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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3195/2022

JTAPI/302/2023 du 16.03.2023 ( LCI ) , REJETE

Descripteurs : AMENDE
Normes : Rchant.333; CP.49
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3195/2022 LCI

JTAPI/302/2023

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 16 mars 2023

 

dans la cause

 

A______ SA

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             A______ SA (ci-après : la SA) est une entreprise active dans le domaine de la construction.

2.             Par courrier du 25 janvier 2022, dans le cadre d'un dossier d'infraction numéroté I/1______ (concernant l'autorisation de construire DD 2______/1), le département du territoire (ci-après : DT ou le département), soit pour lui l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC) a invité la SA à se prononcer sur les circonstances dans lesquelles, sur un chantier situé à l'adresse rue des B______ 3______-4______, un accident s'était produit en raison d'une surcharge de gravats provenant des travaux effectués aux étages supérieurs qui, en gravitant par une ouverture dans la dalle, s'étaient accumulés sur les éléments de faux plafonds d'une entreprise de fitness. Cette situation était d'autant plus regrettable que cette surcharge avait provoqué l'effondrement d'une partie de la structure sur une zone fréquentée par le public, blessant une employée qui se trouvait juste en dessous.

3.             Après que la SA se fût prononcée à ce sujet par courrier du 28 janvier 2022, l'OAC lui a infligé, par décision du 21 mars 2022, une amende de CHF 2'000.-, laquelle sanctionnait diverses infractions aux dispositions légales réglementant les chantiers.

4.             Cette décision est entrée en force à défaut d'avoir été contestée.

5.             Selon rapport d'enquête non daté, ouvert dans le cadre d'un dossier d'infraction numéroté I/5______ (concernant l'autorisation de construire DD 6______/1), l'OAC a constaté que diverses infractions aux dispositions légales réglementant les chantiers avaient été constatées lors d'un contrôle effectué le 10 février 2022 dans le cadre d'un chantier situé à l'adresse rue des C______ 7______. Il s'agissait du passage de charges et du stockage de matériels de chantier en grand nombre, sur le toit du commerce concerné, créant des surcharges sur les dalles. À ce sujet, il n'avait jamais été évoqué, lors des rendez-vous de police des 23 mars et 14 avril 2021, la création d'une aire de chantier sur le toit du bâtiment adjacent et l'OAC n'avait jamais reçu de mode opératoire ou protocole de sécurité garantissant la bonne tenue de la structure, au risque de mettre en péril la sécurité du public présent dans le commerce. Par ailleurs, la sécurité des ouvriers était menacée, en l'absence de garde-corps réglementaire en bord de vide, avec risque de chute d'une grande hauteur à plus de 5 m à certains endroits. Il existait un risque de chute de matériaux stockés en bordure de toiture, mettant en péril la sécurité du public se déplaçant en contrebas le long de la rue des C______. Enfin, la grue installée n'avait pas été annoncée au moyen du formulaire ad hoc.

De nombreuses photographies ont été prises à l'appui de ces constats.

6.             Invitée par l'OAC à se prononcer sur ces éléments, la SA s'est déterminée par courrier du 16 mars 2022. Elle reconnaissait que lors du premier rendez-vous de police du 14 avril 2021, le principe de stockage et de base de vie avait évolué. Après consultation de la direction des travaux et de l'ingénieur structure, une charge admissible de 200 kg/m² avait été autorisée. Dès lors, la SA avait favorisé un espace de stockage limité à la future surélévation et avait mis en place des containers sur la dalle de toiture. Ensuite, suite au contrôle effectué par l'OAC, les matériaux stockés en bordure de toiture avaient été déplacés sur la piste d'accès du chantier. Les gardes corps avaient également été ajoutées. Enfin, et comme expliqué lors de la séance du 14 mars 2022, la SA a confirmé que le rapport de survol de l'ingénieur civil serait respecté et que le système antichute des panneaux de coffrage serait mis en place sur les zones à risques.

7.             Prenant note de ces déterminations, l'OAC, par décision du 29 août 2022 relative au dossier d'infraction I/5______, a infligé à la SA une amende de CHF 6'000.- pour avoir enfreint diverses dispositions légales réglementant les chantiers, référence étant faite aux différents éléments mis en avant dans le rapport d'enquête. Le montant de l'amende tenait compte de la gravité objective et subjective du comportement incriminé, ainsi que de son caractère récidiviste (par référence à un précédent dossier d'infraction I/8______ et au dossier d'infraction I/1______).

8.             Par courrier du 29 septembre 2022, la SA a prié l'OAC de bien vouloir reconsidérer sa décision. Elle avait conscience des améliorations à apporter sur le chantier en cause et avait immédiatement réagi en mettant en place les mesures nécessaires. Par ailleurs, le dossier d'infraction I/8______ cité à titre de précédent remontait à décembre 2016 et concernait un contexte différent du cas d'espèce, puisqu'il s'agissait de l'omission de validation préalable du mode opératoire, lequel avait cependant été approuvé par la suite. Il n'existait ainsi aucune problématique liée à la sécurité du public. D'ailleurs, la décision du 21 mars 2022 relative au dossier d'infraction I/1______ ne faisait aucune référence au dossier I/8______ en tant que récidive.

Il fallait encore noter que la décision du 21 mars 2022 avait été rendue postérieurement au contrôle effectué par l'OAC le 10 février 2022, date à laquelle la SA n'avait pas encore connaissance de la décision qui serait rendue dans le dossier d'infraction I/1______. L'aggravante de récidive ne pouvait dès lors être retenue dans le cadre de la présente affaire. Il fallait encore souligner que le cas échéant, c'était une peine d'ensemble qui aurait dû être prononcée.

9.             Par acte du 29 septembre 2022, la SA a également recouru contre la décision du 29 août 2022 auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à son annulation et, subsidiairement, à ce qu'elle soit réduite au montant minimum légal de CHF 100.-.

Tout d'abord, l'amende litigieuse ne tenait pas compte de la nécessité d'appliquer une peine d'ensemble, comme l'avait d'ailleurs retenu la jurisprudence. Dans le cas d'espèce, au vu du court laps de temps écoulé entre les deux décisions [du 21 mars 2022 et du 29 août 2022] et compte tenu du fait que la première avait été rendue après le contrôle effectué par l'OAC le 10 février 2022, cette autorité aurait dû prononcer une peine complémentaire qui ne devait pas se révéler plus sévère que si une seule décision avait été rendue pour les deux situations litigieuses.

Par ailleurs, l'OAC ne pouvait citer les décisions rendues dans le cadre des dossiers d'infraction I/8______ et I/1______ en tant que précédents, puisqu'il s'agissait dans le premier cas d'une infraction qui n'avait rien à voir avec une problématique de sécurité et dans le second d'une infraction qui n'avait pas encore été sanctionnée au moment du constat du 10 février 2022.

Compte tenu de ceci, il apparaissait également que la sanction litigieuse était disproportionnée et qu'elle devait être réduite au minimum légal de CHF 100.-.

Enfin, son droit d'être entendu avait été violé, puisque préalablement à la décision litigieuse, elle n'avait pas été invitée à se prononcer sur une problématique de récidive.

10.         L'OAC s'est déterminé par écritures du 5 décembre 2022. Il ne pouvait être question d'une peine d'ensemble dans la présente espèce, car on n'avait pas affaire à des infractions survenues successivement dans une même construction ou sur un même chantier et donc relatives à un complexe de faits identiques. Il s'agissait ici de deux infractions réalisées sur des chantiers différents, sans lien l'une avec l'autre et concernant des infractions légales différentes. De plus et surtout, tous les éléments du dossier d'infraction I/5______ n'étaient pas encore déterminés le 21 mars 2022, à la date du prononcé de l'amende relative au dossier d'infraction I/1______, puisque l'OAC n'avait pas encore reçu les déterminations de la SA et n'était ainsi pas en mesure de saisir si et dans quelle mesure il s'agissait d'une infraction. Quoi qu'il en soit, même en retenant par hypothèse la nécessité d'une peine d'ensemble pour les dossiers d'infraction I/1______ et I/5______, il apparaissait que la sanction totale de CHF 8'000.- (CHF 2'000.- et CHF CHF 6'000.-) ne prêtait pas le flanc à la critique. En effet, la jurisprudence admettait qu'un montant d'amende de CHF 5'000.-, sans récidive, était a priori adapté aux ressources financières d'une personne morale. Le principe de proportionnalité était ainsi pleinement respecté, étant relevé qu'il s'agissait bien d'un cas de récidive. En effet, le fait que l'infraction relative au dossier I/8______ remontait à 2016 n'était pas relevant, ni le fait qu'elle relevait d'un autre type de violation des dispositions légales sur les chantiers. Il fallait encore relever que dans le cadre de l'infraction I/5______, la SA avait déjà connaissance de l'infraction du même type commise dans le cadre du dossier I/1______, les deux cas concernant des situations comparables de surcharge. En outre, la SA avait été visée par plusieurs autres infractions relatives à des chantiers, notamment dans les dossiers I/9______, I/10_____, I/11_____ et I/12_____, de sorte qu'elle était de mauvaise foi en contestant une situation de récidive.

Enfin, s'agissant du droit d'être entendu, on ne voyait pas pour quelle raison l'attention de la SA aurait dû être expressément attirée sur la question de la récidive, puisqu'il s'agissait d'un fait objectivement établi qui ne prêtait pas à discussion.

11.         Par courrier du 9 janvier 2023, la SA a informé le tribunal qu'elle n'entendait pas répliquer et s'en rapportait à ses précédentes écritures.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             Dans un grief de nature formelle qu'il convient d'examiner en premier, la recourante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue, au motif que l'autorité intimée ne l'avait pas avertie, avant de rendre la décision litigieuse, de son intention de tenir compte d'une situation de récidive.

4.             Garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel, dont la violation doit entraîner l'annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances de succès du recourant sur le fond (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 et les références).

Il comprend notamment le droit, pour l'intéressé, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 ; 142 II 218 consid. 2.3 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 et les arrêts cités).

5.             En l'espèce, il n'y a pas lieu d'admettre une violation du droit d'être entendu pour les motifs invoqués par la recourante. En effet, le respect de ce droit implique uniquement que l'autorité informe l'administré du type de décision qui pourrait être rendue à son égard et, de manière succincte, des éléments de faits sur lesquels elle s'appuierait. L'autorité administrative n'a en revanche aucune obligation de communiquer à ce stade la motivation de sa future décision, laquelle dépend d'ailleurs de la manière dont l'administré se détermine en exerçant son droit d'être entendu. Il appartient en réalité à l'administré d'envisager la situation dans son ensemble, en tenant compte, par exemple dans le cas d'une possible sanction, des éléments à charge et à décharge dont il a connaissance. En l'occurrence, il revenait ainsi à la recourante, qui ne pouvait ignorer ses propres antécédents, d'en mesurer les éventuelles conséquences sur la fixation de la sanction et de se prononcer spontanément à ce sujet.

6.             Le grief de violation du droit d'être entendu sera ainsi rejeté.

7.             Il convient à présent d'examiner, sur le fond, les raisons pour lesquelles il conviendrait soit d'annuler, soit de diminuer l'amende litigieuse, selon les conclusions prises par la recourante.

8.             Conformément à l’art. 151 LCI, le Conseil d’État fixe par règlements les dispositions relatives à la sécurité et la salubrité des constructions et installations de tout genre, qu’elles soient définitives ou provisoires (let. c), à la sécurité et à la prévention des accidents sur les chantiers (let. d).

Aux termes de l’art. 1 du règlement sur les chantiers du 30 juillet 1958 (RChant - L 5 05.03), la prévention des accidents sur les chantiers et les mesures à prendre pour assurer la sécurité et la protection de la santé des travailleurs, ainsi que la sécurité du public, des ouvrages et de leurs abords sont réglées par les dispositions dudit règlement (al. 1). Sont tenus de s’y conformer tous les participants à l’acte de construire, démolir, transformer, entretenir, c’est-à-dire toutes les personnes exécutant des travaux se rapportant à l’activité du bâtiment ou du génie civil ainsi que les personnes physiques ou morales employant des travailleurs à cet effet. Il en est de même des personnes chargées de la surveillance des travaux, notamment pour le compte des bureaux d’ingénieurs, d’architectes, des entreprises générales et des coordonnateurs de sécurité et de santé (al. 2).

En vertu de l’art. 3 al. 1 RChant, le travail doit s’exécuter en prenant, en plus des mesures ordonnées par ledit règlement, toutes les précautions commandées par les circonstances et par les usages de la profession.

Selon l’art. 31 al. 1 RChant, On entend par garde-corps réglementaire une protection composée de :

a) une filière supérieure à 1 m de hauteur;

b) une plinthe;

c) une filière intermédiaire à mi-hauteur.

Les deux filières et la plinthe doivent avoir au moins 15 cm de largeur et 26 mm d’épaisseur. Les filières peuvent être remplacées par des perches de 8 cm de diamètre au moins ou par des tubes d’acier de résistance équivalente (art. 31 al. 2 RChant). Les filières et la plinthe doivent être fixées du côté intérieur des perches. Les raccords doivent se faire au droit de la perche (art. 31 al. 13 RChant). Les lattes de couvreur, lambourdes, cordes et câbles sont interdits dans la construction des garde-corps (art. 31 al. 4 RChant).

Selon l'art. 92 RChant des échafaudages, conformes aux prescriptions de l’ordonnance sur les travaux de construction, sont prescrits pour tout travail de construction de bâtiments exécuté à une hauteur de chute supérieure à 3 m. Le garde-corps supérieur de l’échafaudage doit, pendant toute la durée des travaux de construction, dépasser de 1 m au moins le bord de la zone la plus élevée présentant un risque de chutes.

Selon l’art. 99 RChant, tout poste de travail doit être muni de garde-corps réglementaires sur toutes les faces exposées au vide dès qu’il atteint 2 m de hauteur (al. 1). Ces garde-corps doivent rester en place jusqu’à l’achèvement de tous les travaux (al. 2).

Selon l'art. 218 RChant, il est interdit de déplacer des charges au-dessus d’un endroit accessible au public. Sauf autorisation de la direction de l’inspectorat de la construction, l’emploi de grues pour des travaux sur un immeuble habité est interdit (al. 1). Aucune charge ne doit rester inutilement suspendue à un appareil de levage quelconque (al. 2). Des consignes précises doivent être données lors du levage, de la descente ou de la manutention de fardeaux et des mesures efficaces doivent être prises pour exclure le stationnement et la circulation de personnes sous les charges ou à proximité des appareils en mouvement (al. 3). Les élingues ne doivent pas être enlevées tant que l’élément transporté n’est pas assuré contre tout risque de renversement (al. 4).

9.             D'autres dispositions, incorporées à l'ordonnance sur la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction du 29 juin 2005 (Ordonnance sur les travaux de construction, OTConst - RS 832.311.141), font également l'objet de contraventions à teneur de la décision litigieuse, mais sans emporter en l'espèce la commission d'infractions supplémentaires par rapport à celles qui découlent des dispositions susmentionnées du RChant.

10.         En l'espèce, la recourante ne conteste ni sa responsabilité dans les défauts relatifs à la sécurité du chantier, tels que constatés lors de l'inspection sur place du 10 février 2022 et énoncés dans le rapport d'enquête relatif au dossier d'infraction I/5______, ni les infractions que constituent ces défauts à teneur des art. 31, 92, 99 et 218 RChant, cités dans la décision litigieuse et dont la teneur a été rappelée ci-dessus.

En revanche, elle demande l'annulation de la décision litigieuse au motif que l'autorité intimée aurait dû faire application de l'art. 49 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

11.         Selon l'art. 333 RChant, tout contrevenant aux dispositions du RChant est passible des peines prévues par la LCI (voir aussi ATA/611/2004 du 5 août 2004, consid. 12 ; ATA/640/1999 du 2 novembre 1999, consid. 4a).

12.         Est passible d'une amende administrative de CHF 100.- à CHF 150'000.- tout contrevenant aux règlements et arrêtés édictés conformément à l'art. 151 LCI, respectivement aux ordres donnés par le département dans les limites de la présente loi et des règlements et arrêtés édictés en vertu de celle-ci (art. 137 al. 1 let. b et c LCI et art. 334 RChant). Il est tenu compte, dans la fixation du montant de l'amende, du degré de gravité de l'infraction (art. 137 al. 3 LCI). Constituent notamment des circonstances aggravantes la violation des prescriptions susmentionnées par cupidité et les cas de récidive (art. 137 al. 3 LCI). Si l’infraction a été commise dans la gestion d’une personne morale, d’une société en commandite, d’une société en nom collectif ou d’une entreprise à raison individuelle, les sanctions sont applicables aux personnes qui ont agi ou auraient dû agir en son nom, la personne morale, la société ou le propriétaire de l’entreprise individuelle répondant solidairement des amendes. Les sanctions sont applicables directement aux sociétés ou entreprises précitées lorsqu’il n’apparaît pas de prime abord quelles sont les personnes responsables (art. 137 al. 4 LCI).

13.         Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C'est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/508/2020 du 26 mai 2020 consid. 4 ; ATA/206/2020 du 25 février 2020, consid. 4b ; ATA/13/2020 du 7 janvier 2020, consid. 7b). En vertu de l'art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), il y en effet lieu de faire application des dispositions générales (art. 1 à 110) du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

14.         Dans un jugement JTAPI/1274/2021 du 16 décembre 2021, le tribunal a rappelé l'applicabilité aux sanctions pénales administratives de l'art. 49 CP, qui prévoit que si, en raison d’un ou de plusieurs actes, l’auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l’infraction la plus grave et l’augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine (ch. 1). Si le juge doit prononcer une condamnation pour une infraction que l’auteur a commise avant d’avoir été condamné pour une autre infraction, il fixe la peine complémentaire de sorte que l’auteur ne soit pas puni plus sévèrement que si les diverses infractions avaient fait l’objet d’un seul jugement (ch. 2).

15.         Le tribunal a ainsi fait référence à un arrêt du 16 septembre 2005 (1P.427/2005), dans lequel le Tribunal fédéral a constaté que le Tribunal cantonal du canton du Valais, en présence de deux infractions successives, avait à bon escient examiné la quotité de l'amende en faisant application de la disposition du CP régissant la peine d'ensemble (à l'époque l'art. 68 ch. 1 et 2). Plus récemment, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après: la chambre administrative) a confirmé, sous forme d'une peine d'ensemble de CHF 10'000.-, deux amendes d'un montant de CHF 5'000.- chacune, dont l'une concernait le fait de n'avoir pas donné suite à un ordre d'arrêt de chantier, et l'autre le fait d'avoir mis l'autorité devant le fait accompli en procédant à une rénovation complète d'un appartement de 4,5 pièces (ATA/260/2014 du 15 avril 2014 consid. 17).

16.         Dans le cas d'espèce, l'autorité intimée conteste qu'elle aurait dû faire application de l'art. 49 CP, car selon elle, cette disposition ne s'appliquerait qu'en cas de répétition d'infractions sur un même chantier. Cependant, même si le JTAPI/1274/2021 cité plus haut concerne effectivement un cas dans lequel l'inspection des chantiers s'était rendue à deux reprises sur le même chantier, rien n'indique à teneur de l'art. 49 CP qu'il ne s'appliquerait pas lorsque les infractions commises successivement l'ont été l'une et l'autre dans un contexte complètement différent. Au contraire, à teneur de sa lettre, cette disposition est entièrement applicable à des infractions qui n'ont aucun lien entre elles, pour autant qu'elles aient été commises par le même auteur et qu'elles entraînent potentiellement plusieurs peines de même genre.

Par conséquent, dans la mesure où, lors de l'inspection du 10 février 2022, les infractions constatées dans le cadre du dossier I/1______ n'avaient pas encore été sanctionnées, le département, en application de l'art. 49 CP, aurait dû rendre une seule décision valant pour les deux situations après avoir achevé l'instruction concernant chacune d'elles.

17.         Cette violation de l'art. 49 CP ne saurait cependant avoir pour conséquence l'annulation de la décision litigieuse, qui n'est pas illégale dans son principe, mais dans la manière dont la quotité de l'amende a été déterminée.

18.         Il convient donc d'examiner à présent cette question, notamment en tenant compte des autres griefs de la recourante, qui prétend qu'il ne peut pas lui être reproché une situation de récidive et qui considère en outre qu'en application du principe de proportionnalité, l'amende infligée dans le cas d'espèce ne devrait pas dépasser le minimum légal de CHF 100.-.

19.         L'autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d'une sanction doit faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l'auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/19/2018 précité).

20.         Selon la jurisprudence constante, l’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende. La juridiction de céans ne la censure qu’en cas d’excès ou d'abus. Enfin, l’amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; ATA/824/2015 précité consid. 14c et les références citées).

21.         Dans sa jurisprudence récente, la chambre administrative de la Cour de justice a confirmé à plusieurs reprises, dans des situations qui ne révélaient pas d'antécédents, des amendes de CHF 5'000.- tenant compte en particulier du nombre et de la gravité des infractions constatées (ATA/131/2023 du 7 février 2023 ; ATA/142/2022 du 8 février 2022 ; ATA/440/2019 du 16 avril 2019), voire de CHF 15'000.- en cas de récidive (ATA/706/2022 du 5 juillet 2022).

22.         Dans le cas d'espèce, s'agissant de la question de la récidive, il est indéniable que la situation qui a abouti à la décision du 14 décembre 2016 dans le dossier d'infraction I/8______ constitue un antécédent dont l'autorité intimée était légitimée à tenir compte, puisqu'il s'agissait déjà là d'une infraction aux dispositions légales sur les chantiers, ce que la recourante ne conteste pas. Le fait que cette infraction n'avait pas de lien immédiat avec des questions de sécurité est à cet égard sans pertinence, car le RChant constitue un corpus de règles qui s'appliquent toutes de manière égale à la recourante, sans qu'il se justifie d'y introduire ni hiérarchie ni séparations. À cela s'ajoute, ce que la recourante n'a pas contesté dans le cadre de la présente procédure, qu'elle a fait l'objet par le passé de plusieurs autres constats d'infraction dont les références ont été expressément rappelées par l'autorité intimée.

23.         Le montant de l'amende litigieuse, ajouté à celui qui découle de la décision rendue le 21 mars 2022 dans le cadre du dossier d'infraction I/1______, représente un total de CHF 8'000.-. Eu égard, d'une part, à l'ensemble des infractions visées par ces deux amendes successives, ainsi qu'à leur gravité et à leur ampleur, et, d'autre part, au fait que la recourante est une personne morale de taille importante, que seule une amende correspondant à ses capacités financières est susceptible d'amener à plus de vigilance dans le respect du RChant, il apparaît que le total de CHF 8'000.- est loin d'être disproportionné, si l'on tient compte de la situation de récidive et de la jurisprudence rappelée ci-dessus.

24.         Dans cette mesure, même si elle avait fait application de l'art. 49 CP, l'autorité intimée était légitimée à prononcer dans le cas d'espèce une amende de CHF 6'000.-.

25.         Le recours devra ainsi être rejeté.

26.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 800.- ; il est couvert par l’avance de frais de CHF 900.- versée à la suite du dépôt du recours. Le solde de l'avance de frais, soit CHF 100.-, lui sera restitué. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 29 septembre 2022 par A______ SA contre la décision du département du territoire du 29 août 2022 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de la recourante un émolument de CHF 800.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 100.- ;

5.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

6.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Patrick BALSER et Saskia RICHARDET VOLPI, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière