Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1346/2015

ATA/892/2016 du 25.10.2016 ( FPUBL ) , REJETE

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE ; RAPPORTS DE SERVICE ; FONCTIONNAIRE ; RÉSILIATION ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : aLIP.129A; RStCE.64.al2; aLIP.120.al1; RStCE.20; RStCE.21.al1; LPAC.22; LPAC.21.al3; RStCE.64; LPAC.31.al2
Résumé : Confirmation du licenciement ordinaire d'un enseignant nommé. Pas d'abus du pouvoir d'appréciation du département en considérant la lecture du texte litigieux aux élèves et l'attitude y relative comme étant des motifs fondés conduisant au licenciement ordinaire de l'enseignant en raison d'un manquement similaire de ce dernier survenu deux ans auparavant et ayant donné lieu à une sanction assortie d'un avertissement. Rejet du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1346/2015-FPUBL ATA/892/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 octobre 2016

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Stéphanie Hüsler et Me Stefano Fabbro, avocats

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA CULTURE ET DU SPORT

 



EN FAIT

1) Engagé dès le 1er septembre 2003 par le département de l’instruction publique, de la culture et du sport (ci-après : le département), et titulaire du certificat d’aptitude à l’enseignement secondaire depuis le 30 juin 2008, Monsieur A______, né en 1962 (ci-après aussi : l'enseignant), a été nommé, le 1er septembre 2009, en qualité de maître d’enseignement général pour la discipline de la musique dans l’enseignement secondaire, sur proposition de Monsieur B______, directeur du collège et école de commerce (ci-après : CEC) C______ jusqu’à fin 2013. M. A______ a exercé son activité dans cet établissement, ainsi qu'au collège D______.

M. A______ avait auparavant obtenu un premier prix de virtuosité de hautbois du Conservatoire de Genève. Il a dirigé plusieurs orchestres et formations musicales, dont l'orchestre universitaire de Genève à partir de 1996, ainsi que plusieurs festivals de musique.

2) Suite aux courriers d’une élève mineure, représentée par une avocate, de décembre 2010 dénonçant le comportement inapproprié de M. A______ à l’égard d’une élève du CEC C______ depuis le mois d’août 2010, une enquête administrative a été ouverte à son encontre par arrêté du Conseil d’État du 19 janvier 2011.

Selon le rapport d’enquête rendu le 1er avril 2011, l’enseignant s’était écarté des moyens de communication qui devaient prévaloir pour s’adresser à l’élève et pour la rencontrer ; il en avait conscience puisqu’il lui avait demandé de rester discrète, en particulier s’agissant de leurs rencontres en dehors des bâtiments scolaires. Il avait, le 15 novembre 2010, reçu l’élève seule à seul à son domicile privé, durant près de quatre heures, dans un cadre intime, pour un repas, une explication de texte dont le lien avec la teneur du cours de musique n’était pas véritablement démontré, ainsi que pour une séance de massage corporel, étant précisé que, selon les dires de l’élève et en l’absence de témoins, ce massage n’avait pas eu le caractère d’attouchements sexuels, l’enseignant soutenant par ailleurs avoir poursuivi un objectif thérapeutique. Les délégations de compétence dont se prévalait l’enseignant de la part des assistantes sociales n’existaient pas, même s’il lui était arrivé de jouer parfois le rôle d’intermédiaire entre ces collaboratrices et les élèves. Il n’avait jamais obtenu l’aval de sa hiérarchie pour mettre sur pied un appui à l’élève, même si une discussion du 8 novembre 2010 avait éventuellement pu engendrer un malentendu. La situation scolaire et familiale de l’élève était très difficile, ce qui avait été décrit dans un courrier du 6 septembre 2010 du doyen remis à tous les enseignants, dont M. A______ affirmait ne pas avoir eu connaissance sans que l’enquête n’ait démontré le contraire.

Le 21 novembre 2011, sur demande du Conseil d’État du 27 juillet 2011 et après clôture de l’enquête administrative, le conseiller d’État alors en charge du département a prononcé, à l’encontre de M. A______, une sanction disciplinaire, sous la forme d’une réduction de son traitement de quatre annuités dès le 1er décembre 2011 pour les faits susmentionnés, le comportement de l’enseignant ayant eu des répercussions importantes sur l’élève. L’attention de l’intéressé était alors attirée sur le fait que, pour le cas où de tels agissements se reproduiraient, une sanction disciplinaire plus sévère s’imposerait. L’enseignant était également informé du fait qu’il était demandé à la direction de son établissement scolaire, agissant d’entente avec la direction générale de l’enseignement post-obligatoire (ci-après : DGPO), d’assurer un suivi de ses prestations afin que le département ait la garantie qu’un tel comportement ne se renouvelle plus.

3) M. A______ a été éloigné du CEC C______ pour éviter tout contact avec l’élève, le temps de la scolarité de celle-ci au sein de cette institution.

Pendant l’année scolaire 2012-2013, il a enseigné dans une classe de 2ème année en discipline fondamentale (ci-après : DF) et dans une classe de 3ème année en option spécifique (ci-après : OS) musique au collège D______, mais est resté administrativement rattaché à la direction du CEC C______.

4) Le 24 janvier 2013, M. A______ a lu aux élèves de sa classe de 3ème année OS, un texte, qu’il avait rédigé et intitulé « Réflexions pour une stratégie momentanée d’enseignement adaptée aux 3e OS, volée 12-13 ». Il le leur a remis à la fin du cours. Ce texte a fait vivement réagir les élèves.

Le texte commençait par le constat suivant : « Les notes obtenues par cette classe sont affligeantes, 9 sur 12, soit 75 % des élèves n’ont pas leur moyenne à la fin du premier semestre ». L’enseignant détaillait ce constat et le comparait aux résultats obtenus dans sa classe de 2ème DF. Il poursuivait en se plaignant de leur manque d’engagement, de leur mollesse et leur incapacité à étudier, en s’adressant à ses élèves en ces termes : « cette situation de détresse intellectuelle et morale », « le motif caché d’un petit calcul de l’effort minimum », « la position confortable du spectateur de la vie qui ne comprend rien mais qui est content de voir les événements se dérouler devant lui, se croyant au centre », « dans cette position intérieure assise, avachis en regardant vos pieds, vous n’avez pas de visibilité, vous touchez le sol de vos quatre membres », « ce que je vois dans vos regards ( ) une brume qui masque l’opaque qui s’étale devant vous, l’ignorance », « vous êtes incapables » et « vous avez la plus grande peine à comprendre ».

Le texte se terminait par des questions comme par exemple : « Pour une classe détendue, c’est-à-dire, sans tension vers un but, sans exigence individuelle envers soi-même, que doit produire un enseignant ? ». L’intéressé concluait qu’il « cess[erait] de jeter [ses] perles à la face des cochons (N.T. Mat. 7.6) et [qu’il proposer[ait] [à ses élèves] pour un temps une petite traversée du désert. Une platitude du maître face à la platitude des élèves pourrait être une expérience utile pour tous. Transmettre durant quelques cours un savoir factuel, objectivant et non impliquant, banal dans ses données, facile dans son accès, avec à son terme une évaluation de type QCM », qualifiant ce type d’approche de « humiliante » pour lui et réclamant finalement « des élèves vivants, entièrement debout en eux, présents à l’instant qui point, en appétit de connaissances, en désir de partage, sincères dans leurs yeux comme dans leur cœur et le monde de demain sera changé ! ».

5) Le même soir, l’intéressé a informé, par courriel, la directrice du collège D______, Madame E______, de la lecture et remise du texte susmentionné qu’il définissait comme un « coup de gueule » en raison des mauvais résultats, du « laisser-aller » et de la « mollesse » de la classe. Il lui demandait, « en cas de réaction des élèves ou des parents auprès de la direction, de suivre la procédure hiérarchique normale dont [ils avaient] parlé à l’issue de la précédente situation de tension avec des élèves, c’est-à-dire que les élèves cherchent d’abord à régler le problème avec le professeur, que le doyen vient en renfort ou en orateur, et que [la directrice est] le recours ultime ».

6) Mme E______ a répondu à l’intéressé comprendre sa déception et sa démarche globale, mais être « très peu favorable à ce type de grand "discours moral" », et être gênée par plusieurs expressions, comme l’usage de l’adjectif « moral » et des termes « redressement » ou « élévation de l’élève ». Gênée par la solution qu’il proposait, elle lui demandait ce qu’étaient pour lui des « cours conventionnels et sentimentaux » et l’invitait à en parler de vive voix.

7) Le 2 février 2013, M. A______ a transmis à Mme E______ une lettre qu’il qualifiait de « lettre d’excuses » afin d’apaiser la situation ; ce courrier a été distribué aux élèves et parents de la classe concernée.

Dans cette lettre, l’intéressé énonçait les raisons de son action du 24 janvier 2013, liées aux notes et à la passivité des élèves, l’approche qu’il avait suivie pendant le premier semestre et la visée pédagogique du texte lu en classe (à savoir « faire prendre conscience aux élèves qu’ils étaient dans une situation insatisfaisante »). Il expliquait enfin que son enseignement visait « à rendre apte les élèves à formuler un jugement personnel à propos des réalisations artistiques auxquelles ils étaient confrontés » et que pour atteindre ce but, il était « indispensable que chacun assume ses responsabilités : assister aux cours impliqu[ait] d’y participer en s’engageant dans les propositions d’apprentissage et en intégrant les cours au fur et à mesure ». Il concluait sa lettre en invitant « chacun des élèves à visiter ses motivations pour ce cours d’Histoire de la musique et de le reprendre dès cette semaine dans une dynamique nouvelle et apaisée ».

8) Le 4 février 2013, Mme E______ a organisé une réunion avec les élèves et leurs parents, hors la présence de M. A______.

9) Le 21 février 2013, une séance de conciliation a réuni l’intéressé, les élèves, Mme E______ et Monsieur F______, doyen de musique au CEC C______ depuis 2007, sans aboutir à un apaisement de la situation.

10) M. A______ a écrit une lettre d’excuses, soumise à Mme E______, qu’il souhaitait adresser aux parents de sa classe de 3ème OS. Dans ce second courrier, il exprimait ses regrets et reconnaissait le caractère inapproprié de son intervention tant au niveau de la forme que des mots employés. Il était prêt à revisiter sa démarche pédagogique et à faire le nécessaire pour faire progresser les élèves et améliorer leurs résultats du deuxième semestre. Il comptait néanmoins « sur [le] concours [des parents] pour encourager [leurs] enfants à se remettre au travail dans un climat de confiance que, de [son] côté, [il] fe[rait] tout pour rétablir ».

11) Le 24 février 2013, plusieurs parents, à la suite d’une rencontre entre eux, ont demandé à Monsieur G______, directeur adjoint du service des ressources humaines (ci-après : RH) de la DGPO, d’intervenir afin que leurs enfants puissent continuer à suivre l’enseignement de l’histoire de la musique, dont huit heures de cours avaient déjà été annulées suite à l’événement du 24 janvier 2013.

Cet incident, qualifié d'« humiliation » par les parents, avait définitivement rompu le lien pédagogique entre les élèves et M. A______. Les « propos blessants et diffamatoires » de ce dernier avaient « durablement fragilisé, tant émotionnellement que psychologiquement » tous les élèves, de sorte qu’il était « en toute logique impossible d’envisager que [leur] enfant puisse reprendre le suivi des cours de cet enseignant ». Ils estimaient en outre « inconcevable » qu’une « évaluation objective des élèves par [M. A______] puisse être réalisée ».

12) Le 25 février 2013, M. G______ a adressé un courrier à M. A______. Face à la tension manifestée par les parents des élèves et par ceux-ci à son encontre, il l’invitait à ne pas reprendre son cours dans ce groupe jusqu’à nouvel avis et à fournir à Mme E______ le contenu de son programme d’enseignement pour sa classe de 3ème OS prévu jusqu’aux vacances de Pâques. Un remplacement allait être organisé. Il lui demandait également de ne pas envoyer la lettre d’excuses. Vu la gravité des faits qui lui étaient reprochés, il l’informait qu’une procédure administrative serait enclenchée à son encontre et qu’il serait prochainement convoqué à un entretien de service pour être entendu.

13) Le 4 mars 2013, une seconde réunion avec les parents et quelques élèves a eu lieu en présence de Mme E______ et de M. G______.

14) Plusieurs lettres de doléances au sujet de l’enseignement de M. A______ ont ensuite été envoyées à sa hiérarchie ; elles émanaient de parents et d’élèves de la classe concernée par l’événement du 24 janvier 2013.

15) Invité par courrier du 5 mars 2013, l’intéressé, accompagné de Monsieur H______, membre de l’Association professionnelle des enseignants de l’enseignement secondaire (ci-après : l’association professionnelle), a été reçu, le 13 mars 2013, par Mme E______ et M. B______ pour faire le point sur la situation suite aux mesures prises par la DGPO.

16) Par courrier du 20 mars 2013, remis le lendemain en mains propres, M. B______ a convoqué M. A______ à un entretien de service pour une date reportée, par lettre du 26 mars 2013, au 23 avril 2013, auquel seraient également présents Mme E______, M. G______ et une tierce personne chargée de la prise du procès-verbal.

Outre le texte lu et remis le 24 janvier 2013 qui contrevenait aux règles élémentaires de pédagogie et comportait des éléments pouvant porter atteinte à la personnalité de ses élèves, des problèmes relatifs à son enseignement et à sa relation avec les élèves avaient été relevés au cours des réunions des 4 février et 4 mars 2013. Il s’agissait principalement des éléments suivants : 1) non-respect du programme, 2) manque de clarté dans ses attentes ; 3) aucune remise en question dans une situation (passivité des élèves) qui devrait en susciter de sa part ; 4) difficulté des élèves à entrer en communication avec lui ; 5) manque de respect de sa part à l’égard de ses élèves ; 6) côté flou et « pseudo-philosophique » de ses cours ; 7) champ des travaux notés peu clair ; 8) par rapport au texte communiqué aux élèves le 24 janvier 2013, contenu déplacé et blessant ; 9) changement d’appellation de son cours. Sur ce dernier point, son attention était attirée sur le fait qu’il n’existait pas de discipline intitulée « Cours d’Art-Musique », mention figurant sur ses documents, seule l’histoire de la musique étant la discipline officielle. Les éléments précités avaient été confirmés et développés par de nombreux témoignages d’élèves et de parents ; ils étaient susceptibles de constituer une violation des mêmes normes dont le non-respect avait conduit à la sanction administrative du 21 novembre 2011. L’intéressé était invité à apporter son éclairage par rapport à cette situation, qui était susceptible de conduire à la résiliation des rapports de service pour motifs fondés.

17) Le 23 avril 2013, a eu lieu l’entretien de service en présence de M. A______, accompagné par M. H______, de Mme E______ et de MM. B______ et G______. Après avoir entendu sur chacun des griefs l’intéressé qui s’est également exprimé par écrit, la hiérarchie l’a informé que la résiliation des rapports de service pour motif fondé était envisagée.

18) Le 14 mai 2013, l’intéressé, sous la plume de M. H______, a transmis à M. B______ ses observations au sujet du procès-verbal de l’entretien du 23 avril 2013.

19) Le 16 mai 2013, l’association professionnelle s’est plainte de la manière de gérer l’incident du 24 janvier 2013 par l’ensemble de la hiérarchie de l’intéressé, auprès du conseiller d’État alors en charge du département, qui lui a répondu le 21 août 2013.

20) Par courrier du 22 août 2013 adressé à M. H______, M. G______ a répondu aux critiques émises dans les observations du 14 mai 2013.

Les faits étaient clairement établis. Le texte lu le 24 janvier 2013 était parfaitement inapproprié et ne correspondait pas à ce qui était attendu d’un enseignant dans son rôle de pédagogue consistant à favoriser la progression des élèves. Le changement d’appellation du cours cachait une chose bien plus grave, à savoir une volonté de la part de l’intéressé d’exercer une influence inappropriée sur de jeunes élèves, comme cela ressortait des témoignages. Les documents remis par l’intéressé montraient que les messages passés étaient inadéquats dans la mesure où ils portaient en eux, de l’avis de la hiérarchie, un effet déstabilisateur pouvant générer des effets psychologiques néfastes sur les élèves, voire les mettre psychologiquement en danger. Étaient mises en causes les formes de relations que l’intéressé entretenait avec ses élèves ainsi que sa manière d’aborder le cours d’histoire de la musique avec eux, les témoignages des élèves étant convergents. Ce qui était qualifié de « dérapage ponctuel » par le représentant de l’enseignant, revêtait, pour le département, une forme de gravité importante, dans la mesure où il s’inscrivait dans le contexte plus général d’une personne déjà sanctionnée pour des faits qui s’étaient déroulés deux ans auparavant, dans un contexte semblable et qui avaient conduit à une sanction grave. La lecture des documents remis par l’intéressé et figurant à l’annexe 3 de la convocation à l’entretien de service avait amené la hiérarchie à utiliser le terme « pseudo-philosophique » pour qualifier les cours de l’enseignant. En outre, le texte précité était blessant et insultant pour les élèves et leurs parents ; il montrait que l’intéressé n’avait pas pris la mesure de la sanction infligée en 2011 et qu’il renouvelait, sous une autre forme, une attitude inacceptable à l’égard des élèves dont il avait la responsabilité. À ce titre, M. A______ mettait considérablement à mal la confiance que la direction générale et les directions d’établissements scolaires devaient pouvoir placer dans leurs collaborateurs.

21) Par pli recommandé du 3 octobre 2013, M. B______ a informé M. A______ de l’ouverture de la procédure de reclassement. À l’issue de l’instruction de son dossier, les faits reprochés étaient avérés et les éléments constitutifs d’un motif fondé de résiliation des rapports de service étaient réalisés.

Cette décision a été contestée par recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), qui l’a déclaré irrecevable par arrêt du 17 décembre 2013 (ATA/825/2013).

22) L’intéressé a été en incapacité de travail d’octobre 2013 à avril 2015, à des degrés variables.

23) La procédure de reclassement s’est déroulée de janvier à décembre 2014. Elle s’est ouverte par une séance entre l’intéressé et le département le 27 janvier 2014. Après un préavis positif du 9 juillet 2014 du médecin du travail du service de santé du personnel de l’État, l’enseignant a été invité à un entretien le 22 juillet 2014 avec sa hiérarchie pour faire le point sur la situation, auquel seule son avocate s’est présentée. Celle-ci a alors reçu le cahier des charges pour un poste de commis administratif au centre de formation professionnelle nature et environnement à Lullier, offre d’emploi refusée par l’intéressé le 11 août 2014. Celui-ci a été convoqué à un entretien pour le 24 novembre 2014 afin de lui présenter le poste précité ; il ne s’y est pas rendu. L’entretien s’est alors effectué sous forme écrite, par courrier du département du 5 décembre 2014. L’intéressé a refusé ledit poste par lettre du 7 janvier 2015, celui-ci ne correspondant pas à ses compétences.

24) Par décision du 6 mars 2015, déclarée exécutoire nonobstant recours, le conseiller d’État suppléant du département a résilié les rapports de service de M. A______ pour motif fondé avec effet au 30 juin 2015, précisant qu’il était, dans l’intérêt de ses élèves, libéré de son obligation d’enseigner dès réception de la décision pour le cas où il retrouverait une capacité de travail. La poursuite des rapports de service avec l’intéressé n’était plus compatible avec le bon fonctionnement de l’administration scolaire. Plusieurs manquements étaient reprochés à l’enseignant, notamment sa persistance à manquer de respect à l’égard des élèves, son inaptitude à exercer la mission d’éducation incombant à tout enseignant telle que définie aux art. 1 et 7 de l’ancien règlement de l'enseignement secondaire du 14 octobre 1998 (ci-après : aRES), et son incapacité à se remettre en cause en tant qu’enseignant, qualité essentielle de ce métier.

Le contenu du cours de l’enseignant était critiqué. Au-delà du changement, par l’intéressé, de sa dénomination, le cours ne favorisait pas le développement d’un savoir culturel dans le domaine musical, mais était conçu sous forme de « Vérité » conduisant les élèves à entrer dans une pensée très figée et binaire qui n’avait rien à voir avec un cours d’histoire de musique. Un ensemble de témoignages mettait en lumière une volonté de l’enseignant d’imposer ses propres règles de pensées, en dehors de tout aspect pédagogique, contrairement aux plans d’étude favorables à l’interdisciplinarité. Les supports de cours remis par l’enseignant comportaient des messages inadéquats tendant à l’endoctrinement et ayant pour effet de fortement déstabiliser les élèves.

Les capacités pédagogiques de l’intéressé étaient remises en cause. D’une part, les attentes de l’enseignant et la construction de ses cours n’étaient pas claires, ce qui était la cause de la passivité des élèves que lui-même leur reprochait. D’autre part, plusieurs éléments, dont le ton du texte diffusé en janvier 2013 et le document « Agenda de bord » dans lequel l’intéressé consignait le déroulement de ses séquences pédagogiques, démontraient son incapacité à se remettre en cause en tant qu’enseignant. À cela s’ajoutaient des témoignages convergents d’élèves qui le décrivaient comme un enseignant difficile d’accès, ne supportant ni discussion ni critique et toujours prêt à asséner des vérités toutes faites.

Le texte distribué en janvier 2013, dont l’intéressé reconnaissait la « maladresse », était un document blessant et insultant pour les élèves et leurs parents. Il était contraire aux devoirs élémentaires de tout enseignant nommé, ce qui constituait une faute professionnelle très grave et mettait à mal la confiance du département envers son collaborateur, ce d’autant plus que l’intéressé avait déjà été sanctionné en 2011 pour manque de respect vis-à-vis des élèves et que son attention avait alors été attirée sur ses problèmes de communication avec les élèves et sur les conséquences qu’ils pouvaient avoir sur eux. Par ailleurs, la diffusion du texte en janvier 2013 avait requis de la direction générale de l’enseignement secondaire II postobligatoire (ci-après : DGES II) et de la direction de l’établissement scolaire concerné, de nombreuses démarches, notamment des réunions avec les parents et les élèves, afin de rétablir une situation très préoccupante qui mettait en péril la bonne marche d’un établissement secondaire et la renommée du département.

25) Par acte posté le 22 avril 2015, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre cette décision, concluant principalement à l'annulation de celle-ci, à son maintien et à sa réintégration dans ses fonctions d’enseignant, ainsi qu’à l’exemption de toute sanction. Subsidiairement, il a conclu à l’octroi d’une indemnité équivalant à vingt-quatre mois de traitement. À titre préalable, il a sollicité, dans son chargé de pièces, la production des dossiers le concernant existant au département, au CEC C______ et au collège D______, la production par celui-ci des résultats obtenus par les élèves de toutes ses classes pendant l’année scolaire 2012-2013, ainsi que l’audition de cinq témoins.

Il reprochait au département d’avoir procédé à un établissement inexact et incomplet des faits à l’origine des griefs portant sur le contenu de son cours et sur le manque de respect envers les élèves. L’autorité intimée avait uniquement retenu les éléments de preuves présentés par M. B______ ; elle avait écarté systématiquement et sans explications ceux qu’il avait apportés et refusé d’instruire certains moyens de preuve qu’il avait proposés, notamment lors de l’entretien de service du 23 avril 2013. Le département avait ainsi également violé son droit d’être entendu, faute de motivation de la décision litigieuse sur le refus de prendre en compte ses offres de preuves. L’administration des preuves devait être reprise en tenant compte des éléments qu’il apportait.

Le contenu de ses cours, notamment l’examen semestriel de décembre 2012, avait été soumis au doyen sans susciter de commentaires de la part de celui-ci. La dénomination qu’il avait donnée à son cours résultait d’une ordonnance fédérale. Seul l’avis des élèves de la classe de 3ème OS concernée par la lecture du 24 janvier 2013 avait été demandé, à l’exclusion de celui des autres élèves de l’intéressé. Les élèves de la classe de 3ème OS avaient en outre été interpellés au sujet des compétences pédagogiques de l’intéressé, alors que M. G______ lui avait répété, à plusieurs reprises, lors de l’entretien de service du 23 avril 2013, que ce dernier portait uniquement sur la lecture du texte du 24 janvier 2013 et non sur ses compétences pédagogiques et professionnelles. Par ailleurs, il ne comprenait pas pour quelles raisons sa version des faits, l’avis de ses élèves autres que ceux de la classe concernée, ainsi que la position d’autres enseignants rencontrant des difficultés avec cette classe-ci, notamment l’enseignant ayant repris le cours suite à l’événement du 24 janvier 2013, n’avaient pas été pris en compte. Il ne comprenait pas non plus pour quels motifs le département accordait davantage de crédit aux dires des élèves de la classe de 3ème OS, ce d’autant moins qu’il enseignait un programme proche dans une autre classe du même établissement scolaire et qu’il avait recueilli des témoignages d’anciens élèves et de leurs parents qui avaient un regard positif sur son enseignement différant de celui de la classe de 3ème OS. La lecture du 24 janvier 2013 était une erreur qu’il avait reconnue dès le début, attitude qui montrait sa capacité à se remettre en cause. Il ne comprenait pas les reproches du département au sujet de sa première lettre alors que celle-ci avait été soumise à la directrice de l’établissement scolaire qui l’avait diffusée sans échange préalable avec lui. Il n’avait pas pu s’expliquer directement auprès des parents de la classe concernée. L’attitude des élèves de cette classe et les difficultés qu’il rencontrait avec celle-ci n’avaient pas été prises en compte par le département qui n’avait pas instruit cette question auprès des élèves ni des autres enseignants de ladite classe.

La sanction était disproportionnée par rapport à la faute commise et n’était qu’une conséquence des irrégularités de la procédure survenues depuis la lecture du texte le 24 janvier 2013. Il s’estimait en outre « traqué » par M. B______ depuis 2010 pour le sanctionner au moindre écart, suite à des difficultés avec des élèves qu’il lui avait signalées lors de l’organisation d’un projet avec le chœur des collèges C______ et D______ dont il assurait la direction, qui avait été rendu obligatoire pour un groupe déterminé d’élèves par la direction de l’établissement scolaire. Il reprochait au département de ne pas lui avoir apporté de soutien en favorisant le dialogue entre élèves et enseignant, face à une classe récalcitrante, et de le mettre à l’écart en instaurant un rapport d’opposition à lui. Il estimait avoir déjà manqué de soutien de la part de M. B______ lors de l’épisode susmentionné lié au projet du chœur. Il illustrait l’attitude défavorable de ce dernier à son égard par la convocation à un entretien de service en 2010 en raison de l’absence de procès-verbaux lors des réunions du groupe de musique formé par l’intéressé et un second enseignant, qui n’avait finalement pas conduit à une sanction de l’intéressé.

26) Le 11 juin 2015, le département a conclu au rejet du recours.

27) Le 17 juillet 2015, le recourant a persisté à demander l’audition de quatre témoins, à savoir M. H______, M. F______, Monsieur I______, doyen de musique au collège D______ de 1997 à 2013, et Monsieur J______, enseignant de musique au collège D______ et au CEC C______. Il a renoncé à celle de Monsieur K______, enseignant de musique au CEC C______.

28) Le 3 septembre 2015, le département a sollicité l’audition de M. K______, de Monsieur L______, doyen de musique au collège D______ depuis 2013, et de M. B______.

Il a également produit un courrier du 9 juin 2015, adressé par le groupe de musique du collège D______ à la conseillère d’État du département. Ledit groupe doutait des capacités de travail en équipe d’un tiers qu’il était prévu d’intégrer comme enseignant de musique dans ledit collège, alors qu’elles étaient indispensables à l’enseignement de cette discipline. Le risque était que « toute l’option artistique [ne soit] ébranlée », ce que le groupe avait pu constater « aux dépens de plusieurs volées d’élèves, à [leurs] dépens aussi, durant la période où M. A______ a[vait] enseigné dans [leur] établissement. Combien de plaintes de parents et d’élèves, combien de conflits, combien de procédures n’auront pas émaillé, à tort ou à raison, le passé récent de l’OS-Musique de D______, pour un seul maître faisant, à contre-courant, cavalier seul ? ». Ce courrier était signé par cinq personnes, parmi lesquelles figuraient MM. J______ et L______.

29) Le juge délégué a entendu, en présence des parties, MM. K______, L______ et B______ le 14 octobre 2015, ainsi que MM. H______, F______, I______ et J______ le 28 octobre 2015.

Leurs déclarations seront reprises en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

30) Le 4 novembre 2015, une audience de comparution personnelle des parties a eu lieu.

Par la lecture du texte en classe, le recourant cherchait à « provoquer un sursaut d’orgueil chez les élèves ». Il avait tout de suite remarqué que tel n’avait pas été le cas et qu’ils avaient été blessés ; ils avaient réagi très fortement. Lors de l’entretien de service du 23 avril 2013, il s’était retrouvé dans une situation impossible ; s’il parlait de tout ce qu’il avait fait pour motiver la classe de 3ème OS, il se voyait répondre que ses compétences n’étaient pas en cause et s’il parlait de ses autres classes où il n’y avait pas de problème, il s’entendait dire que l’entretien ne visait pas ces autres classes. Par rapport à la sanction de 2011, il avait modifié son comportement, d’une part, en vouvoyant les élèves pour amener plus de distance et, d’autre part, en adressant auprès du personnel social de l’établissement l’élève qu’il voyait en difficulté personnelle, sans chercher à comprendre sa situation. Il n’avait pas retrouvé d’emploi, malgré ses recherches dans les domaines de l’enseignement, de la musique et de la recherche. Il n’avait pas eu le sentiment d’être écouté avant les audiences devant la chambre de céans.

31) Par écritures des 10 et 11 décembre 2015, le département et le recourant ont respectivement maintenu leur position.

32) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 65 al. 1 du règlement fixant le statut des membres du corps enseignant primaire, secondaire et tertiaire B du 12 juin 2002 - RStCE - B 5 10.04 ; art. 141 de la loi sur l’instruction publique du 17 septembre 2015 - LIP - C 1 10 ; art. 129A de l’ancienne loi sur l’instruction publique du 6 novembre 1940 - aLIP ; art. 62 al. 1 let. a et art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) En ce qui concerne la conclusion tendant à la production des résultats obtenus par les élèves de toutes les classes confiées au recourant en 2012-2013, prise dans le chargé de pièces accompagnant son acte de recours, elle n’a pas été renouvelée par le recourant devant la chambre de céans, notamment dans ses observations finales du 11 décembre 2015. La chambre administrative renonce ainsi à procéder à cette mesure d’instruction, étant au surplus précisé que, conformément à la jurisprudence relative à l’appréciation anticipée des preuves (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 et la jurisprudence citée), elle n’est pas de nature à influencer le sort du litige pour les raisons développées ci-dessous.

3) Le recourant invoque un établissement inexact et incomplet des faits ayant conduit aux reproches relatifs au contenu de son cours et au manque de respect vis-à-vis des élèves. Dans ce cadre, il se plaint aussi d’une violation de son droit d’être entendu sous deux angles : d’une part, le refus du département de donner suite à ses offres de preuve sur des faits, à ses yeux, pertinents et, d’autre part, l’absence de motivation dudit refus dans la décision litigieuse.

a. S’agissant du grief portant sur l’établissement des faits, l’instruction de la présente procédure devant la chambre administrative a permis aux parties d’exposer leurs points de vue respectifs et de proposer les offres de preuve qu’elles jugeaient nécessaires à la résolution du présent litige. Dans la mesure où le département a produit le dossier concernant le recourant et que l’audition des témoins sollicitée par les parties a eu lieu, sans que celles-ci ne requièrent d’autres mesures d’instruction dans leurs observations finales, il y a lieu de retenir que les parties considèrent qu’à ce stade, les faits ont été instruits de manière correcte et complète, de sorte que ce grief peut être écarté.

b. Quant à la violation du droit d’être entendu sous l’angle de l’administration des preuves, le recourant critique en réalité l’appréciation des preuves effectuée par le département, et plus particulièrement l’importance que ce dernier accorde à certains éléments du dossier par rapport à d’autres. D’une part, le fait de ne pas partager la lecture des faits et des pièces du dossier faite par l’autorité intimée ne relève pas d’une éventuelle violation du droit d’être entendu, mais du fond, de sorte que cette question sera examinée ci-dessous. D’autre part, conformément à la jurisprudence susmentionnée relative à l’appréciation anticipée des preuves, le département peut renoncer à des offres de preuves s’il estime – sans arbitraire –qu’elles ne l’amèneront pas à modifier son opinion sur la décision à prendre. En expliquant au recourant, notamment lors de l’entretien du 23 avril 2013, que les griefs portent essentiellement sur son enseignement dans la classe de 3ème OS en 2012-2013 et sur son attitude vis-à-vis de ce groupe d’élèves, le département a considéré inutile d’entreprendre d’autres mesures d’instruction, notamment l’audition des élèves et des parents d’une autre classe, celles-ci n’étant pas, d’après lui, susceptibles de modifier sa décision. Au surplus, aucune mesure d’instruction complémentaire n’a été, au vu des pièces du dossier, sollicitée par le recourant, ni lors de l’entretien du 23 avril 2013, ni dans les observations subséquentes du 14 mai 2013, le témoignage de M. H______ devant la chambre administrative ne démontrant pas le contraire. Le droit d’être entendu, sous le volet lié à l’administration des preuves, n’a donc, en l’espèce, pas été violé par le département.

c. Quant à la violation du droit d’être entendu sous l’angle de la motivation de la décision, elle se recoupe, en partie, avec la violation précitée de ce droit invoqué par le recourant qui se plaint en substance de ne pas avoir compris les raisons du refus de procéder aux offres de preuve qu’il a présentées au département pendant la procédure non contentieuse. Conformément à l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et à la jurisprudence y relative (arrêt du Tribunal fédéral 8C_577/2014 du 8 octobre 2015 consid. 4.1 et 6.2 et les références citées), la décision querellée contient, de manière claire et détaillée, les raisons et les faits pour lesquels le département a décidé de licencier l’intéressé, de sorte que ce dernier a pu en comprendre la portée et la contester de manière efficace. Dès lors, l’obligation de motiver découlant de cette garantie constitutionnelle a été in casu respectée par le département.

4) Dans son argumentation relative aux griefs susmentionnés, le recourant conteste en substance l’existence de motifs fondés susceptibles de conduire au licenciement prononcé à son encontre dans la décision litigieuse. Il invoque également une violation du principe de proportionnalité.

a. Enseignant du degré secondaire, le recourant est soumis aux dispositions de la LIP et du RStCE. Dans la mesure où la décision litigieuse a été rendue avant l’entrée en vigueur de la LIP le 1er janvier 2016, l’aLIP dans sa teneur au moment de la décision litigieuse, est applicable, dès lors qu'en l'absence de disposition transitoire spécifique (cf. art. 150 LIP), c'est le droit matériel en vigueur lors des faits ayant entraîné les conséquences juridiques contestées qui doit se voir appliquer (arrêt du Tribunal fédéral 2C_195/2016 du 26 septembre 2016 consid. 2.2.2 et les références citées), étant précisé que l'application du nouveau droit (art. 141 LIP) ne modifierait pas l'issue du litige.

b. Selon l’art. 129A al. 1 aLIP, le Conseil d'État peut, pour motif fondé, résilier les rapports de service d'un fonctionnaire. Il peut déléguer cette compétence au conseiller d'État chargé du département agissant d'entente avec l'office du personnel de l'État. La décision est motivée. Cette délégation est contenue à l’art. 64 al. 1 RStCE en faveur du conseiller d’État chargé du département. Conformément à l’art. 129A al. 3 aLIP (art. 64 al. 2 RStCE), il y a motif fondé lorsque la continuation des rapports de service n'est plus compatible avec le bon fonctionnement de l'administration scolaire, soit notamment en raison de l'insuffisance des prestations (let. a), l'inaptitude à remplir les exigences du poste (let. b), ou la disparition durable d'un motif d'engagement (let. c). L’al. 4 de cette disposition prévoit que le délai de résiliation est de trois mois pour la fin d'un mois (art. 64 al. 3 RStCE).

La notion de motif fondé prévue à l’art. 129A al. 3 aLIP, correspond à celle de l’art. 22 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05), législation qui n’est pas applicable aux enseignants soumis à une réglementation spécifique. Cependant, la résiliation pour motif fondé est, en droit genevois de la fonction publique, régie par des règles similaires (art. 129A aLIP, ; art. 21 al. 3 LPAC), conformément à la volonté du législateur résultant des travaux préparatoires relatifs au projet de loi (ci-après : PL) 9904 modifiant la LPAC (Mémorial du Grand Conseil [ci-après : MGC] 2005-2006 XI/2 p. 10400 ss, p. 10430 et 10441 s ; MGC 2006-2007 VI p. 2277 et p. 4511 ss, p. 4512 et 4532).

c. Les membres du corps enseignant doivent observer dans leur attitude la dignité qui correspond aux responsabilités leur incombant (art. 120 al. 1 aLIP ; art. 20 RStCE). Ils se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (art. 21 al. 1 RStCE). La mission du maître est, jusqu’au 29 août 2016, décrite à l’art. 7 aRES, abrogé par le règlement de l’enseignement secondaire II et tertiaire B du 29 juin 2016 (REST - C 1 10.31) qui est alors entré en vigueur. Le maître de l’enseignement secondaire est tenu de suivre les programmes d’études et de se conformer aux instructions pédagogiques et administratives qu’il reçoit de la direction de l’école, ainsi qu’à son cahier des charges (art. 7 al. 3 aRES, dont le contenu est similaire au nouvel art. 13 al. 1 REST).

Dans l’exposé des motifs relatifs à la modification de l’aLIP découlant du PL 9904 (MGC 2005-2006 XI/2 p. 10431), il « est rappelé que les devoirs de service du corps enseignant sont en règle générale de même contenu que ceux prévus pour les membres du personnel régis par la LPAC, par exemple : le devoir de respecter l’intérêt de l’État ; le devoir de donner suite aux instructions des supérieurs ; le devoir de respecter les parents, les collègues et les membres de la hiérarchie ( ). » En outre, il est prévu que la LIP fasse « référence aux devoirs de fonction. Pour le corps enseignant, par devoirs de fonction, il faut entendre les devoirs spécifiques liés à la mission éducative, qui s’imposent parfois même hors service. Cela tient au fait que les membres du corps enseignant exercent un ascendant sur leurs élèves en raison de leur position hiérarchique d’autorité vis-à-vis d’eux. En outre, l’école publique étant également fondée sur des valeurs (exemples : noyau intangible de la liberté personnelle, égalité entre homme et femme, caractère démocratique et laïc de l’État) qu’elle est chargée de transmettre aux élèves, l’enseignant-e exerce également une influence déterminante sur eux dans ce domaine ».

Les termes « administration scolaire » figurant à l’art. 129A al. 3 aLIP visent, en général, l’établissement scolaire comme lieu de travail (MGC 2005-2006 XI/2 p. 10441). L’insuffisance des prestations au sens de l’art. 129A al. 3 let. a aLIP peut être liée à des compétences relationnelles manquantes pouvant se traduire par des dysfonctionnements relationnels avec les élèves, les collègues ou les membres de la hiérarchie (MGC 2005-2006 XI/2 p. 10442).

d. L’une des principales modifications législatives apportées par le PL 9904 a été de simplifier la résiliation des rapports de service et de réintroduire la dichotomie entre les deux types de résiliation des rapports de service qui cohabitent en droit public, à savoir la résiliation ordinaire qui suppose un motif fondé, et la révocation qui suppose une violation des devoirs de service (MGC 2005-2006 XI/2 p. 10417 et 10419 ; MGC 2006-2007 VI p. 4512 et 4513 ss). Un des assouplissements de la nouvelle réglementation est le remplacement du « motif objectivement fondé » prévu dans les teneurs antérieures de la LPAC et de l’aLIP, par le « motif fondé » (MGC 2006-2007 VI p. 2277, 4528 s et 4532).

Les motifs de résiliation des rapports de service ont été élargis lors de cette modification législative du 23 mars 2007, entrée en vigueur le 31 mai 2007. Depuis lors, il ne s’agit plus de démontrer que la poursuite des rapports de service est rendue difficile, mais qu’elle n’est plus compatible avec le bon fonctionnement de l’administration (MGC 2006-2007/VI A 4529). Selon l’exposé des motifs à l’appui de cette modification, l’intérêt public au bon fonctionnement de l’administration cantonale est déterminant en la matière. C’est lui qui sert de base à la notion de motif fondé qui doit exister pour justifier un licenciement dans la fonction publique. Le motif fondé est indépendant de la faute du membre du personnel. Il n’est qu’un élément objectif indépendant d’une intention ou d’une négligence. ( ) La résiliation pour motif fondé, qui est une mesure administrative, ne vise pas à punir mais à adapter la composition de la fonction publique dans un service déterminé aux exigences relatives au bon fonctionnement dudit service (MGC 2005-2006/XI A 10420).

e. La chambre administrative peut revoir le droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation, ainsi que les faits (art. 61 al. 1 LPA), à l’exclusion de l’opportunité de la décision attaquée (art. 61 al. 2 LPA).

f. Selon le Tribunal fédéral, la violation fautive des devoirs de service n’exclut pas le prononcé d’un licenciement pour motif fondé (dit licenciement ordinaire ou administratif). Si le principe même d’une collaboration ultérieure est remis en cause par une faute disciplinaire de manière à rendre inacceptable une continuation du rapport de service, un simple licenciement, dont les conséquences sont moins graves pour la personne concernée, peut être décidé à la place de la révocation disciplinaire, étant précisé que toute violation des devoirs de service ne saurait être sanctionnée par la voie de la révocation disciplinaire. Cette mesure revêt l’aspect d’une peine et a un caractère plus ou moins infamant. Elle s’impose surtout dans les cas où le comportement de l’agent démontre qu’il n’est plus digne de rester en fonction. Dans la pratique, la révocation disciplinaire est rarement empruntée (arrêt du Tribunal fédéral 8C_203/2010 du 1er mars 2011 consid. 3.5).

Le membre du personnel de la fonction publique ne peut pas s’immiscer dans le choix de l’autorité compétente de résilier les rapports de service en application des dispositions sur le licenciement ordinaire pour motif fondé en lieu et place de la voie disciplinaire, le Tribunal fédéral précisant que le licenciement ordinaire a manifestement un impact nettement moindre sur la personne concernée que la révocation disciplinaire (arrêt du Tribunal fédéral 8C_244/2014 du 17 mars 2015 consid. 5.2). Même après l’ouverture d’une enquête administrative, qui n’est pas nécessaire en cas de licenciement administratif, l’autorité compétente reste libre de décider de renoncer à la voie disciplinaire et de recourir au prononcé d’un simple licenciement si elle estime que les faits constatés ne sont pas d’une gravité de nature à justifier un renvoi par le biais de la révocation, mais rendent néanmoins inacceptable une continuation des rapports de service. Dans un tel cas, l’employeur doit donner la possibilité au fonctionnaire de s’exprimer par écrit sur les motifs de licenciement invoqués contre lui avant de rendre sa décision (arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2011 du 19 septembre 2012 consid. 7.2).

g. Selon l’art. 129A al. 2 aLIP (art. 141 al. 2 LIP), dont le pendant est l’art. 21 al. 3 phr. 3 LPAC, l'autorité compétente est tenue, préalablement à la résiliation, de proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnels et de rechercher si un autre poste au sein del'administration cantonale correspond aux capacités de l'intéressé. Les modalités sont définies par règlement.

L’art. 64A RStCE règle le reclassement. Son pendant est l’art. 46A du règlement d’application de la LPAC du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01). Lorsque les éléments constitutifs d’un motif fondé de résiliation sont dûment établis lors d’entretiens de service, un reclassement est proposé pour autant qu'un poste soit disponible au sein de l'administration et que l'intéressé au bénéfice d'une nomination dispose des capacités nécessaires pour l'occuper (art. 64A al. 1 RStCE). Des mesures de développement et de réinsertion professionnels propres à favoriser le reclassement sont proposées (art. 64a al. 2 RStCE). L'intéressé est tenu de collaborer. Il peut faire des suggestions (art. 64A al. 3 RStCE). L'intéressé bénéficie d'un délai de dix jours ouvrables pour accepter ou refuser la proposition de reclassement (art. 64A al. 4 RStCE). En cas de refus, d'échec ou d'absence de reclassement, une décision motivée de résiliation des rapports de service pour motif fondé intervient (art. 64A al. 6 RStCE). La direction des ressources humaines du département, agissant d'entente avec l'office du personnel, est l'organe responsable (art. 64A al. 7 RStCE).

Le principe du reclassement, applicable aux seuls fonctionnaires, est l’une des expressions du principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.). Il impose à l’État de s’assurer, avant qu’un licenciement ne soit prononcé, qu’aucune mesure moins préjudiciable pour l’administré ne puisse être prise (arrêt du Tribunal fédéral 1C_309/2008 du 28 janvier 2009 consid. 2.2 ; ATA/1343/2015 du 15 décembre 2015 consid. 9a ; ATA/223/2010 du 30 mars 2010 consid. 10 ; ATA/434/2009 du 8 septembre 2009).

Selon l’exposé des motifs présenté à l’appui de la modification de la LPAC du 23 mars 2007, l’État a l’obligation préalable d’aider l’intéressé et de tenter un reclassement, avant de prononcer la résiliation des rapports de service d’un agent public au bénéfice d’une nomination : il s’agit tout d’abord de proposer des mesures dont l’objectif est d’aider l’intéressé à retrouver ou maintenir son « employabilité », soit sa capacité à conserver ou obtenir un emploi, dans sa fonction ou dans une autre fonction, à son niveau hiérarchique ou à un autre niveau. ( ) Avant qu’une résiliation ne puisse intervenir, différentes mesures peuvent être envisagées et prendre de multiples formes. À titre d’exemples, on pense au certificat de travail intermédiaire, au bilan de compétences, à un stage d’évaluation, aux conseils en orientation, aux mesures de formation et d’évolution professionnelles, à l’accompagnement personnalisé, voire à l’« outplacement ». Il faut ensuite rechercher si une solution alternative de reclassement au sein de la fonction publique cantonale peut être trouvée. ( ) En contrepartie, la garantie du niveau salarial atteint en cas de changement d’affectation peut dans ce cas être abrogée (MGC 2005-2006/XI A 10421). Selon la jurisprudence, si aucune solution ne s’offre dans le même service ou office, les recherches de l’État employeur doivent s’étendre à tous les postes de la fonction publique correspondant aux capacités de l’intéressé (ATA/871/2014 du 11 novembre 2014 consid. 8c ; ATA/33/2013 du 22 janvier 2013 consid. 5e ; ATA/616/2010 du 7 septembre 2010 consid. 7).

h. Les rapports de service étant soumis au droit public (ATA/1343/2015 précité consid. 8 ; ATA/82/2014 du 12 février 2014 consid. 11 et les références citées), la résiliation est en outre assujettie au respect des principes constitutionnels, en particulier ceux de la légalité (art. 5 al. 1 Cst.), de l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), de la proportionnalité (art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst.) et de l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.).

Une décision est arbitraire au sens de l’art. 9 Cst. si elle est manifestement insoutenable, méconnaît gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. Il ne suffit toutefois pas qu’une autre solution paraisse concevable, voire préférable. Pour qu’une décision soit annulée, elle doit se révéler arbitraire non seulement dans ses motifs, mais également dans son résultat (ATF 141 I 49 consid. 3.4 ; 140 I 201 consid. 6.1 ; 138 I 49 consid. 7.1).

Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/634/2016 du 26 juillet 2016 consid. 5d).

5) En l’espèce, le recourant ne conteste pas le caractère inadéquat du texte lu le 24 janvier 2013, son intention n’étant toutefois pas, selon lui, d’humilier les élèves mais de les faire réagir vu leur passivité en classe et leurs mauvaises notes. Les témoins entendus lors des audiences devant la chambre de céans, y compris le représentant de l’association professionnelle ayant accompagné le recourant lors de la phase non contentieuse, ont confirmé le caractère inhabituel du procédé choisi par le recourant pour exprimer son mécontentement face à l’attitude des élèves en classe. La directrice de l’établissement scolaire a également manifesté son désaccord avec le type de discours tenu par le recourant le 24 janvier 2013, dans sa réponse au courriel que lui avait envoyé le soir même l’intéressé.

La chambre de céans peine à voir le but pédagogique du texte en cause. Celui-ci vise davantage à rabaisser les élèves et à insister sur la médiocrité des résultats du premier semestre, le seul moyen d’amélioration offert aux élèves pour la suite de l’année scolaire, à savoir la dispense de cours dits « conventionnels et sentimentaux » aux yeux du recourant, étant en outre présenté de manière négative, voire péjorative, par celui-ci qui leur reproche de « [se contenter] volontiers d’un joli cours, vernis de surface accompagné de quelques anecdotes croustillantes, soit d’informations conventionnelles et d’un brin de sentimentalisme ».

Par contre, ce texte révèle une profonde frustration de l’intéressé face au décalage qu’il perçoit entre les prestations fournies par les élèves lors du premier semestre et ce qu’il pense pouvoir leur enseigner, ainsi que face au manque de participation, voire d’intérêt, des élèves pour son cours. La lecture du texte, par sa durée (à savoir toute une heure de cours) et sa transcription par écrit aux élèves remise à la fin du cours, dénote également un manque de maîtrise de soi de l’enseignant ainsi qu’une perte d’objectivité et de distance par rapport à l’implication qu’il percevait des élèves pour son cours et la matière enseignée. Le fait que l’intéressé ait, comme l'a relevé M. I______ lors de son audition devant la chambre de céans, utilisé dans ce texte des argument de l’auteur Paul DIEL – qui recommande un enseignement moral – n’y change rien, ce témoin qualifiant au surplus le texte du recourant comme un « essai » maladroit ayant manqué son objectif et ayant un but moral. Quelles que fussent les intentions réelles du recourant et indépendamment des plaintes subséquentes des élèves de la classe 3ème OS et de l’intervention de leurs parents, les propos du 24 janvier 2013 choquent car l’enseignant, sans modérer sa propre frustration face à l’attitude des élèves pour son cours et à leurs prestations scolaires, dévalorise les élèves, sans même épargner ceux ayant des notes au-dessus de la moyenne, et fait passer son propre intérêt à enseigner des cours qu’il ne ressentirait pas comme « humiliants » devant celui des élèves à se voir dispenser un cours pédagogiquement adapté à leurs besoins. Ni le degré d’attention des élèves pour le cours, ni leurs résultats pour la discipline enseignée ne sauraient atténuer ni justifier les propos du recourant au vu de la mission d’enseignement qui lui était confiée.

La hiérarchie n’a ainsi pas abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant que le comportement du 24 janvier 2013 est une attitude inadmissible de l’enseignant face aux élèves.

a. Le recourant conteste les conséquences que le département attache à un tel comportement, notamment au regard de ses nombreuses années d’enseignement et de ses compétences professionnelles qui, bien qu’appréciées par des élèves et des parents issus d’autres classes comme en témoignent les lettres produites par l’intéressé, sont remises en cause par sa hiérarchie sur la seule base des avis des élèves de la classe de 3ème OS. Dans son argumentation, le recourant perd de vue que l’objectif du licenciement pour motif fondé n’est pas de punir l’enseignant, mais d’assurer le bon fonctionnement de l’institution scolaire et d’y adapter le cas échéant la composition du corps enseignant. Le choix de cette voie relève, conformément à la jurisprudence fédérale susmentionnée, de la liberté d’appréciation de l’autorité, qui est limitée par le respect du droit et en particulier des principes constitutionnels tels que la légalité et la proportionnalité. L’art. 129A al. 1 aLIP, à l’instar de l’art. 22 LPAC, subordonne le licenciement ordinaire à l’existence de motifs fondés, ceux-ci devant être dûment établis lors d’entretiens de service (art. 64A al. 1 RStCE ; art. 46A al. 1 RPAC). La notion de motifs fondés doit être concrétisée, dans chaque situation, à la lumière des circonstances du cas d’espèce. Si la détermination des motifs fondés est certes une question de droit, elle implique une large marge d’appréciation de l’autorité compétente qu’il y a lieu de respecter, sous réserve d’un abus ou excès de celle-là par celle-ci. Malgré l’assouplissement poursuivi par le PL 9904 et la suppression du terme « objectivement » de la loi, la résiliation des rapports de service demeure, en droit public, soumise aux principes constitutionnels, notamment à celui de la proportionnalité dont la violation est, en l’espèce, invoquée par le recourant.

Du point de vue du département exposé lors de l’audience du 4 novembre 2015, le comportement adopté par le recourant à l’égard d’une élève – ayant, deux ans auparavant, conduit à une réduction de son salaire, et non au licenciement contrairement à l’avis de M. B______ rappelé lors de son audition d’octobre 2015 devant la chambre de céans – ainsi que l’avertissement alors donné dans ladite sanction, sont des éléments importants préexistants à l’événement du 24 janvier 2013 et aux plaintes subséquentes des élèves de la classe de 3ème OS relatives à l’enseignement du recourant et à sa relation avec eux. À la suite de l’opposition des élèves et de leurs parents de reprendre le cours avec l’intéressé, le département a demandé à ces derniers de préciser les raisons d’un tel refus par écrit. Sur la base de ces témoignages, le département a établi une liste de neuf griefs à l’encontre de l’enseignant, dont un concerne la lecture du texte du 24 janvier 2013 et les huit autres portent sur l’enseignement dispensé dans cette classe, plus particulièrement sur le contenu du cours et les capacités pédagogiques de l’intéressé. Lors de l’audition devant le juge délégué, le représentant du département a expliqué que l’avis de parents et d’élèves d’autres classes n’avait pas été sollicité parce que l’évènement du 24 janvier 2013 concernait uniquement la classe de 3ème OS et qu’il portait sur un problème d’attitude du recourant, et non sur ses compétences. Toutefois, ce collaborateur a également indiqué que, lors de l’instruction de l’affaire, le département avait découvert le contenu du cours que le recourant dispensait à cette classe et posé des questions à ce sujet lors de l’entretien de service. Contrairement à 2011, se posait en 2013 un problème global de qualité des prestations en tant qu’enseignant. Le représentant du département rappelait que la sanction de 2011 ne portait pas sur les compétences de l’intéressé, mais sur son savoir-être, ce qui était à nouveau en cause en 2012-2013 avec la volonté du recourant d’exercer une certaine forme de pouvoir sur les élèves ou de montrer une supériorité.

b. Il y a dès lors lieu de vérifier la conformité au droit de la résiliation pour motifs fondés prononcée le 6 mars 2015, à la seule lumière du grief lié à la lecture du texte du 24 janvier 2013 et de la sanction du 21 novembre 2011.

Comme le relève le représentant de l’association professionnelle lors de l’entretien de service du 23 avril 2013, le lien entre ces deux affaires réside dans la notion de juste distance d’un enseignant avec ses élèves, à savoir « une trop grande proximité » dans l’affaire de 2010 et « une absence de proximité » dans le cas présent. Ainsi, le recourant a une difficulté à se situer dans sa relation avec ses élèves, ce qui est constaté, dans le cas présent, pour la seconde fois, même si, comme le relève le département, la forme est différente. Dans la mesure où l’objectif de la résiliation ordinaire est de veiller au bon fonctionnement de l’institution scolaire, dont dépend, en sus des compétences professionnelles, la capacité de l’enseignant à maintenir une relation digne et respectueuse avec les élèves, sans abus de sa position d’autorité vis-à-vis d’eux, de manière à poser les conditions-cadres propices à la dispensation de la discipline enseignée, la chambre administrative constate que le fait de considérer la lecture du texte du 24 janvier 2013 ainsi que l’attitude du recourant y afférente comme un motif fondé de licenciement ne constitue pas un abus du pouvoir d’appréciation du département.

En effet, l’intéressé avait déjà eu un comportement irrespectueux vis-à-vis d’une élève environ deux ans auparavant qui avait conduit à une sanction assortie d’un avertissement. Certes, si la forme du manquement diffère, le problème de fond se situe, à nouveau, au niveau de la relation du recourant avec les élèves, et en particulier de la juste distance à avoir avec eux. S’agissant d’un nouveau manque de respect vis-à-vis des élèves dans un laps de temps relativement court et alors que l’enseignant avait déjà été sanctionné pour un problème relationnel et qu’il avait fait l’objet d’un avertissement, le licenciement ordinaire fondé sur le comportement du 24 janvier 2013 ne viole, en l’espèce, pas le principe de proportionnalité. Ce second événement peut légitimement conduire à la rupture définitive de la confiance placée par le département dans cet enseignant s’agissant de sa mission d’enseignement. Il ne peut être reproché à la hiérarchie de l’intéressé de craindre un nouveau dysfonctionnement du recourant dans un proche avenir lié à ses difficultés relationnelles avec les élèves, et ce malgré les appréciations positives de certains parents et élèves, le temps investi par l’enseignant pour offrir un cours de qualité et le niveau de ses connaissances musicales. Dans sa fonction d’enseignant, le recourant doit pouvoir garantir à sa hiérarchie d’être capable d’enseigner à une classe, quelle que soit son niveau de connaissance et d’intérêt pour son cours, sans courir le risque d’un nouveau manque de respect vis-à-vis d’élèves peu motivés, désintéressés ou turbulents, voire fragilisés, ce type d’élèves pouvant également se rencontrer dans des filières à option.

Par ailleurs, aucun des arguments avancés par le recourant ne peut ni atténuer ni justifier son comportement du 24 janvier 2013. Tout d’abord, le fait que l’intéressé soit, comme l’explique M. H______ lors de l’entretien du 23 avril 2013, « victime de sa passion qui peut être considérée comme une "foi", ce qui fait qu’il ne mesure plus du tout l’impact de ses paroles, "foi" qu’il convient de relativiser en tenant compte de l’ensemble de ses prestations et de sa carrière », ne change rien aux constats susévoqués relatifs au texte en cause et à l’attitude y afférente de l’intéressé. S’agissant des difficultés que ce dernier affirme avoir rencontrées avec sa classe de 3ème année et qui seraient à l’origine de son action du 24 janvier 2013, les témoignages devant la chambre administrative démontrent que le recourant ne s’en est pas ouvert à ses collègues.

De plus, il incombe à un enseignant de garder une attitude professionnelle et adéquate vis-à-vis des élèves, quel que soit leur niveau d’intérêt ou de motivation pour le cours, en cherchant le cas échéant un appui auprès de ses collègues ou de sa hiérarchie, comme l'a souligné à juste titre la directrice du collège D______ lors de l’entretien précité. Le fait que la classe de 3ème OS soit décrite par son successeur, M. J______, lors de son audition devant la chambre de céans, comme « pas sympathique » avec des « éléments doués en musique mais pas agréables et particulièrement ronchons » ne change rien au devoir de l’enseignant de garder une attitude respectueuse à l’égard des élèves, quitte à repréciser sa méthode de travail ou sa gestion de classe. En outre, la chambre de céans ne voit pas en quoi l’attitude inadmissible du recourant du 24 janvier 2013 serait justifiée par le prétendu retard pris dans le suivi devant être organisé par sa hiérarchie suite aux événements à l’origine de la sanction de novembre 2011, et/ou par le ressenti que l’intéressé avait de cette mesure qu’il qualifie de mesure de surveillance et non de soutien. Au contraire, suite à ces événements et comme cela figurait de manière explicite et claire dans ladite sanction, le recourant savait que ses prestations allaient être examinées de manière étroite par sa hiérarchie afin d’éviter un nouvel incident avec les élèves. Celui-ci avait déjà bien entamé la confiance de l’institution scolaire dans ses capacités à adopter une attitude appropriée avec ces derniers.

Ainsi, en tenant des propos rabaissant les élèves pendant toute une heure de cours et en les leur remettant par écrit à la fin de celui-ci, le recourant a, en l’espace de deux ans après les faits ayant conduit à la sanction de 2011, à nouveau, adopté un comportement incompatible avec sa fonction d’enseignant et manqué de respect vis-à-vis de ses élèves. Un tel comportement constitue donc un motif fondé susceptible de conduire le département à prononcer la résiliation ordinaire des rapports de service.

c. Enfin, s’agissant des huit reproches liés à l’enseignement du recourant que le département a cumulés au comportement du 24 janvier 2013 à l’appui de la décision litigieuse, on peut se demander si une telle approche du département respecte le principe de proportionnalité au vu de l’ensemble des circonstances. En effet, ces reproches remettent en cause, pour la première fois en près de dix ans d’enseignement, les compétences pédagogiques du recourant et le contenu de son cours. De plus, ils sont fondés sur des allégations d’élèves humiliés et blessés par l’enseignant suite à la lecture du texte du 24 janvier 2013, sans que l’autorité intimée ait fait preuve de nuance ou de recul par rapport aux critiques des élèves ni n’ait davantage cherché à vérifier la crédibilité de celles-ci. L’absence d’autres mesures préalables au licenciement par le département est d’autant plus surprenante que l’intéressé était, suite à la sanction de 2011, suivi par M. F______ et qu’aucun problème lié à son enseignement, tant sous l’angle du contenu du cours que de celui de ses capacités pédagogiques, n’était apparu. Bien que tant la hiérarchie directe de l’intéressé que le département demeurent soumis au respect du principe de proportionnalité, y compris lorsqu’il s’agit d’emprunter la voie du licenciement administratif, le cas échéant à la place d’une sanction administrative, cette question peut en l’espèce, vu les arguments qui précèdent et qui scellent l’issue du litige, rester ouverte.

d. Dès lors, en raison du comportement du 24 janvier 2013 du recourant et de son antécédent lié à la sanction de 2011, le licenciement litigieux, s’il peut en soi apparaître comme une mesure sévère, ne viole cependant pas le principe de la proportionnalité et repose sur un motif fondé dûment constaté. La procédure de reclassement ne prête au surplus pas le flanc à la critique, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par le recourant.

Par conséquent, la décision litigieuse doit être confirmée et le recours rejeté.

6) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 avril 2015 par Monsieur A______ contre la décision du département de l’instruction publique, de la culture et du sport du 6 mars 2015 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Stéphanie Hüsler et Me Stefano Fabbro, avocats du recourant, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la culture et du sport.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :