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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2535/2023

ATA/746/2024 du 20.06.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2535/2023-PRISON ATA/746/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2024

2ème section

 

dans la cause

 

A______ recourant
représenté par Me Guillaume LAMMERS, avocat

contre

ÉTABLISSEMENT FERMÉ B______ intimé

_________



EN FAIT

A. a. A______, né le ______ 1984, est incarcéré depuis le 18 janvier 2022 à l’établissement fermé B______ (ci-après : la prison), en exécution de peine.

b. Il présente une arthrose de la hanche droite (coxarthrose) de stade avancé nécessitant la mise en place d’une prothèse de hanche totale du côté droit, opération non réalisable en milieu carcéral. Il bénéficie d’un traitement médicamenteux sous la forme d’antalgiques.

c. Entre le 28 mars 2022 et le 22 juillet 2023, A______ a fait l’objet des sanctions disciplinaires suivantes :

- le 28 mars 2022, une suppression des activités durant trois jours pour trouble de l’ordre ou de la tranquillité dans l’établissement et ses environs ainsi qu’adoption d’un comportement contraire au but de l’établissement ;

- le 19 mai 2022, un placement en cellule forte durant cinq jours et une suppression des activités pour détention de téléphone portable, de même qu’une amende de CHF 50.- pour possession, introduction dans l’établissement, détention ou consommation de stupéfiants ;

- le 18 octobre 2022, une suppression des activités durant deux jours pour détérioration intentionnelle d’un local de pause, comportement inadéquat et adoption d’un comportement contraire au but de l’établissement ;

- le 6 novembre 2022, une amende de CHF 50.- pour possession, introduction dans l’établissement, détention ou consommation de stupéfiants ;

- le 22 novembre 2022, un avertissement pour adoption d’un comportement contraire au but de l’établissement ;

- le 23 novembre 2022, une suppression des activités durant un jour pour refus de travailler ;

- le 29 janvier 2023, une suppression des activités durant cinq jours pour vol, détention de produits interdits appartenant aux ateliers, comportement inapproprié, trouble de l’ordre et de la tranquillité de l’établissement et adoption d’un comportement contraire au but de ce dernier, ainsi qu’un placement en cellule forte durant cinq jours pour détention de téléphone portable ;

- le 6 avril 2023, une suppression des activités durant quatre jours pour appropriation de marchandises ou de matériel mis à disposition du secteur, adoption d’un comportement contraire au but de l’établissement ainsi que trouble de l’ordre ou de la tranquillité dans l’établissement ou ses environs immédiats ;

- le 16 avril 2023, un placement en cellule forte durant sept jours pour agression sur un codétenu, exercice d’une violence physique ou verbale à l’égard des autres détenus, adoption d’un comportement contraire à l’établissement ainsi que trouble de l’ordre ou de la tranquillité dans l’établissement ou ses environs immédiats ;

- le 22 juillet 2023, un placement en cellule forte durant trois jours pour exercice d’une violence physique ou verbale à l’égard d’un codétenu, adoption d’un comportement contraire à l’établissement ainsi que trouble de l’ordre ou de la tranquillité dans l’établissement ou ses environs immédiats.

B. a. Le 25 juillet 2023, A______ a fait l’objet d’une sanction disciplinaire consistant en une mise en cellule forte et une suppression des activités (soit les formations, le sport, les loisirs et les repas en commun) pour une durée de trois jours, à savoir du 25 au 28 juillet 2023, pour menaces verbales à l’encontre d’un agent de détention, usage abusif d’interphone, adoption d’un comportement contraire au but de l’établissement ainsi que trouble de l’ordre ou de la tranquillité de l’établissement ou ses environs immédiats. Ladite sanction a été notifiée à l’intéressé par écrit le même jour à 11h55 après qu’il eut été entendu.

b. Il ressort du rapport d’incident du 24 juillet 2023 établi à 14h30 que, le même jour, A______ avait actionné l’interphone de la cellule forte dans laquelle il se trouvait à plusieurs reprises pour se plaindre de douleurs et demander à voir un médecin. Il lui avait été répondu qu’il avait été vu par le service médical de la prison (ci-après : le service médical) le même jour à 11h00 et qu’un traitement à prendre le soir lui avait été prescrit. Malgré ces explications, le détenu continuait à actionner l’interphone, à intervalles d’une minute, pour les mêmes raisons.

Selon le rapport d’incident complémentaire du 24 juillet 2023 établi à 16h30 par le même appointé, A______ avait utilisé l’interphone une quarantaine de fois depuis 14h00, continuant sans cesse de l’actionner.

c. Il ressort du rapport d’incident du 24 juillet 2023 établi à 16h35 par un autre appointé que A______ n’avait cessé d’actionner l’interphone. Après qu’il lui avait répondu au sujet de son problème médical, le détenu lui avait dit : « on verra si vous aurez le même état d’esprit à l’extérieur, avec mes amis », puis « face à plusieurs autres personnes à l’extérieur ». La communication étant devenue impossible, l’interphone avait été coupé.

d. Selon le rapport d’incident établi le 25 juillet 2023 par un gardien principal, la veille, à 21h35, A______ avait sonné à l’interphone pour se plaindre de douleurs à la hanche et faire part de son souhait de consulter un médecin. Le détenu ayant reçu sa médication à 16h30 et n’en ayant pas pour la nuit, le « 144 » avait été contacté, lequel avait transmis la demande à C______(ci-après : C______), qui avait dépêché un médecin à la prison à 00h52.

e. Il ressort des enregistrements des interphones entre la cellule forte dans laquelle se trouvait A______ le 24 juillet 2023 et la centrale ce qui suit :

e.a. Le 24 juillet 2023, l’interphone a été enclenché par A______ entre 12h57 et 21h39.

À 12h57, 13h05, 13h13, 13h24, 14h00, le détenu se plaignait de douleurs et de n’avoir pas reçu sa médication de l’après-midi, prescrite la veille. Le surveillant lui expliquait que sa demande avait été transmise au service médical, qu’il avait vu le matin même, et qu’il ne pouvait en faire davantage pour le moment, en particulier qu’il ne pouvait contacter un médecin de l’extérieur lorsque ledit service était ouvert. À 14h51 et 15h14, le détenu demandait à voir un médecin, le surveillant lui répondant qu’il ne devait pas sans cesse actionner l’interphone, ce d’autant plus qu’il avait été vu par « toute la prison » et que le médicament qu’il réclamait lui serait donné le soir. À 15h43 et 15h49, le détenu a de nouveau demandé à voir un médecin au motif que le médicament qu’il venait de recevoir n’était pas celui qu’il attendait. Le surveillant lui demandait de cesser d’activer l’interphone et que des médicaments venaient de lui être remis par le service médical. À 16h01 et 16h02, le détenu a demandé à voir un médecin en raison de ses douleurs, ce à quoi le surveillant a répondu que sa demande avait été transmise et qu’il devait patienter. À 16h06, le détenu a réitéré la même demande, à laquelle le surveillant a donné la même réponse. Le détenu indiquait alors : « j’espère que vous aurez le même état d’esprit […] quand on sera en face à face […] à l’extérieur […] avec les gens de l’extérieur et tout ». À 16h44, le détenu demandait à voir un médecin en raison de ses douleurs, ce à quoi le surveillant lui répondait qu’il avait été vu plusieurs fois, qu’il devait arrêter d’actionner l’interphone, comportement qui perdurait d’ailleurs depuis plusieurs jours, à tout le moins depuis la veille. Il lui expliquait en outre qu’il n’était pas en mesure d’appeler un médecin lorsque le service médical était ouvert. Le détenu lui répondait qu’un médicament qui ne lui avait pas été prescrit lui avait été remis mais qu’il ne voulait pas le prendre car il était « trop fort ». À 20h58, le détenu a demandé à voir un médecin, indiquant qu’il n’avait pas pris de médicament et que celui qu’il avait eu à 16h30 ne produisait pas suffisamment d’effets. À deux reprises à 20h59, le détenu a réitéré sa demande, le surveillant lui répondant que sa requête était en cours de traitement. À 21h39, à la demande du détenu, le surveillant lui indiquait que C______ avait été appelé et qu’un médecin serait dépêché sur place, sans savoir exactement à quelle heure.

À 13h59, 14h02, 14h10, 14h13 (à deux reprises), 14h15, 14h16, 14h17, 14h27, 14h31, 14h39, 14h43, 14h46, 14h49, 15h03, 15h12, 15h13 (à trois reprises), 15h48, 15h57, 16h00, 16h01, 16h03, 16h08, 16h11, 16h14, 16h20, 16h21 (à deux reprises), 16h25, 16h28, 16h33, 16h48, l’interphone a été enclenché par le détenu sans qu’il prenne la parole et/ou sans communication avec la centrale.

e.b. L’interphone a été enclenché depuis la centrale à plusieurs reprises. À 14h17, puis à 14h21, un surveillant s’est rendu dans la cellule du détenu, lequel lui a indiqué que les médicaments qui lui avaient été prescrits ne lui avaient pas été apportés à midi. Le surveillant lui a répondu qu’ils le seraient le soir. À 15h06, un surveillant s’est de nouveau rendu dans la cellule du détenu pour lui dire que sa demande avait été transmise au service médical et qu’il relevait de ce dernier de décider s’il verrait un médecin.

À 16h21, un « bruit de cochon » a été diffusé dans la cellule depuis la centrale, puis, à 16h22, 16h24, 16h25, 16h29 et 16h31, de la musique.

C. a. Par acte expédié le 6 août 2023, complété le 25 août 2023, A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la sanction du 25 juillet 2023, concluant à son annulation.

Le 24 juillet 2023, il avait demandé à consulter un médecin en raison de douleurs à la hanche et avait dû insister à plusieurs reprises auprès du surveillant, lequel, au lieu de faire droit à sa requête, avait passé de la musique dans sa cellule par le biais de l’interphone dans un but vexatoire. Il n’avait proféré aucune menace ni utilisé l’interphone de manière abusive.

b. Le 15 septembre 2023, la prison a conclu au rejet du recours.

Les faits avaient été correctement constatés. Il ressortait du dossier que, le 24 juillet 2023, A______ avait actionné une quarantaine de fois l’interphone afin de solliciter la venue d’un médecin, alors qu’il avait été vu par une infirmière le matin même et que les surveillants lui avaient fourni toutes les explications au sujet de sa demande, ce qui ne l’avait pas empêché de proférer des menaces à leur encontre.

Les dispositions légales pertinentes avaient été correctement appliquées et la sanction disciplinaire infligée respectait le principe de la proportionnalité sous ses différents aspects, tant s’agissant de sa nature que de sa quotité. L’intéressé ne pouvait pas être suivi lorsqu’il affirmait avoir subi les provocations du personnel pénitentiaire, puisque les menaces et l’abus d’interphone avaient eu lieu avant la diffusion des sons et extraits musicaux dans la cellule.

c. Le 21 septembre 2023, la chambre administrative a invité A______ à produire les éléments médicaux susceptibles d’étayer ses allégations.

d. Le 26 octobre 2023, A______ a persisté dans son recours.

Il était inadmissible de le sanctionner au motif qu’il avait actionné l’interphone, seul moyen à sa disposition pour communiquer avec les surveillants et leur faire part de ses douleurs à la hanche, attestées par plusieurs certificats médicaux. Le 23 juillet 2023, alors qu’il se trouvait en cellule forte, un médecin de C______ lui avait prescrit des antalgiques, à prendre trois fois par jour, médication qui ne lui avait toutefois pas été administrée le 24 juillet 2023 par le service médical. Il en avait informé les surveillants mais ses appels n’avaient pas été pris au sérieux, aucun médecin n’ayant été appelé jusqu’à 00h35.

Il n’avait pas non plus proféré de menaces à l’encontre du personnel, les éléments retenus par la prison, confus, ne ressortant pas des enregistrements de l’interphone. Son interlocuteur, qui ne l’avait pas laissé expliquer ses propos, n’avait au demeurant pas été effrayé ni alarmé par cet échange, étant précisé que des enregistrements particulièrement dégradants à son égard avaient été diffusés dans sa cellule en représailles.

La sanction prononcée à son encontre ne respectait pas le principe de la proportionnalité. Lors des événements du 24 juillet 2023, il avait subi un traitement inhumain et dégradant, alors qu’il se trouvait en cellule forte, sous un régime de détention particulièrement strict. Il n’avait pas eu accès au traitement qui lui avait été prescrit la veille ni à une consultation médicale.

Il a notamment versé au dossier :

- un rapport de C______ concernant la consultation du 23 juillet 2023, selon lequel il présentait une péjoration de ses douleurs à la hanche droite nécessitant la prise de son traitement habituel trois fois par jour. Il ne s’était pas laissé examiner et s’était limité à demander une majoration de son traitement ;

- un rapport de C______ concernant la consultation du 25 juillet 2023 à 00h35, selon lequel l’anamnèse n’avait pas pu être effectuée, en raison de son manque de collaboration, le patient réclamant seulement un antalgique. Il avait été expliqué au patient qu’un appel « au coup par coup » à C______ pour obtenir un médicament n’était pas possible à long terme, la mise en place d’une réserve de nuit, éventuellement d’un traitement le couvrant plus longtemps, étant recommandée.

e. Le 31 octobre 2023, la chambre administrative a accordé aux parties un délai au 1er décembre 2023 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

f. Le 22 novembre 2023, la prison s’est référée à ses précédentes observations et a expliqué qu’une personne se trouvant en cellule ou en cellule forte pouvait faire appel au personnel pénitentiaire par le biais de l’interphone en tout temps et, lorsqu’elle sollicitait le service médical, la demande était transmise à ce dernier. Ainsi, après que A______ eut sonné une première fois à l’interphone pour se plaindre de douleurs, le personnel pénitentiaire avait informé le service médical de la situation. Le détenu avait néanmoins multiplié les appels, malgré les explications répétées du personnel, qui lui avait indiqué que sa demande avait été transmise au service médical et qu’il devait attendre. Par ailleurs, le matin du 24 juillet 2023, A______ avait été vu par une infirmière, qui lui avait remis sa médication, qu’il avait toutefois refusé de prendre, estimant qu’il ne s’agissait pas de son traitement habituel. Il avait en outre reçu à nouveau sa médication dans l’après-midi, à 16h00. Il ressortait ainsi du dossier que les sollicitations du détenu avaient été prises au sérieux.

g. A______ ne s’est pas déterminé à l’issue du délai imparti mais a, le 22 décembre 2023, fait usage de son droit à la réplique.

Le mécanisme mis en place au sein de la prison s’était révélé défaillant, étant donné que ses nombreuses demandes étaient restées vaines et qu’il avait dû lourdement insister pendant de longues heures afin qu’il soit effectivement fait appel à un médecin. Le fait que le personnel carcéral se soit contenté de transmettre sa demande au service médical n’était pas suffisant pour garantir les soins dont il avait besoin. La prison avait ainsi violé ses obligations positives et infligé un traitement inhumain et dégradant à un détenu pour, enfin, le sanctionner en raison de ces événements.

h. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1.             Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l’examen de sa légalité, dès lors qu’il pourrait être tenu compte des sanctions contestées en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/570/2024 du 7 mai 2024 consid. 2 et les références citées).

Le recours est donc recevable.

3.             Le litige a pour objet la conformité au droit de la sanction du 25 juillet 2023 prononcée à l’encontre du recourant.

Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

4.             Le recourant conteste le bien-fondé de la sanction qui lui a été infligée.

4.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, font l’objet d’une surveillance spéciale. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (ATA/570/2024 précité consid. 7 et les références citées).

4.2 Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute (ATA/439/2024 du 27 mars 2024 consid. 3.2). La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/352/2024 du 11 mars 2024 consid. 3.2)

4.3 En matière de sanctions disciplinaires, l’autorité dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le pouvoir d’examen de la chambre administrative se limitant à l’excès ou l’abus de ce pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 2 LP ; ATA/570/2024 précité consid. 7.5 et les références citées).

4.4 En procédure administrative, la constatation des faits est gouvernée par le principe de la libre appréciation des preuves (ATF 139 II 185 consid. 9.2). Le juge forme ainsi librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées et ce n’est ni le genre, ni le nombre des preuves qui est déterminant, mais leur force de persuasion (ATA/352/2024 précité consid. 3.4).

De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement une pleine valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés, sauf si des éléments permettent de s’en écarter. Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 19 de la loi sur l’organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaire du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/439/2024 précité consid. 3.8).

4.5 L’art. 180 al. 1 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) réprime le comportement de celui qui, par une menace grave, aura alarmé ou effrayé une personne.

Sur le plan objectif, cette infraction suppose la réalisation de deux conditions : il faut que l’auteur ait émis une menace grave, soit une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer la victime (ATF 122 IV 97 consid. 2b ; 99 IV 212 consid. 1a), et que la victime ait été effectivement alarmée ou effrayée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_578/2016 du 19 août 2016 consid. 2.1). Le contexte dans lequel des propos sont émis est un élément permettant d’en apprécier le caractère menaçant ou non (arrêts du Tribunal fédéral 6B_593/2016 du 27 avril 2017 consid. 3.1.3 ; 6B_307/2013 du 13 juin 2013 consid. 5.2).

Dans sa casuistique, la chambre de céans a considéré que constituaient une menace les propos : « je vais trouver toutes vos adresses et je vais vous retrouver dehors » (ATA/670/2015 du 23 juin 2015), « fais attention à ta femme et tes enfants, quand je sortirai je m'en occuperai » (ATA/13/2015 du 6 janvier 2015) ou encore, plus récemment, « je vous avertis, le prochain que je croise, sans rien, je lui rentre dedans » (ATA/439/2024 précité consid. 4)

En revanche, l’exclamation « Je ne suis pas détenu ici. Je ne suis pas malade. Vous devez arrêter le cigare ! Vous allez voir » n’atteignaient pas une intensité telle qu’elles pouvaient constituer une menace objectivement de nature à alarmer ou à effrayer un ou des agents de détention (ATA/731/2018 du 10 juillet 2018). De même, elle a retenu que l’expression « Genève, c'est petit » ne constituait pas, d’un point de vue objectif, une menace grave au sens de l’art. 180 al. 1 CP (ATA/1242/2018 du 20 novembre 2018 consid. 9).

Dans sa jurisprudence, la chambre de céans a confirmé des sanctions d’arrêts de deux, voire trois jours de cellule forte pour des menaces d’intensité diverse (voir la casuistique exposée dans l’ATA/136/2019 du 12 février 2019 consid. 9b).

4.6 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement relatif aux établissements ouverts ou fermés d’exécution des peines et des sanctions disciplinaires du 25 juillet 2007 (REPSD - F 1 50.08), dont les dispositions doivent être respectées par les personnes détenues (art. 42 REPSD). Celles-ci doivent observer une attitude correcte à l’égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers (art. 43 REPSD). Il est notamment interdit (art. 44 REPSD) d’exercer une violence physique ou verbale à l’égard du personnel, des autres personnes détenues et des tiers (let. h), de troubler l’ordre ou la tranquillité dans l’établissement ou les environs immédiats (let. i) et, d’une façon générale, d’adopter un comportement contraire au but de l’établissement (let. j).

Si une personne détenue enfreint le REPSD, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 46 al. 1 REPSD). Avant le prononcé de la sanction, la personne détenue doit être informée des faits qui lui sont reprochés et être entendue. Elle peut s’exprimer oralement ou par écrit (art. 46 al. 2 REPSD).

À teneur de l’art. 46 al. 3 REPSD, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer : un avertissement écrit (let. a) ; la suppression, complète ou partielle, pour une durée maximum de trois mois, des autorisations de sortie, des loisirs, des visites et de la possibilité de disposer des ressources financières (let. b) ; l’amende jusqu’à CHF 1'000.- (let. c) ; les arrêts pour dix jours au plus (let. d). Le directeur de l’établissement peut déléguer la compétence de prononcer ces sanctions à d’autres membres du personnel gradé de l’établissement (al. 7). Lesdites sanctions peuvent en outre être cumulées (al. 8).

4.7 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – , de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATA/439/2024 précité consid. 3.6 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consid. 5.4).

5.             En l’espèce, le recourant soutient qu’il n’aurait pas fait un usage abusif de l’interphone.

Il ressort toutefois des enregistrements des interphones entre la cellule forte dans laquelle il se trouvait le 24 juillet 2023 et la centrale que le recourant a enclenché son interphone près de 50 fois entre 12h57 et 21h39. En particulier entre 13h59 et 16h48, il l’a enclenché plus d’une trentaine de fois sans qu’il prenne la parole et/ou sans communication avec la centrale, parfois à une minute d’intervalle. Il l’a également enclenché plus d’une dizaine de fois entre 12h57 et 16h44 pour se plaindre de douleurs à la hanche et demander à voir un médecin, requêtes réitérées malgré les explications des surveillants.

Le recourant, qui ne conteste pas les enregistrements susmentionnés, soutient que l’enclenchement de l’interphone était le seul moyen de communiquer avec les surveillants depuis sa cellule pour obtenir la visite d’un médecin, aucune suite n’ayant été donnée à sa demande jusqu’au 25 juillet 2023 après minuit, moment auquel un médecin était enfin intervenu. Il ne saurait être suivi sur ce point. En effet, il ressort des enregistrements susmentionnés qu’à la suite des demandes répétées du recourant, lequel se plaignait de douleurs, voulait obtenir sa médication et voir un médecin, le surveillant en poste lui a indiqué à plusieurs reprises que sa requête avait été prise en compte et transmise au service médical, seul habilité à intervenir. Malgré ces explications, le recourant a continué à actionner l’interphone pour répéter les mêmes demandes. À cela s’ajoute qu’un surveillant s’est rendu à plusieurs reprises dans la cellule du recourant, comme l’indiquent les enregistrements de l’interphone enclenché depuis la centrale, et que l’intéressé a également été vu par le service médical. Le recourant a ainsi obtenu sa médication avant 16h00, qu’il a toutefois refusé de prendre, comme l’indiquent les enregistrements de l’interphone entre 15h43 et 16h44, au motif qu’il ne s’agissait pas du médicament qui lui avait été prescrit et que celui remis était « trop fort ». Ainsi, contrairement à ce que prétend le recourant, ses appels ont bien été pris au sérieux et l’on ne voit pas en quoi les événements du 24 juillet 2023 seraient constitutifs d’un traitement inhumain et dégradant, comme l’allègue le recourant.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le recourant a été sanctionné pour usage abusif de l’interphone, ce qui constitue une violation de ses obligations de personne détenue.

5.1 Le recourant conteste avoir proféré des menaces à l’encontre d’un surveillant.

Il ressort des enregistrements des interphones que, le 24 juillet 2023 à 16h06, le recourant, en réponse au surveillant qui lui indiquait que sa demande avait été transmise au service médical, lui a répondu « j’espère que vous aurez le même état d’esprit […] quand on sera en face à face […] à l’extérieur […] avec les gens de l’extérieur et tout ». Ces propos, bien qu’ayant été prononcés alors que le recourant présentait des douleurs à la hanche mais qu’il refusait néanmoins de prendre la médication qui lui avait été précédemment remise, étaient de nature à effrayer le surveillant en poste à la centrale, conformément à la jurisprudence précitée de la chambre de céans. Ils ont ainsi, à juste titre, été qualifiés de menaces. Or, le fait de menacer des agents de détention contrevient à l’obligation du recourant d’observer une attitude correcte à l’égard du personnel pénitentiaire (art. 43 REPSD). Le fait que des extraits sonores et musicaux aient été diffusés dans sa cellule n’apparaît pas déterminant, puisque ces événements sont postérieurs aux faits reprochés au recourant.

Il résulte de ce qui précède que le recourant a violé ses obligations de personne détenue, telles que figurant aux art. 42 ss REPSD, en particulier aux art. 42, 43 et 44 let. h, i et j REPSD.

Il s’ensuit que l’autorité intimée était fondée à le sanctionner. Le fait que les agents de la centrale aient quant à eux diffusé dans la cellule du recourant des bruitages incongrus, bien que regrettable et peu professionnel, n'a pas à être pris en compte, le droit disciplinaire ne connaissant pas de compensation des fautes.

6.             Se pose encore la question de savoir si la sanction respecte le principe de la proportionnalité, ce que le recourant conteste s’agissant de sa mise en cellule forte.

Bien que la sanction de cellule forte soit la forme de sanction la plus sévère prévue par le REPSD, il convient de relever que le recourant, au moment des événements du 24 juillet 2023, exécutait une précédente sanction et se trouvait ainsi en cellule forte pour un autre motif. À cela s’ajoute que depuis son incarcération le 18 janvier 2022, le recourant a fait l’objet de nombreuses sanctions disciplinaires, qui ne l’ont pas empêché de contrevenir une nouvelle fois à ses obligations de personne détenue. Par ailleurs, le recourant a été sanctionné pour avoir fait un usage abusif de l’interphone et menacé verbalement un agent de détention, comportement contraire aux art. 42, 43 et 44 let. h, i et j REPSD.

Au vu de l’ensemble de ces circonstances, la sanction de trois jours de cellule forte, soit le bas de la fourchette de l’art. 46 al. 3 let. d REPSD, cumulée à une suppression des activités pour la même durée, respecte le principe de la proportionnalité.

La sanction est ainsi conforme au droit et ne consacre pas un abus du pouvoir d’appréciation de l’autorité intimée.

Le recours sera ainsi rejeté.

7.             La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument. Dès lors que le recourant succombe, il ne peut se voir allouer d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 août 2023 par A______ contre la décision de l’établissement fermé B______ du 25 juillet 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Guillaume LAMMERS, avocat du recourant, ainsi qu’à l’établissement fermé B______.

Siégeant : Claudio MASCOTTO, président, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

S. CROCI TORTI

 

 

le président siégeant :

 

 

C. MASCOTTO

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :