Aller au contenu principal

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/2087/2024

JTAPI/635/2024 du 25.06.2024 ( MC ) , CONFIRME

Descripteurs : DÉTENTION AUX FINS D'EXPULSION;PROPORTIONNALITÉ
Normes : LEI.75.al1.letc; LEI.76.al1.letb.ch1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2087/2024 MC

JTAPI/635/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 25 juin 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Julie MAI, avocate

 

contre

 

COMMISSAIRE DE POLICE

 


 

EN FAIT

1.             Monsieur A______, né le ______ 1988, est ressortissant nigérian. Il a déjà été précédemment condamné les 19 novembre 2013 et 17 décembre 2015 des chefs, notamment, de recel et crime contre la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) au sens des art. 160, ch. 1, al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et art. 19, al. 2 LStup, par arrêt de la chambre pénale d'appel et de révision de la République et canton de Genève (chambre pénale) du 6 septembre 2021, été reconnu coupable, spécialement, de trafic de cocaïne et condamné pour, entre autres, infraction à l'art. 19, al. 2 LStup, à une peine privative de liberté ferme de trois ans et six mois et une expulsion de Suisse pour une durée de huit ans, mesure dont l'autorité compétente a décidé de ne pas reporter l'exécution.

2.             Expulsé en Espagne le 16 septembre 2022, M. A_______, en possession de son titre de séjour en France en tant que membre de la famille d'un ressortissant européen échu le 22 mars 2020 et d'une attestation de demande de prolongation dudit titre de séjour valable jusqu'au 20 octobre 2024, a été arrêté à Genève le 21 juin 2024 pour avoir volé trois flacons de parfum d'une valeur totale de CHF 493.-, infraction reconnue par M. A_______, lequel a précisé n'avoir aucune attaches ni lieu de résidence fixe dans le canton de Genève ou en Suisse, ni ressources financières autre que les aides sociales.

3.             Le 22 juin 2024, par ordonnance pénale du Ministère public de la République et canton de Genève (Ministère public), M. A_______ a été reconnu coupable de vol et rupture de ban et condamné pour infraction aux art. 139, ch. 1, al. 1 et 291 CP, puis libéré et mis à disposition du commissaire de police.

4.             Le même jour, à 11h55, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l’encontre de M. A_______ pour une durée d’un mois sur la base notamment des art. 75 al. 1 let. c et 76 al. 1 let. b ch. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). Cette décision indique que les démarches en vue de l'expulsion en France de M. A_______ ont été immédiatement entreprises.

Au commissaire de police, M. A_______ a déclaré qu'il ne s'opposait pas à son retour en France. Il était en outre d’accord que le Tribunal administratif de première instance renonce à la procédure orale, après que le commissaire de police eût attiré son attention sur la teneur de l’art. 80 al. 3 LEI.

Selon le procès-verbal du commissaire de police, la détention administrative pour des motifs de droit des étrangers avait débuté à 11h30.

5.             Le commissaire de police a soumis cet ordre de mise en détention au Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) le même jour.

6.             A réception de l’ordre de mise en détention, le tribunal a invité le conseil de M. A_______ désigné d’office pour la défense de ses intérêts (cf. art. 12 al. 2 de la loi d’application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10), à lui communiquer ses éventuelles observations écrites d’ici au 25 juin 2024 à 12h00.

7.             Par courrier adressé par télécopie au tribunal dans le délai imparti, le conseil de M. A_______ a présenté des observations au nom de ce dernier.

8.             En substance, rien ne s'opposait à son renvoi immédiat en France ou en Espagne. Ainsi, sa détention actuelle n'était pas apte à atteindre le but de la mesure de renvoi qui apparaissait ainsi disproportionnée. Il était en effet domicilié à l'adresse B______, en France, avec son épouse, Madame C______ et leurs trois enfants. La famille bénéficiait de l'aide sociale en France et elle y payait également ses impôts. Aujourd'hui, M. A_______ attendait le renouvellement de son permis français et bénéficiait en outre d'un permis de séjour espagnol valable.

EN DROIT

1.             Le tribunal est compétent pour examiner d’office la légalité et l’adéquation de la détention administrative (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d LaLEtr).

2.             Selon l’art. 8 al. 3 LaLEtr, les ordres de mise en détention du commissaire de police sont transmis sans délai au tribunal pour contrôle de la légalité et de l’adéquation de la détention.

3.             Le tribunal statue ce jour dans le délai de nonante-six heures prévu par les art. 80 al. 2 LEI et 9 al. 3 LaLEtr, la détention administrative de M. A_______ ayant concrètement débuté le 22 juin 2024 à 11h30, comme l’indique le procès-verbal d’audition (cf. à cet égard arrêts du Tribunal fédéral 2C_618/2011 du 1er septembre 2011 consid. 2 ; 2C_206/2009 du 29 avril 2009 consid. 5.1.1 et les références citées).

4.             Toutefois, selon l’art. 80 al. 3 LEI, l’autorité judiciaire peut renoncer à la procédure orale lorsque le renvoi pourra vraisemblablement avoir lieu dans les huit jours suivant l’ordre de détention et si la personne concernée a donné son consentement écrit, étant précisé que si le renvoi ne peut être exécuté dans ce délai, la procédure orale a lieu au plus tard douze jours après l’ordre de détention.

Ainsi, s’il est possible de renoncer initialement à la procédure orale dans les conditions prévues par l’art. 80 al. 3 LEI, le tribunal reste néanmoins tenu d’examiner la légalité et l’adéquation de la détention au terme d’une procédure écrite.

5.             En l’espèce, tout porte à croire que le renvoi pourra avoir lieu dans le délai de huit jours précité, puisque celui-ci doit simplement être réadmis en France et qu'il s'est déclaré d'accord de retourner dans ce pays.

Par ailleurs, M. A_______ a donné par écrit son consentement à ce que le tribunal statue sur son sort sans l’entendre oralement.

Le tribunal se prononce donc sur la base du dossier du commissaire de police et après avoir donné la possibilité à M. A_______, sous la plume de son conseil, de déposer des observations écrites.

6.             Le tribunal peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire de police ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger (art. 9 al. 3 LaLEtr).

7.             La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l’art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; 135 II 105 consid. 2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_237/2013 du 27 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_413/2012 du 22 mai 2012 consid. 3.1) et de l’art. 31 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), ce qui suppose en premier lieu qu’elle repose sur une base légale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_584/2012 du 29 juin 2012 consid. 5.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1). Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne peut être prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 du 10 avril 2013 consid. 4.1 ; 2C_237/2013 du 27 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1).

8.             A teneur de l'art. 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI, en lien avec l'art. 75 al. 1 let. c LEI, lorsqu'une décision de renvoi de première instance a été notifiée, l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, mettre en détention la personne concernée lorsqu'elle franchit la frontière malgré une interdiction d'entrer en Suisse et ne peut pas être renvoyée immédiatement.

9.             Comme cela ressort du texte même de l'art. 76 al. 1 LEI et de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la détention administrative n'implique pas que la décision de renvoi soit définitive et exécutoire (cf. not. ATF 130 II 377 consid. 1 ; 129 II 1 consid. 2 ; 122 II 148 consid. 1 ; 121 II 59 consid. 2a).

10.         Il découle de la jurisprudence qu'une décision d'expulsion pénale au sens des art. 66a ou 66abis CP vaut comme interdiction d'entrée pour la durée prononcée par le juge pénal (ATA/179/2018 du 27 février 2018 consid. 4).

11.         En l'occurrence, M. A_______ fait l'objet d'une mesure d'expulsion pénale prononcée le 6 septembre 2021 par la Chambre pénale pour une durée de huit ans, et qui continue donc à ce jour de déployer ses effets. En outre, expulsé à destination de l'Espagne le 16 septembre 2022, il est revenu en Suisse, où il a été arrêté le 21 juin 2024, au mépris de l'expulsion pénale susmentionnée, qui valait également interdiction d'entrée en Suisse selon la jurisprudence rappelée plus haut.

12.         Par conséquent, les conditions d'une détention administrative au sens des art. 75 al. 1 let. c et 76 al. 1 let. b ch. 1 LEI sont réalisées, de sorte que cette dernière apparaît valable dans son principe.

13.         Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 36 Cst., se compose des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de la personne concernée et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

Il convient dès lors d'examiner, en fonction des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi au sens de l'art. 5 par. 1 let. f CEDH est adaptée et nécessaire (ATF 135 II 105 consid. 2.2.1 ; 134 I 92 consid. 2.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_26/2013 du 29 janvier 2013 consid. 3.1 ; 2C_420/2011 du 9 juin 2011 consid. 4.1 ; 2C_974/2010 du 11 janvier 2011 consid. 3.1 ; 2C_756/2009 du 15 décembre 2009 consid. 2.1).

14.         Les démarches nécessaires à l'exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder par l'autorité compétente (art. 76 al. 4 LEI). Il s'agit, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, d'une condition à laquelle la détention est subordonnée (arrêt 2A.581/2006 du 18 octobre 2006 ; cf. aussi ATA/315/2010 du 6 mai 2010 ; ATA/88/2010 du 9 février 2010 ; ATA/644/2009 du 8 décembre 2009 et les références citées).

15.         Selon l'art. 79 al. 1 LEI, la détention en vue du renvoi ne peut excéder six mois au total. Cette durée maximale peut néanmoins, avec l’accord de l’autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus, lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l’autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEI) ou lorsque l’obtention des documents nécessaires au départ auprès d’un État qui ne fait pas partie des États Schengen prend du retard (art. 79 al. 2 let. b LEI).

En outre, la durée de la détention administrative doit respecter le principe de la proportionnalité (ATF 125 I 474 consid. 3 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/752/2012 du 1er novembre 2012 consid. 7).

16.         En l'occurrence, M. A_______ a déjà à une occasion démontré qu'il ne faisait aucun cas de l'expulsion pénale prononcée contre lui, puisqu'il est revenu en Suisse au mépris de cette mesure après en avoir été expulsé le 16 septembre 2022. Il y a donc tout lieu de craindre qu'au cas où il serait remis en liberté avec l'obligation de se soumettre à nouveau à l'exécution de son expulsion le moment venu, il se soustrairait à ce dernier. Par conséquent, sa détention administrative apparaît comme la seule mesure apte à permettre l'exécution de son expulsion.

L’assurance de son départ de Suisse répond par ailleurs à un intérêt public certain, compte tenu de ses antécédents pénaux.

17.         Par ailleurs, l'autorité chargée du renvoi a agi avec diligence et célérité, dès lors qu'elle a immédiatement appelé les autorités françaises en vue de la réadmission de M. A_______ dans ce pays.

18.         S'agissant du fait que M. A_______ serait marié et père de trois enfants et qu'il vivrait en famille en France où il disposerait d'une autorisation de séjour en cours de renouvellement, ces éléments ne sont pas de nature à remettre en question la proportionnalité de sa détention, nonobstant le point de vue qu'il défend. En effet, l'Accord conclu le 28 octobre 1998 entre le Conseil fédéral suisse et le Gouvernement de la République française relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière (ci-après : l'Accord – RS 0.142.113.499) prévoit que le retour sur le territoire de l'une des deux parties contractantes d'un ressortissant d'un État tiers implique une requête de réadmission (art. 6 par. 2), en l'occurrence de la part de la Suisse à l'égard des autorités françaises. Même si cette disposition prévoit que la partie contractante requise (en l'occurrence la France) doit réadmettre sans formalité la personne concernée, il n'en demeure pas moins que les autorités suisses se doivent de respecter cette procédure à l'égard des autorités françaises. Les mêmes obligations existent au demeurant vis-à-vis des autorités espagnoles, en application de l'Accord conclu 17 novembre 2003 entre la Confédération suisse et le Royaume d’Espagne relatif à la réadmission des personnes en situation irrégulière (RS 0.142.113.329). Par conséquent, en application de ces accords, la possibilité pour M. A_______ de retourner à son gré soit en France soit en Espagne ne peut être considérée par les autorités suisses comme relevant de sa liberté personnelle et de son libre arbitre et dépend en réalité d'une procédure établie au niveau international. Le comportement passé de M. A_______, qui est revenu en Suisse malgré une expulsion pénale en cours de validité, ne permet pas non plus de considérer qu'il se soumettrait à son obligation d'attendre en Suisse que les autorités françaises ou espagnoles admettent sa réadmission.

19.         Enfin, prononcée pour une durée d'un mois, la détention administrative de Monsieur aisé n'apparaît pas manifestement disproportionnée, quand bien même il y a lieu de penser que son renvoi à destination de la France pourrait intervenir à relativement brève échéance

20.         En l'espèce, eu égard à l'ensemble des circonstances, il y a lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative pour une durée d’un mois.

21.         Cela étant, il sera souligné que si le renvoi n'a pas eu lieu dans le délai de huit jours suivant l'ordre de détention, M. A_______ sera entendu par le tribunal au plus tard douze jours après l'ordre de détention (art. 80 al. 3 LEI). Dans cette perspective, il appartiendra au commissaire de police de faire savoir au tribunal, le 30 juin 2024 au plus tard, si l'exécution du renvoi s'est concrétisée ou non.

22.         Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A_______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.


 

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             confirme l’ordre de mise en détention administrative émis par le commissaire de police le 22 juin 2024 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée d’un mois, soit jusqu'au 21 juillet 2024 inclus ;

2.             invite le commissaire de police à faire savoir au tribunal le 30 juin 2024 au plus tard si l’exécution du renvoi a eu lieu ou non ;

3.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.

Genève, le

 

La greffière