par la commission tripartite, a refusé l'octroi de l'autorisation sollicitée, au motif que la condition de l'art. 19 let. a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) n'était pas remplie. La demande en vue de l'exercice d'une activité lucrative indépendante ne présentait pas un intérêt économique suffisant. En effet, conformément aux directives du secrétariat d'État aux migrations (ci-après: SEM), un ressortissant d'État tiers pouvait être admis à l'exercice d'une activité indépendante s'il était prouvé que le marché suisse du travail tirerait durablement profit de l'implantation. Tel pouvait être le cas lorsque l'entreprise contribuait à la diversification de l'économie régionale dans la branche concernée, obtenait ou créait des places de travail pour la main d'œuvre locale, procédait à des investissements substantiels et générait de nouveaux mandats pour l'économie helvétique. Or, ces conditions n'étaient pas réalisées.

7.             Le 30 janvier 2024, M. A______ a demandé une copie de son dossier à l'OCIRT, lequel s'est exécuté par courriel du 31 janvier 2024.

8.             Par acte du 16 février 2024, sous la plume de son conseil, M. A______ (ci-après: le recourant) a formé recours contre la décision précitée auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) concluant à son annulation et, cela fait, à l'octroi d'un permis de travail pour frontalier, subsidiairement au renvoi du dossier à l'autorité intimée pour nouvelle décision au sens des considérants, le tout sous suite de frais et dépens.

Son droit d'être entendu avait été violé. L'OCIRT avait rendu sa décision sans l'avoir préalablement interpellé quant à son intention de la prononcer en lui indiquant sur quels éléments factuels et sur quelles bases juridiques il comptait se fonder. La motivation de la décision querellée était à peine suffisante, se limitant à indiquer la base légale ayant justifié le refus d'autorisation et l'absence d'intérêt économique suffisant pour la Suisse. Une interpellation préalable lui aurait permis de présenter de nombreux éléments factuels démontrant que l'art. 19 let. a LEI était respecté. Cette violation ne pouvait pas être réparée dans la mesure où l'OCIRT ne s'était pas prononcé sur les nouveaux éléments allégués pour la première fois dans le recours. L'OCIRT avait également refusé l'accès à l'entier du dossier. En effet, le courriel de l'OCIRT du 31 janvier 2024 ne comprenait pas le procès-verbal de la commission tripartite et avait par la suite indiqué que ce document n'était pas public, de sorte qu'il ne pouvait pas y avoir accès. Or, il s'agissait d'un document fondamental dans la procédure et ne constituait pas de simples notes échangées entre membres d'une autorité collégiale.

La décision querellée n'abordait pas les conditions des art. 19 let. b et c et 25 LEI. Concernant la condition de l'art. 19 let. a LEI, il avait déjà consenti à des investissements importants dépassant les CHF 70'000.- en vue de lancer et développer son activité. Compte tenu de l'activité considérée et de ses moyens, cette somme devait être considérée comme substantielle. Il avait ainsi pu reprendre une entreprise existante qui allait cesser son activité, le F______, ancienne institution du quartier I______, qui ne trouvait pas de repreneur depuis près d'une année. Il avait ainsi permis à l'économie genevoise, en particulier celle de I______, de jouir d'une activité économique permettant la réalisation d'un chiffre d'affaire conséquent, plutôt qu'une arcade vide. Comme exposé dans son business plan, son projet visait à permettre à l'ensemble des membres d'une même famille de se rendre ensemble chez le coiffeur, ce qui impliquait la démultiplication des emplois de coiffeurs afin d'exploiter pleinement le potentiel du salon, offrant jusqu'à six places de travail. Il avait publié une annonce en vue d'embaucher deux coiffeurs avant même que le commerce ne lui fût remis. Si le retard pris dans la transmission du commerce et les travaux de rénovation avaient retardé l'exécution des embauches, cela restait un objectif concret. En effet, il avait pour projet de compléter son équipe à hauteur de cinq coiffeurs à temps plein dans un horizon de deux ans. Il tenait à réserver ces postes à de la main-d'œuvre locale, si possible, à des habitants de I______, afin que le commerce garde sa caractéristique de proximité. La masse salariale globale projetée serait à tout le moins de CHF 163'116.- dès la 2ème année d'exploitation et de CHF 271'860 à partir de la 3ème année, à laquelle il s'agirait d'ajouter des charges sociales de 10% qui seraient versées à l'Office cantonal des assurances sociales, auprès duquel il était déjà affilié. Il avait par ailleurs déjà fait fonctionner l'économie locale en permettant à l'entreprise J______ de réaliser une affaire en vendant le fonds de commerce concerné et en confiant un mandat à l'entreprise K______ SA afin de permettre la fixation de rendez-vous sur une plateforme en ligne avant même le début de son activité. Il comptait développer un concept à haute valeur sociale et environnementale en confiant autant de travail que possible aux entreprises et habitants genevois, notamment pour l'approvisionnement en produits cosmétiques.

La qualité du business plan et de l'étude de marché démontrait que son projet était solide et servirait les intérêts économiques genevois, étant précisé que ni la jurisprudence ni la doctrine n'arrêtait un seuil de chiffre d'affaire ou de bénéfice pour que la condition fût remplie. Les projections financières produites laissaient entrevoir un chiffre d'affaire de CHF 324'000.- dès la 2ème année d'exploitation et de CHF 588'000.- à partir de la 3ème année, en tenant compte des engagements de coiffeurs correspondant aux prévisions du business plan.

Il était titulaire de deux diplômes universitaires, dont un de L______ (Espagne), de sorte qu'il détenait les qualifications professionnelles nécessaires à l'exercice des activités et à la gestion de son entreprise sur le long terme. Vu son expérience en tant que pluri-entrepreneur, il n'aurait pas investi autant dans ce salon s'il n'avait pas été clair, au vu de son étude de marché, que cette entreprise pourrait rapidement être rentable et permettre les développements envisagés. Il était l'époux d'une fonctionnaire internationale dont les revenus étaient substantiels, était copropriétaire de son logement et jouissait de moyens financiers importants.

9.             Le 19 avril 2024, l'OCIRT a transmis ses observations, accompagnées de son dossier. Il a conclu au rejet du recours.

La décision querellée indiquait clairement les raisons pour lesquelles l'autorisation sollicitée n'avait pas été accordée ainsi que la base légale applicable. Cela permettait au recourant de l'attaquer ultérieurement au besoin et ce dernier avait en particulier pu faire valoir tous les griefs utiles dans son recours. La décision litigieuse mentionnait aussi que le dossier avait été examiné par la commission désignée à cet effet par le Conseil d'État. Il n'existait toutefois pas de délibération formalisée puisque la décision était rendue immédiatement après la séance hebdomadaire de la commission tripartite pour l'économie du canton. En outre, conformément à l'art. 90 LEI, le recourant devait déposer un dossier complet, comprenant toutes les informations qu'il retenait pour importantes, à l'instar de la version finalisée du business plan. L'autorité n'avait ainsi pas l'obligation de l'interpeller avant de rendre sa décision. Ayant jugé que le dossier du recourant était suffisamment complet pour rendre une décision, il n'avait pas été jugé opportun de l'interpeller. Au besoin, il aurait dû prendre contact avec l'autorité s'il estimait que certains éléments cruciaux étaient manquants. Il avait au surplus été immédiatement fait droit à sa demande de consultation de son dossier.

Il ressortait de son Curriculum Vitae que le recourant avait une formation d'informaticien et qu'il était directeur de la société qu'il avait créée (« M______ »).

L'enseigne F______ proposait des services de coiffures et beauté qui étaient déjà fournis en surabondance sur le canton. En effet, une recherche au registre du commerce avec le terme « coiffure » dans le but de l'entreprise montrait qu'il existait déjà 669 entreprises actives dans ce domaine à Genève, sans compter que des indépendants pouvaient être actifs sans être inscrits au registre du commerce.

Le business plan transmis lors du dépôt de la demande ne contenait aucune indication concernant la possibilité d'embaucher du personnel. Le recourant affirmait dans son recours en se basant sur le business plan, vouloir embaucher quatre personnes au total d'ici la 3ème année d'exploitation, ce qui devait équivaloir à l'apport d'un chiffre d'affaire de CHF 324'000.- la 2ème année et de CHF 588'000.- la 3ème année. Concernant le bénéfice, il devrait s'élever à CHF 154'601.28.- la 2ème année et à CHF 287'428.80.- la 3ème année. Ces chiffres n'étaient cependant pas justifiés par une étude de marché, leur base reposant sur de simples multiplications des postes/du nombre de personne embauchées, sans pour autant prendre en compte l'offre et la demande, en sachant que d'après une simple recherche sur internet, il existait 20 salons de coiffure dans le quartier I______. La masse salariale serait de CHF 271'860.- après la 3ème année selon ses calculs. Il n'avait en outre pas démontré des investissements substantiels.

En se basant sur les deux versions du business plan reçues, les prévisions financières ne permettaient pas d'y reconnaitre un intérêt économique suffisant. En effet, le chiffre d'affaire s'élevait à CHF 72'000.- la 1ère année, à CHF 108'000.- la 2ème année et à CHF 117'600.- la 3ème année.

L'ensemble de ces éléments démontrait l'absence d'intérêt économique suffisant pour la Suisse de la demande, celle-ci servant avant tout les propres intérêts du recourant.

Il convenait de rappeler que l'économie genevoise souffrait depuis de nombreuses années d'un déficit de contingents d'autorisation de séjour avec activité lucrative pour les ressortissants d'État tiers. L'adéquation de l'intérêt économique de la demande avec l'exiguïté du contingent représentait ainsi le cœur de l'exercice auquel se prêtait la commission tripartite de manière hebdomadaire. Cette commission était présidée par le département de l'économie et de l'emploi (ci-après: DEE) et était composée de représentants des associations patronales et syndicales du canton ainsi qu'un représentant de l'administration fiscale cantonale, de l'office cantonal de l'emploi et de la direction générale du développement économique, de la recherche et de l'innovation. Ces différents acteurs avaient une très bonne compréhension du tissu économique genevois et de la réalité du marché du travail. Cette autorité était donc contrainte de rester attentive et de ne retenir que les demandes qui se démarquaient concrètement par le fort intérêt économique qu'elles représentaient. Cet intérêt économique important pouvait notamment se déduire par le nombre d'emplois que l'engagement en question permettait de créer, par les retombées fiscales qu'il engendrait, par le domaine d'innovation ou encore le type d'activités capable d'insuffler un élan positif à l'économie genevoise, ce qui ne ressortait pas du projet du recourant, malgré les nouveaux éléments apportés.

Au surplus, le fait que le recourant était l'unique titulaire avec signature individuelle de l'enseigne F______ ne lui donnait aucun droit lors de la procédure d'autorisation. Par ailleurs, d'après la pièce 25 du chargé du recourant, il semblait que ce dernier avait déjà débuté son activité commerciale, sans être au bénéfice d'un permis de travail, en violation des art. 115 ss LEI.

10.         Le 13 mai 2024, le recourant a répliqué, persistant dans ses conclusions et son argumentation.

L'autorité intimée ne contestait pas ne pas l'avoir interpellé avant de rendre sa décision, certes motivée. L'OCIRT n'avait toujours pas produit le procès-verbal de la commission tripartite. S'il indiquait désormais qu'il n'existait pas de document formalisé, il avait auparavant refusé de transmettre le procès-verbal au motif qu'il n'était pas public. Il était au demeurant peu probable qu'aucun procès-verbal ne fût tenu par cette commission, faute de quoi il n'existerait aucune trace des décisions prises.

Son projet était parfaitement novateur, puisqu'il permettait à l'ensemble des membres d'une même famille de pouvoir bénéficier de soins et de prestations de coiffure en même temps, ce qui, à sa connaissance, n'existait pas à ce jour à Genève, à tout le moins sous la forme d'une prestation globale forfaitaire. Le nombre d'entreprises actives dans le domaine exposé par l'OCIRT ne démontrait pas une surabondance dans l'offre de service. Au contraire, cela démontrait une grande demande dans ce secteur, ce d'autant que l'autorité intimée ne faisait pas référence à des cessations d'activité récurrentes ou de problématiques particulières de cette industrie. Le nombre exposé par l'OCIRT devait aussi être relativisé, compte tenu du pôle de population compris dans le bassin du Grand Genève. Les chiffres découlant de son premier business plan, prenant en compte le développement de son entreprise impliquant l'embauche de deux coiffeurs à plein temps la 1ère année puis de deux coiffeurs supplémentaires, servaient clairement les intérêts économiques de la Suisse et dépassaient largement les chiffres arrêtés par la jurisprudence de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: chambre administrative). Concernant la création de places de travail, l'autorité intimée ignorait les projections présentées, se bornant à indiquer que celles-ci ne reposaient pas sur une étude de marché et ne pouvaient être suivies du fait de la surabondance de l'offre dans la branche concernée. Il avait pourtant démontré la publication des offres d'emploi et son concept rendait nécessaire l'engagement de plusieurs collaborateurs. L'argumentation relative à l'exiguïté du contingent n'était pas démontrée et plus restrictive que les textes de l'art. 19 let. a LEI et des directives du SEM. C'était aussi à tort que l'autorité intimée affirmait qu'il n'avait pas démontré des investissements substantiels, alors qu'il avait prouvé un investissement de plus de CHF 70'000.- dans son projet, avant même le début de l'activité. Il avait également confié des mandats, certes modestes, à des entreprises suisses pour le développement de son activité.

11.         Le 5 juin 2024, l'OCIRT a dupliqué, persistant dans ses conclusions et son argumentation.

Contrairement aux affirmations du recourant, les nouvelles pièces apportées avaient été prises en considération.

Le procès-verbal de la commission tripartite existait, mais il n'était pas public. Ce document était équivalent à une note interne à l'attention des membres de la commission et n'incluait pas une délibération formalisée de la séance, raison pour laquelle il n'avait pas été produit.

Le recourant n'apportait toujours pas de preuve attestant de l'aspect novateur de son projet et aucune autre information n'avait été fournie concernant la base des calculs produits dans le business plan ainsi que dans son recours. S'agissant de la jurisprudence de la chambre administrative qu'il citait pour justifier les montants relatifs à la masse salariale et au chiffre d'affaire, les activités économiques concernées n'étaient pas identiques, l'arrêt traitant du domaine de la conciergerie de luxe. Au surplus, la lecture de cette jurisprudence exposait que le demandeur concerné ne remplissait pas les critères d'approbation à l'octroi d'une autorisation de séjour.

12.         Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail en matière de marché du travail (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ  - E 2 05  ; art. 3 al. 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

Il y a en particulier abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu'elle viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; 140 I 257 consid. 6.3.1 ; 137 V 71 consid. 5.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2017 du 30 octobre 2018 consid. 4.2 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).

4.             Saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office. Il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (cf. ATA/386/2018 du 24 avril 2018 consid. 1b ; ATA/117/2016 du 9 février 2016 consid. 2 ; ATA/723/2015 du 14 juillet 2015 consid. 4a).

5.             L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions de la recourante ou du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'elle ou il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/185/2020 du 18 février 2020 consid. 2b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés.

6.             Le recourant reproche à l’OCIRT d’avoir violé son droit d’être entendu en ne l'ayant pas interpellé préalablement au prononcé de la décision querellée afin de lui faire part de son intention de refuser sa demande, en ne motivant pas l’absence d’intérêt économique pour la Suisse retenu dans sa décision et en ne lui ayant pas fourni le procès-verbal de la commission tripartite.

7.             Garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation entraîne, lorsque sa réparation par l’autorité de recours n’est pas possible, l’annulation de la décision attaquée sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2 ; 135 I 279 consid. 2.6.1 ; 135 I 187 consid. 2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 8C_529/2016 du 26 octobre 2016 consid. 4.2.1 ; 5A_681/2014 du 14 avril 2015 consid. 31 ; ATA/289/ 2018 du 27 mars 2018 consid. 2b). Ce moyen doit dès lors être examiné en premier lieu (ATF 137 I 195 consid. 2.2).

Il comprend notamment le droit, pour l'intéressé, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités). Ce droit ne s’étend toutefois qu’aux éléments pertinents pour décider de l’issue du litige et le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_159/2020 du 5 octobre 2020 consid. 2.2.1).

8.             Le droit d'accès au dossier n'est pas sans limite. En effet, l'art. 26 de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD – A 2 08) prévoit une série d'exceptions au principe du droit d'accès (art. 24 al. 1 LIPAD). En particulier, les notes échangées entre les membres d’une autorité collégiale ou entre ces derniers et leurs collaborateurs (art. 26 al. 3 LIPAD) et les documents à la communication desquels le droit fédéral ou une loi cantonale fait obstacle (art. 26 al. 4 LIPAD) sont exclus du droit d’accès.

9.             La loi sur les commissions officielles du 18 septembre 2009 (LCOf – A 2 20) s’applique aux commissions officielles dépendant du Conseil d’Etat, de la chancellerie d’Etat ou d’un département, qui sont instituées par une loi, un règlement ou un arrêté, et dont l’activité revêt un caractère consultatif, de préavis ou décisionnel, à l’exception de l’activité juridictionnelle. Selon l'art. 15 al. 1 LCOf, toutes les séances de commission et de sous-commissions font l’objet de procès-verbaux, qui ne sont pas publics.

10.         Dans une procédure initiée sur requête d'un administré, celui-ci est censé motiver sa requête en apportant tous les éléments pertinents ; il n'a donc pas un droit à être encore entendu avant que l'autorité ne prenne sa décision afin de pouvoir présenter des observations complémentaires (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n° 1528 ss, p. 509 s ; ATA/523/2016 du 21 juin 2016 consid. 2b). En matière de droit des étrangers, l'art. 90 LEI met un devoir spécifique de collaborer à la constatation des faits déterminants à la charge de l'étranger ou des tiers participants (ATF 142 II 265 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_728/2020 du 25 février 2021 consid. 4.1 ; 2C_323/2018 du 21 septembre 2018 consid. 8.3.3 ; 2C_767/2015 du 19 février 2016 consid. 5.3.1).

11.         Le droit d'être entendu implique aussi pour l'autorité l'obligation de motiver sa décision. Selon la jurisprudence, il suffit que l'autorité ou le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. L'autorité n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais elle peut au contraire se limiter à ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; ATF 137 II 266 consid. 3.2 ; ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; ATF 134 I 83 consid. 4.1 ; ATA/967/2016 du 15 novembre 2016 consid. 2b).

12.         La réparation d'un vice de procédure en instance de recours et, notamment, du droit d'être entendu, n'est possible que lorsque l'autorité dispose du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 145 I 167 consid. 4.4 ; 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_240/2017 du 11 décembre 2018 consid. 3.2 ; 1B_556/2017 du 5 juin 2018 consid. 2.1). Elle dépend toutefois de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception. Elle peut cependant se justifier en présence d'un vice grave lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_556/2017 du 5 juin 2018 consid. 2.1). En outre, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de cette violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu'elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/802/2020 du 25 août 2020 consid. 4c et les références cités).

Toute violation des règles impératives de procédure n'entraîne ainsi pas nécessairement l'annulation de la décision contestée.

13.         En l'espèce, la demande d'autorisation sollicitée par le recourant a été initiée par ce dernier. Conformément aux principes rappelés ci-dessus, il lui incombait dès lors de transmettre à l'appui de sa demande l'ensemble des éléments en sa possession afin de justifier de son droit allégué à l'obtention de cette autorisation. L'OCIRT n'avait ainsi aucune obligation de l'interpeller préalablement au prononcé de la décision querellée, ce d'autant plus qu'à teneur des éléments du dossier, l'autorité intimée disposait déjà des éléments nécessaires pour examiner sa demande.

Par ailleurs, si certes la décision litigieuse est succincte, elle demeure néanmoins parfaitement claire et ne nécessite pas de plus amples développements. En effet, elle mentionne la base légale applicable, soit l'art. 19 let. a LEI, ainsi que les motifs de refus. Ces éléments ont d’ailleurs permis au recourant, sous la plume de son conseil, de motiver son recours de manière complète et, en particulier, d’y exposer de manière approfondie les raisons pour lesquelles il estime qu’une autorisation devrait lui être délivrée. Dès lors, il n’a subi aucun préjudice procédural.

S'agissant de la question de l'absence de production du procès-verbal de la commission tripartite, la jurisprudence retient, sur la base de l'art. 15 al. 1 LCOf, que ces procès-verbaux constituent des projets de décisions et se rapportent ainsi uniquement à la formation de l’opinion des membres de l’autorité. Ils ne peuvent dès lors pas être transmis aux parties (ATA/830/2022 du 23 août 2022 consid. 3c ; ATA/940/2021 du 14 septembre 2021 consid. 5). Partant, le recourant ne peut pas prétendre à la production de ces documents internes à l’administration, qui n’ont pas à être remis aux parties.

En conséquence, le droit d'être entendu du recourant n'a pas été violé et le grief est écarté.

14.         Le recourant conteste le refus de l'OCIRT de lui délivrer une autorisation de séjour avec activité lucrative indépendante, en qualité de travailleur frontalier.

15.         La LEI et ses ordonnances d’exécution, en particulier l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.201), règlent l’entrée, le séjour et la sortie de Suisse des étrangers dont le statut juridique n'est pas réglé par d'autres dispositions du droit fédéral ou par des traités internationaux conclus par la Suisse (art. 1 et 2 LEI), notamment par l’Accord du 21 juin 1999 entre, d’une part, la Confédération suisse, et, d’autre part, la Communauté européenne et ses États membres sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681).

16.         En l'espèce, le recourant étant ressortissant de la République dominicaine, la demande de permis frontalier déposée en sa faveur ne peut être examinée que sous l’angle de la LEI, même s'il réside en France voisine. En effet, dès lors qu’il n’est pas un « ressortissant d’une partie contractante », il ne peut se prévaloir d’aucun droit découlant de l’ALCP (art. 2 ALCP et 7 Annexe I ALCP).

17.         Selon l’art. 11 LEI, tout étranger qui entend exercer en Suisse une activité lucrative doit être titulaire d’une autorisation, quelle que soit la durée de son séjour ; il doit la solliciter auprès de l’autorité compétente du lieu de travail envisagé (al. 1). Est considérée comme activité lucrative toute activité salariée ou indépendante, qui procure normalement un gain, même si elle est exercée gratuitement (al. 2).

Lorsqu’un étranger ne possède pas de droit à l’exercice d’une activité lucrative, une décision cantonale préalable concernant le marché du travail est nécessaire pour l’admettre en vue de l’exercice d’une activité lucrative (art. 40 al. 2 LEI). Dans le canton de Genève, la compétence pour rendre une telle décision est attribuée à l'OCIRT (art. 6 al. 4 du règlement d'application de la loi fédérale sur les étrangers, du 17 mars 2009 - RaLEtr - F 2 10.01). L’OCPM reçoit et traite les demandes d'autorisation d'admission pour d'autres motifs que ceux relevant de l’exercice d’une activité lucrative (art. 8 RaLEtr).

18.         Des démarches telles que la création ou la participation à une entreprise ne confèrent, à elles seules, aucun droit lors de la procédure d’autorisation (art. 6 al. 2 OASA).

19.         En l'espèce, le recourant n'a jamais bénéficié d'aucune autorisation de travailler ou de séjourner en Suisse, bien qu'il dispose d'un titre de séjour français valable. Il ne dispose donc d'aucun droit quant à une prise d'activité en Suisse. Il doit ainsi être considéré comme un nouveau demandeur d’emploi et sa situation doit donc être examinée sous l'angle de l'art. 19 LEI.

20.         Selon l’art. 19 LEI, un étranger peut être admis en vue de l'exercice d'une activité lucrative indépendante aux conditions suivantes : son admission sert les intérêts économiques du pays (let. a) ; les conditions financières et les exigences relatives à l'exploitation de l'entreprise sont remplies (let. b) ; il dispose d'une source de revenus suffisante et autonome (let. c) ; les conditions fixées aux art. 20 et 23 à 25 LEI sont remplies (let. d).

Ces conditions doivent être remplies de manière cumulative (cf. arrêts du TAF F-4755/2018 du 27 janvier 2021 consid. 4.3 in fine).

21.         En raison de sa formulation potestative, cette disposition ne confère aucun droit à la délivrance d'une telle autorisation de séjour (arrêts du Tribunal fédéral 2C_56/2016 du 20 janvier 2016 consid. 3 ; 2D_4/2015 du 23 janvier 2015 consid. 3 ; 2C_541/2012 du 11 juin 2012 consid. 4.2) et les autorités compétentes bénéficient d'un large pouvoir d'appréciation dans le cadre de son application (cf. arrêts du Tribunal administratif fédéral C-5184/2014 du 31 mars 2016 consid. 5.1 ; C-5420/2012 du 15 janvier 2014 consid. 6.2 ; ATA/1660/2019 du 12 novembre 2019 consid. 4b).

22.         L'octroi d'une autorisation de travail en vue de l'exercice d'une activité lucrative indépendante ne peut être admis que s'il est prouvé qu'il en résultera des retombées durables positives pour le marché suisse du travail (intérêts économiques du pays). On considère notamment que le marché suisse du travail tire durablement profit de l'implantation d'une entreprise, lorsque celle-ci contribue à la diversification de l'économie régionale dans la branche concernée, obtient ou crée des places de travail pour la main d'œuvre locale, procède à des investissements substantiels et génère de nouveaux mandats pour l'économie suisse (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-968/2019 du 16 août 2021 consid. 5.3.1). Dans une première phase (création et édification de l'entreprise), les autorisations idoines sont délivrées pour deux ans (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-4160/2013 du 29 septembre 2014 ; Minh Son NGUYEN/ Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. 2 : LEtr, Berne, 2017, p. 146 et les références citées ; SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, Séjour avec activité lucrative [Chapitre 4], 2013, état au 1er février 2023 [ci-après : directives du SEM], ch. 4.3.1, 4.7.2.1 et 4.7.2.2).

La notion d' « intérêt économique du pays », formulée de façon ouverte, concerne au premier chef le domaine du marché du travail. Il s’agit, d’une part, des intérêts de l’économie et de ceux des entreprises. D’autre part, la politique d’admission doit favoriser une immigration qui n’entraîne pas de problèmes de politique sociale, qui améliore la structure du marché du travail et qui vise à plus long terme l’équilibre de ce dernier (Message du Conseil fédéral du 8 mars 2002 concernant la loi sur les étrangers, in FF 2002 3469 ss, p. 3485 s. et 3536). En particulier, les intérêts économiques de la Suisse seront servis lorsque, dans un certain domaine d’activité, il existe une demande durable à laquelle la main d’œuvre étrangère en cause est susceptible de répondre sur le long terme (arrêts du Tribunal administratif fédéral F-4226/207 du 8 octobre 2019 consid. 4.5.1 ; C-5912/2011 du 26 août 2015 consid. 7.1 ; et les références citées ; ATA/1363/2020 du 22 décembre 2020 consid. 8e ; ATA/1094/2019 du 25 juin 2019 consid. 5d). L'art. 3 al. 1 LEI concrétise le terme en ce sens que les chances d'une intégration durable sur le marché du travail suisse et dans l'environnement social sont déterminantes. L'activité économique est dans l'intérêt économique du pays si l'étranger offre par là une prestation pour laquelle il existe une demande non négligeable et qui n'est pas déjà fournie en surabondance (ATA/184/2022 du 22 février 2022 consid. 8e et les références citées ; Minh Son NGUYEN/Cesla AMARELLE, Code annoté de droit des migrations, vol. 2 : LEtr, 2017, p. 145 s. et les références citées).

23.         Selon les directives établies par le SEM, qui ne lient pas le juge mais dont celui-ci peut tenir compte pour assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré pour autant qu'elles respectent le sens et le but de la norme applicable (arrêt du Tribunal administratif fédéral F-968/2019 du 16 août 2021 consid. 5.4.2 ; ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 7b), lors de l’appréciation du cas, il convient de tenir compte en particulier de la situation sur le marché du travail, de l’évolution économique durable et de la capacité de l’étranger concerné à s’intégrer. Il ne s’agit pas de maintenir une infrastructure avec une main-d’œuvre peu qualifiée disposée à travailler pour de bas salaires, ni de soutenir des intérêts particuliers. Par ailleurs, les étrangers nouvellement entrés dans le pays ne doivent pas faire concurrence aux travailleurs en Suisse en provoquant, par leur disposition à accepter de moins bonnes conditions de rémunération et de travail, un dumping salarial et social (SEM, Directives et commentaires, Domaine des étrangers, Séjour avec activité lucrative [Chapitre 4], 2013, état au 1er avril 2024 [ci-après : directives LEI], ch. 4.3.1; arrêt du Tribunal administratif fédéral F-4226/ 2017 du 8 octobre 2019 consid. 4.5.1 ; ATA/1198/2021 du 9 novembre 2021 consid. 7b).

24.         Il convient de tenir compte en particulier de la situation sur le marché du travail, de l’évolution économique durable et de la capacité de l’étranger concerné à s’intégrer. Il ne s’agit pas de maintenir une infrastructure avec une main-d’œuvre peu qualifiée disposée à travailler pour de bas salaires, ni de soutenir des intérêts particuliers. Par ailleurs, les étrangers nouvellement entrés dans le pays ne doivent pas faire concurrence aux travailleurs en Suisse en provoquant, par leur disposition à accepter de moins bonnes conditions de rémunération et de travail, un dumping salarial et social (arrêt du TAF F-4226/2017 du 8 octobre 2019 consid. 4.5.1 ; ATA/1280/2015 du 1er décembre 2015 consid. 12 ; Directives LEI, ch. 4.3.1).

25.         Afin de permettre à l'autorité d'examiner les conditions financières et les exigences liées à l'exploitation de l'entreprise, les demandes doivent être motivées et accompagnées des documents conformément à la liste de vérification des annexes à fournir (cf. directives LEI, ch. 4.7.2.3 et 4.8.11) et d’un plan d’exploitation. Celui-ci devra notamment fournir des indications sur les activités prévues, l'analyse de marché (business plan), le développement de l’effectif du personnel (plans quantitatif et qualitatif) et les possibilités de recrutement, ainsi que les investissements prévus, le chiffre d’affaires et le bénéfice escomptés. Les liens organisationnels avec d’autres entreprises sont également à indiquer. L’acte constitutif de l’entreprise et/ou extrait du registre du commerce sont à joindre (directives LEI, ch. 4.7.2.3).

26.         Selon l'art. 25 al. 1 LEI, un étranger ne peut être admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative en tant que frontalier que s’il possède un droit de séjour durable dans un État voisin et réside depuis six mois au moins dans la zone frontalière voisine (let. a) et s’il exerce son activité dans la zone frontalière suisse (let. b). Les art. 20, 23 et 24 LEI ne sont pas applicables (art. 25 al. 2 LEI).

27.         Selon l’art. 7 al. 2 du règlement d’application de la loi fédérale sur les étrangers du 9 mars 2009 (RaLEtr - F 2 10.01), le ressortissant étranger qui a présenté une demande pour exercer une activité indépendante ne peut pas la débuter avant d’avoir obtenu l’autorisation définitive à cette fin.

28.         En l'espèce, le recourant est domicilié dans la zone frontalière depuis plus de six mois et souhaite exercer son activité à Genève, de sorte qu’il réalise les conditions de l’art. 25 al. 1 LEI. Il n’en va toutefois pas de même s’agissant de l’art. 19 LEI, le recourant n’ayant nullement démontré que son activité dans la coiffure servirait les intérêts économiques helvétiques au sens de la loi et de la jurisprudence.

En premier lieu, le recourant n’a pas démontré à satisfaction de droit que l’activité de sa société, soit la coiffure pour tous, revêtait une originalité particulière dans le paysage économique genevois et contribuait ainsi à sa diversification. Si selon ses déclarations, l'ancienne propriétaire du F______ se limitait à la coiffure féminine ou de personnes âgées, ce n'est pas le cas de tous les salons actifs à Genève, lesquels offrent eux-aussi des prestations de coiffure pour tous. Le fait que le recourant souhaite offrir une partie des prestations proposées sur la base d'un forfait n’est pas déterminant ; en effet, cela ne modifie pas les prestations offertes de telle manière qu’il faille considérer autrement l’activité envisagée. Une recherche sur le registre du commerce du canton de Genève permet en outre de constater qu’il existe déjà un très grand nombre d'entreprises actives dans le domaine d’activité de la société (soit 675 entreprises en utilisant le terme « coiffure » dans le but de la société), et ce, sans compter les éventuelles entreprises actives mais non inscrites au registre du commerce. À cela s'ajoute que, dans le quartier I______, une simple recherche sur internet expose qu'il existe déjà plus de 20 entreprises actives dans la coiffure et offrant les mêmes prestations. Contrairement à ce qu'affirme le recourant – au demeurant sans le démontrer – une telle offre de service n'implique pas nécessairement qu'il existe une demande correspondante de la part des clients.

La condition de la création de places de travail pour la main d’œuvre locale ne paraît pas non plus réalisée. En effet, selon le business plan, et les déclarations du recourant dans son mémoire de recours, le salon devrait compter deux collaborateurs d'ici la 2ème année d'exploitation, pour une masse salariale de CHF 163'116.- et cinq collaborateurs d'ici la 3ème année, pour une masse salariale de CHF 271'860.-. Or, à ce jour, il convient de constater que le recourant n’a engagé aucun employé, bien qu'il ait mis en ligne deux annonces d'emploi, les 11 septembre 2023 et 8 février 2024, celles-ci visant l'engagement de collaborateurs à 100%, en tant que freelance. Il n’est pas non plus démontré que ces postes seraient attribués à des travailleurs suisses ou ressortissants UE/AELE, bien que le recourant l'affirme. En tout état, même en tenant compte des deux postes envisagés à court terme, le nombre total d’emplois que le recourant compte offrir en définitive (cinq) demeure restreint. On ne saurait donc considérer que l’activité de la société permettra la création d’un nombre d’emplois significatif qui aurait des retombées positives et durables sur le marché suisse du travail.

La condition des investissements substantiels n’est également pas remplie, bien qu'il indique avoir investi près de CHF 70'000.-, notamment en lien avec le rachat du fonds de commerce et sa rénovation. Il convient de rappeler que d’éventuels investissements du recourant dans sa société ne lui confèrent aucun droit à obtenir une autorisation de séjour avec activité lucrative en Suisse (art. 6 al. 2 OASA) et ce, quel que soit le montant de l’investissement prévu et/ou effectué. En tout état, même à admettre qu'il s'agirait d'un investissement substantiel, à l'échelle d'une personne seule, cet élément ne serait pas suffisant à lui seul pour reconnaitre un intérêt économique suffisant pour la Suisse.

Quant aux nouveaux mandats pour l’économie helvétique, le recourant s'appuie uniquement sur le mandat qu'il a eu avec la société J______, laquelle est intervenue dans le cadre du transfert du fonds de commerce concerné, et sur celui établit avec la société K______ SA, une société fournissant l'accès à une plateforme informatique de prise de rendez-vous en ligne pour les clients. Or, il appert que ces deux mandats sont uniquement des évènements ponctuels et, compte tenu de l'activité projetée et de l'absence d'autres éléments probants en ce sens, on peut douter que de nouveaux mandats pour l'économie helvétique puissent découler de l'activité projetée par le recourant. Au surplus, le simple fait de s’approvisionner sur le marché genevois en produits usuels, et cela dans une mesure toute somme modeste, ne peut être considéré comme suffisant pour générer de nouveaux mandats pour l’économie. Il ne suffit également pas que les retombées économiques soient positives pour sa société pour qu'elles le soient pour l'économie suisse, ce que semble oublier le recourant.

Enfin, selon le business plan initial, s’agissant des prévisions financières du recourant, consistant en une augmentation du chiffre d’affaires de CHF 72'000.- la 1ère année à CHF 108'000.- la 2ème année et à CHF 117'600 .- la 3ème année, le tribunal ne peut que constater que ces montants projetés sont relativement modestes et variables. En effet, dans son recours, le recourant présente de nouvelles prévisions financières en comptant sur l'engagement de personnel, soit l'apport d'un chiffre d'affaire de CHF 324'000.- la 2ème année et de CHF 588'000.- la 3ème année, avec un bénéfice s'élevant à CHF 154'601.28.- la 2ème année et à CHF 287'428.80.- la 3ème année. Or, ces nouveaux chiffres ne consistent qu'en la reprise des valeurs du business plan initial multipliées par le nombre d'employés dont l'engagement est projeté, sans que le recourant ne fournisse d'autres explications sur la manière dont il a établi ces chiffres, hormis le fait qu'il a indiqué qu'un client dépenserait en moyenne CHF 70.- pour une coupe (moyenne homme-femme). Il ne faut également pas perdre de vue que le marché de la coiffure est relativement saturé, ce qui tend à supposer, avec une haute vraisemblance, que les projections financières du recourant doivent être revues à la baisse, et permet ainsi de douter, à ce stade, que celles-ci soient réalistes, et ce malgré un éventuel engagement de personnel. Dans cette mesure, l’autorité intimée n’a pas mésusé de son pouvoir d’appréciation en considérant que les prévisions financières étaient insuffisantes pour y reconnaître un intérêt économique suffisant, étant rappelé qu'en tant que frontalier, les limites du contingent au sens de l'art. 20 LEI ne s'appliquent pas.

L'analyse à laquelle a procédé l'OCIRT, qui dispose en la matière d'un large pouvoir d'appréciation, n'apparaît ainsi pas fondée sur des éléments dépourvus de pertinence, négligeant des facteurs décisifs ou guidée par une appréciation insoutenable des circonstances, que ce soit dans son approche ou dans son résultat. En particulier, sous l'angle de l'art 19 LEI, l'autorité intimée a retenu à juste titre que les arguments développés par le recourant seraient insuffisants pour permettre de considérer que son admission servirait les intérêts économiques helvétiques au sens de la loi et de la jurisprudence.

Au vu de ce qui précède, l’autorité intimée n’a ni violé le droit, ni excédé son pouvoir d’appréciation en considérant que la condition de l’intérêt économique du pays n’était pas réalisée.

La première condition cumulative de l’art. 19 LEI n’étant pas réalisée, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres conditions prévues par cette disposition.

29.         En conclusion, mal fondé, le recours sera rejeté et la décision contestée confirmée.

30.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 500.- versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

31.         En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent jugement sera communiqué au SEM.

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 16 février 2024 par M. A______ contre la décision de l'office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 18 janvier 2024 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant un émolument de CHF 700.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties, ainsi qu’au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière