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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2796/2020

ATA/706/2022 du 05.07.2022 sur JTAPI/194/2022 ( LDTR ) , REJETE

Recours TF déposé le 06.09.2022, rendu le 21.04.2023, REJETE, 1C_468/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2796/2020-LDTR ATA/706/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 juillet 2022

 

dans la cause

 

A______
Monsieur B______

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 février 2022 (JTAPI/194/2022)


EN FAIT

1) a. Monsieur B______ est administrateur unique au bénéfice d'un droit de signature individuelle de A______ (ci-après : A______), inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis le 2 mars 2007 et ayant son siège au ______ à Vernier. A______ a pour but notamment des activités s'inscrivant dans le cadre de l'exploitation de bureau d'architecture, de même que l'achat et la vente de biens immobiliers. M. B______ est inscrit au tableau des mandataires professionnellement qualifiés (ci-après : MPQ) prévu par la loi sur l’exercice des professions d’architecte et d’ingénieur du 17 décembre 1982 (LPAI - L 5 40).

b. C______ (ci-après : C______) est une société active dans l'immobilier dont Monsieur D______ est l'actionnaire unique et administrateur-président avec signature individuelle. Elle est propriétaire de la parcelle no 4'404 de la commune de Genève-Cité, sise en zone 1 dans le périmètre protégé de la Vieille-Ville, sur laquelle est érigé un immeuble (R+5) essentiellement destiné à l’habitation, à l'adresse ______, ______.

2) a. Le 15 novembre 2010, l'ancien architecte d'C______ a déposé une demande d'autorisation de construire pour créer un ascenseur, un jour en toiture et pour agrandir un appartement au 5ème étage (DD 1______/1).

b. Le 2 juin 2015, C______ a mandaté M. B______ pour reprendre le dossier DD 1______/1.

c. L'autorisation de construire a été délivrée le 22 juillet 2015.

3) Le 27 juin 2017, faisant suite à une demande déposée en novembre 2016 par M. B______ pour C______, le département du territoire (ci-après : le département) a délivré une autorisation de construire complémentaire DD 1______/2 pour diverses modifications intérieures et l'une des façades, côté ______. Les plans visés ne varietur indiquaient des travaux touchant le sous-sol, le rez ainsi que les étages 1 à 4. L'autorisation était délivrée aux conditions figurant dans les préavis, dont celui du service de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) du 20 décembre 2016, lesquels faisaient partie intégrante de la décision.

4) Le même jour, le département a également infligé une amende administrative de CHF 3'000.- à M. B______ (I/2______) pour avoir engagé des travaux sans autorisation, ce qui avait été constaté par un de ses inspecteurs en date du 26 septembre 2016. Les travaux avaient finalement été autorisés par décision du même jour.

5) Le 7 mai 2018, lors d'une visite sur place, des collaborateurs du département, dont Monsieur E______ du service LDTR, ont constaté que les travaux en cours n'étaient pas conformes aux deux autorisations de construire délivrées. L’appartement en duplex, situé aux 4ème et 5ème étages, ne correspondait pas aux plans visés ne varietur, tant quant à la typologie qu’au nombre de pièces.

6) Le 9 juillet 2018, M. B______ a expliqué qu'au 5ème étage, seules deux chambres au lieu de quatre étaient visibles pour le moment. Suite à un contrôle de l’amiante, le chantier avait été arrêté et l’immeuble assaini, ce qui avait nécessité la démolition de certaines parois et la mise en conformité de certains planchers. Depuis la visite du 7 mai 2018, rien n'avait été modifié, dans l’attente d’une visite de la propriétaire, laquelle avait eu lieu la semaine précédente. Cette dernière souhaitait changer la typologie de l’appartement à la suite d'une « conséquence familiale privée », une autorisation de construire par voie de procédure accélérée (ci-après : APA) serait prochainement déposée.

La suspension des travaux au 5ème étage était « maintenue en attendant l'APA en force » ; si celle-ci devait être définitivement refusée, les travaux seraient achevés tels que mentionnés sur le plan visé ne varietur.

7) a. Le 11 juillet 2018, C______ a déposé une requête en autorisation de construire pour la transformation et la rénovation d’un duplex aux 4ème et 5ème étages, enregistrée sous APA 3______.

b. Le 20 août 2018, le département a requis le dépôt d’une requête en autorisation de construire complémentaire par la voie de la procédure ordinaire.

c. M. B______ a déposé une telle demande le 31 août 2018, enregistrée sous DD 1______/3.

À l’appui de cette demande, il a relevé que la diminution du nombre de pièces du duplex, de sept à cinq, découlait de la constatation du faible volume des chambres mansardées situées du côté de la place par rapport à la taille de l’appartement. La diminution du nombre de chambres au dernier étage était justifiée par l’amélioration de la qualité d’isolation thermique et du « concept feu » par l’intérieur des murs mitoyens, les plafonds et la toiture de l’appartement, qui réduisaient intérieurement tant la surface que le volume utile. L’ascenseur créé avait également considérablement réduit la surface disponible au 4ème étage, ce qui obligeait à revoir la typologie de l’appartement. Le 5ème étage ne correspondant pas au standing d’un duplex en Vieille-Ville, sa qualité devait être améliorée.

8) Lors d'une nouvelle visite sur place le 10 octobre 2019, M. E______ et Madame  F______, collaboratrice du service des monuments et des sites (ci-après : SMS), ont constaté que la typologie du duplex ne correspondait pas à celui du plan visé ne varietur et que les travaux intérieurs étaient achevés, l'appartement était meublé et habité.

9) Le 11 octobre 2019, C______, par l'intermédiaire de la régie G______, devenue depuis lors G______, (ci-après : la régie), a indiqué au département que M. B______ était en charge uniquement de la demande d'autorisation des travaux pour la transformation de l'appartement et qu'elle le libérait de tout engagement pour les travaux effectués aux 4ème et 5ème qui ne faisaient plus partie de son mandat. Un courrier daté du 13 janvier 2019 adressé à l'architecte le confirmait.

10) Le 29 janvier 2020, le département a informé M. B______ que la demande d'août 2018 comportait des travaux déjà réalisés sans autorisation et qu'il avait ouvert une procédure d'infraction (I-4______) et lui a accordé un délai de dix jours pour se déterminer à ce sujet.

11) Le 10 février 2020, M. B______ a répondu que son mandat était limité au dépôt de la requête complémentaire et que les travaux seraient effectués par un tiers. Il n'avait pas participé aux faits reprochés, comme cela ressortait des courriers des 13 janvier et 11 octobre 2019.

12) Par décision du 27 juillet 2020, adressée à A______ et M. B______, le département a infligé une amende administrative de CHF 15'000.- tenant compte de la gravité tant objective que subjective de l'infraction commise suite aux constatations faites lors de la visite du 7 mai 2018.

Avait été prise en compte comme circonstance aggravante la récidive dans le cadre du dossier I-2______ et, comme autres circonstances, le statut de professionnel de l'immobilier, la mesure de protection patrimoniale dont bénéficiait le bien ainsi que le fait accompli devant lequel il avait été mis. En tant que MPQ, M. B______ était responsable des travaux non conformes à toute autorisation de construire en force jusqu'au 12 octobre 2019.

Une décision de refus concernant la DD 1______/3 était rendue le même jour. Le département avait pris bonne note que le MPQ n'était plus en charge des travaux depuis le 12 octobre 2019.

13) Le 14 septembre 2020, A______ et M. B______ ont formé recours contre la sanction auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) en concluant à son annulation et subsidiairement à la réduction de l'amende à CHF 100.-.

14) Le 16 novembre 2020, le département a conclu au rejet du recours. Le changement de mandataire n'avait été annoncé que le 11 octobre 2019. Partant, l'ensemble des travaux effectués jusqu'à cette date relevaient de la responsabilité de M. B______.

15) Les parties ont, respectivement, répliqué le 15 janvier 2021 et dupliqué le 9 février 2021, persistant en substance dans leur argumentation et leurs conclusions.

Le 17 mai 2021, le TAPI a prononcé la suspension de la cause jusqu'à droit jugé dans la procédure connexe A/2795/2021 ouverte sur recours d'C______ contre la décision de refus d'autorisation de construire DD 1______/3 du 27 juillet 2020.

16) Par jugement du 7 septembre 2021 (JTAPI/908/2021) après avoir tenu une audience lors de laquelle ont été entendus MM. D______, B______ et E______, le TAPI a admis le recours d'C______ dans la procédure A/2795/2021 et annulé la décision de refus. L'autorisation de construire devait être délivrée par le département auquel le dossier était renvoyé. Le jugement est entré en force en l'absence de recours formé à son encontre.

17) Le 5 novembre 2021, A______ et M. B______ ont demandé la reprise de la procédure. Suite au jugement rendu, il s'avérait que l'amende était totalement infondée.

18) Le 12 novembre 2021, le département a maintenu ses conclusions, le jugement n'ayant aucune influence sur la sanction.

19) Par jugement du 22 février 2022, reçu le 3 mars 2022, le TAPI a rejeté le recours de A______ et de M. B______.

L'issue de la requête en autorisation de construire DD 1______/3, déposée a posteriori et autorisée par le JTAPI/908/2021, ne changeait rien au fait que les travaux avaient été effectués sans autorisation et qu'ils n'étaient pas conformes aux autorisations en force, de sorte que le principe de l'amende était fondé. Il s'agissait d'un cas de récidive. La faute était grave, ce d'autant plus qu'en sa qualité de MPQ. M. B______ avait un devoir spécial vis-à-vis de l'autorité quant au respect du droit public. La faute apparaissait suffisamment lourde pour justifier une amende d'un montant correspondant aux trois quarts du maximum prévu par la loi.

20) Par envoi mis à la poste le 4 avril 2022, A______ et M. B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI, concluant à son annulation et, subsidiairement, à la fixation d'une amende maximale de CHF 1'500.-. Préalablement, ils requéraient l'audition de six témoins et une comparution personnelle, comme ils l'avaient déjà requis devant le TAPI. Ce dernier avait violé leur droit d'être entendus.

Le dossier d'infraction n'avait pas été ouvert à leur encontre, mais contre la propriétaire uniquement. La décision querellée, se basant sur ledit dossier sans qu'ils aient pu être entendus, était nulle.

Au 7 mai 2018, l'état du duplex ne correspondait pas encore aux plans visés ne varietur en raison de contraintes techniques, structurelles et sécuritaires auxquels ils étaient tenus de par leurs devoirs professionnels. Ils n'avaient dès lors commis aucune faute.

Le mandat de MPQ avait pris fin le 13 janvier 2019. En outre, les travaux avaient été suspendus depuis le 7 mai 2018 jusqu'au mois d'octobre 2019.

Lors de la reprise et de l'achèvement des travaux en octobre 2019, il n'y avait pas d'irrégularité constatée lors de la visite du 10 octobre 2019.

Les travaux avaient finalement été autorisés par le jugement JTAPI/908/2021 entré en force. Aucun fondement au prononcé d'une amende ne pouvait être retenu.

La quotité de l'amende était excessive. Aucune violation d'une mesure de protection patrimoniale n'avait eu lieu.

Le département n'avait pas été mis devant le fait accompli. La demande avait été déposée le 31 août 2018 et enregistrée le 18 septembre 2018. Légalement, une réponse du département aurait dû être reçue au plus tard le 18 novembre 2018. Sans réponse, des relances avaient été faites, la dernière datant du 26 septembre 2019. La propriétaire avait procédé seule aux travaux dans le courant du mois d'octobre 2019, ce qui avait été constaté par deux architectes du département le 10 octobre 2019 et avait conduit au dernier préavis manquant favorable du SMS en date du 18 novembre 2019. Le 10 octobre 2019, un inspecteur du département avait constaté à son tour l'état du duplex et ce n'était qu'à la fin du mois de janvier 2020 que le département avait ouvert son dossier d'infraction et refusé l'autorisation le 27 juillet 2020. Le principe de célérité était violé.

Les travaux exécutés sous la direction du MPQ jusqu'au 7 mai 2018 ne prêtaient absolument pas le flanc à la critique, bien au contraire.

Au titre de circonstances atténuantes, en cas d'une éventuelle violation de la LDTR, celle-ci était limitée à un seul appartement. Il fallait également tenir compte du caractère luxueux de l'appartement. Il n'y avait pas de volonté délictuelle. Le TAPI avait d'ailleurs retenu que le MPQ ne semblait pas prendre conscience de son comportement. Il ne pouvait dès lors lui être reproché d'agir avec une volonté délictuelle. Il n'y avait finalement pas de récidive et le dossier I-2______ avait été ouvert sur une accusation infondée d'infraction à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).

Les principes de proportionnalité et d'égalité étaient violés.

21) Le 7 avril 2022, le TAPI a transmis son dossier, renonçant à formuler des observations.

22) Le 5 mai 2022, le département a déposé des observations, concluant au rejet du recours et répondant point par point aux griefs des recourants.

Notamment, les écarts constatés entre les autorisations de construire délivrées et les travaux réalisés selon le constat du 7 mai 2018, ne pouvaient se justifier par des intérêts techniques et sécuritaires même urgents, ce qui n'était d'ailleurs ni avancé ni démontré, la loi prévoyant qu'une requête en autorisation devait être déposée.

23) Le 25 mai 2022, les recourants ont persisté intégralement dans la teneur de leur recours.

24) Le 30 mai 2022, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Les recourants font valoir une violation de leur droit d'être entendu, le TAPI n'ayant pas procédé aux mesures d'instruction qu'ils avaient requises. Devant la chambre administrative, ils demandent l'audition de Mme F______ et MM. B______, D______, E______, H______, conservateur au SMS, I______, architecte au sein de A______ ayant suivi les travaux et J______, ingénieur civil. Ces témoignages permettraient de prouver qu'aucune violation d'une mesure de protection patrimoniale n'avait eu lieu et que la pratique de déposer une requête en autorisation complémentaire pour régulariser des modifications du projet, liées notamment à des contraintes techniques, structurelles et sécuritaires, était fréquente.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_539/2019 du 19 mars 2020 consid. 3.1 ; 2C_203/2019 du 4 juillet 2019 consid. 2.1 et les arrêts cités). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1. ; 140 I 285 consid. 6.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_41/2020 du 24 juin 2020 consid. 5.1.1 ; 2C_203/2019 du 4 juillet 2019 consid. 2.1 ; ATA/631/2020 du 30 juin 2020 consid. 2 a et les arrêts cités). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant ; il suffit que le juge discute ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_245/2020 du 12 juin 2020 consid. 3.2.1 ; ATA/631/2020 du 30 juin 2020 consid. 2a).

b. En l'espèce, les recourants ont pu exposer leurs arguments de façon détaillée dans leurs écritures et la procédure contient notamment toutes les pièces liées aux autorisations de construire concernées. En outre, deux témoins ainsi que l'architecte recourant ont été entendus dans le cadre de la procédure connexe A/2795/2020 concernant le refus d'autorisation de construire qui a donné lieu au jugement du TAPI du 7 septembre 2021 (JTAPI/908/2021).

Les actes d’instruction demandés par les recourants ne sont donc pas nécessaires à la solution du litige, comme cela ressort également des considérants qui suivent.

À l’instar du TAPI, la chambre de céans considère que le dossier est complet et en état d’être jugé, et il ne sera ainsi pas donné suite aux demandes d’actes d’instruction formulées.

Pour les mêmes motifs, le grief de violation du droit d'être entendu par le TAPI sera écarté.

3) Les recourants contestent le principe et la quotité de l'amende infligée par le département le 27 juillet 2020 et confirmée par le TAPI dans son jugement du 22 février 2022.

a. Sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, notamment élever tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (art. 1 al. 1 let. a LCI) ; modifier même partiellement le volume, l'architecture, la couleur, l'implantation, la distribution ou la destination d'une construction ou d'une installation (let. b), démolir, supprimer ou rebâtir une construction ou une installation (let. c).

b. Selon son art. 1 al. 1, la LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées à son art. 2. À cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, elle prévoit notamment à l'art. 1 al. 2 des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (let. a) et l'encouragement à des travaux d'entretien et de rénovation raisonnables et proportionnés des maisons d'habitation (let. b).

Selon l'art. 9 al. 1 LDTR, une autorisation est nécessaire pour toute transformation ou rénovation. L'autorisation est accordée notamment lorsque la réalisation d'opérations d'aménagement ou d'assainissement d'intérêt public le commande (let. b) ou pour les travaux de rénovation (let. e), c'est-à-dire la remise en état, même partielle, de tout ou partie d'une maison d'habitation, en améliorant le confort existant sans modifier la distribution des logements (art. 3 al. 1
let. d LDTR). Celui qui contrevient aux dispositions de la LDTR est passible des mesures et des sanctions administratives prévues par les art. 129 à 129 LCI, et des peines plus élevées prévues par le code pénal suisse du 21 décembre 1937
(CP – RS 311.0 ; art. 44 al. 1 LDTR).

c. Est passible d'une amende administrative de CHF 100.- à CHF 150'000.- tout contrevenant à la LCI et à la LDTR (art. 137 al. 1 LCI). Le montant maximum de l'amende est de CHF 20'000.- lorsqu'une construction, une installation ou tout autre ouvrage a été entrepris sans autorisation mais que les travaux sont conformes aux prescriptions légales (art. 137 al. 2 LCI). Il est tenu compte, dans la fixation du montant de l'amende, du degré de gravité de l'infraction. Constituent notamment des circonstances aggravantes la violation des prescriptions susmentionnées par cupidité, les cas de récidive et l'établissement, par le MPQ ou le requérant, d'une attestation, au sens de l'art. 7, non conforme à la réalité (art. 137 al. 3 LCI).

d. L'art. 137 al. 1 LCI érige la contravention aux ordres donnés par le département (let. c) en infraction distincte de la contravention à la LCI et à ses règlements d'application (let. a et b). De par sa nature, cette infraction est très proche de celle visée par l'art. 292 CP (insoumission à une décision de l'autorité). À l'instar de cette disposition pénale, la condamnation de l'auteur pour infraction à l'art. 137 al. 1 let. a LCI n'a pas pour effet de le libérer du devoir de se soumettre à la décision de l'autorité. S'il persiste dans son action ou son omission coupables, il peut être condamné plusieurs fois pour infraction à l'art. 137 al. 1 let. c LCI, sans pouvoir invoquer le principe ne bis in idem, dès lors que l'on réprime à chaque fois une autre période d'action ou d'omission coupables (Bernard CORBOZ, Les infractions en droit suisse, 3ème éd., 2010, vol. 2, n. 32 ad art. 292 CP p. 551). De plus, la sanction de l'insoumission peut être augmentée chaque fois qu'une menace de l'appliquer est restée sans effet (Blaise KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème éd., 1991, n. 1'721 et les références citées ; ATA/147/2014 du 11 mars 2014 consid. 11).

e. Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C’est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/709/2021 du 6 juillet 2021 consid. 12c ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 160 n. 1.4.5.5 ; plus nuancé : Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, p. 413 n. 1211).

f. En vertu de l'art. 1 al. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du CP s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif. On doit cependant réserver celles qui concernent exclusivement les juridictions pénales (notamment les art. 34 ss, 42 ss, 56 ss, 74 ss et 106 al. 1 et 2 CP ; ATA/559/2021 du 25 mai 2021 consid. 7d ; ATA/83/2021 du 26 janvier 2021 consid. 5c).

Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence (ATA/625/2021 du 15 juin 2021 consid. 4b ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8ème éd., 2020, p. 343 n. 1493).

g. Selon la jurisprudence constante, l’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende. La chambre administrative ne la censure qu’en cas d’excès ou d'abus (ATA/527/2021 du 18 mai 2021 consid. 7c).

L'autorité prend en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises, dans le respect du principe de proportionnalité (art. 36
al. 3 Cst. ; ATA/709/2021 du 6 juillet 2021 consid. 12e ; ATA/559/2021 du 25 mai 2021 consid. 7f). Doivent être notamment prises en compte au titre de circonstances aggravantes, le fait d'avoir agi par cupidité, la récidive, la profession de l'auteur de l'infraction ainsi que le nombre élevé ou la proportion importante des appartements ou immeubles concernés par la violation de la LDTR. Au titre de circonstances atténuantes, doivent être prises en compte notamment l'absence de volonté délictuelle, une violation de la LDTR sur un appartement ou un immeuble isolé seulement, le fait qu'une réaffectation en logement soit aisée (ATA/147/2021 du 9 février 2021 consid. 4e ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 490-491 et les jurisprudences citées).

h. L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l'auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/284/2021 du 2 mars 2021 consid. 4c).

i. Selon l'art. 4 al. 1 1ère phr. LCI, le délai de réponse à toute demande d’autorisation est de soixante jours à compter de la date d’enregistrement de la demande. L'al. 3 de cette disposition prévoit que lorsque le département demande des pièces ou renseignements complémentaires nécessaires, le délai est suspendu jusqu’à réception des documents. Le requérant en est avisé par écrit. Enfin, l'al. 4 prévoit que si le requérant n’a pas reçu de réponse dans le délai, il peut aviser le département, par lettre recommandée, qu’il va procéder à l’exécution de ses plans. À défaut de notification de la décision dans un nouveau délai de dix jours à compter de la réception de cet avis, le requérant est en droit de commencer les travaux.

4) Les recourants contestent qu'une infraction ait été réalisée.

En l'espèce, il découle du constat établi le 7 mai 2018, lors de la visite du département, en présence d'un collaborateur de service de la LDTR, et du SMS, que les travaux qui avaient déjà réalisés ne correspondaient pas à ceux prévus par les autorisations délivrées DD 1______/1 et 1______/2 les 22 juillet 2015 et 27 juin 2017.

Les recourants exposent que les éventuelles constatations faites le 7 mai 2018, durant un chantier encore en cours d'exécution, qui montreraient une absence de conformité aux autorisations, ne tenaient pas compte des explications liées aux constats d'ordre technique, soit que dans le cadre des travaux sécuritaires nécessaires afin de compartimenter tous les appartements pour les rendre coupes-feu, conformément aux conclusions de l'entreprise spécialisée en protection contre les incendies et celles de la police du feu notamment, il avait fallu ôter des cloisons trop instables et mettre à nu des planchers et des plafonds. De même, dans le cadre des travaux structurels de renforcement de l'ensemble du bâtiment nécessaires, conformément aux conclusions de l'ingénieur civil, il était inévitable de déposer des cloisons instables qui devaient être conservées en raison de leur valeur patrimoniale conformément aux préavis de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS), du SMS et de la sous-commission monuments et antiquités et de mettre à nu des planchers et des plafonds également d'une valeur patrimoniale pour procéder au renforcement. Ils ont par la suite déposé une demande complémentaire visant à régulariser ces travaux.

Ils admettent ainsi que des travaux non couverts par les autorisations déjà délivrées ont été effectués. Contrairement au raisonnement tenu par les recourants, devant la nécessité alléguée de ces travaux, une demande d'autorisation aurait dû être déposée, cette situation étant expressément prévue à l'art. 3 al. 7 let. d LCI pour des travaux présentant un caractère d'urgence. Les recourants n'expliquent d'ailleurs pas pourquoi une telle demande n'a pas été déposée. Ces travaux constituent donc bien une violation aux art. 9 al. 1 LDR et 1 al. 7 LCI.

L'argumentation des recourants quant à l'extinction du mandat dès janvier 2019 n'est pas pertinente, dans la mesure où les faits constitutifs de l'infraction ont été constatés antérieurement et qu'en outre, le département n'a été informé du changement de MPQ que le 11 octobre 2019.

Le grief sera donc écarté et le principe d'une amende acquis.

5) Reste à examiner la quotité de celle-ci.

Les recourants contestent toutes les circonstances aggravantes prises en compte par le département et le TAPI, soit la récidive dans le cadre du dossier I-2______, le statut de professionnel de l'immobilier, la mesure de protection patrimoniale dont bénéficiait le bien ainsi que le fait accompli devant lequel le département avait été mis.

S'agissant de la récidive, peu importent les explications a posteriori données par les recourants qui exposent notamment ne pas avoir contesté l'amende uniquement en raison de la demande de la propriétaire qui voulait que les travaux avancent. Force est de constater qu'une infraction à la LCI a été sanctionnée par le département dans le dossier I-2______ pour des travaux réalisés sans autorisation, ce qui constitue un antécédent dont il doit être tenu compte.

La qualité de MPQ ainsi que celle de professionnel de l'immobilier des recourants constituent également des circonstances aggravantes, selon la jurisprudence (arrêt du Tribunal fédéral 1C_209/2020 du 16 octobre 2020 consid. 2.3.2 ; ATA/604/2022 du 7 juin 2022 consid. 8b ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 490-491 et les jurisprudences citées).

Quant à la protection patrimoniale dont bénéficie le bâtiment, elle ressort de la loi, laquelle prévoit que dans les quartiers de la Vieille-Ville, en cas de rénovation ou de transformation, les structures intérieures de même que les autres éléments dignes de protection doivent, en règle générale, être sauvegardés (art. 83 al. 3 LCI). Les recourants admettent que les travaux exécutés étaient contraires aux préavis de la CMNS et du SMS, notamment. La circonstance aggravante n'est ainsi pas contestable en l'occurrence.

Finalement, la circonstance du fait accompli est bien réalisée en l'espèce puisque le département a pu constater que des travaux non autorisés avaient été réalisés. Le fait que l'amende n'ait été prononcée que de nombreux mois après, alors que la demande d'autorisation visant à légaliser les travaux avait déjà été déposée, n'est ainsi pas pertinent et une éventuelle lenteur dans la prise de décision par le département, telle qu'alléguée, non plus (ATA/668/2022 du 28 juin 2022 dans la procédure concernant la sanction prononcée contre la propriétaire du bâtiment).

Les recourants font encore valoir comme circonstance atténuante l'absence de volonté délictuelle. Cette argumentation, pour le moins téméraire, ne saurait être retenue, s'agissant de la réalisation de travaux sans autorisation, de surcroît dans un bâtiment soumis à la LDTR et sis dans la zone protégée de la Vielle-Ville, par un MPQ.

En conséquence, il appert que les griefs doivent être écartés.

Compte tenu de ce qui précède, il faut constater que le département n'a pas abusé de son large pouvoir d'appréciation en fixant l'amende à CHF 15'000.-, soit aux trois quarts du maximum prévu de CHF 20'000.- (art. 137 al. 2 LCI), les recourants n'alléguant par ailleurs pas de difficultés financières.

Infondé, le recours sera rejeté.

6) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge conjointe des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 avril 2022 par Monsieur B______ et A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 22 février 2022 ;


 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge conjointe de Monsieur B______ et A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur B______ et A______ , au département du territoire-oac ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance .

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Krauskopf, M. Verniory,
Mmes McGregor et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

F. Cichocki

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :