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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/751/2013

ATA/82/2014 du 12.02.2014 ( FPUBL ) , REJETE

Recours TF déposé le 27.03.2014, rendu le 17.03.2015, REJETE, 8C_244/2014
Descripteurs : ; DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE ; LICENCIEMENT ADMINISTRATIF ; CONTRAT INDIVIDUEL DE TRAVAIL ; JUSTE MOTIF ; RÉVOCATION DISCIPLINAIRE ; FAUTE ; RECONVERSION PROFESSIONNELLE ; HARCÈLEMENT PSYCHOLOGIQUE
Normes : LPAC.21.al3 ; LPAC.22.letb ; RPAC.1 ; RPAC.5 ; RPAC.44
Résumé : Licenciement confirmé d'une fonctionnaire se plaignant de mobbing, dont les allégués sont contredits par les éléments du dossier. Existence d'un motif fondé de licenciement, l'employée ne pouvant entretenir des rapports harmonieux avec ses collègues de manière durable. Même en présence d'un motif de révocation disciplinaire, l'autorité peut utiliser la voie du licenciement pour motif fondé si elle le souhaite. Conditions imposées à l'autorité en matière de reclassement.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/751/2013-FPUBL ATA/82/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 février 2014

 

dans la cause

 

Madame X______
représentée par Me Marc Bellon, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES FINANCES



EN FAIT

1. Madame X______, née en 1952, a été engagée à compter du 1er février 2006 en qualité de bibliothécaire-archiviste spécialiste à 80% (l’intitulé actuel du poste) auprès de l’O______ (ci-après : O______) rattaché au département des finances (ci-après : le département ou DF). Cette fonction était colloquée en classe maximum 15.

2. Le 23 mai 2006, Mme X______ a fait l’objet d’un premier entretien d’évaluation. Les prestations étaient bonnes, même si beaucoup de domaines restaient à découvrir. L'intéressée était invitée à suivre la formation « communiquer et gérer les tensions » dans l’année.

3. Un deuxième entretien d’évaluation s’est déroulé le 1er février 2007.

D'une manière générale, la maîtrise et les connaissances professionnelles étaient bonnes ou excellentes. Les décisions de la direction étaient respectées et exécutées. Si Mme X______ avait une grande facilité dans les contacts humains, elle ne devait pas se laisser submerger par ses sentiments, ni ressentir comme un échec personnel des faits vécus qui ne se déroulaient pas comme elle l’avait prévu. Elle devait améliorer sa capacité à entrer en relation et communiquer avec ses collègues et sa hiérarchie, prendre plus de recul avec les personnes avec lesquelles elle avait peu ou pas d’affinités et ne pas se renfermer ou se stresser lors de difficultés. Un des objectifs fixés pour la période à venir était la formation d’une apprentie.

4. Une troisième évaluation des prestations s’est déroulée le 6 décembre 2007, ensuite de laquelle Mme X______ a été nommée fonctionnaire par arrêté du Conseil d'Etat du 16 janvier 2008.

Les compétences professionnelles ainsi que la disponibilité de Mme X______ étaient très appréciées. Les remarques s’agissant de sa difficulté à gérer sur le plan relationnel les contrariétés de la vie professionnelle au quotidien (demandes inattendues de ses collègues, etc.) étaient en revanche renouvelées même si une amélioration avait été constatée. Il suffisait encore d’un élément perturbateur pour la déstabiliser et « casser un climat propice aux échanges ».

5. Le 23 août 2008, une apprentie, placée sous la responsabilité de Mme X______, est entrée à l’O______.

Cette arrivée a été très perturbatrice pour Mme X______, qui ne s'est pas entendue avec cette personne. A plusieurs occasions, Mme X______ a eu des emportements verbaux et s’est mise en colère sur son lieu de travail.

6. Début 2009, la hiérarchie de Mme X______ a appris par celle-ci qu'elle avait tenté de mettre fin à ses jours pendant les vacances de fin d’année en raison de ce conflit.

7. Aussitôt, une demande d’évaluation médicale de Mme X______ a été demandée par l’O______ au service de santé du personnel de l’Etat (ci-après : SPE).

8. Egalement très affectée par la situation, l’apprentie a demandé à être transférée dans un autre service, ce qu'elle a obtenu en janvier 2009, après que la hiérarchie a tenté en vain une conciliation.

9. Parallèlement à cet incident, d’autres tensions sont survenues dans les relations de Mme X______ avec certains de ses collègues qui avaient pris fait et cause pour l'apprentie ou tentaient de rester neutre. Un conflit ouvert est apparu entre Mme X______ et Madame D______. Ces fortes tensions ont peu à peu nui au bon fonctionnement du service.

10. Le 24 février 2009, Mme X______ a été mise en arrêt de travail pour raison médicale.

11. Le 27 février 2009, un entretien a eu lieu à la demande de l’intéressée, qui s’était plainte d’un fort manque de respect et de reconnaissance vis-à-vis de sa personne, de sa fonction, et de ses compétences de la part de sa hiérarchie et de certains collaborateurs de l’office, ainsi que d’une surcharge de travail. Elle avait le sentiment d’être « mobbée », comme dans un emploi précédent en 1987. Elle était en très bonne santé et ne portait pas de responsabilités dans les événements. Elle souhaitait que des entretiens soient organisés en présence de sa hiérarchie avec les collègues avec lesquels elle était en conflit.

12. Le 24 mars 2009, un entretien a été organisé entre Mme X______ et Mme  D______.

Cet entretien avait pour but de régler le conflit qui les opposait afin de favoriser le retour au travail de Mme X______. Il s’est toutefois soldé par un échec, les deux protagonistes reportant chacune sur l’autre la responsabilité des tensions existantes.

13. Le 14 avril 2009, Mme X______ a repris partiellement son travail.

14. Le 10 juin 2009, quatorze de ses collègues ont adressé une lettre commune à la direction de l’O______.

Ils ne savaient plus comment se comporter à son égard. Ne pas lui parler, était considéré de sa part comme une offense et lui adresser la parole débouchait la plupart du temps sur des échanges conflictuels. Toute phrase, même anodine, était interprétée et ressentie comme une humiliation par l’intéressée. Leur santé et la qualité de leur travail étaient menacées. Le maintien de Mme X______ à l’O______, dans le climat catastrophique qu’elle avait induit, ne pouvait qu’être nuisible pour tous, y compris pour elle.

Ils demandaient que des mesures soient prises pour remédier à la dégradation de l’ambiance de travail causée par l’attitude de l’intéressée.

15. Suite à cette lettre, Mme X______ a demandé à être affectée dans un autre service de l’Etat, ce qui a conduit à son transfert temporaire à l’office du personnel de l’Etat (ci-après : OPE) le 20 juillet 2009.

16. Le 26 juillet 2009, de nouveaux objectifs lui ont été fixés. Afin d’accompagner sa réinsertion, plusieurs mesures ont été mises en place (entretiens hebdomadaires avec sa nouvelle supérieure hiérarchique, Madame B______, grande attention portée à lui donner un environnement de travail protégé et chaleureux, répartition des tâches tenant compte de son besoin de retrouver confiance en elle, sensibilisation des autres collègues à sa situation, etc.).

17. Le 1er septembre 2009, Mme X______ a déposé une plainte pour mobbing contre vingt ex-collègues de l’O______ auprès du groupe de confiance qui a classé la plainte mais recommandé au département de procéder à un audit de la structure.

18. L’expert a rendu son rapport d’audit le 11 mai 2010 en concluant, après trente auditions, à l’absence de harcèlement psychologique et à la responsabilité prépondérante de Mme X______ dans les conflits qui étaient survenus.

19. Le 1er juillet 2010, cette dernière a été définitivement transférée à l’OPE.

20. Le 31 août 2010, Mme X______ a contesté les conclusions de l’audit auprès de la direction des ressources humaines (ci-après : RH), sollicité des excuses de la part de ses ex-collègues et la mise en place d’un coaching personnalisé.

21. Un coaching visant à développer sa « capacité à prendre du recul » dans certaines situations, à mettre les choses en perspective plus efficacement, à être moins vulnérable au regard des autres et à trouver un meilleur niveau d’énergie a été mis en place par sa hiérarchie le 4 octobre 2010.

22. Le 26 janvier 2011, l’OPE a procédé à un entretien d’évaluation. Fondamentalement, Mme X______ était respectueuse des autres. Elle disposait d’une très grande capacité à traiter et structurer l’information. Elle était investie dans son travail, respectait les délais imposés et agissait de manière professionnelle. Elle avait cependant quelquefois de la peine à défendre sereinement ses positions, pouvait manquer de rondeur et de spontanéité dans les échanges et devait veiller à ne pas interpréter les faits et les discours de son entourage.

23. Le « coach », a conclu le 21 avril 2011 à un résultat mitigé du « coaching » effectué, Mme X______ n’ayant pas ressenti une réelle différence dans sa manière de communiquer.

24. Courant juillet 2011, Madame V______, assistante de Mme B______, a prié Mme X______ de ne plus confier de fichiers « excel » à sa stagiaire, l’intervention de cette dernière ayant corrompu un de ces fichiers. Cette remarque a donné naissance à un conflit entre Mme X______ et Mme V______ qui ne partageaient pas la même version des faits sur la manière dont elle avait été formulée. Depuis ce jour, les relations entre Mme V______ et Mme X______ n'ont cessé de se détériorer.

25. Le 27 septembre 2011, Mme X______ a été hospitalisée suite à une tentative de suicide, puis mise en arrêt de travail.

26. La hiérarchie de Mme X______ ayant saisi le SPE d’une demande d’aide et de suivi de son retour au travail, un entretien s'est déroulé en présence de l’intéressée et du SPE le 21 novembre 2011. Des aménagements favorisant son retour ont été convenus (reprise à temps partiel, attribution de tâches autonomes et non collectives, gestion par Mme B______ de toute demande adressée par les collaborateurs à Mme X______, etc.).

27. Lors de plusieurs entretiens des 20 décembre 2011, 30 janvier et 1er février 2012, Mme X______ a été entendue en présence du SPE.

Sa hiérarchie, et en particulier Mme B______, « l'avait détruite », pour protéger Mme V______, en l'accablant injustement de fautes qu’elle n’avait pas commises et en refusant de l'écouter. Ces entretiens lui semblaient plus destinés à protéger les autres collaborateurs du service qu'à protéger sa santé et à aménager de manière constructive son retour au travail, ce qu'elle déplorait.

Suite à ces accusations, la hiérarchie a demandé une évaluation médicale au SPE.

A la demande de Mme B______, l’intéressée a été placée sous la responsabilité de Monsieur Y______, directeur général de l’OPE.

28. Le 9 février 2012, Mme X______ a réagi fortement à une absence de salut d’une collègue, Mme E______, en l’apostrophant.

29. Le 13 février 2012, M. Y______ a convoqué l’inétressée pour qu’elle s’expliquer à ce sujet.

Mme E______ l'avait informé que Mme X______ l'avait accusée d’être l’une des causes de sa tentative de suicide et qu'elle avait reçu des menaces de sa part.

Mme X______ a contesté cette version des faits ; elle avait juste demandé à cette collègue de ne plus propager des rumeurs sur son compte.

30. M. Y______ a alors informé Mme X______ qu’il n'accepterait plus cette attitude. Il la convoquerait prochainement pour un entretien de service. Entre-temps, il la libérait de son obligation de travailler. Elle devait prendre ses affaires sur le champ et quitter son bureau sans contacter ses collègues.

Mme X______ s’est mise en colère et a proféré des menaces à l’encontre de M. Y______. Elle a traité Mme B______ de « salope ». Après qu’elle eut pris ses affaires et fermé son ordinateur, M. Y______ l’a raccompagnée jusqu’à l’ascenseur.

31. Par courrier du 14 février 2012, M. Y______ a convoqué Mme X______ à un entretien de service pour le 7 mars 2012, date à laquelle celle-ci a été informée qu’une résiliation de ses rapports de service pour motif fondé était envisagée, sa perception de la réalité rendant impossible toute communication et collaboration dans le service.

32. Par courrier du 16 avril 2012, l’OPE a confirmé à Mme X______ sa détermination de mettre fin à ses rapports de service. Il tenterait de procéder à son reclassement dès que possible, soit aussitôt que l’évaluation médicale aurait été effectuée.

33. Le 8 avril 2012, Mme X______ a été accidentée.

34. Le 29 mai 2012, le Docteur T______ a évalué Mme X______. Il a conclu à l’existence de troubles de la personnalité. Le pronostic était incertain, voire plutôt défavorable. La capacité de travail était nulle quelle que soit la mesure d’accompagnement entreprise, sauf dans une activité à 50%, adaptée aux troubles psychiques (absence de travail en équipe ; autre département ou employeur différent).

35. Par lettre du 18 septembre 2012, l’OPE a informé Mme X______ de l’ouverture d’une procédure de reclassement au sens des articles 21 al. 3 de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05) et 46A du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01). Dans le cadre de cette recherche, elle tiendrait compte de l’avis médical émis par le SPE.

36. Au titre de mesures de reclassement, le département a envoyé régulièrement aux directions RH des autres départements des avis de recherche de poste correspondant au profil de Mme X______. Il a informé celle-ci qu’il soutiendrait toute candidature qu’elle pourrait faire de son côté.

. En tout, il a appuyé quatre de ses candidatures. Il lui a envoyé régulièrement le bulletin des places vacantes en l’invitant à rechercher un poste lui correspondant. Il a prolongé d’un mois le délai de la procédure de reclassement initialement fixé à deux mois, pour favoriser les recherches d'emploi en cours, tout en persistant dans ses recherches. Ces démarches n’ont cependant pas abouti.

37. Le 7 janvier 2013, l’OPE a informé Mme X______ de la fin de la procédure de reclassement et le 29 janvier 2013, de la résiliation de ses rapports de service avec effet au 30 avril 2013. La décision était exécutoire nonobstant recours.

Cette résiliation était prononcée en application des art. 21 al. 3, 22 let. b et 20 al. 3 LPAC.

Les motifs étaient ceux qui avaient été communiqués lors de l’entretien de service de 7 mars 2012.

38. Le 26 février 2013, Mme X______ a été hospitalisée pour une intervention chirurgicale.

39. Par acte du 1er mars 2013, Mme X______ a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant préalablement à l’octroi de l’effet suspensif au recours et à ce qu’il soit ordonné à l’OPE d’expliciter les raisons qui l’avaient amené à résilier ses rapports de service. Elle souhaitait pouvoir compléter son recours. A titre principal, elle concluait à l’annulation de la décision ainsi qu’à l’ouverture d’une enquête administrative.

Les manquements de sa hiérarchie avaient été la cause de la dégradation des rapports de travail au sein de l’OPE. En effet, Mme B______ aurait dû intervenir de suite après l’incident l’ayant opposée à Mme V______, ce qu’elle n’avait pas fait. Après sa tentative de suicide, ses supérieurs n’avaient pas ordonné d’expertise médicale, ce qui était inadmissible. Une telle expertise aurait pu expliquer ses colères et emportements verbaux comme étant consécutifs d’une atteinte à sa santé.

Les motifs de son licenciement ne lui avaient jamais été clairement explicités et la décision attaquée violait son droit d’être entendue sous cet aspect. Elle niait la teneur des échanges qu’elle avait eus avec Mmes V______ et E______.

Son licenciement était une sanction déguisée. La procédure de révocation, avec ouverture d’une procédure disciplinaire, aurait dû être adoptée. La décision était nulle pour ce motif.

En outre, il ne satisfaisait pas les conditions de l’art. 21 al. 3 LPAC, qui contraignait l’autorité à proposer des mesures de développement et de réinsertion professionnelle à l’employée concernée avant de procéder à la résiliation de ses rapports de service. Dans son rapport intitulé « lancement d’un  projet pour la gestion et la réduction des absences de longue durée », le Conseil d’Etat indiquait que si le retour au poste initial n’était pas réalisable après l’absence de longue durée, le dossier devait être transféré à une cellule ad hoc où à un groupe de personnes aptes à préparer une nouvelle affectation à travers notamment des formations, coaching, stages, et la recherche d’un nouveau poste stable. En l'espèce, cela n'avait pas été fait.

Ce licenciement abusif avait causé une atteinte à sa personnalité au sens de l’art. 328 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220). L’indemnité maximale prévue par l’art. 31 al. 3 LPAC devait lui être octroyée si l’autorité intimée refusait la réintégration.

40. Le 19 mars 2013, la caisse de prévoyance du personnel enseignant de l’instruction publique et des fonctionnaires de l’administration du canton de Genève (ci-après : CIA) a informé Mme X______ qu’elle avait droit à une pension de retraite à partir du 1er mai 2013. Elle se tenait par ailleurs à sa disposition pour la renseigner sur les conditions particulières applicables aux personnes en âge de retraite anticipée qui souhaitaient poursuivre une activité lucrative salariée ou indépendante.

41. Après avoir conclu au rejet de la demande de restitution de l’effet suspensif au recours le 22 mars 2013, le département a conclu à l’irrecevabilité du recours et subsidiairement, à son rejet.

Le recours était irrecevable car il ne respectait pas les conditions de forme exigées par l’art. 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

Sur le fond, les manquements au devoir de service avaient été explicités à la recourante et figuraient dans le compte rendu de l’entretien de service du 7 mars 2012. Il consistait en les insultes proférées par Mme X______ contre Mme B______, Mme V______ et contre le directeur général de l’OPE, ainsi qu’à son incapacité à supporter les plus petites contrariétés et tensions de la vie professionnelle et d’entretenir des relations bienveillantes et amicales durables avec ses collègues.

Mme B______ avait mis une énergie considérable pour permettre à Mme X______ de retrouver sa sérénité suite à son expérience douloureuse à l’O______. Tout avait été mis en œuvre pour qu’elle se sente écoutée et puisse reprendre confiance en elle. Mais l’incapacité de Mme X______ à gérer la moindre contrariété sur le plan relationnel avait finalement fait échouer cette tentative de réinsertion.

Le DF n’avait pas proposé à la recourante de mesures de développement et de réinsertion professionnelle, d'une part, parce qu'aucun reclassement dans un poste requérant des compétences autres que celles possédées par Mme X______ avait été envisagé. D'autre part, la recourante n’en avait pas sollicité. Dans son domaine d'activité, Mme X______ n'en avait pas besoin. Elle avait suivi en juin 2012 une formation de 30 heures à l’Université de Genève en animation et en interaction avec le logiciel « Flash », une formation de quinze heures sur « Windows » en août 2012, une formation de quinze heures avec le logiciel « Drupal » en septembre 2012, ainsi qu’une formation de quinze heures sur le logiciel « Joomla I ». La recourante n’avait d’ailleurs jamais allégué ni démontré que ses candidatures avaient été rejetées pour formation insuffisante.

Une rupture définitive des rapports de confiance due aux problèmes comportementaux récurrents d’un employé conduisait à un licenciement pour motif fondé et non à une révocation disciplinaire.

Le SPE avait été associé aux démarches de retour au travail de Mme X______ et une évaluation médicale avait été demandée dès que des doutes étaient survenus sur son état de santé.

42. Par décision du 29 avril 2013, le vice-président de la chambre administrative a rejeté la requête de restitution de l’effet suspensif au recours.

43. Le 15 mai 2013, la recourante a répliqué sur le fond et campé sur ses positions.

Elle contestait ne pas être capable d’entretenir des relations cordiales avec des collègues de travail. Celles-ci étaient d’ailleurs excellentes avec la plupart des employés du service, ainsi qu’en attestait une carte, versée à la procédure, que ceux-ci lui avaient envoyée après son accident. Il n’était pas dans son habitude de haranguer des personnes. Certes, elle s’était fâchée quelquefois mais pour des raisons justifiées, soit lorsqu’elle avait été victime d’agressions verbales, de menaces ou d’actes de mobbing, comme cela avait été le cas lors de l’incident avec Mme V______. Elle ne portait aucune responsabilité dans la situation, qui aurait pu être résolue par l’adoption par sa hiérarchie de mesures adéquates (prise en compte de sa propre version des faits, réunion avec Mme V______, expertise psychiatrique après tentamen, respect des procédures de retour au travail, etc.).

44. Par lettre du 23 août 2013, la recourante a exposé les conséquences de son licenciement sur sa situation financière. Elle avait été mise d’office en préretraite par la caisse de prévoyance du personnel de l'Etat (ci-après : CIA) car elle avait atteint l’âge de 58 ans révolu à son licenciement. Sa rente avait été imputée de ses indemnités de chômage. Ainsi, non seulement elle avait perdu ses droits à la rente ordinaire plus élevée qu’elle aurait perçue si elle avait travaillé jusqu’à l’âge de la retraite, mais on ne lui versait pas ses indemnités de chômage dans leur intégralité.

Cet élément également justifiait l’octroi de l’indemnité maximum car le tort financier causé par son licenciement abusif était important.

La question de la perte financière occasionnée par le licenciement a opposé le DF et la recourante, qui ont exprimé leur position dans leurs écritures respectives des 3 septembre et 3 octobre 2013.

45. Le 4 octobre 2013, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable sous ces aspects (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) L'acte de recours explicite sur quatre-vingts pages les motifs pour lesquels la décision de licenciement est contestée. Il satisfait les conditions de l'art. 65 LPA.

3) La recourante se plaint d'une motivation insuffisante de la décision entreprise.

Le droit à une motivation suffisante découle de l'art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101). Il suffit, sous cet aspect, que les parties puissent se rendre compte de la portée de la décision à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 136 I 184 consid. 2.2.1 p. 188 ; Arrêts du Tribunal fédéral 2C_997/2011 du 3 avril 2012 consid. 3 ; 1C_311/2010 du 7 octobre 2010 consid. 3.1 ; 9C_831/2009 du 12 août 2010 et arrêts cités ; ATA/844/2012 du 18 décembre 2012).

En l'espèce, la décision l’entreprise informe l'intéressée que son licenciement est prononcé en raison de l'existence d'un motif fondé et énonce la base légale qui lui sert de fondement. Il renvoie pour le reste à l'entretien de service du 7 mars 2012 auquel la recourante a participé, qui a fait l'objet d'un procès-verbal long et détaillé.

Bien que laconique, cette motivation est suffisante pour permettre à Mme X______ de comprendre les raisons qui ont poussé le DF à la licencier et de se défendre en connaissance de cause, ce qu'elle a d'ailleurs fait de manière prolixe dans son acte de recours, en discutant tous les faits pertinents et leurs conséquences juridiques.

4) En tant que fonctionnaire, Mme X______ est soumise à la LPAC (art. 1 et 5 LPAC), au RPAC, ainsi qu'au règlement relatif à la protection de la personnalité à l'Etat de Genève (RPPers - B 5 05.10).

5) L'autorité compétente peut résilier les rapports de service du fonctionnaire pour un motif fondé (art. 21 al. 3 LPAC).

6) Il existe un motif fondé au sens de l’art. 21 al. 3 LPAC lorsque la continuation des rapports de service n’est plus compatible avec le bon fonctionnement de l’administration, soit notamment en raison de l’inaptitude à remplir les exigences du poste (art. 22 let. b LPAC), ce dernier motif fondant la décision attaquée.

7) Les motifs de résiliation des rapports de service ont été élargis lors de la modification de la LPAC du 23 mars 2007, entrée en vigueur le 31 mai 2007. Depuis lors, il ne s’agit plus de démontrer que la poursuite des rapports de service est rendue difficile, mais qu’elle n’est plus compatible avec le bon fonctionnement de l’administration (MGC 2006-2007/VI A 4529). Selon l’exposé des motifs relatif à cette modification, l’intérêt public au bon fonctionnement de l’administration cantonale est déterminant en la matière. C’est lui qui sert de base à la notion de motif fondé qui doit exister pour justifier un licenciement dans la fonction publique. Le motif fondé est indépendant de la faute du membre du personnel. Il n’est qu’un élément objectif indépendant d’une intention ou d’une négligence. […] La résiliation pour motif fondé, qui est une mesure administrative, ne vise pas à punir mais à adapter la composition de la fonction publique dans un service déterminé aux exigences relatives au bon fonctionnement dudit service (MGC 2005-2006/XI A 10420).

8) La procédure disciplinaire suppose un comportement fautif. Elle implique le constat que le fonctionnaire a violé les devoirs de sa charge, intentionnellement ou par négligence, et que la gravité de la faute justifie une sanction disciplinaire. En tant qu'elle revêt l'aspect d'une peine et a un caractère plus ou moins infamant, la révocation, qui constitue la sanction disciplinaire la plus sévère, ne s'impose que dans les cas particulièrement graves qui portent atteinte au fonctionnement ou à l'image de l'employeur public (Arrêts du Tribunal fédéral 8C_47/2013 du 28 octobre 2013 ; 8C_631/2011 du 19 septembre 2012 ; 8C_203/2010 du 1er mars 2011).

9) La violation fautive des devoirs de service n'exclut pas le prononcé d'un licenciement administratif. Le Tribunal fédéral a confirmé que si le principe même d'une collaboration ultérieure est remis en cause par une faute disciplinaire de manière à rendre inacceptable une continuation du rapport de service, un simple licenciement, dont les conséquences sont moins graves pour la personne concernée, peut être décidé à la place de la révocation disciplinaire (Arrêt du Tribunal fédéral 8C_203/2010 du 1er mars 2011).

10) Par ailleurs, la procédure de licenciement pour motif fondé est formalisée au niveau du RPAC. Un entretien de service entre le membre du personnel et son supérieur hiérarchique, ayant pour objet les manquements aux devoirs du personnel, doit avoir lieu (art. 44 al. 1 RPAC). Le membre du personnel peut se faire accompagner d’une personne de son choix. Il peut demander qu’un responsable des ressources humaines soit présent (art. 44 al. 2 RPAC). La convocation doit parvenir aux membres du personnel quatorze jours avant l’entretien, ce délai pouvant être réduit lorsque l’entretien a pour objet une infraction aux devoirs du personnel (art. 44 al. 3 RPAC). Elle doit préciser la nature, le motif de l’entretien et les personnes présentes pour l’employeur, respectivement rappeler le droit pour le membre du personnel de se faire accompagner (art. 44 al. 4 RPAC). Ces prescriptions sont une concrétisation du droit d’être entendu garanti par l’art. 29 al. 2 Cst.

11) Enfin, les rapports de service étant soumis au droit public, la résiliation est en outre assujettie au respect des principes constitutionnels, en particulier ceux de la légalité, de l’égalité de traitement, de la proportionnalité et de l’interdiction de l’arbitraire (ATA/330/2013 du 28 mai 2013 ; ATA/33/2013 du 22 janvier 2013).

12) En l'espèce, les compétences professionnelles de la recourante n'ont jamais été mises en cause. En revanche, sa difficulté à supporter les remarques ou les différences de points de vue de ses collègues et à ne pas les vivre comme des affronts ou des attaques contre sa personne a été relevée à plusieurs reprises (dans l’audit, lors des évaluations des 23 mai 2006, 1er février 2007 et 6 décembre 2007). Malgré la prise dans le but de remédier à ce problème, des incidents relationnels n'ont cessé de se produire et de dégénérer. L'incapacité de la recourante de les gérer découle en outre clairement des pièces du dossier, qui attestent que d'une remarque ou d'un heurt, tout désobligeant ou désagréable qu'ils aient pu être de son point de vue, ont découlé des conséquences considérables et objectivement disproportionnées (colères, emportements verbaux, attaques, tentatives de suicide).

Le dossier confirme par ailleurs la grave et durable détérioration du climat de travail créée par cette attitude au sein des services concernés.

13) Des efforts considérables ont été faits par la hiérarchie de la recourante pour l'écouter et l'aider à tourner la page de son expérience à l'O______ et à se sentir à l'aise dans ses nouvelles fonctions (une heure d'entretien personnel hebdomadaire, environnement de travail bienveillant et protégé pour lui permettre de regagner confiance en elle, valorisation de son travail, etc), mais elle n'a cessé de revenir de manière récurrente et vindicative sur les injustices dont elle considérait avoir été victime, rendant difficile sa réinsertion, puis d'accuser ensuite ses collègues des tensions qu'ils avaient prétendument créées par leurs remarques à son endroit. Outre les événements attestés par les pièces du dossier, qui parlent d'eux-mêmes, les conclusions du groupe de confiance, l'audit de l'O______ et l'évaluation médicale concordent sur le fait que si Mme X______ entretient de bonnes relations avec ses collègues au début de son arrivée dans un service, elle ne parvient pas à les maintenir sur la durée.

14) Dès qu'elle a été mise au courant par la recourante de sa tentative de suicide, sa hiérarchie a aussitôt réagi en demandant une évaluation médicale et un accompagnement de son retour au travail par le SPE. Plusieurs mesures ont été prises en accord avec le SPE (aménagement des conditions de travail, reprise à temps partiel progressif, etc) et de très nombreux entretiens ont eu lieu dans le but de favoriser le succès de ce retour, mais le seul remède pour la recourante, qui persistait à ne vouloir reconnaître de torts que chez les autres, était que ceux-ci soient amendés ou sanctionnés, position que ne partageait pas l'ensemble de sa hiérarchie ; à aucun moment la recourante n'a remis en question sa propre perception des événements ni pu relativiser ceux-ci et les ramener à leur juste proportion, vouant ainsi à l'échec toute recherche de solution.

15) Ce comportement, qui a affecté l'O______ et l'OPE au point de nuire gravement à leur fonctionnement, atteste d'une inaptitude de la recourante à remplir les exigences du poste, au sens de l'art. 22 let. b LPAC, non compatible avec le fonctionnement de l'administration (art. 21 al. 3 LPAC). Cette inaptitude étant indépendante de toute faute, le DF était fondé à choisir la procédure prévue par l'art. 21 LPAC.

16) L'intérêt privé de la recourante à conserver son poste s'oppose au devoir de l'Etat de protéger la santé et le climat de travail de ses collaborateurs et de veiller à la bonne marche du service. Vu la détérioration du climat de travail que le licenciement de Mme X______ était à même de rétablir, il ne peut être fait grief au département d'avoir considéré que l'intérêt public au licenciement était prépondérant et qu'il respectait le principe de la proportionnalité.

L'existence d'un motif fondé est ainsi avérée.

17) Lorsque les éléments constitutifs d'un motif fondé de résiliation sont dûment établis lors d'entretiens de service, un reclassement selon l'art. 21 al. 3 LPAC est proposé pour autant qu’un poste soit disponible au sein de l’administration et que l’intéressé au bénéfice d'une nomination dispose des capacités nécessaires pour l’occuper (art. 46A al. 1 RPAC). Des mesures de développement et de réinsertion professionnels propres à favoriser le reclassement sont proposées (art. 46A al. 2 RPAC). En cas de reclassement, un délai n'excédant pas six mois est fixé pour permettre à l'intéressé d'assumer sa nouvelle fonction (art. 46A al. 5 RPAC). En cas de refus, d’échec ou d'absence du reclassement, une décision motivée de résiliation des rapports de service pour motif fondé intervient (art. 46A al. 6 RPAC).

En l'espèce, la procédure de reclassement a été ouverte du 18 septembre 2012 au 7 janvier 2013. Pendant cette période de près de quatre mois, le DF a cherché activement un poste pour l'intéressée ; il a examiné toutes les places vacantes pour voir si elles correspondaient à son profil et les lui a communiquées pour savoir si l'une d'entre elle lui siérait bien qu'elles ne correspondaient pas à ce dernier. Il a signalé ses recherches par courriels aux services RH des différents départements. Il a assuré à Mme X______ son soutien au cas où elle postulerait en dehors de l'Etat et a soutenu ses candidatures à quatre postes vacants au sein de l'Etat de Genève. Enfin, il a prolongé d'un mois la procédure de reclassement pour favoriser les postulations en cours.

Certes, aucune mesure de développement et de réinsertion n'ont été proposées. Il ne faut pas perdre de vue cependant que la prise en charge de la recourante par l'OPE visait déjà la réinsertion de cette dernière dans un autre service que l'O______, dont la paralysie était, en partie au moins, causée par le comportement de la recourante, ainsi qu'en témoigne le rapport d'audit du 11 mai 2010. A cela s'ajoute que la recourante ne cherchait pas un poste dans un autre domaine d'activité que le sien et qu'elle était parfaitement formée pour exercer sa profession. Seuls des problèmes relationnels - auxquels les nombreuses mesures d'accompagnement prises précédemment n'avaient pu remédier - étaient à l’origine du licenciement. Dans ces conditions, le DF n’était pas tenu de prendre des mesures complémentaires en l'absence de demandes de l'intéressée.

18. En conséquence, le recours sera rejeté.

19. Cette issue exclut l’examen des prétentions en indemnité de la recourante.

20. Vu la situation financière de la recourante, qui vit seule avec CHF 4'400.- par mois environ, un émolument réduit de CHF 500.- sera mis à sa charge. Aucune indemnité ne lui sera par ailleurs allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er mars 2013 par Madame X______ contre la décision du département des finances du 29 janvier 2013 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu'il est mis à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.- ;

dit qu'il ne lui est pas alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Marc Bellon, avocat de la recourante, ainsi qu'au département des finances.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :