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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/1642/2021

JTAPI/179/2022 du 22.02.2022 ( LDTR ) , ADMIS

REJETE par ATA/654/2022

Descripteurs : LOGEMENT;VENTE;MARCHÉ LOCATIF;INTÉRÊT PRIVÉ;INTÉRÊT PUBLIC
Normes : LDTR.39.al2; RDTR.12A.al1; RDTR.12A.al3; RDTR.12A.al4
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1642/2021 LDTR

JTAPI/179/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 22 février 2022

 

dans la cause

 

A______, représentée par Me Romolo MOLO, avocat, avec élection de domicile

 

contre

Monsieur B______, représenté par Me Cyril AELLEN, avocat, avec élection de domicile

OFFICE CANTONAL DU LOGEMENT ET DE LA PLANIFICATION FONCIÈRE


EN FAIT

1.             L’immeuble sis 1______, rue B______, sur la parcelle n° 2______, feuille 3______ de la Commune de Genève – C______, qui comprend des habitations ainsi que des locaux destinés à des activités au rez-de-chaussée, appartient actuellement, à teneur du registre foncier, à Madame D______ et à Messieurs E______ et B______.

2.             Il ressort d’un extrait de publications foncières (n° 4______) versé au dossier que cet immeuble a été vendu, le 5 février 2007, par Madame F______ et Monsieur G______ à la société H______ SA, pour un montant de CHF 2'100'000.-.

3.             Par acte notarié du 17 avril 2007, la copropriété de l’immeuble appartenant à la société H______ SA a été acquise, à raison de 250/2100èmes par M. E______, de 745/2100èmes par M. B______ et de 580/2100èmes par la société I______ SA, pour un montant total de CHF 1'575'000.-, dont le paiement a été réparti entre les précités, le solde des parts restant acquises à H______ SA.

4.             À teneur de l’acte notarié daté du 15 octobre 2007 intitulé « Propriété par étages Cahier de répartition des locaux », les copropriétaires de l’immeuble précité, soit à l’époque MM. E______ et B______ ainsi que les sociétés I______ SA et H______ SA, ont soumis cet immeuble au régime de la propriété par étages (ci-après : PPE).

5.             Le 15 octobre 2007 également, les précités ont procédé, par acte notarié, à un « partage-attribution » des locaux de cet immeuble.

Dans ce cadre, M. B______ s’est vu attribuer la pleine propriété des droits de copropriété de l’appartement n° 5______ de trois pièces au 2ème étage (feuillet n° 6______, correspondant à 102/1000èmes), du local n° 7______ et du local commercial n° 8______ (feuillet n° 9______, correspondant respectivement à 97/1000èmes et 196/1000èmes), moyennant une « valeur globale » de CHF 745'000.-, étant précisé que l’immeuble concerné comptait quatre appartements en tout.

6.             Selon les publications foncières nos 10______ et 11______ du 29 janvier 2008, Mme D______ s’est vue céder, par I______ SA, 250/2100èmes (correspondant à l’appartement n° 12______) pour un montant de CHF 650'000.- et, par H______ SA, 180/1000èmes (correspondant à l’appartement n° 5.01) de l’immeuble sis sur la parcelle n° 2______, pour un montant de CHF 650'000.- également.

7.             Par requête du 18 mars 2021, sous la plume de son mandataire, M. B______ a sollicité l’autorisation d’aliéner l’appartement n° 5______ à la société J______ SA (ci-après : J______ SA), inscrite au registre du commerce genevois depuis le 12 avril 2018, ayant pour but toutes transactions et activités immobilières et dont M. B______ est administrateur unique avec signature individuelle.

Cet appartement, qui avait déjà été loué par le passé et qui était actuellement loué, avait été acquis au prix de CHF 745'000.-. Le requérant ne possédait aucun autre appartement dans l’immeuble et n’avait jamais occupé le logement concerné. Le motif de la vente, qui était également le but de l’achat, était « restructuration du patrimoine privé » et les droits et obligations du contrat de bail en cours étaient repris. Le vendeur [était] aussi l’actionnaire de l’acquéreur ». Le prix de vente convenu se montait à CHF 1'000'000.-.

Plusieurs documents étaient joints à cette requête, notamment :

-          le contrat de bail à loyer relatif à l’appartement n° 5______ conclu le 1er octobre 2015, pour la période du 15 octobre 2015 au 31 octobre 2020 ;

-          le projet d’acte notarié de vente des feuillets nos 13______ et 14______ par M. B______ à J______ SA, dont le point E prévoit que le notaire est chargé par l’acquéreur de requérir au registre foncier la mention prévue par l’art. 12A du règlement d’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01).

8.             Par arrêté VA 15______ du ______ 2021 publié dans la Feuille d’avis officielle du même jour, l'office cantonal du logement et de la planification foncière, soit pour lui le département du territoire (ci-après : DT ou le département), se référant aux art. 39 al. 2 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20) et 13 al. 1 RDTR, a autorisé l'aliénation de l’appartement n° 5______ en faveur de J______ SA.

Eu égard notamment au fait qu’il s’agissait d’une restructuration d’un patrimoine privé, qu’il n’y avait pas de changement de propriétaire économique dans la mesure ou le requérant cédait l’appartement concerné à la société qu’il détenait en qualité d’actionnaire unique et d’administrateur et du fait que cette dernière reprenait les droits et obligations du bail actuellement en cours, l’intérêt public à la préservation du parc locatif n’était pas mis en péril. Afin de protéger le caractère locatif de l’appartement en cause, cette autorisation ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation de cet appartement en application des art. 39 al. 4 let. d LDTR et/ou de l’art. 12A RDTR.

9.             Par acte du 10 mai 2021, A______ (ci-après : la recourante) a recouru, sous la plume de son conseil, contre cet arrêté auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens.

Le « partage-attribution » du 15 octobre 2007 avait été effectué sous l’empire de l’ancienne pratique du DT, selon laquelle un tel partage n’était soumis à aucune autorisation d’aliéner, étant précisé que cette pratique, manifestement contraire à la LDTR, avait depuis lors été abandonnée. Le 29 janvier 2008, H______ SA avait revendu - avec un bénéfice - deux des appartements de l’immeuble concerné pour un montant de CHF 1'300'000.-, étant précisé que les raisons pour lesquelles le DT avait autorisé « ce début de vente à la découpe » contraire à la LDTR n’étaient pas connues. M. E______ avait également tenté, en 2016, de vendre un des appartements de cet immeuble, avec l’autorisation du DT. Toutefois, cette autorisation avait été révoquée par ce département, suite à un recours de l’A______.

L’allégation du DT selon laquelle la vente autorisée n’impliquerait pas de changement de propriétaire économique n’était pas démontrée par pièces, étant relevé que le changement d’actionnaires d’une société anonyme permettait « d’éluder la LDTR beaucoup plus facilement qu’une vente par un propriétaire en nom ». S’agissant de la précision du DT selon laquelle l’autorisation querellée ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation de celui-ci, le projet d’acte de vente produit indiquait au contraire, sous pt. E, que le notaire était chargé de requérir la mention prévue par l’art. 12A RDTR au registre foncier.

Même dans l’hypothèse où un immeuble avait fait l’objet d’une « fraude caractérisée à la LDTR » constatée par les tribunaux (cf. notamment ATA/81/2015), le DT s’avérait impuissant à empêcher une vente à la découpe. Ainsi, dans le cas d’espèce précité, l’immeuble avait été vendu en mai 2012 par un particulier à une société anonyme qui s’était transformée, un mois après la vente, en société immobilière d’actionnaires-locataires (ci-après : SIAL). Nonobstant l’intervention de l’A______ auprès du DT afin qu’il mette un terme au démantèlement du parc locatif de cet immeuble, qui avait été suivie de « vagues promesses de veiller au respect de la loi », ce département avait en pratique « fermé les yeux sur la cession des certificats d’actions de la SIAL frauduleuse à des propriétaires individuels », qui avaient tous été inscrits comme tels au registre foncier sans problème. Certains de ces appartements acquis frauduleusement avaient même été revendus par la suite sous divers prétextes, avec « la bénédiction » du DT. À ce jour, la société anonyme précitée avait été liquidée et l’ensemble des appartements avaient été individualisés et revendus « avec un profit très considérable », aux cessionnaires des certificats d’actions de la SIAL frauduleuse, puis parfois à d’autres propriétaires. Même si le DT avait infligé une amende - d’un montant dérisoire en comparaison des immenses bénéfices réalisés - au propriétaire économique de ces nombreuses SIAL frauduleuses, le démantèlement du parc locatif genevois se poursuivait grâce au « laxisme » du DT. Cette situation allait « immanquablement » se réaliser dans le présent cas, étant relevé que le DT omettait de mentionner le « partage-attribution » réalisé en violation de la loi. Le transfert des actions de J______ SA serait beaucoup plus difficile à contrôler que la présente vente, dès lors qu’un tel transfert d’actions n’était pas publié et que l’acquéreur de ces dernières invoquerait - avec succès – sa bonne foi auprès du DT. Le « caractère spéculatif » de la présente opération était manifeste. En effet, M. B______ avait acquis 421/1000èmes de l’immeuble en 2007 pour une valeur de CHF 745'000.- et revendait désormais – « certes prétendument à lui-même » - 102/1000èmes pour un montant de CHF 1'000'000.-, avec la précision qu’il pourrait ultérieurement revendre les actions au même montant et réaliser économiquement le bénéfice susmentionné, l’opération n’étant, pour le surplus, pas dénuée d’intérêt sur le plan fiscal.

Enfin, il n’existait aucun motif d’autorisation selon l’art. 39 al. 4 LDTR. En outre, la décision litigieuse, qui validait une pratique illégale, découlait d'une pesée des intérêts qui revenait à vider la loi de sa substance. En effet, l’allégation du DT selon laquelle l’intérêt public était sauvegardé dans la mesure où l’acquéreur avait attesté reprendre le bail à loyer en cours n’emportait pas conviction, dans la mesure où la vente de cet appartement sortirait définitivement celui-ci du parc locatif, la cession des actions à un acquéreur étant quasiment impossible à surveiller.

10.         J______ SA a indiqué au tribunal, par pli du 11 juin 2021, ne pas souhaiter participer à la procédure de recours, tout en précisant approuver et soutenir la position de M. B______.

11.         Par observations du 21 juin 2021, M. B______ (ci-après : l’intimé) a conclu, sous la plume de son conseil, préalablement, au retrait de l’effet suspensif au recours et, principalement, au rejet du recours, sous suite de frais et dépens.

Le procédé de fraude mis en lumière par la jurisprudence n’était, in casu, pas réalisé et il n’avait aucune intention de soustraire l’appartement concerné au parc locatif. La durée initiale de cinq ans du bail à loyer de cet appartement ayant été reconduite tacitement, conformément au droit du bail et aux règles et usages locatifs appliqués dans le canton, ce bail était renouvelé tacitement d’année en année si les parties ne s’exprimaient pas sur son renouvellement ou sa dénonciation trois mois avant son échéance. Les conditions contractuelles du précédent contrat de bail demeuraient inchangées, notamment s’agissant du montant du loyer, et J______ SA, qui s’était engagée à reprendre les droit et obligations découlant du contrat de bail, n’avait aucune intention de mettre fin à ce contrat ou d’augmenter le loyer, qui n’avait pas été modifié depuis novembre 2007, à teneur de l’avis de fixation du loyer du 1er octobre 2015 produit. Pour le surplus, rien ne laissait à penser qu’il souhaitait transformer J______ SA en société d’actionnaires-locataires, ce type de sociétés n’existant quasiment plus ou, du moins, ne se créant plus en Suisse. En outre, dès lors qu’il était propriétaire d’un seul appartement dans l’immeuble, aucun partage ultérieur n’était possible.

Il serait contraire à la constitution fédérale suisse d’empêcher la vente d’immeubles locatifs par un propriétaire en nom à une société anonyme par crainte d’une transformation de celle-ci en SIAL ou d’un changement d’actionnaires. Retenir le contraire reviendrait à le contraindre à rester indéfiniment propriétaire, portant atteinte à son droit à la propriété, alors qu’a contrario, la situation du parc locatif ne changerait pas suite à la vente contestée.

En tout état, un éventuel changement d’actionnaire de J______ SA - nullement prévu - ne permettrait pas d’éluder la LDTR, dans la mesure où le contrat de bail était repris par J______ SA et non par les actionnaires. Au contraire, la vente de l’appartement à J______ SA mettrait le locataire, et donc également le parc locatif genevois, dans une situation plus sûre que si celui-ci demeurait détenu par M. B______, en supprimant le risque que ce dernier, au vu de sa qualité de personne physique, résilie le bail en se prévalant d’un besoin urgent pour lui-même ou ses proches.

Le prétendu caractère spéculatif de la vente était contesté, étant précisé que le montant de CHF 1'000'000.- concernait tant l’appartement que le local commercial dont il était également propriétaire dans l’immeuble. Enfin, compte tenu du fait que l’aliénation avait été autorisée à condition que cette autorisation ne puisse être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation au sens de l’art. 12A RDTR, si J______ SA souhaitait un jour vendre cet appartement, elle devrait en faire la demande au DT, selon l’art. 39 LDTR.

12.         Suite aux déterminations de l’A______ et du DT, respectivement les 28 juin et 14 juillet 2021, s’agissant de la restitution de l’effet suspensif au recours, le tribunal a rejeté la requête y relative, par décision incidente du 6 août 2021 (DITAI/384/2021), laquelle est désormais entrée en force, en l’absence de recours.

13.         Dans ses observations du 12 août 2021 accompagnées du dossier, le DT (ci-après : l’autorité intimée) a conclu au rejet du recours, sous suite de frais.

Le « partage-attribution » qui avait eu lieu en octobre 2007 n’était, à cette époque, pas soumis à autorisation et ne l’avait été qu’à compter de mai 2008, lorsque des irrégularités avaient été constatées, comme cela ressortait du courrier adressé par ses soins au registre foncier à ce propos le 16 mai 2008, ainsi que de la circulaire établie le 16 mai 2008 à l’attention des notaires, tous deux joints.

Aucun des cas de figure envisagés par l’art. 39 al. 4 LDTR n’était in casu réalisé. Toutefois, eu égard au fait que l’intimé ne possédait qu’un seul appartement dans l’immeuble concerné, que l’opération intervenait dans le cadre de la restructuration du patrimoine de ce dernier, que l’acquéreur destinait celui-ci à la location et que les droits et obligations du contrat de bail étaient repris, une pesée des intérêts en présence et l’application du principe de proportionnalité avaient permis de délivrer l’autorisation querellée, sur la base des art. 39 al. 2 LDTR a contrario et 13 al. 1 RDTR. Pour le surplus, il s’était assuré que l’appartement en cause ne pourrait sortir du parc locatif sans son aval, moyennant la précision que l’autorisation délivrée ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation de cet appartement. Ainsi, l’aliénation envisagée ne modifiant pas le caractère locatif de l’appartement, il serait disproportionné de contraindre l’intimé à en rester propriétaire. Enfin, la jurisprudence citée par la recourante n’était nullement similaire au cas d’espèce, l’acquisition par l’intimé ne résultant pas d’une fraude à la loi.

14.         Par pli du 31 août 2021, l’intimé a indiqué au tribunal qu’il abondait dans le sens des observations du DT précitées.

15.         Par réplique du 2 septembre 2021, la recourante a persisté dans ses arguments.

Le « partage-attribution » par la société simple formée par M. E______, M. B______, I______ SA et par H______ SA à ses membres avait bel et bien abouti à une fraude à la loi. L’ensemble de l’immeuble, construit avant 1919 et dont le caractère locatif n’était pas contesté, appartenait à Mme F______ en 2007. Cette dernière l’avait vendu à H______ SA qui, immédiatement après son acquisition, en avait apparemment transféré la propriété à la société simple précitée, dont elle était l’une des associées. Peu de temps après, cette société simple avait procédé au « partage-attribution » et deux appartements avaient, depuis lors, été individualisés et vendus. Il était « ahurissant » de prétendre que cette « vente à la découpe » ne constituait pas une fraude à la loi puisque c’était précisément en raison du caractère frauduleux de cette opération de vente que le DT avait révoqué l’autorisation, précédemment accordée à M. E______, de vendre un autre appartement situé dans le même immeuble. Il était « consternant » de constater que le DT, confronté à la même situation cinq ans plus tard, permette in casu à cette fraude d’arriver à son terme.

16.         Par duplique du 15 septembre 2021, l’intimé a persisté dans ses conclusions.

La problématique relative aux tentatives de contournement de la LDTR était connue des autorités depuis de nombreuses années et des mesures strictes avaient été prises. La jurisprudence citée par la recourante n’était pas applicable au présent cas, dans la mesure où l’acquisition ne résultait pas d’une fraude à la loi.

17.         Par duplique du 23 septembre 2021, le DT a persisté dans ses conclusions et arguments, tout en précisant que l’autorisation de vente précédemment accordée à M. E______ avait été révoquée, sur demande du tribunal (cause A/16______), dans la mesure où le précité avait informé cette juridiction qu’il avait décidé de renoncer à la vente de l’appartement concerné.

18.         Par écriture du 1er octobre 2021, la recourante a précisé que ce n’était que lorsqu’elle avait elle-même « découvert la supercherie » que M. E______ avait retiré sa demande d’autorisation de vente, approuvée par le DT, alors que la procédure était pendante devant les tribunaux. Toutefois, « nul doute que les instances judiciaires auraient fini par rejeter cette autorisation ». Elle a confirmé qu’il serait impossible de contrôler que l’intimé demeurerait dans la durée l’unique actionnaire de J______ SA, de sorte qu’un transfert de propriété pourrait avoir lieu sans autorisation.

19.         Par pli du 11 octobre 2021, l’intimé a persisté dans ses conclusions, pour les motifs précédemment invoqués, tout en précisant ne rien connaître des cas auxquels se référait la recourante, dont le comportement relevait d’un combat politique qui ne le concernaient en rien.

20.         Par correspondance du 19 octobre 2021, le tribunal a imparti au DT et à l’intimé un délai pour indiquer les mécanismes juridiques qui permettraient au DT de refuser l’application de l’art. 39 al. 4 let. d LDTR à une vente ultérieure du logement concerné.

21.         Dans le délai précité, le DT a rappelé, par écriture du 4 novembre 2021, que l’intérêt public à la préservation du parc locatif n’était in casu pas mis en péril, dans la mesure où l’acquéreur s’était engagé à reprendre les droits et obligations découlant du contrat de bail en cours. En outre, au vu de la précision, dans l’arrêté querellé, que cette autorisation ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation de cet appartement, en cas de revente par J______ SA, il procéderait à nouveau à une pesée des intérêts, afin de préserver l’affectation locative de l’appartement. Il faisait usage de cette « restriction » depuis de nombreuses années dans le cadre d’aliénation d’appartements ne remplissant pas les conditions de l’art. 39 al. 4 LDTR et le registre foncier veillait « scrupuleusement » à son application. À ce jour, aucun propriétaire n’avait contesté cette « restriction », qui permettait d’aliéner un appartement sous l’angle du principe de la proportionnalité, tout en en préservant l’affectation locative sur le long terme.

22.         Par écriture du 9 novembre 2021, l’intimé a confirmé la position du DT, selon laquelle le fait d’évoquer, de manière générale, la nécessité de maintenir le logement dans le régime locatif aurait pour conséquence que la délivrance d’une autorisation d’aliéner ne serait pratiquement jamais possible en dehors des cas prévus à l’art. 39 al. 4 LDTR et que le propriétaire serait contraint de le rester indéfiniment, portant atteinte au droit de la propriété et au principe de proportionnalité.

23.         Par pli du 12 novembre 2021, le tribunal a informé les parties que la cause était gardée à juger.

24.         Par écriture spontanée du 19 novembre 2021, transmise aux parties pour information, la recourante a relevé que le DT - qui n’avait « manifestement pas saisi le sens » de l’interrogation du tribunal - était resté muet quant aux éventuels mécanismes qui lui permettraient de contrôler une vente des actions de J______ SA à un tiers, pour la « bonne raison » qu’un tel mécanisme n’existait pas. Il en irait autrement, éventuellement, si la « restriction » était inscrite au registre foncier, ce qui n’était pas le cas. Le transfert de propriété entre deux entités économiquement identiques ne servait qu’à faciliter ultérieurement une fraude à la loi.

25.         Par correspondance du 25 novembre 2021, l’intimé a pris acte du fait que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la LDTR (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             En vertu de l'art. 25 LDTR, pour remédier à la pénurie d'appartements locatifs dont la population a besoin, tout appartement jusqu'alors destiné à la location doit conserver son affectation locative, dans les limites du chapitre VII relatif aux mesures visant à lutter contre la pénurie d'appartements locatifs et allant de l'art. 25 à l'art. 39 (al. 1). Il y a pénurie d'appartements lorsque le taux des logements vacants considéré par catégorie est inférieur à 2 % du parc immobilier de la même catégorie (al. 2). Les appartements de plus de sept pièces n'entrent pas dans une catégorie où sévit la pénurie (al. 3).

4.             À teneur de l'art. 39 al. 1 LDTR, l'aliénation sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d'étages ou de parties d'étages, d'actions, de parts sociales), d'un appartement à usage d'habitation, jusqu'alors offert en location, est soumise à autorisation dans la mesure où l'appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logement où sévit la pénurie.

Les catégories de logements où sévit la pénurie sont déterminées chaque année par arrêté du Conseil d'État en fonction du nombre de pièces par appartement (art. 11 al. 1 RDTR). Le Conseil d'État a constaté en 2021 qu'il y avait pénurie, au sens des art. 25 et 39 LDTR, dans toutes les catégories des appartements d'une à sept pièces inclusivement (arrêtés du Conseil d'État déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l'application des art. 25 à 39 LDTR du 9 décembre 2020 - ArAppart - L 5 20.03).

5.             Conformément à l'art. 39 al. 4 LDTR, le département autorise l'aliénation d'un appartement si celui-ci : a été dès sa construction soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue, sous réserve du régime applicable à l'aliénation d'appartements destinés à la vente régi par l'art. 8A de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35) (let. a) ; était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu'il avait déjà été cédé de manière individualisée (let. b) ; n'a jamais été loué (let. c) ; a fait une fois au moins l'objet d'une autorisation d'aliéner en vertu de la présente loi (let. d). L'autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d'assainissement financier, de plusieurs appartements à usage d'habitation ayant été mis en propriété par étages et jusqu'alors offerts en location, avec pour condition que l'acquéreur ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve de l'obtention d'une autorisation individualisée au sens du présent alinéa.

6.             En cas de réalisation de l'une des hypothèses alternatives de l'art. 39 al. 4 LDTR, le département est tenu de délivrer l'autorisation d'aliéner. Il n'y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée des intérêts au sens de l'art. 39 al. 2 LDTR. À l'inverse, au vu de la marge d'appréciation dont elle dispose, et lorsqu'aucun des motifs d'autorisation expressément prévus par l'art. 39 al. 4 LDTR n'est réalisé, l'autorité doit rechercher si l'intérêt public l'emporte sur l'intérêt privé du recourant à aliéner l'appartement dont il est propriétaire (arrêt du Tribunal fédéral 1C_137/2011 du 14 juillet 2011).

7.             À teneur de l'art. 39 al. 2 LDTR, le département doit refuser l'autorisation d'aliéner un appartement en PPE affecté à la location lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose. L'intérêt public et l'intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l'affectation locative des appartements loués. Le département doit procéder à une pesée des intérêts, règle reprise à l'art. 13 al. 1 RDTR.

Le but poursuivi par la LDTR, qui tend à préserver l'habitat et les conditions de vie existants, en restreignant notamment le changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 1 et 2 let. a LDTR), procède d'un intérêt public important et reconnu (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4 ; 113 Ia 126 consid. 7a ; 111 Ia 23 consid. 3a et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_416/2016 du 27 mars 2017 consid. 2.3 ; 1C_68/2015 du 5 août 2015 consid. 2.3 ; 1C_143/2011 du 14 juillet 2011). Par ailleurs, la réglementation mise en place par la LDTR est en soi conforme au droit fédéral et à la garantie de la propriété, y compris le refus de l'autorisation de vendre un appartement loué lorsqu'il existe un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général. Pour qu'une telle restriction soit conforme à la garantie de la propriété (art. 26 al. 1 Cst.), l'autorité administrative doit effectuer une pesée des intérêts en présence et évaluer l'importance du motif de refus au regard des intérêts privés en jeu (ATF 116 Ia 401 consid. 9 ; 113 Ia 126 consid. 7b/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_617/2012 du 3 mai 2013 consid. 2.3 ; 1C_141/2011 du 14 juillet 2011 consid. 3.2). La restriction à la liberté individuelle ne doit pas entraîner une atteinte plus grave que ne l'exige le but d'intérêt public recherché (ATF 113 Ia 126 consid. 7b/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_417/2016 du 27 mars 2017).

Dans le cadre de l'examen de la requête en autorisation, le département procède à une pesée des intérêts publics et privés en présence (art. 13 al. 1 RDTR). L'intérêt privé est présumé l'emporter sur l'intérêt public lorsque le propriétaire doit vendre l'appartement par nécessité de liquider un régime matrimonial ou une succession (let. a), satisfaire aux exigences d'un plan de désendettement (let. b) ou prendre un domicile dans un autre canton (let. c ; art. 13 al. 3 RDTR). Ces cas constituent des exemples, de sorte que d'autres circonstances peuvent justifier que l'intérêt privé l'emporte sur l'intérêt public au maintien de l'affectation locative de l'appartement (ATA/999/2014 du 16 décembre 2014 ; Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : démolition, transformation, changement d'affectation et aliénation. Immeubles de logements et appartements, 2014, p. 436 ch. 4.7.5).

Il s'agit en outre d'une présomption, qui peut être exceptionnellement renversée. L'autorisation peut être refusée dans des cas particuliers où le département estime que l'invocation de ces circonstances constitue un moyen de détourner la loi (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., n. 4.7.5 p. 436).

8.             Le département bénéfice d'un pouvoir d'appréciation qui lui permet de tenir compte, dans chaque cas particulier, de tous les intérêts en présence. Dans le cadre de sa pesée des intérêts, il évalue l'importance du motif de refus envisagé d'intérêt public en regard des intérêts privés opposés. Ainsi, il doit être en mesure de prendre en considération les intérêts privés légitimes qui peuvent exister dans certaines circonstances (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit, n. 4.7.3 p. 434 s. et les arrêts cités). Il ne peut se contenter d'évoquer de manière générale la nécessité de maintenir le logement dans le régime locatif (motif de refus d'ordre général déjà mentionné à l'art. 39 al. 2 LDTR), sans quoi une autorisation de vente ne serait pratiquement jamais possible ; il doit faire état de circonstances concrètes faisant apparaître que la vente ne répond pas à un réel besoin de l'acquéreur ou du vendeur, par exemple en cas d'opération spéculative ou purement commerciale (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1C_68/2015 du 5 août 2015 consid. 2.4 ; 1C_357/2012 du 8 janvier 2013 et 1C_497/2012 du 9 janvier 2013).

9.             L'intérêt du vendeur ou de l'acheteur alternativement suffit pour autoriser une aliénation. S'agissant du vendeur, si l'appartement est sa seule propriété, il faut en tenir compte dans l'appréciation des intérêts pour donner un poids certain à cet élément. Sinon, on empêcherait les propriétaires de céder leur bien et on les contraindrait à rester indéfiniment propriétaires, ce qui porterait atteinte au droit de la propriété. En revanche, l'intérêt du propriétaire de plusieurs appartements dans un immeuble, voire plusieurs immeubles, qui les détient dans un but d'investissement peut être apprécié différemment, et sa requête d'aliénation d'un appartement rejetée, car moins justifiée (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, op. cit., n. 4.7.4 p. 435 et les références). Un intérêt purement économique doit céder le pas face à l'intérêt public au maintien d'un parc de logements locatifs (ATF 128 I 206 consid. 5.2.4, p. 211-212 et les arrêts cités).

10.         A teneur de l'art. 12 RDTR, le vendeur, qui a l'obligation de solliciter l'autorisation prévue à l'art. 39 al. 1 LDTR, adresse, à l'aide du formulaire ad hoc et avant la conclusion de l'aliénation, une requête au département. Le formulaire ad hoc a pour but notamment de localiser l'appartement mis en vente, de connaître son statut, la désignation du propriétaire, de l'acquéreur, du locataire éventuel, le descriptif de l'appartement et ses conditions de vente.

11.         Selon l’art. 12A al. 1 RDTR, en application de l'art. 39 al. 4 let. d. LDTR, les notaires peuvent attester qu’une aliénation immobilière porte sur un appartement individualisé qui a déjà fait par le passé l'objet d'une autorisation d'aliéner individualisée du département et requérir de ce fait l'inscription d'une mention au registre foncier. Une copie de l'autorisation délivrée par le passé doit impérativement accompagner l'attestation considérée (al. 2). Dans ces circonstances, le dépôt de la requête visée à l'art. 12 RDTR n'est pas nécessaire (al. 3). L'existence préalable d'une mention inscrite au registre foncier en application de l'al. 1 vaut attestation (al. 4).

12.         En l’espèce, la recourante allègue, dans un premier temps, que l’arrêté litigieux consacrerait une fraude à la loi, au vu du déroulement des faits, soit le transfert de la propriété de l’immeuble concerné par une personne physique à une société simple, laquelle société simple avait ensuite soumis l’immeuble au régime de la propriété par étages puis avait procédé au « partage-attribution » des locaux y relatifs entre ses sociétaires.

Il ressort des explications du DT, lesquelles sont corroborées par son courrier du 16 mai 2008 au registre foncier et sa circulaire du 16 mai 2008 adressée aux notaires du canton, que la pratique du registre foncier en lien avec les opérations de « partage-attribution », telles que celle qui a eu lieu dans le présent dossier et à l’issue de laquelle l’intimé s’est vu attribuer la propriété de l’appartement en question, consistait, au moment de la réalisation de l’opération en lien avec le présent cas en octobre 2007, à ne pas soumettre de telles opérations à autorisation. Ainsi, il ne peut être reproché à l’intimé de ne pas avoir requis une autorisation pour procéder comme décrit ci-dessus, dès lors qu’il n’y était nullement tenu, en raison d’une pratique en vigueur au moment des faits. En outre, il convient de relever que le transfert de propriété de l’appartement concerné en faveur de l’intimé a eu lieu en octobre 2007, en parallèle du « partage-attribution » précité, par inscription au registre foncier, laquelle n’a nullement été contestée à l’époque. Partant, il ne serait en tout état pas envisageable de revenir, dans le cadre de la présente procédure, sur l’inscription effectuée en 2007 au registre foncier en faveur de l’intimé, sauf à violer le principe de la sécurité du droit. Par conséquent, il convient de constater que l’opération ayant conduit à l’attribution à l’intimé de la propriété de l’appartement concerné, soit le « partage-attribution » précité, ne découle d’aucune violation légale ou réglementaire, eu égard à la pratique applicable au moment des faits.

L’argument de la recourante en lien avec les cas de « fraude caractérisée à la LDTR » constatés par la jurisprudence, ne saurait aboutir à une autre conclusion. Certes, la succession, dans un délai relativement court, des opérations ayant conduit, dans le présent cas, à l’acquisition de l’immeuble par M. E______, M. B______ et Mme D______ - soit la vente de cet immeuble par les époux F______ à la société H______ SA en février 2007, l’acquisition de la copropriété de cet immeuble, sous forme de parts de 2100èmes, par M. E______, B______ et la société I______ SA en avril 2007 puis, en octobre 2007, la soumission de cet immeuble au régime de la PPE, accompagnée, en parallèle, d’un « partage-attribution » de ce bien immobilier entre les copropriétaires précités - est de nature à interpeller quant au but réel et ultime de cet enchaînement. Le fait qu'en janvier 2008, H______ SA et I______ SA ont ensuite chacune cédé leurs parts respectives de l’immeuble concerné, correspondant à deux appartements, à Mme D______, va dans le même sens. Enfin, M. E______ avait déposé en 2016 auprès du DT, avec succès, une requête en autorisation d’aliéner l’appartement dont il est propriétaire dans l’immeuble concerné, avant de retirer cette demande durant la procédure de recours – interjeté par l’A______ – devant le tribunal, ce qui avait conduit à la révocation de l’autorisation de vente précédemment accordée. Toutefois, dans les cas de fraude à la LDTR cités par la recourante, le tribunal avait constaté l'existence d'opérations qui non seulement se surajoutaient à celles qui ont eu lieu dans la situation présente, mais qui en outre, sur le plan juridique, ne pouvaient avoir d'autre sens que de parvenir à contourner l'application de la LDTR. Il s'agissait spécifiquement de l'étape consistant, après avoir constitué l'immeuble en PPE (ce qui a également eu lieu dans la présente cause), à modifier les statuts de la société propriétaire pour la transformer en SIAL, en distribuant aux actionnaires de la société précédente les certificats d'actions correspondants de la SIAL, et enfin à liquider cette dernière, ce qui aboutissait à rendre chaque ancien actionnaire-locataire propriétaire de son appartement avec inscription de cette propriété au Registre foncier (cette dernière opération ayant fait l'objet des procédures qui ont abouti au constat de fraude à la loi). Cette succession d'opération se caractérisait en outre par la singularité de l'opération consistant à constituer un immeuble en PPE puis à transformer la société propriétaire en SIAL, alors que, sur le plan des institutions juridiques, cette forme-ci de société avait précédé celle de la PPE, laquelle l'avait peu à peu complètement remplacée. Dans le cas d'espèce, comme vu ci-dessus, il n’est nullement question en l’espèce de la création d’une SIAL puis de sa liquidation. Même si l'on constate plusieurs opérations très proches dans le temps, elles ne représentent pas une singularité suffisante pour que l'on puisse retenir l'existence d'une fraude à la loi. De même, le fait que deux autres appartements situés dans cet immeuble ont été revendus par H______ SA en 2008 avec une importante plus-value, moins d'une année après l'achat de l'immeuble, et le fait que M. E______ a tenté de vendre sans succès l’un des autres appartements huit ans plus tard, sont certes des circonstances troublantes quant à la finalité des opérations qui ont eu lieu en 2007, ce d'autant que les quelques appartements que compte l'immeuble sont à présent tous en mains de personnes différentes. Néanmoins, pour les raisons qui viennent d'être exposées, on ne saurait aller jusqu'à retenir un cas de fraude à la loi. Il convient par ailleurs de souligner que la pratique du département a depuis lors évolué, notamment au niveau des opérations pouvant avoir lieu auprès du registre foncier, ce qui signifie que les opérations susdécrites ne devraient plus pouvoir avoir lieu hors du contrôle de l'Etat.

Dans un deuxième argument, la recourante se prévaut d’une violation de l’art. 39 LDTR. Il convient de constater que, dans le présent cas, aucune des hypothèses prévues à l’art. 39 al. 4 LDTR n’est remplie, ce qui n’est pas contesté par les parties. C’est par conséquent à juste titre que l’autorité intimée a procédé à la pesée des intérêts en présence prévue par l’art. 39 al. 2 LDTR. S’agissant de cette appréciation, il convient de déterminer si le département a abusé ou excédé son pouvoir d’appréciation en considérant que l’intérêt privé du vendeur l’emportait sur l’intérêt public. In casu, force est de constater que le vendeur s’est contenté d’indiquer, pour justifier l’aliénation de ce bien immobilier, tout comme l’acquisition de celui-ci par une société dont il est l’unique administrateur, une « restructuration du patrimoine privé ». Aucune précision supplémentaire n’a été apportée quant aux raisons et nécessités d’une telle restructuration. La même constatation s’impose s’agissant des modalités de cette dernière. En outre, aucun élément matériel n’a été versé au dossier, durant l’instruction de la requête par le DT, afin de démontrer l’existence et l'importance de l’intérêt privé allégué par le vendeur et par l’acheteuse en vue de se voir délivrer l’autorisation requise. Ainsi, les précités se prévalent de leurs propres intérêts privés, sans toutefois en démontrer la portée et le bien-fondé. Or de même que la jurisprudence retient que la préservation du parc locatif ne saurait être invoquée abstraitement pour faire primer l'intérêt public – sans quoi les intérêts privés opposés ne pourraient jamais l'emporter – de même convient-il d'exiger du vendeur et de l'acquéreur d'un logement soumis à la LDTR qu'ils démontrent concrètement le poids que revêtent leurs intérêts. Dès lors, afin de permettre à l’autorité intimée de procéder à la pesée des intérêts prévue par loi pour décider de l’octroi ou non d’une autorisation d’aliéner, les requérants doivent d’emblée produire l’ensemble des éléments probants permettant à l'autorité de se convaincre de la réalité des intérêts privés allégués, sans que cette dernière ne doive nécessairement instruire la requête si elle estime que les intérêts en question ne sont pas clairement démontrés. Dans le cas d'espèce, le tribunal constate que l’existence d’un intérêt privé de l’intimé à se voir délivrer une autorisation d’aliéner l’appartement dont il est propriétaire n'est qu'allégué, mais nullement démontré. Partant, on ne saurait retenir que l'intérêt de l'intimé prévaudrait sur l’intérêt public à s’assurer du maintien de l’affectation locative de l’appartement loué, ce d’autant plus en période de pénurie de logements dans le canton.

Pour le surplus, les parties intimées se prévalent de la réserve figurant dans l'autorisation querellée, selon laquelle, afin de protéger le caractère locatif de l’appartement en cause, cette autorisation ne saurait être invoquée ultérieurement pour justifier une aliénation de cet appartement en application des art. 39 al. 4 let. d LDTR et/ou de l’art. 12A RDTR. L'autorité intimée rappelle à ce sujet que, depuis de nombreuses années, elle fait usage de cette restriction – à l’application de laquelle le registre foncier veillerait « scrupuleusement » -, ce qui lui permettrait de veiller à ce qu'une aliénation de logement n'entraîne pas à terme sa sortie du marché locatif.

L’art. 39 al. 4 let. d LDTR prévoit que le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci « a fait une fois au moins l’objet d’une autorisation d’aliéner en vertu de la présente loi ». A cet égard, nonobstant les explications données par l'autorité intimée dans ses écritures du 4 novembre 2021, qui ne répondent pas réellement à la question posée par le tribunal au sujet du lien entre l'art. 39 al. 4 let. d LDTR et la réserve mentionnée dans l'arrêté de vente, le tribunal constate que la pratique en cause n'a en réalité aucune valeur contraignante. En effet, la lettre de l'art. 39 al. 4 LDTR est absolument claire et ne laisse la place à aucune interprétation : lorsqu'un logement a une fois au moins fait l'objet d'une autorisation d'aliénation selon la LDTR, une aliénation ultérieure doit être autorisée. Le libellé de la loi indique sans ambiguïté que le département ne dispose plus d'aucune marge d'appréciation et qu'il est tenu de délivrer la nouvelle autorisation. À ce titre, en tant qu'elle se situe au niveau d'une simple pratique administrative, la réserve en question ne saurait valablement déroger à la loi formelle. Il est par conséquent d'autant plus important que l'autorité intimée, comme déjà indiqué plus haut, examine de manière précise si les intérêts privés invoqués pour permettre l'aliénation d'un logement sont concrètement démontrés et, cas échéant, s'ils justifient la sortie de ce logement du marché locatif.

Outre ces considérations, le tribunal relève que dans le cas d'espèce, le projet d'acte de vente produit en annexe de la requête d'autorisation d'aliéner prévoyait à son point E que le notaire était précisément chargé par l’acquéreur de requérir au registre foncier la mention prévue par l’art. 12A RDTR - mention que l’intimé a totalement passée sous silence durant la présente procédure et qui avait pour but d'éviter, lors d'une vente ultérieure, que le notaire instrumentant cette dernière doive une nouvelle fois produire une autorisation du département. On ignore si le registre foncier refuse d'inscrire ce genre de mention au vu de la réserve dont il est question plus haut, mais en tout cas, le point E du projet d'acte de vente révèle bien la contradiction entre la pratique que le département a jusqu'ici mise en place et l'application que l'intimé-vendeur entendait légitimement faire de l'art. 39 al. 4 let. d LDTR, par anticipation, pour une aliénation subséquente.

En conclusion, il convient de constater en l'espèce qu'en se contentant des simples allégués de l'intimé au sujet de son intérêt privé et en considérant que celui-ci l’emportait sur l’intérêt public poursuivi par la LDTR, le département a abusé de son pouvoir d’appréciation.

13.         Partant, le recours sera admis et la décision litigieuse devra donc être annulée.

14.         En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), l'intimé, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1'200.-.

15.         L'avance de frais payée par la recourante à hauteur de CHF 900.- lui sera restituée.

16.         Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1'500.-, à la charge de l'intimé, sera allouée à la recourante (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 10 mai 2021 par A______ contre la décision VA 15______ du département du territoire du 31 mars 2021 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision VA 15______ du département du territoire du 31 mars 2021 ;

4.             met à la charge de Monsieur B______ un émolument de CHF 1'200.- ;

5.             ordonne la restitution à A______ de son avance de frais de CHF 900.- ;

6.             condamne Monsieur B______ à verser à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'500.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Manuel BARTHASSAT, Claire BÖLSTERLI, Ricardo PFISTER et François HILTBRAND, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière