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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1556/2024

ATA/108/2025 du 28.01.2025 ( FPUBL ) , REJETE

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;FONCTIONNAIRE;LICENCIEMENT ADMINISTRATIF;RÉSILIATION;PROPORTIONNALITÉ;PRINCIPE DE LA BONNE FOI;FRAUDE ÉLECTORALE
Normes : LPAC.21.al3; LPAC.22.letb; RPAC.20; RPAC.21.letc; RPAC.46A; Cst; Cst; Cst
Résumé : Recours d’un fonctionnaire du DEE contre la résiliation de ses rapports de service pour motif fondé au sens de l’art. 22 let. b LPAC. Le licenciement faisait suite à sa condamnation pénale pour fraude électorale commise lors d’un dépouillement pour l’élection au Conseil d’Etat. Rejet du recours. Il ressortait des faits établis par ordonnance pénale, dont le juge n’avait pas lieu de s’écarter, que le recourant avait intentionnellement mal reporté les votes de ses concitoyens, avantageant ainsi les candidats des listes de gauche au détriment de ceux de droite. De tels agissements étaient incompatibles avec les devoirs de fidélité et de dignité d’un cadre intermédiaire de la fonction publique au sens de l’art. 21 RPAC, fonction qui ne pouvait être qualifiée de subalterne. Dans ce cadre, il importait peu que les faits reprochés n’aient pas été accomplis dans l’exercice de ses fonctions, dès lors qu’ils étaient propres à porter atteinte à la réputation de l’Etat. Au regard de l’ensemble de ces éléments, l’intimé était en droit de résilier les rapports de service pour motifs fondés en renonçant à l’ouverture d’une procédure de reclassement, la conduite du recourant étant propre à rompre irrémédiablement les rapports de confiance avec son employeur. Le recourant ne pouvait enfin se prévaloir d’une déclaration faite par sa hiérarchie sur la base de faits incomplets. En l’absence de promesse effective des autorités dans une situation concrète et tenant compte de l’ensemble des éléments en présence, le principe de la bonne foi n’avait pas été violé.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1556/2024-FPUBL ATA/108/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 janvier 2025

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Christian BRUCHEZ, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE L'EMPLOI intimé

 



EN FAIT

A. a. Le 1er juillet 1996, A______, né le ______ 1967, a été engagé au sein de B______ (ci-après : B______), lequel est désormais rattaché au département de l’économie et de l’emploi (ci-après : DEE), en qualité de C______.

Il a été nommé fonctionnaire le 1er juillet 1999.

b. Depuis le 1er juillet 2001, il exerce la fonction de collaborateur en matière de D______ (ci-après : D______) auprès de la direction E______.

L’intéressé a un statut de cadre intermédiaire.

c. Le 2 avril 2023, A______ a officié en tant que juré au dépouillement de l’élection du Grand Conseil genevois.

d. Le 2 mai 2023, la chancellerie d’État (ci-après : la chancellerie) a déposé une dénonciation pénale pour fraude électorale lors de l’élection du 2 avril 2023, après avoir constaté que deux postes de saisie des bulletins de vote présentaient un nombre inhabituel d’erreurs et que des modifications injustifiées avaient été opérées dans les saisies.

Le poste 1______ présentait en particulier un taux d’erreur de 68.56% correspondant à 410 bulletins corrigés sur les 598 dépouillés.

Le taux moyen d’erreur sur les 248 postes restants de l’équipe de dépouillement du matin s’élevait à 5.95%.

e. Le 8 juin 2023, A______ a été interpellé et son logement perquisitionné.

Entendu par la police et par le Ministère public (ci-après : MP) le même jour, il a indiqué que le poste 1______ correspondait bien à celui qu’il avait utilisé le 2 avril 2023. Lors du dépouillement, il était stressé et avait voulu aller vite, comme demandé par les surveillants. Il n’avait pas ses lunettes et était ébloui par la lumière des écrans. Il avait cliqué avec sa souris le plus vite possible et avait commis des erreurs involontaires.

f. Le 28 août 2023, il a une nouvelle fois été entendu par le MP.

Il n’avait pas voulu favoriser de façon volontaire un parti politique particulier. Son anxiété était élevée ce jour-là à cause de l’attente des résultats d’une biopsie effectuée quelques jours auparavant. Il avait participé au dépouillement malgré son anxiété et sa fatigue de peur d’être puni d’une amende.

g. Au cours du mois d’août 2023, A______ a fait part à sa supérieure hiérarchique F______, directrice de E______, de l’existence d’une procédure pénale à son encontre.

h. Par courriel du 1er septembre 2023, F______ a informé G______, ancien secrétaire général ad interim du DEE, du fait que A______ lui avait rapporté que ses inquiétudes concernant sa santé lui avaient fait perdre sa capacité de discernement lors du dépouillement du 2 avril 2023. Cette situation l’avait conduit à commettre de nombreuses erreurs, donnant lieu à l’ouverture d’une procédure pénale à son encontre. Il soutenait toutefois qu’il n’avait aucunement voulu porter atteinte aux intérêts de l’État. Elle indiquait encore qu’il était un collaborateur consciencieux et que l’événement survenu ne remettait nullement au cause la confiance qu’elle lui portait. Elle ne souhaitait pas qu’une sanction pénale aboutisse à des conséquences disciplinaires en lien avec son emploi.

i. Par retour de courriel du même jour, G______ a informé F______ qu’après discussion avec la magistrate en charge du DEE, H______, en copie du courriel, il n’était pas dans les intentions du département d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre de A______.

j. Le 9 janvier 2024, le MP a transmis au directeur général de B______, l’ordonnance pénale du même jour rendue à l’encontre de A______ le reconnaissant coupable de fraude électorale selon l’art. 282 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et le condamnant à une peine pécuniaire de 60 jours-amende avec sursis ainsi qu’à une amende de CHF 2'520.-.

Le poste occupé par le recourant présentait un taux d’erreur de 68.56% correspondant à 410 bulletins corrigés sur les 598 dépouillés. L’impact représentait une tentative de modification de près de 3'900 suffrages de listes. A______ avait intentionnellement, à tout le moins sous la forme du dol éventuel, mal retranscrit les bulletins de vote qu’il dépouillait. En voulant faire vite et sans se préoccuper de ses erreurs alors qu’il voyait bien qu’il en commettait, il avait pris le risque de fausser le résultat des élections et s’en était accommodé.

Il avait ainsi augmenté artificiellement le nombre de suffrages des listes des Socialistes, des Verts et d’Ensemble à gauche, en transformant des bulletins initialement modifiés en bulletins compacts. Il avait aussi transformé des bulletins compacts en bulletins modifiés, faisant notamment perdre des suffrages à I______, J______, H______ et K______.

k. Le 15 janvier 2024, le B______ a convoqué A______ à un entretien de service et l’a libéré de son obligation de travailler.

l. Le 22 janvier 2024, le MP a transmis à l’B______ le dossier pénal complet du précité.

m. Le 24 janvier 2024, l’affaire faisant l’objet du présent litige a été relatée dans la presse. Cette dernière indiquait que les deux jurés impliqués travaillaient à l’B______.

n. Le 31 janvier 2024, le Conseil d’État a validé la libération de l’obligation de travailler de A______.

Le même jour s’est tenu un entretien de service avec l’intéressé et son conseil, lors duquel il a indiqué avoir fait opposition à l’ordonnance pénale du 9 janvier 2024. Ses agissements du 2 avril 2023 représentaient un cas isolé dû à des circonstances exceptionnelles. Il était un collaborateur fiable et consciencieux. Les faits reprochés n’étaient pas en lien avec son activité professionnelle, si bien qu’un éventuel licenciement n’était pas justifié. Il demandait à ce qu’une autre sanction soit prononcée à son égard en tenant compte en particulier de son âge et de son ancienneté.

Selon l’B______, A______ avait minimisé les faits qui lui étaient reprochés et n’avait pas donné toutes les informations nécessaires à sa supérieure hiérarchique lors de son auto-dénonciation d’août 2023. Une résiliation des rapports de service était envisagée et au vu des faits de la cause, une procédure de reclassement s’avérait inutile dès lors qu’elle reviendrait à reporter dans un autre service les éléments qui lui étaient reprochés.

o. Le 16 février 2024, A______ a adressé ses observations relatives à l’entretien de service du 31 janvier 2024.

Les erreurs commises étaient involontaires en raison d’une fatigabilité générale, d’une surcharge de travail et de problèmes médicaux. Il s’agissait de sa première expérience en tant que juré de dépouillement et il n’avait pas bénéficié de formation à cet égard. Il avait compté sur le service des divergences pour corriger ses erreurs. Il avait probablement confondu les touches « Enter/Delete » de son ordinateur. Il n’existait par ailleurs aucun motif fondé de résiliation des rapports de service. Il était un collaborateur engagé et exemplaire. Le DEE violait le principe de la bonne foi en revenant sur la garantie formulée en date du 1er septembre 2023 selon laquelle aucune procédure administrative ne serait ouverte à son encontre.

p. Le 20 février 2024, l’B______, après avoir pris connaissance de l’entier du dossier pénal transmis par le MP, a invité A______ à se déterminer sur le fait que ses « erreurs » avaient majoritairement favorisé les candidats de la gauche et prétérité ceux de la droite.

L’B______ indiquait que, dans la majorité des cas, il s’agissait pourtant de bulletins compacts qu’il suffisait de valider puisque la numérisation présélectionnait la liste concernée. La suppression d’un candidat nécessitait en revanche d’effectuer deux manipulations supplémentaires, que le précité avait exécutées.

q. Le 13 mars 2024, A______ s’est déterminé sur le courrier du 20 février 2024 de l’B______.

Il expliquait avoir involontairement commis des erreurs, sans volonté politique aucune. Il n’avait pas compris la différence de traitement entre les bulletins compacts et modifiés. Il réalisait désormais que les touches « Enter/Delete » de son clavier étaient placées côte à côte et qu’il avait régulièrement appuyé sur une touche au détriment de l’autre ou sur les deux simultanément sans s’en rendre compte. Les ajouts manuscrits étaient parfois difficiles à lire et n’avaient ainsi régulièrement pas été pris en compte. Au vu du morcellement des partis de droite, les électeurs avaient davantage eu recours aux bulletins modifiés et avaient ajouté des noms d’élus d’autres partis, ce qui n’était pas le cas des candidats des partis de gauche, raison pour laquelle il avait fait moins d’erreurs les concernant.

r. Par décision du 25 mars 2024, la conseillère d’État chargée du DEE, a résilié les rapports de service de A______ avec effet au 30 juin 2024.

La décision était déclarée exécutoire nonobstant recours.

La résiliation était fondée sur l’inaptitude du précité à remplir les exigences du poste selon les art. 20 al. 3, 21 al. 3 et 22 lit. b de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B5 05).

A______ avait été condamné par ordonnance pénale pour fraude électorale pour avoir mal retranscrit les bulletins de vote qu’il dépouillait lors de l’élection du Grand Conseil du 2 avril 2023.

Les explications du précité selon lesquelles il avait involontairement commis des erreurs à cause du stress et de son état de santé ne convainquaient pas. Elles étaient contradictoires et n’expliquaient pas pourquoi les candidats têtes de liste de la droite avaient été supprimés de la large majorité des listes imprimées alors que tel n’avait pas été le cas de ceux de gauche.

Les conditions pour une résiliation des rapports de service étaient remplies. Les faits reprochés nuisaient gravement à la confiance du public dans l’intégrité de l’administration et dénotaient une attitude incompatible avec la fonction publique. Dans ces conditions, la résiliation des rapports de service était une mesure adéquate et nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de l’administration cantonale. En maintenant les rapports de service, l’État porterait atteinte à sa réputation, en tant qu’il lui serait reproché de tolérer une atteinte aux droits et à la confiance du corps électoral.

Même en tenant compte de l’ancienneté des rapports de service du précité, de son absence d’antécédents, de ses bons états de service, de son âge et des difficultés y afférentes pour retrouver un emploi, son intérêt privé à conserver son emploi devait céder le pas à l’intérêt public visant à préserver la confiance de la population envers l’administration cantonale et des membres de son personnel. Au surplus, un reclassement n’était pas à même d’atteindre l’objectif poursuivi en l’espèce, puisque lorsqu’un reclassement revenait à reporter dans un autre service les éléments reprochés au membre du personnel, il paraissait illusoire, de sorte qu’il pouvait y être renoncé.

Le principe de la bonne foi ne lui était d’aucun secours. Il ne pouvait se prévaloir de la position exprimée par le DEE le 1er septembre 2023, qui se fondait sur des déclarations incomplètes au vu des éléments révélés par l’ordonnance pénale du 9 janvier 2024 et par le dossier pénal transmis le 22 janvier 2024.

Aucune inégalité de traitement n’était à déplorer avec l’autre employé de l’B______ également impliqué dans l’affaire. En effet, le fait que A______ ait été moins lourdement sanctionné par le MP n’enlevait rien à la gravité de ses agissements, incompatibles avec la fonction publique.

B. a. Par acte du 7 mai 2024, A______ a recouru par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) à l’encontre de cette décision, en concluant principalement à son annulation et à sa réintégration. Subsidiairement, si sa réintégration devait être refusée, il concluait au versement d’une indemnité fixée à 24 mois de son dernier traitement brut, avec intérêts à 5% dès le 30 juin 2024. Il requérait préalablement la tenue d’une audience de conciliation.

Aucune erreur n’avait été commise dans l’exercice de ses fonctions. Il s’agissait d’un acte isolé et exceptionnel en raison de circonstances particulières. Le DEE n’avait pas pris en compte sa situation personnelle et médicale au moment des faits. Aucune sanction disciplinaire n’avait été prononcée à son encontre durant ses 27 années d’activité. Il ne bénéficiait d’aucune autre source de revenu, ni de soutien moral et son âge faisait obstacle à sa réinsertion dans le monde du travail.

Ses évaluations et certificats de travail intermédiaires avaient toujours été positifs. Il était considéré par sa hiérarchie comme un employé consciencieux, fiable, disponible et loyal qui avait suivi de nombreuses formations et s’était toujours acquitté de ses tâches avec plaisir.

De 2020 à 2023, il avait accumulé beaucoup de fatigue en raison d’une surcharge de travail et développé une grande anxiété en raison d’événements personnels et professionnels. Il s’était notamment vu confier une charge de travail supplémentaire en remplacement d’un de ses collègues pour gérer le secteur des cours informatique de novembre 2020 à octobre 2021. Du 1er février au 30 juillet 2023, il avait à nouveau dû remplacer un collègue, ce qui avait entraîné une nouvelle surcharge de travail.

En sus de cette surcharge, il avait dû se soumettre à de nombreux examens médicaux d’octobre 2022 à mars 2023 en lien avec une suspicion de cancer de la prostate, sachant que de nombreux membres de sa famille avaient été atteints par ce cancer, ce qui l’avait angoissé. L’un des examens en question avait eu lieu le 27 mars 2023, soit quelques jours avant le dépouillement électoral du 2 avril 2023. À cette date, il était encore dans l’attente des résultats des examens effectués le 27 mars 2023.

C’était dans cet état de fatigue et de grande anxiété qu’il s’était rendu malgré tout au dépouillement des élections du Grand Conseil en qualité de juré le 2 avril 2023. Il n’avait bénéficié d’aucune formation préalable. Il avait toutefois lu qu’en cas de divergence dans la saisie des votations, le service des divergences serait automatiquement alerté et s’était fié à cette indication. Les surveillants l’avaient informé du fait qu’il fallait faire vite. Anxieux et fatigué, il avait alors agi mécaniquement. Il n’était pas familiarisé avec le matériel de vote, votant blanc lors des précédentes votations et ne connaissant aucune personnalité politique genevoise. Il n’avait ainsi eu aucune volonté politique de fausser la votation.

Il n’avait pas compris la différence entre l’enregistrement des bulletins compacts et modifiés et avait tapé mécaniquement sur les touches « Enter/Delete », ce qui l’avait amené à commettre de nombreuses erreurs involontaires dont il avait pris conscience une fois chez lui. Les électeurs de droite avaient davantage eu recours aux bulletins modifiés, ce qui expliquait pourquoi il avait commis plus d’erreurs à leur égard.

Il avait par la suite informé sa supérieure hiérarchique de l’ouverture d’une procédure pénale à son encontre. Cette dernière en avait immédiatement informé le DEE, qui lui avait confirmé qu’il n’était pas dans ses intentions d’ouvrir une procédure disciplinaire à son égard.

Il invoquait en premier lieu une violation de la procédure de reclassement à laquelle il ne s’était pas opposé. Il expliquait être un employé modèle, ouvert à son transfert dans un poste hiérarchiquement inférieur ou dans un autre service dans lequel les critères de diligence étaient moins stricts, afin de palier à l’atteinte à la réputation de l’B______.

En second lieu, il arguait qu’il n’existait aucun motif fondé à la résiliation des rapports de service, l’infraction commise n’étant pas assez grave pour justifier un licenciement. L’employeur avait notamment un devoir de protection particulier envers les travailleurs âgés et fidèles. Ainsi, son licenciement à l’âge de 57 ans violait le principe de la proportionnalité. De plus, pour une infraction générale commise hors de ses fonctions, il fallait établir un rapport à la fonction exercée, impliquant une perte de confiance dans l’exécution des tâches à remplir, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Lorsque le fonctionnaire avait toujours donné satisfaction à ses supérieurs et n’avait pas d’antécédents professionnels, ces éléments devaient être pris en compte avant le prononcé d’une sanction sous l’angle de la proportionnalité.

b. Le 8 mai 2024, la chambre administrative a convoqué les parties à une audience de conciliation, qui n’a abouti à aucun accord.

c. Le 24 juin 2024, l’office du personnel de l’État (ci-après : OPE) a transmis ses observations en concluant au rejet du recours.

La résiliation pour motif fondé visait à assurer le bon fonctionnement de l’administration cantonale. Les cas de motifs fondés correspondaient à des situations incompatibles avec le bon fonctionnement du service, ce qui était le cas en l’espèce. L’employé devait, pendant et en dehors de son travail, s’abstenir de tout comportement de nature à entamer la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique et de ses fonctionnaires ou à le rendre moins digne de confiance aux yeux de son employeur.

Référence était notamment faite à un arrêt du Tribunal fédéral pour des exemples de comportements problématiques hors de l’activité lucrative.

Les arguments du recourant selon lesquels il s’agissait d’une erreur involontaire ne pouvaient être suivis au vu du fait que certains candidats avaient été largement prétérités alors que dans la majorité des cas, il s’agissait de bulletins compacts qu’il suffisait de valider.

Le précité se contredisait en indiquant d’abord que ses erreurs étaient dues à des « clics » rapides et par la suite, qu’elles étaient dues au fait que les touches « Enter/Delete » étaient côte à côte.

Les soupçons de fraude électorale à son encontre étaient largement fondés au vu de son taux d’erreur de 68.56%, et l’infraction en question était incompatible avec sa fonction publique.

Une résiliation des rapports de travail était dès lors justifiée, quand bien même A______ avait un intérêt à garder son emploi de par son âge et son ancienneté. Cet intérêt ne permettait toutefois pas de contrebalancer l’intérêt public prépondérant de l’État à préserver la confiance de la population envers de l’administration cantonale. Il n’existait au demeurant pas de protection absolue contre la résiliation des rapports de travail à un âge avancé.

Le principe de bonne foi n’avait pas été violé du fait de l’assurance donnée par le DEE en date du 1er septembre 2023. La position du DEE ne tenait alors pas compte des éléments ressortant de l’ordonnance pénale et du dossier pénal, dont il n’avait pas connaissance. L’employeur n’était notamment pas informé du taux d’erreurs ni du fait que certains candidats avaient été personnellement visés par les agissements du précité.

Enfin, concernant la violation de la procédure de reclassement, l’employeur pouvait renoncer à l’ouverture d’une telle procédure lorsque celle-ci avait pour seul effet de reporter dans un autre service les éléments reprochés à l’intéressé ce qui était le cas en l’espèce.

d. Le 26 juillet 2024, le recourant a répliqué et persisté dans ses conclusions.

e. Le 26 septembre 2024, l’B______ a transmis à la chambre administrative un article de la Tribune de Genève du 25 septembre 2024 indiquant que le Tribunal de police avait confirmé la condamnation pénale de A______ pour fraude électorale. La peine de 60 jours-amende était maintenue mais l’amende supprimée, du fait du licenciement du précité.

f. Le 27 septembre 2024, la chambre administrative a transmis cette information à A______ et a informé les parties du fait que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).

2.             Le litige porte sur la conformité au droit de la décision du DEE résiliant les rapports de service du recourant pour motif fondé.

Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2), non réalisée dans le cas d’espèce.

3.             Le recourant a conclu à la tenue d’une audience de conciliation prévue par l’art. 65A al. 1 LPA, qui n’a toutefois pas permis aux parties de trouver une solution.

4.             Dans un premier grief, le recourant conteste l’existence d’un motif fondé justifiant son licenciement. Il fait valoir qu'aucun reproche sur la qualité de son travail ou sur ses relations avec ses supérieurs et ses collègues ne lui a été formulé, que les faits reprochés n'ont aucun lien avec son activité professionnelle et qu'il n’exerce qu’une fonction de cadre intermédiaire. L’infraction de fraude électorale n’était au demeurant pas de nature à amoindrir la confiance placée en l'État par les administrés et son licenciement était contraire au principe de la bonne foi au vu de la promesse du DEE de ne pas entamer de procédure administrative à son encontre.

4.1 Rattaché administrativement et hiérarchiquement au DEE, le recourant est soumis à LPAC et à ses règlements d’application (art. 1 al. 1 let. a LPAC), notamment au règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01).

4.2 Lorsque les rapports de service ont duré plus d’une année, le délai de résiliation est de trois mois pour la fin d’un mois (art. 20 al. 3 LPAC). Ils peuvent être résiliés pour motif fondé (art. 21 al. 3 LPAC). Il y a motif fondé, lorsque la continuation des rapports de service n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration, soit notamment en raison de l'insuffisance des prestations
(art. 22 let. a LPAC), de l'inaptitude à remplir les exigences du poste (art. 22 let. b LPAC) ou de la disparition durable d'un motif d'engagement (art. 22 let. c LPAC).

L'élargissement des motifs de résiliation des rapports de service, lors de la modification de la LPAC entrée en vigueur le 31 mai 2007, n'implique plus de démontrer que la poursuite des rapports de service est rendue difficile, mais qu'elle n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration. L'intérêt public au bon fonctionnement de l'administration cantonale, déterminant en la matière, sert de base à la notion de motif fondé, lequel est un élément objectif indépendant de la faute du membre du personnel. La résiliation pour motif fondé ne vise pas à punir, mais à adapter la composition de la fonction publique dans un service déterminé aux exigences relatives au bon fonctionnement dudit service (ATA/1219/2022 du 6 décembre 2022 consid. 4c). Elle ne suppose pas l'existence d'une violation fautive des devoirs de service par le fonctionnaire (arrêt du Tribunal fédéral 8C_392/2019 du 24 août 2020 consid. 4.2)

4.3 La notion de motifs fondés doit être concrétisée, dans chaque situation, à la lumière des circonstances du cas d’espèce (ATA/892/2016 du 25 octobre 2016 consid. 5a). L’employeur jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour juger si les manquements d’un fonctionnaire sont susceptibles de rendre la continuation des rapports de service incompatible avec le bon fonctionnement de l’administration.

Un manquement au devoir de loyauté peut entrainer un licenciement si la personne employée trahit la confiance que l’État place en elle. Les membres du personnel sont en effet tenus au respect de l’intérêt de l’État et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (art. 20 RPAC). Les membres du personnel se doivent, par leur attitude, de justifier et de renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l’objet (art. 21 let. c RPAC).

Le fonctionnaire doit s'acquitter de sa tâche, dans la mesure qui correspond à ses fonctions, en respectant notamment la légalité et l'intérêt public. Le fonctionnaire doit par ailleurs veiller à la conformité au droit de ses actes ; il lui appartient d'informer ses supérieurs des problèmes qui pourraient se poser et des éventuelles améliorations à apporter au service (ATA/474/2024 du 16 avril 2024 consid. 5.8 ; Pierre MOOR/François BELLANGER/Thierry TANQUEREL, Droit administratif, vol. III, 2éd., 2018, n° 7.3.3.1).

Le fonctionnaire n’entretient pas seulement avec l’État qui l’a engagé et le rétribue les rapports d’un employé avec un employeur, mais, dans l’exercice du pouvoir public, il est tenu d’accomplir sa tâche de manière à contribuer au bon fonctionnement de l’administration et d’éviter ce qui pourrait nuire à la confiance que le public doit pouvoir lui accorder. Il lui incombe en particulier un devoir de fidélité qui s’exprime par une obligation de dignité. Cette obligation couvre tout ce qui est requis pour la correcte exécution de ses tâches, pendant et en-dehors de son travail (ATA/712/2021 du 6 juillet 2021 consid. 6b ; ATA/114/2021 du 2 février 2021 consid. 2k ; ATA/1088/2020 du 3 novembre 2020 consid. 4a).

Bien que le fonctionnaire ait droit à la protection de sa vie privée, son devoir de fidélité, afférent au caractère public de sa fonction, lui impose certaines obligations, lesquelles limitent l'exercice de ses libertés personnelles au-delà de ce que l'ordre juridique permettrait pour de simples particuliers n’exerçant pas de telles fonctions (arrêt du Tribunal fédéral 8C_612/2021 consid. 6.2.2 ; MOOR/BELLANGER/
TANQUEREL, op. cit., p. 601). Les collaborateurs doivent supporter les limitations objectivement en rapport avec leur appartenance à l'appareil étatique ; cela englobe non seulement ce qui a trait à l'exécution du service public, soit à l'intérêt direct de la collectivité aux prestations publiques, mais aussi ce qui est susceptible de témoigner de la moralité et de l'intégrité de l'administration et qui permet aux citoyens d'avoir confiance en elle en toutes circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 8C_612/2021 précité consid. 6.2.2 ; MOOR/BELLANGER/TANQUEREL, op. cit., p. 572). Même hors service, les collaborateurs doivent ainsi adopter un comportement propre à inspirer la confiance de la population dans l'administration à qui est confiée la gestion des affaires publiques (arrêts du Tribunal fédéral 8C_612/2021 précité consid. 6.2.2 ; 1P.273/1999 du 12 octobre 1999 consid. 3c).

En particulier, les fonctionnaires ne doivent commettre ni crime ni délit passibles de condamnation devant les tribunaux pénaux, au moins dans la mesure où il s'agit de délits dénotant une attitude incompatible avec la fonction publique (arrêts du Tribunal fédéral 8C_612/2021 précité consid. 6.2.2 ; 2A.515/1995 du 6 septembre 1996 consid. 3a/bb). Pour examiner le préjudice subi par une autorité du fait de la condamnation pénale d'un collaborateur, il faut tenir compte de la fonction exercée, de la nature de l'infraction, de sa gravité et de la durée de la peine ainsi que de l'impact du comportement incriminé sur le public (arrêts du Tribunal fédéral 8C_612/2021 précité consid. 6.2.2 ; 2A.515/1995 précité consid. 3b). De manière plus générale (indépendamment de l'issue de la procédure pénale), il faut distinguer les événements occasionnels, sans indice de récidive, des agissements durables ou répétés dans le temps. Il y a également lieu de tenir compte du laps de temps entre les actes incriminés et leur connaissance par l'employeur, en particulier lorsqu'entre-temps ils n'ont pas eu d'impact sur la qualité du travail fourni et la capacité de l'employé à remplir les exigences du poste. Enfin, si l'on attend davantage d'exemplarité de la part d'un haut collaborateur, la question du rang occupé perd en importance lorsque la gravité des faits reprochés est particulièrement lourde. En tout état de cause, pour qu'un licenciement se justifie, il faut que l'infraction ait eu, selon une appréciation objective, un impact négatif tel sur la qualité du travail, sur le climat de travail ou sur la réputation de l'employeur public que l'on ne peut plus raisonnablement exiger de lui qu'il poursuive les rapports de service (arrêt du Tribunal fédéral 8C_612/2021 précité consid. 6.2.2 ; Peter HÄNNI, Öffentliches Dienstrecht und Strafrecht, in Droit pénal et diversité culturelle, p. 249).

4.4 Les rapports de service étant soumis au droit public (ATA/1343/2015 du 15 décembre 2015 consid. 8 ; ATA/82/2014 du 12 février 2014 consid. 11), la résiliation est en outre assujettie au respect des principes constitutionnels, en particulier ceux de la légalité (art. 5 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101), de l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), de l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.) et de la proportionnalité (art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst. ; ATA/993/2021 du 28 septembre 2021 consid. 4e ; ATA/562/2020 du 9 juin 2020 consid. 6e).

En particulier, le principe de la proportionnalité exige que les mesures mises en œuvre soient propres à atteindre le but visé (règle de l'aptitude) et que celui-ci ne puisse être atteint par une mesure moins contraignante (règle de la nécessité) ; il doit en outre y avoir un rapport raisonnable entre ce but et les intérêts compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit, impliquant une pesée des intérêts ; ATF 140 I 168 consid. 4.2.1 ; ATA/932/2018 du 11 septembre 2018 consid. 6).

4.5 De jurisprudence constante, l’autorité administrative est en principe liée par les constatations de fait d’un jugement pénal, notamment lorsque celui-ci a été rendu au terme d’une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés. Si les faits retenus au pénal lient donc en principe l’autorité et le juge administratif, il en va différemment des questions de droit et de l’appréciation juridique à laquelle s’est livrée le juge pénal (arrêt du Tribunal fédéral 1C_202/2018 du 18 septembre 2018 consid. 2.2 ; ATA/712/2021 précité consid. 7a ; ATA/1060/2020 du 27 octobre 2020 consid. 7f).

4.6 En l’espèce, il n'est pas contesté que le DEE a procédé le 25 mars 2024 à la résiliation des rapports de service le liant au recourant pour le 30 juin 2024, soit dans le respect du délai prévu à l'art. 20 al. 3 LPAC. Le recourant conteste avoir intentionnellement commis l’infraction de fraude électorale. Il indique que ses erreurs ont été commises en raison d’une fatigabilité générale, d’une surcharge de travail et de problèmes médicaux couplés à une absence de formation. Il avait probablement confondu les touches « Enter/Delete » de l’ordinateur et cliqué avec sa souris le plus vite possible en se disant que le service des divergences corrigerait ses erreurs. Il avait été ébloui par les écrans des ordinateurs et ne savait pas comment retranscrire les différents bulletins, n’ayant suivi aucune formation à cet effet. Ses erreurs avaient été commises au hasard, sans volonté politique aucune puisqu’il ne connaissait aucune personnalité publique de la place politique genevoise.

Il ressort toutefois des faits établis par l’ordonnance pénale du 9 janvier 2024, dont il n’y a pas lieu de s’écarter, que le recourant a intentionnellement mal reporté les votes de ses concitoyens dans 68.56% des cas, avantageant ainsi les candidats des listes de gauche au détriment de ceux de droite. Lors du dépouillement du 2 avril 2023, tous les jurés disposaient d’une directive explicative pour la retranscription des bulletins et aucun d’entre eux n’avait suivi de formation préalable. Le taux d’erreur moyen des autres jurés ce matin-là était de seulement 5.95%, démontrant ainsi que les instructions transmises par la directive explicative étaient suffisantes. La majorité des « erreurs » commises par le recourant concernaient des bulletins compacts qu’il suffisait de valider puisque la numérisation présélectionnait la liste concernée. La suppression d’un candidat nécessitait en revanche deux manipulations supplémentaires, que l’intéressé a volontairement effectuées.

Les justifications du recourant quant à ses agissements du 2 avril 2023 ne convainquent pas. Bien que ses difficultés tant médicales que professionnelles ne soient pas remises en cause, ces dernières ne suffisent pas à expliquer son comportement lors du dépouillement. Ces difficultés ne semblent d’ailleurs pas l’avoir empêché d’accomplir son travail de manière satisfaisante juste avant et après les faits reprochés, alors même qu’elles n’avaient pas disparu. Il est par ailleurs douteux que le recourant, comme il le soutient, ne connaisse aucune figure politique genevoise.

L’ensemble de ces éléments, couplés à l'obstination du recourant à contester les faits qui lui sont reprochés, démontrent une absence de remise en question quant à la gravité de son comportement, qu’il a d’ailleurs minimisé tout au long de la procédure. Quoi qu’en dise l’intéressé, ses agissements apparaissent incompatibles avec les devoirs de fidélité et de dignité que l’on est en droit d’attendre d’un cadre intermédiaire de la fonction publique au sens de l’art. 21 RPAC, fonction qui ne peut être qualifiée de subalterne. Dans ce cadre, il importe peu que les faits reprochés n’aient pas été accomplis dans l’exercice de ses fonctions, dès lors qu’ils sont propres à porter atteinte à la considération et à la confiance dont la fonction publique doit être l’objet. En effet, les votations populaires, particulièrement les élections des futurs représentants du peuple, constituent le socle fondamental de la démocratie et de l’État. Le rapport entre l’infraction commise et la fonction publique du recourant ne fait dès lors aucun doute. En prenant le risque de fausser les résultats de la volonté populaire, le recourant a commis une faute grave brisant la confiance non seulement de son employeur, mais également des citoyens qu’il est censé servir. Dans ce contexte, il importe peu que l’infraction ne s’inscrive pas dans la durée et que le risque de récidive soit quasi inexistant, tant les agissements du recourant ont remis en cause sa capacité à exercer son activité professionnelle avec intégrité et ont profondément porté atteinte à la confiance que la population et ses supérieurs hiérarchiques avaient placée en lui.

Le licenciement est apte à atteindre le but d’intérêt public consistant à employer, dans les départements cantonaux, du personnel respectueux de l’État, des droits politiques et en qui le public peut avoir une entière confiance. La mesure est nécessaire pour atteindre cet objectif et proportionnée au sens étroit compte tenu, notamment, de la nature de l’infraction commise par le recourant. Contrairement à ce qu’il soutient, ni son âge, ni l’absence d’antécédents professionnels, ne suffisent à remettre en cause la pesée des intérêts opérée par l’intimé. La nature de l’infraction commise par l’intéressé est en effet déterminante. L’infraction de fraude électorale est un délit contre la volonté populaire ; or, l’État est garant des libertés, notamment politiques de ses citoyens. Il est ainsi particulièrement important qu’en sa qualité de fonctionnaire de l’État, le recourant maintienne une posture impartiale et irréprochable en matière de votation populaire, de surcroît lors de l’élection des représentants du peuple. En agissant de sorte à mettre en péril la volonté populaire lors d’une élection, le recourant a ébranlé la confiance des électeurs en l’administration publique et gravement porté atteinte à la réputation de son département. On relèvera au demeurant que la jurisprudence du Tribunal fédéral ne fixe pas d’âge limite à partir duquel un employé peut se prévaloir d’une protection particulière. Bien que ce critère ait été pris en compte par la chambre de céans, force est de constater que l'intérêt public au bon fonctionnement de l'administration cantonale, déterminant en la matière, l’emporte sur l’intérêt privé du recourant à conserver son emploi.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, l’intimé était en droit de résilier les rapports de service du recourant pour motifs fondés avec effet au 30 juin 2024. La conduite du recourant lors de sa participation au dépouillement du 2 avril 2023 était propre à rompre irrémédiablement les rapports de confiance avec son employeur. Le DEE était en conséquence fondé à mettre un terme aux rapports de service, sans mésuser de son pouvoir d’appréciation ni violer les bases légales et principes constitutionnels applicables.

Partant, le grief est rejeté.

5.             Dans un second grief, le recourant se plaint de la violation du respect de la procédure de reclassement.

5.1 Préalablement à la décision de résiliation, l'autorité compétente est tenue de proposer au fonctionnaire qu'elle entend licencier des mesures de développement et de réinsertion professionnelle et de rechercher si un autre poste au sein de l'administration cantonale correspond à ses capacités (art. 21 al. 3 LPAC).

5.2 À teneur de l’art. 46A RPAC, lorsque les éléments constitutifs d'un motif fondé de résiliation sont dûment établis lors d'entretiens de service, un reclassement selon l'art. 21 al. 3 LPAC est proposé pour autant qu’un poste soit disponible au sein de l’administration et que l’intéressé au bénéfice d'une nomination dispose des capacités nécessaires pour l’occuper (al. 1). Des mesures de développement et de réinsertion professionnels propres à favoriser le reclassement sont proposées (al. 2). L’intéressé est tenu de collaborer. Il peut faire des suggestions (al. 3). L’intéressé bénéficie d’un délai de dix jours ouvrables pour accepter ou refuser la proposition de reclassement (al. 4). En cas de reclassement, un délai n'excédant pas six mois est fixé pour permettre à l'intéressé d'assumer sa nouvelle fonction (al. 5). En cas de refus, d’échec ou d'absence du reclassement, une décision motivée de résiliation des rapports de service pour motif fondé intervient (al. 6). Le service des ressources humaines du département, agissant d’entente avec l’office du personnel de l’État, est l’organe responsable (al. 7).

5.3 Le principe du reclassement, applicable aux seuls fonctionnaires, est une expression du principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.) et impose à l’État de s’assurer, avant qu’un licenciement ne soit prononcé, qu’aucune mesure moins préjudiciable pour l’administré ne puisse être prise (arrêt du Tribunal fédéral 1C_309/2008 du 28 janvier 2009 consid. 2.2 ; ATA/130/2022 du 8 février 2022 consid. 6b). La loi n’impose toutefois pas à l’État une obligation de résultat, mais celle de mettre en œuvre tout ce qui peut être raisonnablement exigé de lui (ATA/361/2022 du 5 avril 2022 consid. 7b). En outre, l’obligation de l’État de rechercher un autre emploi correspondant aux capacités du membre du personnel se double, corrélativement, d’une obligation de l’employé, non seulement de ne pas faire obstacle aux démarches entreprises par l’administration, mais de participer activement à son reclassement (ATA/361/2022 précité consid. 7b).

L’État a l’obligation préalable d’aider l’employé et de tenter un reclassement, avant de prononcer la résiliation des rapports de service. Il s’agit tout d’abord de proposer des mesures dont l’objectif est d’aider l’intéressé à retrouver ou maintenir son « employabilité », soit sa capacité à conserver ou obtenir un emploi, dans sa fonction ou dans une autre fonction, à son niveau hiérarchique ou à un autre niveau. Avant qu’une résiliation ne puisse intervenir, différentes mesures peuvent être envisagées et prendre de multiples formes, comme le certificat de travail intermédiaire, un bilan de compétences, un stage d’évaluation, des conseils en orientation, des mesures de formation et d’évolution professionnelles, un accompagnement personnalisé, voire un « outplacement ». Il s’agit ensuite de rechercher si une solution alternative de reclassement au sein de l’établissement peut être trouvée (ATA/530/2024 du 30 avril 2024 consid. 6.3 ; ATA/78/2020 du 28 janvier 2020 consid. 4a).

Récemment, le Tribunal fédéral a rappelé qu’il n’existait pas d’obligation pour l’État d’appliquer dans chaque cas l’intégralité des mesures possibles et imaginables, l’autorité disposant d’un large pouvoir d’appréciation pour déterminer et choisir les mesures qui lui semblaient les plus appropriées afin d’atteindre l’objectif de reclassement. L’intéressé peut faire des suggestions mais n’a pas de droit quant au choix des mesures entreprises. Le principe du reclassement, qui concrétise le principe de la proportionnalité, signifie que l’employeur est tenu d’épuiser les possibilités appropriées et raisonnables pour réincorporer l’employé dans le processus de travail et non de lui retrouver coûte que coûte une place de travail (arrêt du Tribunal fédéral 8C_381/2021 du 17 décembre 2021 consid. 6.2 ; ATA/530/2024 précité consid. 6.3).

5.4 Selon la jurisprudence, lorsqu’un reclassement revient en fin de compte à reporter dans un autre service des problèmes de comportement reprochés au recourant, il paraît illusoire et il peut y être renoncé (arrêt du Tribunal fédéral 8C_839/2014 du 5 mai 2015 consid. 7.1 ; ATA/530/2024 précité consid. 6.4). Toutefois, seules les circonstances particulières, dûment établies à satisfaction de droit, peuvent justifier une exception au principe légal du reclassement et faire primer l’intérêt public et privé de nombreux employés de l’État sur l’intérêt privé, pourtant important, de la personne licenciée (ATA/530/2024 précité consid. 6.3 ; ATA/1060/2020 précité consid. 9c ; ATA/1579/2019 du 29 octobre 2019 consid. 12h).

Dans sa jurisprudence, la chambre administrative a notamment confirmé le bien‑fondé de résiliations des rapports de service, sans procédure de reclassement préalable, d’un chef de projet informatique poursuivi pour une infraction d’usure (ATA/712/2021 précité consid. 8c), d’une gérante sociale qui avait eu des problèmes très importants de communication et de comportement, durant une période de sept ans, avec l’ensemble des catégories d’interlocuteurs, tant internes qu’externes, à son institution (ATA/1576/2019 du 29 octobre 2019 consid. 14) et d’une employée, dont l’attitude générale sur le lieu de travail était considérée comme inappropriée et insuffisamment respectueuse de la sphère personnelle d’autrui, ce qui avait conduit au prononcé d’un avertissement et à la fixation d’objectifs qui n’avaient pas été réalisés (ATA/674/2017 du 20 juin 2017 consid. 19).

5.5 En l’espèce, le comportement du recourant dans le cadre de l’incident du 2 avril 2023 est de nature à rompre irrémédiablement le lien de confiance avec son employeur. Sa faute est grave et la nature de l’infraction commise touche au fondement même du système étatique. En prenant le risque de fausser les résultats d’une élection populaire, le recourant a démontré un mépris pour le système démocratique genevois parfaitement incompatible avec l’exercice intègre d’une fonction publique, quelle qu’elle soit. La problématique ne saurait dès lors être résolue par une procédure de reclassement. Au contraire, transférer le recourant dans un autre service reviendrait à déplacer le problème de sorte à rendre toute tentative de reclassement illusoire.

Dans ces conditions, l’appréciation du DEE selon laquelle le comportement du recourant et la rupture définitive du lien de confiance pouvaient justifier une exception au principe légal du reclassement ne prête pas le flanc à la critique.

Le grief est par conséquent rejeté.

6.             Le recourant invoque enfin une violation du droit à la protection de la bonne foi.

6.1 Découlant directement de l'art. 9 Cst., mais également des art. 5 al. 3 Cst. et 3 al. 2 let. a CPP, le droit à la protection de la bonne foi préserve la confiance légitime que le citoyen met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de celles-ci (ATF 141 V 530 consid. 6.2). L’administration doit en particulier s’abstenir de tout comportement propre à tromper l’administré et ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_596/2022 du 8 novembre 2022 consid. 8.1). Enfin, le principe de la bonne foi consacré aux art. 9 et 5 al. 3 Cst. exige que l’administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale et leur commande de s’abstenir, dans leurs relations de droit public, de tout comportement contradictoire ou abusif (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 ; 137 I 69 consid. 2.5.1).

6.2 En l’espèce, dans le courant du mois d’août 2023, le recourant a informé sa supérieure hiérarchique du fait qu’une procédure pénale était ouverte à son encontre. Le 1er septembre 2023, celle-ci a informé le DEE des éléments en sa possession, soit du fait que l’un de ses employés lui avait fait part d’inquiétudes graves concernant sa santé qui lui avaient fait perdre sa capacité de discernement lorsqu’il avait officié comme juré de dépouillement le 2 avril 2023, ce qui l’avait conduit à commettre de nombreuses erreurs. Le recourant lui avait certifié qu’il n’avait en aucun cas voulu porter préjudice aux intérêts de l’État et s’était excusé. Par retour de courriel du même jour, le DEE lui avait dès lors confirmé qu’il n’était pas dans ses intentions d’ouvrir une procédure disciplinaire à l’encontre du recourant.

Sur la base de ces éléments, il appert que la détermination du DEE du 1er septembre 2023 se basait uniquement sur les dires – lacunaires – du recourant. Le DEE n’était en particulier pas informé du caractère intentionnel de ses agissements, ni du fait qu’il avait majoritairement avantagé les partis de gauche, prétéritant ainsi les candidats de droite. Ces points n’ont été découverts par le DEE qu’à la lecture de l’ordonnance pénale du 9 janvier 2024 et des éléments ressortant du dossier pénal transmis à l’B______, le 22 janvier 2024. Ainsi, le recourant ne saurait se prévaloir d’une déclaration faite par sa hiérarchie sur la base de faits incomplets. En l’absence de promesse effective des autorités, dans une situation concrète tenant compte de l’ensemble des éléments en présence, le principe de la bonne foi n’a pas été violé.

Le recours doit partant être rejeté, sans qu’il y ait lieu d’examiner les conclusions du recourant tendant à l’octroi d’une indemnité.

7.             Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité ne sera allouée au département, qui dispose de son propre service juridique (art. 87 al. 2 LPA).

Compte tenu des conclusions du recours, la valeur litigieuse est supérieure à CHF 15'000.- (art. 112 al. 1 let. d de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 mai 2024 par A______ contre la décision du département de l'économie et de l'emploi du 25 mars 2024 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 1’000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christian BRUCHEZ, avocat du recourant, ainsi qu'au département de l'économie et de l'emploi.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. MAZZA

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :