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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3096/2021

JTAPI/561/2022 du 24.05.2022 ( LDTR ) , REJETE

REJETE par ATA/776/2022

Descripteurs : VENTE;LOGEMENT;FRAUDE À LA LOI;PÉNURIE DE LOGEMENTS;IMMEUBLE D'HABITATION
Normes : Cst.29.al2; LDTR.39.al4; RDTR.13.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3096/2021 LDTR

JTAPI/561/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 24 mai 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Mark MULLER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

OFFICE CANTONAL DU LOGEMENT ET DE LA PLANIFICATION FONCIÈRE

 


EN FAIT

1.      La parcelle no 1______, sise 2 ______, route des B______ sur la commune de C______, comporte un immeuble de logements avec rez-de-chaussée commercial.

2.      Par acte notarié du 28 novembre 2013, Monsieur A______ a acquis de D______ SA, à compter de cette date, par cession d’actions, la propriété de l’appartement no 3______ de deux pièces au troisième étage, inscrit au feuillet 4______ de cet immeuble, pour la somme de CHF 126’000.-.

3.      Par arrêt du 2 décembre 2014 (ATA/5______), rendu dans une procédure à laquelle M. A______ était partie, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a donné instruction au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie (devenu par la suite le département du territoire, ci-après : le département) de statuer sur l'applicabilité de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) à treize transferts d'appartement, dont celui dont avait bénéficié M. A______. Ces transferts avaient eu lieu par attribution, en nom, de parts de propriété par étage de l'immeuble susmentionné et avaient dans l'intervalle été inscrits au grand livre du registre foncier, acte dont l'association genevoise des locataires demandait l'annulation ou le constat de la nullité. Le département devrait notamment examiner s'il existait une fraude à la LDTR.

4.      Par arrêt du 11 mai 2021 (ATA/6______), la chambre administrative a retenu au sujet de cet immeuble le complexe de fait suivant :

5.      « Monsieur E______ est administrateur président avec signature individuelle de Régie F______SA, société dont la raison sociale est devenue G______SA le 30 juillet 2020 (ci-après : la régie G______) et dont le siège se situe au 7______, rue ______.

6.      D______ SA ( ) a pour but les achats et ventes immobilières et l'exploitation d'immeubles. Depuis sa création le 24 novembre 2011, elle a son siège auprès de la régie G______ et M. E______ en a été administrateur jusqu'au 29 août 2012, date à laquelle il est devenu administrateur président, toujours avec signature individuelle.

7.      Le 12 juillet 2002, M. E______ a acquis l'immeuble comportant vingt-deux appartements sis au 2______, route des B______, sur la parcelle no 1______, feuillet 4______ de la commune C______, située en deuxième zone de développement (ci-après : l'immeuble). Le 15 juin 2012, M. E______ a vendu l'immeuble à D______, au prix de CHF 3'444'000.-. Le 25 juin 2012, les statuts de D______ ont été modifiés, cette dernière devenant une société immobilière d'actionnaires-locataires (ci-après : SIAL). Dès le 29 juin 2012, l'immeuble a été soumis au régime de la propriété par étages (ci-après : PPE). »

8.      L’appartement a été loué depuis le 1er août 2014 au 31 juillet 2017 pour un loyer annuel de CHF 11’400.-, puis de CHF 14'400.- et enfin de CHF 16'800.- dès le 1er août 2018.

9.      Le 3 mai 2021, une requête d’autorisation d’aliéner cet appartement a été adressée à l’office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) au sein du département, sous la plume de Me H______, notaire en charge d’instrumenter la vente, laquelle devait avoir lieu entre M. A______, vendeur, et Monsieur I______ et Madame J______, pour le prix de CHF 650'000.-. Le motif de la vente était « réalisation des biens » et le but de l’achat était « location ». Par ailleurs, au moment du dépôt de la demande ledit appartement était en cours de relocation.

10.  Par arrêté VA 8______ du 9 août 2021, le département a refusé l’autorisation d’aliéner.

Le logement en question entrait dans une catégorie de logement où sévissait la pénurie et les conditions de l’art. 39 al. 4 LDTR n’étaient manifestement pas remplies.

L’appartement était soumis depuis 2012 au régime de la PPE. Il avait été offert à la location et avait été aliéné auparavant par voie de cessions d’actions à une date inconnue (sic), cette opération ayant pour but d’individualiser ledit appartement. Le requérant était devenu propriétaire en nom suite au transfert intervenu en novembre 2013, sans passer par l’autorisation d’aliéner prévue à l’art. 39 LDTR, ce qui était considéré par les tribunaux comme une fraude à la loi, ainsi que cela ressortait de l'ATA/6______. Il était d’intérêt public de préserver l’existence d’un nombre suffisant de logements répondant aux besoins prépondérants de la population (ci-après : BPP). La décision de refus n’était pas disproportionnée. Le requérant ne faisait pas valoir d’intérêt privé prépondérant, son intérêt étant de « nature commerciale ». L’intérêt privé des acheteurs ne pouvait l’emporter sur l’intérêt public et général susmentionné, l’acquisition étant projetée dans un but de convenance personnelle.

11.  Par acte du 14 septembre 2021, M. A______ (ci-après : le recourant), représenté par son conseil, a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre l’arrêté VA 8______, concluant à son annulation et à la délivrance de l’autorisation requise, sous suite de frais et dépens. Il a joint un chargé de pièces.

Aucun des motifs d’autorisation prévus à l’art. 39 al. 3 et 4 LDTR n’étaient remplis. Cependant, il existait un certain nombre de motifs d’intérêt privé justifiant l’octroi de l’autorisation d’aliéner.

Les acquéreurs étaient propriétaires de leur domicile dans le canton de Vaud et ne désiraient pas acquérir le logement aux B______ pour s’y loger. De plus, leurs enfants ne cherchaient pas non plus à loger dans ledit appartement. Leur objectif était d’investir une partie de leur fortune. Il s’agissait de leur premier achat immobilier à des fins de rendement. Ils s’engageaient à reprendre les droits et obligations d’un nouveau bail conclu par le recourant avant l’aliénation de l’appartement, qu’ils ne pourraient pas résilier de manière anticipée. Une annotation au Registre foncier serait inscrite à ce propos. De ce fait, l’intérêt privé des acquéreurs d’obtenir un rendement par la location d’un appartement n’affectait pas le parc locatif genevois, dans la mesure où l’appartement resterait affecté au logement sur le long terme. Enfin, les acquéreurs n’avaient jamais participé à un quelconque schéma similaire à une société immobilière d’actionnaires-locataires (ci-après : SIAL). Pour confirmer ces propos, le témoignage des acquéreurs par le tribunal était sollicité.

L’appartement était le seul bien immobilier du recourant à Genève. Il convenait de tenir compte de cet élément dans la pesée des intérêts, car il ne pouvait être contraint à rester propriétaire du seul bien dont il disposait.

De plus, il avait acquis l’appartement par la liquidation d’une SIAL le 28 novembre 2013 et il ignorait qu’il s’agissait d’un montage qui serait par la suite considéré comme frauduleux. Au moment des faits, cette pratique était tolérée par les autorités. Le recourant avait été pris dans ce montage lorsqu’un client de la banque pour laquelle il travaillait lui avait proposé, en tant que professionnel de l’immobilier de faire l’acquisition de l’appartement. Pour affirmer ces faits, le recourant demandait son audition par le tribunal.

12.  Dans ses observations du 9 novembre 2021, le département a conclu au rejet du recours, persistant dans les termes de sa décision du 9 août 2021.

Le recourant avait acquis l’appartement par voie de cession d’actions à une date inconnue (sic), ce qui avait pour but de l’individualiser et aurait dû faire l’objet d’une autorisation d’aliéner en application de l’art. 39 LDTR. Comme cela n’avait pas été le cas, cette opération faisait l’objet d’une fraude à la loi. Le recourant était devenu propriétaire en nom suite au transfert intervenu en novembre 2013, opération non soumise à autorisation jusqu’en avril 2014, date à laquelle la fraude susmentionnée avait été découverte et avait donné lieu à un changement de pratique en la matière de la part du département.

L’appartement comportait deux pièces et demie. Il entrait donc dans une des catégories soumises à autorisation au sens de l’art. 39 al. 1 LDTR. Il était apparu, dans le cadre de l’instruction du dossier, qu’aucun des cas de figure de l’art. 39 al. 4 LDTR n’étaient réalisés. En effet, l’immeuble n’avait pas été soumis au régime de la PPE ou d’une forme analogue depuis sa construction, il avait été loué depuis que le recourant en était propriétaire et n’avait jamais fait l’objet d’une autorisation d’aliéner.

S’agissant de la pesée des intérêts, l’intérêt public et général à la préservation de l’affectation locative primait les intérêts privés tant du recourant que des acheteurs. En effet, l’intérêt privé qu’avait invoqué le recourant était une « réalisation de biens », et les explications fournies à cet égard n’entraient clairement pas dans les intérêts privés prépondérants fixés à l’art. 13 al. 3 RDTR. Il en allait de même pour les acquéreurs, lesquels souhaitaient acheter pour investir leur fortune et destiner l’appartement à la « location », sans fournir d’élément probant allant dans ce sens. Ainsi, délivrer une autorisation d’aliéner revenait à valider l’individualisation de l’appartement, malgré l’absence d’intérêts substantiels, un tel résultat se heurtait à un intérêt public évident.

Au bénéfice d’une telle autorisation, ledit appartement ne bénéficierait plus d’aucune protection et pouvait à tout moment sortir du parc locatif. Partant, c’était à bon droit qu’il avait refusé l’autorisation d’aliéner.

13.  Par réplique du 31 janvier 2022, le recourant a persisté dans les termes, conclusions et explications de son recours. Il a produit un chargé de pièces complémentaire et ajouté pour le surplus ce qui suit.

Ledit appartement avait été loué depuis le 1er octobre 2021, pour une durée indéterminée, sans réserve de la part des futurs acquéreurs. Ces derniers s’étaient engagés par écrit auprès du recourant à reprendre les baux en cours, ce qui rendait manifeste leur volonté de destiner l’appartement à la location. A teneur de leur courrier du 12 janvier 2022, les acquéreurs s’engageaient à reprendre les obligations qui découlaient du contrat de bail actuel, dont la durée avait été modifiée en une « durée indéterminée », et n'avaient pas l’intention d’occuper eux-mêmes ou loger des proches pendant une « durée d’au moins 3 ans ».

Le recourant a rappelé que l’appartement était déjà individualisé par son acquisition non soumise à autorisation le 28 novembre 2013. Si par la suite, cette opération avait eu lieu dans le cadre d’un montage qui avait été considérée comme une fraude à la loi, il n’y avait pas activement participé et n’en avait été qu’un acteur passif.

14.  Dans sa duplique du 21 février 2022, le département a persisté dans ses conclusions et précédentes explications, indiquant ne pas avoir d’observations supplémentaires à formuler.

 

EN DROIT

1.      Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.      Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.      Dans son recours du 14 septembre 2021, le recourant ne conclut pas formellement à son audition, ni à celle des acheteurs, mais il se réfère à ces différentes auditions à titre de preuve pour ses explications relatives aux motifs d’achat et de vente notamment.

4.      Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit ne s'étend toutefois qu'aux éléments pertinents pour décider de l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2; 131 I 153 consid. 3). En outre, le droit d'être entendu ne comprend pas le droit d'être entendu oralement (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 ; 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 134 I 140 consid. 5.3).

5.      En l'espèce, le recourant a eu l'occasion, au cours de la présente procédure, de faire valoir ses arguments et de produire des pièces tant dans son recours que dans sa réplique. Par ailleurs, les motifs allégués de vente et d’achat ne sont pas contestés au regard du dossier. Partant, il n'y a pas lieu de procéder à son audition, pas plus qu’à celle des acheteurs. Pour le surplus, au regard des pièces produites par les parties et des explications fournies par celles-ci, le dossier soumis au tribunal de céans apparaît complet et lui permet de statuer en connaissance des éléments pertinents.

Il ne sera donc pas ordonné d'autres actes d'instruction.

6.      Il y a pénurie à Genève, au sens de l’art. 39 al. 1 LDTR, dans toutes les catégories d’appartements d’une à sept pièces inclusivement (arrêté du Conseil d’Etat déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l’application des art. 25 à 39 LDTR du 9 décembre 2020 - ArAppart - L 5 20.03, applicable durant l'année 2021 et renouvelé le 12 janvier 2022).

7.      L’aliénation, sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d’étages ou de parties d’étages, d’actions, de parts sociales), d’un appartement à usage d’habitation, jusqu’alors offert en location, est soumise à autorisation dans la mesure où l’appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR). C'est le vendeur qui a l'obligation de solliciter auprès du DT l'autorisation d'aliéner (art. 12 al. 1 du règlement d’application de la LDTR du 29 avril 1996 - RDTR - L 5 20.01). Les agents immobiliers, les notaires ou autres mandataires professionnels, dont le concours est sollicité en vue de la passation d'un acte de vente d'un appartement jusqu'alors offert en location, ont l'obligation de s'assurer préalablement de la délivrance par le DT de ladite autorisation (art. 16 RDTR). Le conservateur du registre foncier écarte toute réquisition d'inscription d'une aliénation d'une part de copropriété par étages portant sur un appartement qui n'est pas assortie d'une autorisation du DT au sens de l'art. 39 LDTR lorsque celle-ci est nécessaire (art. 17 al. 2 RDTR).

8.      En l’espèce, l’appartement no 9______ au rez-de-chaussée comporte deux pièces à usage d'habitation et a été jusqu'ici offert à la location. Il entre en raison de son type dans la catégorie de logements où sévit la pénurie. Pour ces raisons, il est soumis à autorisation d’aliéner, ce qui n’est pas contesté.

9.      À teneur de l'art. 39 al. 4 LDTR ("Motifs d’autorisation") l'aliénation d'un appartement est autorisée si celui-ci :

a) a été soumis au régime de la propriété par étages ou à une forme de propriété analogue dès sa construction ;

b) s'il était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la propriété par étage ou à une forme de propriété analogue et qu'il avait déjà été cédé de manière individualisée ;

c) s'il n'a jamais été loué ;

d) s'il a fait une fois au moins l'objet d'une autorisation d'aliéner en vertu de la présente loi.

L'autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d'assainissement financier, de plusieurs appartements à usage d'habitation ayant été mis en propriété par étages et jusqu'alors offerts en location, avec pour condition que l'acquéreur ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve d'une autorisation individualisée au sens du présent alinéa.

En cas de réalisation d’une des quatre hypothèses visées par l'art. 39 al. 4 LDTR, le département est tenu de délivrer l'autorisation d'aliéner (ATA/491/2021 du 11 mai 2021 ; ATA/1340/2020 du 22 décembre 2020 ; ATA/80/2014 du 12 février 2014 6). Il s'agit de conditions alternatives, la réalisation de l'une d'entre elles étant suffisante pour la délivrance de l'autorisation, étant précisé qu'il n'y a alors pas de place pour une pesée des intérêts en présence (ATA/491/2021 précité ; ATA/725/2020 du 4 août 2020 consid. 2f ; ATA/870/2019 du 7 mai 2019 consid. 4b) ATA/80/2014 précité).

10.  En l’espèce, aucune des conditions énoncées à l’art. 39 al. 4 let. a à d LDTR n’est satisfaite, ce qui n'est au demeurant pas contesté par les parties. Il faut donc vérifier si un motif prépondérant d’intérêt public ou d’intérêt général s’oppose à l’autorisation d’aliéner querellée, au sens de l’art. 39 al. 2 LDTR (arrêts du Tribunal fédéral 1C_49/2013 du 14 août 2013 consid. 5 ;1P.2/1999 du 19 avril 1999 consid. 2f ; ATA/80/2014 du 12 février 2014).

11.  À teneur de l'art. 39 al. 2 LDTR, le département doit refuser l'autorisation d'aliéner un appartement en PPE affecté à la location lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose. L'intérêt public et l'intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l'affectation locative des appartements loués. Le département doit procéder à une pesée des intérêts, règle reprise à l'art. 13 al. 1 RDTR.

Selon l’art. 13 al. 1 RDTR, dans le cadre de l’examen de la requête en autorisation d’aliéner, le département procède à la pesée des intérêts privés et publics en présence.

Dans le cadre de la pesée générale des intérêts, l'art. 13 al. 3 RDTR prévoit que l’intérêt privé est présumé l’emporter sur l’intérêt public lorsque le propriétaire doit vendre l’appartement pour l’un des motifs suivants :

a) nécessité de liquider un régime matrimonial ou une succession ;

b) nécessité de satisfaire aux exigences d’un plan de désendettement ;

c) prise d’un nouveau domicile en dehors du canton.

Ces cas constituent des exemples, de sorte que d'autres circonstances peuvent justifier que l'intérêt privé l'emporte sur l'intérêt public au maintien de l'affectation locative de l'appartement. Il s'agit en outre d'une présomption, qui peut être exceptionnellement renversée. L’autorisation peut ainsi être refusée dans des cas particuliers où le département estime que l’invocation de ces circonstances constitue un moyen de détourner la loi (ATA/999/2014 du 16 décembre 2014 ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DEFAGO GAUDIN, op. cit., p. 436 ch. 4.7.5)

12.  Le but poursuivi par la LDTR, qui tend à préserver l'habitat et les conditions de vie existants, en restreignant notamment le changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 1 et 2 let. a LDTR), procède d'un intérêt public important et reconnu (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4 ; 113 Ia 126 consid. 7a ; 111 Ia 23 consid. 3a et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_416/2016 du 27 mars 2017 consid. 2.3 ; 1C_68/2015 du 5 août 2015 consid. 2.3 ; 1C_143/2011 du 14 juillet 2011). Par ailleurs, la réglementation mise en place par la LDTR est en soi conforme au droit fédéral et à la garantie de la propriété, y compris le refus de l'autorisation de vendre un appartement loué lorsqu'il existe un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général. Pour qu'une telle restriction soit conforme à la garantie de la propriété (art. 26 al. 1 Cst.), l'autorité administrative doit effectuer une pesée des intérêts en présence et évaluer l'importance du motif de refus au regard des intérêts privés en jeu (ATF 116 Ia 401 consid. 9 ; 113 Ia 126 consid. 7b/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_617/2012 du 3 mai 2013 consid. 2.3 ; 1C_141/2011 du 14 juillet 2011 consid. 3.2). La restriction à la liberté individuelle ne doit pas entraîner une atteinte plus grave que ne l'exige le but d'intérêt public recherché (ATF 113 Ia 126 consid. 7b/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_417/2016 du 27 mars 2017).

Le département bénéfice d’un pouvoir d’appréciation qui lui permet de tenir compte, dans chaque cas particulier, de tous les intérêts en présence. Dans le cadre de sa pesée des intérêts, il évalue l’importance du motif de refus envisagé d’intérêt public en regard des intérêts privés opposés. Ainsi, il doit être en mesure de prendre en considération les intérêts privés légitimes qui peuvent exister dans certaines circonstances (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : démolition, transformation, changement d'affectation et aliénation. Immeubles de logement et appartements, 2014, n. 4.7.3 p. 434 s. et les arrêts cités). Il ne peut se contenter d'évoquer de manière générale la nécessité de maintenir le logement dans le régime locatif (motif de refus d'ordre général déjà mentionné à l'art. 39 al. 2 LDTR), sans quoi une autorisation de vente ne serait pratiquement jamais possible ; il doit faire état de circonstances concrètes faisant apparaître que la vente ne répond pas à un réel besoin de l'acquéreur ou du vendeur, par exemple en cas d'opération spéculative ou purement commerciale (arrêts du Tribunal fédéral 1C_68/2015 du 5 août 2015 consid. 2.4 ; 1C_357/2012 du 8 janvier 2013 ; 1C_497/2012 du 9 janvier 2013).

L'intérêt du vendeur ou de l'acheteur alternativement suffit pour autoriser une aliénation. S'agissant du vendeur, si l'appartement est sa seule propriété, il faut en tenir compte dans l'appréciation des intérêts pour donner un poids certain à cet élément. Sinon, on empêcherait les propriétaires de céder leur bien et on les contraindrait à rester indéfiniment propriétaires, ce qui porterait atteinte au droit de la propriété. En revanche, l'intérêt du propriétaire de plusieurs appartements dans un immeuble, voire plusieurs immeubles, qui les détient dans un but d'investissement peut être apprécié différemment, et sa requête d'aliénation d'un appartement rejetée, car moins justifiée (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., n. 4.7.4 p. 435 et les références). Un intérêt purement économique doit céder le pas face à l'intérêt public au maintien d'un parc de logements locatifs (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4, p. 211-212 et les arrêts cités).

13.  En l'espèce, le recourant évoque dans ses écritures l'arrêt rendu le 11 mai 2021 par la chambre administrative (ATA/6______ – cité dans la partie en fait ci-dessus), ce qui signifie qu'il a également connaissance des autres arrêts auxquels renvoie ce jugement, à savoir notamment ceux rendus le 23 mai 2017 par la chambre administrative (ATA/10______) et le 23 novembre 2017 par le Tribunal fédéral (arrêt 11______), qui ont constaté que l'immeuble dont il est question dans la présente procédure a fait l'objet d'opérations successives visant à permettre l'aliénation individualisée des logements de manière contraire à la LDTR, ces opérations devant être qualifiées de fraude à la loi. Il n'y a pas à y revenir dans la présente affaire.

Le recourant se prévaut cependant du fait qu'il était dans l'ignorance des intentions des personnes à l'origine de cette fraude et qu'il n'y a lui-même pas participé. Par conséquent, il serait incompréhensible qu'il devienne aujourd'hui une victime de ces circonstances et qu'il soit condamné à demeurer indéfiniment propriétaire de l'appartement.

14.  Dans plusieurs jugements rendus le 19 mai 2020 dans des affaires similaires à la présente cause (JTAPI/12______ à JTAPI/13______), le tribunal a admis les recours de propriétaires d'appartements contre des décisions de l'autorité intimée leur refusant de les aliéner. Le fait que ces transactions soient subséquentes à une série d'opérations constitutives de fraude à la loi n'empêchait pas en soi l'aliénation des appartements en cause, dans la mesure où la cession des certificats d'actions attachés à ces derniers n'avait pas pour effet de leur faire perdre leur affectation locative et où le but poursuivi par la LDTR n'était dès lors pas mis en danger. Il était faux de soutenir, comme le faisait le département, que la vente des certificats d'actions à des personnes qui ne détenaient aucun titre ou logement dans l'immeuble matérialisait une individualisation des logements. En réalité, la situation actuelle de ces appartements ne subissait pas le moindre changement du fait que les certificats d'action qui y étaient rattachés étaient la propriété de telle ou telle personne physique ou morale. Contrairement aux situations dans lesquelles les tribunaux avaient constaté la fraude à la loi, il ne s'agissait pas d'effectuer une opération qui serait de nature juridiquement différente de celle qui avait immédiatement précédé et qui parachèverait tout un processus visant à individualiser les appartements. Ici, l'opération litigieuse ne faisait que répéter, sous l'angle juridique, celle lors de laquelle les certificats d'actions étaient passés de leur propriétaire initial à leur propriétaire actuel.

Ces jugements ont cependant été annulés par une série d'arrêts rendus le 22 décembre 2020 par la chambre administrative (ATA/14______ à ATA/15______), celle-ci considérant, quand bien même la constatation de fraude à la loi n'était pas directement opposable au propriétaire actuel, que le fait de vouloir sortir de la SIAL car la fraude à la loi n'avait pas pu aboutir, ne pouvait constituer un intérêt à prendre en compte dans la pesée des intérêts (sous l'angle de l'art. 39 al. 2 LDTR), sauf à récompenser ladite fraude (ATA/14______ consid. 9b). Contrairement à ce qu'avait retenu le Tribunal administratif de première instance, les aliénations litigieuses permettraient, à l'issue de toutes les opérations préalables, de parachever l'individualisation des appartements concernés et de légitimer cette individualisation si elle était désormais validée par une autorisation d'aliéner. Enfin, le fait que les appartements demeurent dans la SIAL et que les actionnaires gardent un droit de location sur ces derniers ne permettait pas de conclure que tout risque de sortie du parc locatif était exclu, puisque la location existant dans le cadre de la SIAL constituait une forme analogue à la propriété, ce qui expliquait d'ailleurs la raison pour laquelle le transfert de certificats d'actions était soumis à autorisation selon l'art. 39 al. 1 LDTR (ibid. consid. 10).

Ces arrêts de la chambre administrative ont été confirmés par le Tribunal fédéral, qui a à son tour statué dans une série d'arrêts du 6 septembre 2021 (arrêts 16______; 17______ et 18______ à 19______). Il convient en particulier d'en retenir les deux éléments suivants. Tout d'abord, le Tribunal fédéral a relevé le risque lié à la réserve prévue par l'art. 39 al. 4 let. d LDTR, qui commandait à l'autorité de délivrer l'autorisation si l'appartement avait fait une fois au moins l'objet d'une autorisation d'aliéner en vertu de la LDTR (étant relevé à ce sujet que le tribunal de céans a récemment constaté que l'art. 39 al. 4 let. d LDTR s'impose à l'autorité intimée de manière absolument claire et implique effectivement qu'il suffit qu'un logement ait au moins une fois fait l'objet d'une autorisation d'aliénation selon la LDTR pour qu'une aliénation ultérieure doive être autorisée – JTAPI/179/2022 du 22 février 2022). En second lieu, le Tribunal fédéral a rejeté l'argument selon lequel la solution retenue par la chambre administrative contraindrait les personnes concernées à rester propriétaire à vie de leur appartement, respectivement des certificats d'actions auxquelles ceux-ci étaient rattachés. Il fallait certes concéder que cette solution, qui consistait dans la restitution des certificats d'action à la société qui les avait originellement détenus puis vendus aux différents propriétaires actuels, aboutissait au même résultat que leur aliénation à de nouveaux propriétaires : une telle opération consacrerait également une individualisation du logement, sans pour autant permettre un retour à la situation initiale, puisque la vente originelle des certificats d'actions avait eu lieu avant que la société propriétaire de l'immeuble ne soit ensuite constituée en SIAL. Cela ne signifiait toutefois pas encore que les propriétaires actuels se trouveraient dans l'impossibilité de se défaire de leurs certificats, le cas échéant par une modification préalable de la nature des actions et des statuts de la SIAL, dont l'administration était d'ailleurs toujours en mains de la même société (arrêt 16______ précité, consid. 4.4.4).

15.  En l'espèce, il résulte de tout ce qui précède, et singulièrement du raisonnement du Tribunal fédéral qui vient d'être évoqué, qu'à partir du moment où la propriété d'un logement a été acquise dans le cadre d'une suite d'opérations constitutives de fraude à la loi, il ne saurait être question d'autoriser une aliénation sous une forme ou sous une autre de cet appartement (notamment par la cession d'actions qui y sont rattachées), à moins de parachever la fraude à la loi et d'aboutir à une situation où, à partir du moment où l'appartement fait l'objet d'une aliénation autorisée au sens de la LDTR, toute aliénation future devra nécessairement être autorisée (art. 39 al. 4 let. d LDTR).

À cet égard, le tribunal relève l'impossibilité de vérifier si le recourant a sciemment ou non participé au processus de fraude à la loi. Cet argument relève de sa subjectivité. Du point de vue objectif, cependant, l'acquisition du certificat d'action correspondant à l'appartement litigieux a eu lieu au moment où l'essentiel des opérations frauduleuses avaient été réalisées, permettant ainsi le transfert de la propriété de l'appartement au recourant. Quant à la requête d'inscription, auprès du registre foncier, du transfert du certificat d'action dont le recourant était devenu propriétaire, elle a eu lieu en même temps que douze autres réquisitions, ce qui montre que le dernier acte du processus frauduleux (soit l'inscription des transferts auprès du registre foncier) était coordonné de manière à englober d'un seul coup plus de la moitié des vingt-deux appartements de l'immeuble.

Compte tenu de ces circonstances, il n'y a pas lieu de s'écarter de la jurisprudence susmentionnée du Tribunal fédéral. Par identité de motifs avec cette jurisprudence, il appartiendra au recourant, s'il tient à aliéner l'appartement en question, de le faire en main de la propriétaire de l'immeuble ou de rechercher une solution analogue satisfaisant au mieux les buts poursuivis par la LDTR.

16.  Pour ces motifs, le refus d'aliénation résultant de l'arrêté litigieux ne peut qu'être confirmé et le recours rejeté.

17.  Par surabondance, il convient d'ajouter que selon la jurisprudence publiée du tribunal (JTAPI/179/2022 du 22 janvier 2022), le vendeur et l'acquéreur d'un logement soumis à la LDTR doivent démontrer concrètement le poids que revêtent leurs intérêts. Dès lors, afin de permettre à l’autorité intimée de procéder à la pesée des intérêts prévue par loi pour décider de l’octroi ou non d’une autorisation d’aliéner, les requérants doivent d’emblée produire l’ensemble des éléments probants permettant à l'autorité de se convaincre de la réalité des intérêts privés allégués, sans que cette dernière ne doive nécessairement instruire la requête si elle estime que les intérêts en question ne sont pas clairement démontrés.

18.  En l’espèce, il ressort du dossier que les acheteurs souhaitent acquérir l’appartement pour investir une partie de leur fortune. Il s’agirait de leur premier achat immobilier à des fins de rendement. Aux termes de leur engagement du 12 janvier 2022, ils acceptent de reprendre les obligations découlant du contrat de bail actuel, dont la durée est indéterminée. Toutefois, ils mentionnent ne pas avoir l’intention d’occuper eux-mêmes l’appartement ni de loger des proches pendant une durée « d’au moins trois ans ». Ces engagements sont contradictoires et ne donnent donc par eux-mêmes aucune garantie du maintien de l'appartement sur le marché locatif au-delà d'une durée de trois ans. Quoi qu'il en soit, l'intérêt des acheteurs, qui consiste uniquement à faire un investissement, est de pure convenance personnelle et pourrait parfaitement être satisfait sur le marché des appartements non soumis à la LDTR.

19.  Quant au recourant, il soutient essentiellement que son intérêt privé consiste à ne pas rester propriétaire indéfiniment de l'appartement. Or, comme on l'a vu plus haut, cette question a déjà été tranchée par le Tribunal fédéral en ce sens qu'il lui appartient de rechercher ce but à travers une restitution de l'appartement à la propriétaire actuelle de l'immeuble, ou de tout autre manière qui permettrait d'atténuer, et non d'accentuer, des conséquences de la fraude à la loi.

20.  En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1'200.-; il est partiellement couvert par l’avance de frais de CHF 900.- versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2021 par Monsieur A______ contre l'arrêté VA 8______ rendu par le département du territoire le 9 août 2021;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge du recourant , un émolument de CHF 1'200.-, lequel est partiellement couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Didier PROD'HOM, Jean-Michel KARR, Romaine ZÜRCHER, Evis BARANYAI, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties

Genève, le

 

La greffière