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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/259/1999

ATA/640/1999 du 02.11.1999 ( TPE ) , ADMIS

Descripteurs : CONSTRUCTION ET INSTALLATION; TRAVAUX DE CONSTRUCTION; MESURE DE PROTECTION; AMENDE; ECHAFAUDAGE; TPE
Normes : LCI.334; RChant.3; RChant.1; RChant.151; RChant.147; RChant.95 al.2
Résumé : Echafaudage présentant un faux aplomb. L'entreprise concernée, qui n'a renforcé l'échafaudage que 9 jours après son signalement défectueux, se voit notifier une amende de CHF 5'000.-, annulée par la commission LCI et rétablie par le TA.

 

 

 

 

 

 

 

 

du 2 novembre 1999

 

 

 

dans la cause

 

 

DEPARTEMENT DE L'AMENAGEMENT, DE L'EQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 

 

 

 

contre

 

 

 

 

COMMISSION DE RECOURS INSTITUEE PAR LA LOI SUR

LES CONSTRUCTIONS ET LES INSTALLATIONS DIVERSES

 

et

 

A______ S.A.

 



EN FAIT

 

1. La commune de B______ a mandaté le bureau d'architecture C______ et D______ pour rénover et restaurer l'ancienne préfecture. Ce bâtiment est sis ______, route de E______, à B______, à proximité d'une école primaire et de la route F______. Le montage des échafaudages a été confié à l'entreprise A______ S.A. (ci-après : A______), qui a commencé les travaux le 26 mai 1998.

 

2. Lors d'un contrôle effectué le 9 juin 1998, un inspecteur du service de l'inspection des chantiers du département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après: DAEL) a constaté que des éléments tubulaires de l'échafaudage avaient subi des déformations importantes, suite à la pose de la toiture provisoire. En conséquence, il a ordonné qu'un contrôle urgent soit effectué par ingénieur. Par ailleurs, la mise en état de l'échafaudage devait être effectuée au plus tard le 10 juin 1998.

 

3. Le 11 juin 1998, le DAEL a procédé au contrôle de mise en service des échafaudages et de la toiture provisoire. Il a constaté que cette dernière n'avait pas encore été renforcée.

 

4. a. Par lettre recommandée adressée le 12 juin 1998 au bureau d'architecture, le DAEL a exigé que A______ produise un rapport d'expertise technique de l'ouvrage provisoire, effectué par un ingénieur compétent en la matière. De plus, le DAEL a interdit la poursuite des travaux tant que les conditions susmentionnées ne seraient pas remplies.

 

b. Par fax du même jour, le bureau d'architecture a mis en demeure A______ d'exécuter immédiatement les adaptations nécessaires.

 

5. a. Un rendez-vous de chantier s'est tenu le 16 juin 1998. Il ressort du procès verbal, sous la rubrique "décisions prises", ce qui suit:

 

"Urgent: faire immédiatement le nécessaire pour adaptation échafaudage et établissement expertise par Ingénieur civil, selon courrier recommandé du DAEL et du Bureau d'architectes du vendredi 12 juin 1998."

 

"Important: faire parvenir au Bureau d'architectes rapport Ingénieur civil et garantie d'exécution conforme au règlement de sécurité en vigueur, par écrit, d'ici au mercredi 17 juin 1998."

 

b. Le même jour, A______ a produit le rapport de l'expertise requise par le DAEL, qu'il avait confiée à M. G______, ingénieur.

 

Il appert de ce dernier que deux causes de la déformation des tubes verticaux de soutien de la toiture provisoire sur le bâtiment peuvent être retenues, soit:

 


- "Les tubes verticaux de l'échafaudage de soutien ont une tendance au flambage (Ik=2,00 m. et P. admissible de 1,3 t.; actuellement il y a - avec poids de neige et de vent - P effectif de 1,25 t.) ce qui est admissible.

D'autre part les diagonales mises en place pour diminuer la portée des poutres de toiture reçoivent une charge verticale de 2 t. qui se transmet dans cette diagonale. Celle-ci doit obligatoirement être soulagée par un tube perpendiculaire pour couper le flambage, avec un raccord mort à chaque extrémité de la diagonale pour éviter le glissement".

 

- "Le contreventement du support de la toiture dans le sens du plan de la ferme est mal assuré. Il faut prévoir des croix de Saint-André sur la hauteur de 6 mètres entre le dernier ancrage dans la façade et le départ de la toiture provisoire".


 

Les indications de renforcement ayant été fournies, les travaux devaient être exécutés afin que la stabilité totale de l'échafaudage ne soit pas compromise.

 

6. Le 17 juin 1999, A______ a procédé au renforcement de l'échafaudage afin d'assurer la sécurité du public et des travailleurs.

 

7. Le DAEL a procédé à un contrôle sur place le 19 juin 1998. Après avoir constaté que les mesures de sécurité requises avaient bien été exécutées, l'interdiction de poursuivre les travaux a été levée.

 

8. Par courrier du 22 juin 1998, M. G______ a confirmé que ses consignes avaient été appliquées aux travaux de renforcement de la structure.

 

9. Le 25 juin 1998, le DAEL a infligé une amende de CHF 5'000.- à A______ en application des articles 334 du règlement sur les chantiers (Rchantiers - L 5 05.03) et 137 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). A______ avait contrevenu aux articles 1, 3 alinéa 1, 95, 147 et 151 Rchantiers et mis en péril, pendant neuf jours, la sécurité des passants et des travailleurs.

 

10. Par acte du 6 juillet 1998, A______ a recouru auprès de la commission de recours instituée par la LCI (ci-après : la commission). A l'appui de son recours, A______ a principalement fait valoir que dans son rapport, M. G______ n'avait émis aucune crainte quant à la solidité de la toiture provisoire et qu'elle avait librement décidé de porter la sécurité de son installation de 100% à 150%.

 

11. Le 16 février 1999, la commission a annulé la décision querellée.

 

L'échafaudage devait être prêt pour le début des travaux de découverture du toit, soit le 18 juin 1998. Ce délai avait été respecté par A______, qui avait corrigé le défaut avant l'utilisation de la couverture.

M. G______ avait certes observé une tendance au flambage, mais dans une norme admissible; la stabilité totale pouvait être garantie par la seule prise de deux mesures.

 

Une amende administrative pouvait être prononcée seulement si l'ordre ou l'exigence de l'expert n'était pas satisfait, ce dernier pouvant seul relever un éventuel défaut et exiger un complément de sécurité.

12. Le DAEL a saisi le Tribunal administratif d'un recours le 25 mars 1999.

 

Il a conclu à l'annulation de la décision de la commission, à qui il a reproché une lecture sélective et incorrecte du rapport de M. G______. La commission n'avait en effet retenu que le mot "admissible", sans évoquer les mesures prônées par l'expert, lesquelles devaient "obligatoirement" être prises pour soulager les tubes verticaux déformés par le poids de la toiture provisoire. En effet, le rapport mentionnait que le contreventement du support était mal assuré, qu'une charge de 1,25 devait obligatoirement être soulagée par un tube perpendiculaire ou par la pose de croix de Saint-André. Si le flambage avait été dans une norme admissible, l'ingénieur n'aurait pas exigé de A______ les travaux de renforcement.

 

Il appartenait à l'inspection des chantiers de relever un éventuel défaut et d'exiger un complément de sécurité. L'ingénieur quant à lui intervenait lorsqu'une précision technique était nécessaire, comme le prévoyaient du reste les articles 61 alinéa 3 de l'ordonnance sur la prévention des accidents (OPA - RS 832.30) et 147 alinéa 1 Rchantiers. Tout contrevenant à ces dispositions était passible d'une peine prévue par la LCI (art. 334 R chantiers).

 

Certes, A______ avait répondu aux diverses injonctions, mais après neuf jours seulement, créant et laissant ainsi perdurer une situation jugée dangereuse.

13. Dans sa réponse du 7 mai 1999, A______ a contesté son retard, son refus d'agir ainsi que les risques encourus par le public, notamment par les écoliers fréquentant l'établissement voisin, et a indiqué que la toiture agissait en contention.

14. a. Une audience de comparution personnelle et d'enquêtes a eu lieu le 23 juin 1999, au cours de laquelle M. G______ a été entendu en qualité de témoin. Ce dernier a déclaré que l'ouvrage litigieux présentait certaines lacunes, mais pas de danger immédiat. La présence d'un toit provisoire exigeait des précautions plus importantes que lorsqu'il y avait seulement un échafaudage en façade. Il avait demandé le renforcement par souci de sécurité, notamment en cas d'intempéries. L'expert a relevé une distance entre la verticale et la distance réelle de l'échafaudage de 8 cm, alors que pour le DAEL, il s'agissait de 185 cm.

Sur question du département, l'expert a ajouté qu'il avait été administrateur et était encore actionnaire de H______, une société d'échafaudages, dont le président était M. I______, de l'entreprise A______.

 

b. Le DAEL a insisté sur le fait que l'échafaudage constituait un danger grave pour le public, au point qu'il avait envisagé la fermeture de la route f______, en cas d'intempéries.

c. Les parties ont été invitées à produire les photos, afin qu'une expertise judiciaire puisse être ordonnée.

 

15. Le Tribunal administratif a transmis le dossier à M. J______, professeur au département de génie civil, institut de statique et structures de l'école polytechnique fédérale de Lausanne, afin de savoir s'il acceptait de réaliser une expertise. Celui-ci a indiqué que sur les photos, une partie des éléments verticaux de l'échafaudage n'était pas verticale et que l'intervention du DAEL était justifiée, un tel faux aplomb ne pouvant être toléré. Pour en déterminer les causes et obtenir la preuve que l'échafaudage se serait effondré sous les effets climatiques, il y avait lieu de procéder à une expertise technique, dont le coût serait de l'ordre de CHF 10'000.-. Le Pr J______ a encore énuméré les documents nécessaires à la réalisation d'une expertise et a noté, en post scriptum, qu'"étant donné que personne ne (pouvait), de bonne foi, accepter un échafaudage présentant un tel faux aplomb, la question se limitait selon (lui) à savoir si, légalement, ce fait (entraînait) automatiquement une amende administrative".

 

16. Les parties ont été invitées à se déterminer sur le courrier du Pr J______. Au vu des éléments relevés par ce dernier, en particulier des documents nécessaires à la réalisation de l'expertise et du coût de cette dernière, une saine économie de procédure incitait à renoncer à sa réalisation.

 

Pour le DAEL, la réalité du faux aplomb était établie, ce que le Pr J______ confirmait.

 

A______ a persisté dans ses conclusions.

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 8 al. 1 chiffre 86 de la loi sur le Tribunal administratif et le Tribunal des conflits du 29 mai 1970 - LTA - E 5 05; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Le Conseil d'Etat fixe par règlements les dispositions relatives à la sécurité et la salubrité sur les chantiers (art. 151 let. d. LCI).

3. a. La prévention des accidents sur les chantiers et les mesures à prendre pour assurer la sécurité des travailleurs, du public, des ouvrages et de leurs abords sont réglées par les dispositions du règlement sur les chantiers (art. 1 al. 1 R chantiers).

Le travail doit s'exécuter en prenant, en plus des mesures ordonnées par le règlement, toutes les précautions commandées par les circonstances et par les usages de la profession (art. 3 al. 1 R chantiers).

En ce qui concernent les échafaudages, toutes les pièces doivent être reliées entre elles d'une façon parfaite et leur résistance proportionnée aux efforts qu'elles ont à supporter (art. 95 al. 2 R chantiers).

Tous les éléments de ces échafaudages doivent être montés selon les règles de l'art par des personnes ayant une formation appropriée. Les moyens de fixation et les ancrages doivent faire l'objet d'une vérification consciencieuse (art. 147 al. 2 R chantiers). En outre, tout échafaudage métallique doit être pourvu de contreventements suffisants (art. 151 R chantiers).

Selon l'article 4 alinéa 3 R chantiers, tout échafaudage, avant de pouvoir être utilisé, doit avoir été jugé conforme aux exigences du règlement sur les chantiers par l'inspection des chantiers. Il appartient donc à l'inspection des chantiers de relever un éventuel défaut et d'exiger un complément de sécurité. Lorsque une précision technique, soit une investigation spéciale, est nécessaire à l'appréciation de la situation, l'intervention d'une personne ayant une formation appropriée se justifie (art. 61 al. 3 OPA et 147 al. 1 R chantiers).

 

b. En l'espèce, lors de contrôles effectués sur le chantier par le DAEL, il a été constaté que l'échafaudage présentait des défauts et ne respectait pas les exigences de sécurité requise par le règlement. Le DAEL a donc ordonné un rapport d'expertise technique qui devait être effectué par un ingénieur compétent en la matière; en outre, il a exigé la mise en conformité de l'échafaudage.

Lors de la comparution des parties, M. G______ a indiqué que la distance entre la verticale et la distance réelle de l'échafaudage était de 8 cm, alors que pour le DAEL, elle était de 185 cm. Or, à l'examen du dossier, le Tribunal administratif constate que l'ouvrage litigieux présentait un notable déplacement latéral, vérifiable à l'oeil nu à la seule consultation des différentes photos. En outre, selon le Pr J______, les photos montrent bien qu'une partie des éléments verticaux de l'échafaudage n'était pas verticale, mais encore que ce dernier présentait un faux aplomb inadmissible.

 

Le Tribunal administratif basera donc son appréciation sur les indications du Pr J______, pour qui un tel faux aplomb ne pouvait être toléré. En revanche, il écartera les conclusions de M. G______ en raison des rapports commerciaux que ce dernier entretient avec M. I______, président H______, dont M. G______ est actionnaire. En cette qualité, il ne réunit pas les garanties d'indépendance nécessaires à la réalisation d'une expertise.

Dès lors que les articles 1, 3, 95, 147, 151 Rchantiers n'ont pas été respectés, le DAEL était en droit d'ordonner un complément de sécurité.

 

4. a. Tout contrevenant au Rchantiers est passible des peines prévues par la LCI (art. 334). Quant au contrevenant à la LCI, à ses règlements et aux ordres donnés par le département dans les limites de ces dispositions, il est passible d'une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.- (art. 137 al. 1).

 

Les amendes administratives sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des amendes ordinaires pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister (ATA U. du 18 février 1997; P. MOOR, Droit administratif: Les actes administratifs et leur contrôle, vol. 2, Berne 1991, ch. 1.4.5.5, p. 95-96).

L'administration jouit d'un large pouvoir d'appréciation pour infliger une amende (ATA G. du 20 septembre 1994).

 

Pour fixer le montant d'une amende, le département doit tenir compte du degré de gravité de l'infraction (art. 137 al. 3 LCI). Il est nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d'une simple négligence. L'administration doit faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi (A. GRISEL, Traité de droit administratif, vol. 2, Neuchâtel, 1984, pp. 646-648;).

b. Dans la pratique, lorsqu'un inspecteur du service de l'inspection des chantiers émet des doutes sur la sécurité d'un échafaudage, l'entreprise responsable des travaux apporte les modifications souhaitées dans les heures qui suivent l'intervention, ceci pour éviter des risques inutiles.

 

5. En l'espèce, A______ n'a pas renforcé l'échafaudage avant neuf jours, de sorte que sa stabilité n'était pas assurée en cas de fort vent. Objectivement, sa faute consiste donc d'une part à avoir édifié un ouvrage non conforme aux règles de sécurité et, d'autre part, à n'avoir pas exécuté immédiatement un ordre du département.

 

Subjectivement, A______ n'a intentionnellement et consciemment rien entrepris pour réparer immédiatement le défaut existant, travail qui ne lui aurait guère pris plus de quelques heures, créant et laissant ainsi perdurer une situation dangereuse.

 

6. Au vu de ce qui précède, le montant de l'amende fixé par le département, soit CHF 5'000.-, représentant le douzième du maximum prévu, apparaît adapté à la gravité de l'infraction et sera confirmé, ce d'autant que les travaux ordonnés par le DAEL - et effectués finalement au terme d'une procédure de neuf jours - ne représentaient guère plus que quelques heures de travail pour A______, comme il a été démontré plus haut.

 

Le recours sera donc admis et la décision querellée annulée.

 

7. Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de A______ S.A.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté par le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement contre la décision de la commission de recours instituée par la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988;

 

au fond :

 

admet le recours et annule la décision de la commission du 16 février 1999;

 

confirme l'amende de CHF 5'000.- infligée à A______ S.A. par le département;

 

met à la charge de A______ S.A. un émolument de CHF 1'500.-;

 

communique le présent arrêt au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement ainsi qu'à la commission de recours instituée par la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 et à A______ S.A.

 


Siégeants : M. Schucani, président, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, MM. Thélin, Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci