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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4237/2023

ATA/249/2024 du 27.02.2024 ( AIDSO ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4237/2023-AIDSO ATA/249/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 février 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Marc-Philippe SIEGRIST, avocat

contre

HOSPICE GÉNÉRAL intimé



EN FAIT

A. a. A______ (ci-après : la bénéficiaire), née le ______1994, a épousé B______ le 28 février 2020. De cette union est née C______, le ______2020.

b. Le couple a bénéficié de prestations d’aide sociale financière de l’Hospice général (ci-après : l’hospice) pour les mois d’avril 2020 à novembre 2022. A______ en a encore bénéficié au mois de décembre 2022.

c. Les époux ont divorcé le 7 novembre 2022.

d. Par arrêt du 27 juin 2023, la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) a rejeté le recours de la bénéficiaire contre la décision de l’hospice mettant fin à ses prestations d’aide financière au 31 décembre 2022 (ATA/690/2023).

Une enquête avait été effectuée par le service des enquêtes et conformité (ci-après : SEC).

Elle avait omis de déclarer trois comptes bancaires et détenait plus de CHF 90'000.- en octobre 2022, de sorte que sa fortune dépassait largement les seuils prévus à l’art. 1 al. 1 du règlement d'exécution de la loi sur l'insertion et l'aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 (RIASI - J 4 04.01) à partir duquel l’aide financière ne peut plus être accordée.

Dans ses écritures, la recourante faisait valoir que l’argent déposé sur ces comptes ne lui appartenait pas. Il n’était cependant pas contesté qu’elle en était titulaire. Or, dès lors qu’une somme était versée sur le compte d’un bénéficiaire, elle devait être considérée comme lui appartenant, n'étant ni individualisée, ni individualisable. Le fait que ces comptes aient été par la suite clôturés n’était pas non plus pertinent. Conformément à la jurisprudence, il n’appartenait pas à l’État et indirectement à la collectivité, de désintéresser d’éventuels créanciers. C’était partant à juste titre, qu’en application de l’art. 35 al. 1 let. a de la loi sur l’insertion et l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04), l’hospice avait mis fin à ses prestations d’aide financière.

S’ajoutait à cela que la recourante ne s’était pas acquittée de son obligation de collaborer et avait donné des indications incomplètes. Dans sa demande initiale du 3 avril 2020, elle n’avait pas mentionné l’existence d’un compte POSTFINANCE détenu par son mari. Elle n’avait jamais signalé l’existence des trois autres comptes dont elle était titulaire, ce qu’elle ne contestait pas. Elle faisait valoir qu’elle n’avait pas à le faire puisque l’argent s’y trouvant ne lui appartenait pas. Or, son obligation consistait à informer l'hospice de tous ses éléments de fortune, en particulier de l'existence de tous ses comptes bancaires ou postaux. L'appréciation de la situation financière appartenait à l'hospice, non au bénéficiaire. De nombreuses transactions intitulées « entrée salaire » avaient été versées, pour un montant total de CHF 44'082.- de janvier à novembre 2022 sur le compte épargne jeunesse UBS. Selon l’extrait de compte individuel de la recourante, des cotisations AVS avaient été enregistrées à son nom entre décembre 2020 et juillet 2021, alors qu’elle avait soutenu ne pas percevoir de revenus et n’avait jamais expliqué la provenance des montants versés sur son compte, ni la nature de l’activité soumise à cotisations. La suppression des prestations litigieuses se justifiait également sur la base des let. c et d de l’art. 35 al. 1 LIASI.

Enfin, dans une argumentation confuse, elle contestait les constats réalisés par l’inspecteur lors de la visite domiciliaire et faisait valoir que les dépenses de luxe étaient des achats spontanés dus à son état de santé fragilisé. Ces griefs n’avaient toutefois aucune incidence sur l’issue du litige, la décision litigieuse étant fondée sur les éléments de revenus et de fortune non déclarés par la recourante.

B. a. A______ s’est présentée à l’hospice les 17 et 18 juillet 2023 pour solliciter la reprise de l’aide financière.

b. Par décision du 21 juillet 2023, le centre d’action sociale des Eaux-Vives a refusé l’octroi des prestations d’aide sociale financière. Elle détenait une fortune de plus de CHF 90'000.- à la fin du mois d’octobre 2022.

c. Le 21 août 2023, la bénéficiaire a formé opposition contre cette décision. Elle se trouvait en situation d’indigence manifeste, n’était plus titulaire que de deux comptes bancaires dont le solde était, respectivement, négatif et nul, avait des dettes et faisait l’objet de poursuites. Elle contestait avoir une fortune supérieure au maximum prévu et en tout état n’en était plus titulaire. Même si l’hospice devait considérer qu’elle s’était dessaisie de sa fortune, elle aurait droit à une aide financière, remboursable.

d. Selon le rapport du SEC du 8 novembre 2023, trois contrôles impromptus avaient été effectués à l’adresse de domicile indiquée dans la demande de prestation, soit au ______, route de D______ à Genève :

- personne n’était présent le 19 octobre 2023 à 17 heures. Le personnel du service d’immeubles avait déclaré ne plus voir la bénéficiaire et sa mère « depuis au moins mi-septembre 2023 » et que celle-ci « résidait actuellement en France voisine ». La dernière fois qu’il avait vu la bénéficiaire, « celle-ci était en train de débarrasser de nombreuses affaires de son domicile, essentiellement des vêtements, pour les mettre dans une voiture [...] elle était aussi accompagnée d’une dame, probablement une amie, qui l’aidait à transporter ses effets personnels ». Il les avait « vues ensuite faire trois allers-retours avec la voiture » pour une destination inconnue puis ne les avait plus revues. Seule la mère de la bénéficiaire venait quotidiennement à cette adresse en vélo électrique ou avec une voiture de marque Mercedes immatriculée en France ;

- la mère de la bénéficiaire avait répondu à la porte du logement le 23 octobre 2023 à 10h15 ; elle était titulaire du bail et s’acquittait de l’intégralité du loyer ; sa fille et sa petite-fille «[n’étaient] pas présentes au sein du logement » ; elle avait déclaré travailler de nuit chez « E______ SA », être propriétaire d’une villa à Etrembières, venir régulièrement dormir dans l’appartement à la route de D______ ;

- personne n’avait répondu lors du contrôle impromptu du 30 octobre 2023 à 14h30 ; le concierge avait déclaré ne pas avoir vu la bénéficiaire et sa fille sur les lieux « depuis presque deux mois ».

e. Par décision du 17 novembre 2023, le directeur général de l’hospice a rejeté l’opposition de la bénéficiaire.

Il ressortait du rapport du SEC du 8 novembre 2023 qu’elle et sa fille ne résidaient pas à l’adresse indiquée dans la demande de prestation du 9 octobre 2023 et que leur lieu de résidence effective n’avait pas pu être établi. En l’absence de résidence effective à Genève, les conditions d’octroi de l’aide sociale n’étaient pas remplies. Par ailleurs, il ressortait du dossier qu’elle était entrée en possession de plus de CHF 175’949.46 (CHF 127’475.81 plus CHF 48’473.65) au cours des mois de novembre et décembre 2022. Elle avait également affirmé avoir été aidée financièrement par une amie de sa mère du mois de décembre 2022 au mois d’avril 2023 à tout le moins. Rien n’apparaissait dans les extraits bancaires fournis. Elle avait déclaré n’avoir plus aucune ressource financière. Or, les explications selon lesquelles une partie des sommes d’argent qu’elle détenait sur ses comptes à la fin de l’année 2022 appartenait à sa mère et qu’elle avait dû lui rendre étaient dénuées de pertinence au regard de la subsidiarité de l’aide sociale financière. Les explications et pièces produites pour justifier des paiements de travaux entrepris dans la villa de sa mère en France voisinent étaient dénuées de valeur probante. Même à les retenir, la bénéficiaire avait indirectement favorisé des intérêts privés au détriment de la collectivité publique. Elle avait enfin retiré des montants importants en espèces sans avoir été en mesure d’établir à satisfaction de droit qu’elle n’était plus en leur possession.

C. a. Par acte du 20 décembre 2023, la bénéficiaire a interjeté recours devant la chambre administrative. Elle a conclu à l’annulation de la décision précitée et à l’octroi de prestations d’aide sociale financière avec effet rétroactif au jour du dépôt de sa demande d’aide sociale. Subsidiairement, le dossier devait être renvoyé à l’hospice pour nouvelle décision. Préalablement, son audition et celle de sa mère devaient être ordonnées. Sur mesures provisionnelles, l’hospice devait lui fournir immédiatement et mensuellement des prestations d’aide sociale financière.

L’amie de sa mère lui avait versé CHF 3’500.- par mois en espèces, raison pour laquelle le montant n’apparaissait pas sur les relevés bancaires. S’agissant d’une amie proche, elle avait toute confiance en la bénéficiaire et sa mère. Cette dernière n’était pas propriétaire d’une villa mais d’un appartement. Les comptes bancaires de la bénéficiaire avaient servi uniquement de compte de « transit » pour le financement des travaux de sa mère. La bénéficiaire n’avait plus d’argent sur ses comptes et était criblée de dettes. Elle avait effectivement versé de l’argent à des hôpitaux à l’étranger. Cela concernait une opération médicale non prise en charge en Suisse. Il ne s’agissait pas de « centres esthétiques ». Elle avait dû effectuer de nombreux déplacements et allers-retours pour l’organisation de la garde de leur enfant à la suite de son divorce. Les affaires personnelles de son ex-mari, domicilié sur France, avaient été rendues à celui-ci. Son droit d’être entendue avait été violé et les faits constatés de façon inexacte. Les art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), 11 al. 1 let a et b ainsi que 40 al. 1 LIASI avaient été violés.

b. L’hospice a conclu au rejet de la requête en mesures provisionnelles et du recours.

c. La recourante n’a pas souhaité répliquer dans le délai qui lui avait été imparti, ni sur mesures provisionnelles ni sur le fond.

d. Sur ce, la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 52 LIASI).

2.             La recourante sollicite son audition et celle de sa mère.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 145 I 73 consid. 7.2.2.1). Ce droit ne s'étend qu'aux éléments pertinents pour l'issue du litige et n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 145 I 167 consid. 4.1). En outre, il n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; 134 I 140 consid. 5.3).

2.2 En l'espèce, la recourante a eu l’occasion de s’exprimer devant l’hospice, son directeur général dans le cadre de l’opposition et la chambre de céans. Elle a de même pu produire toute pièce qu’elle jugeait utile. Elle n’expose pas quels éléments supplémentaires son audition apporterait à l’instruction de la cause.

Elle propose au surplus l’audition de sa mère, si la chambre de céans ne devait pas être convaincue de la propriété réelle des fonds présents sur ses comptes bancaires. Or, d’une part, sa parente ne pourrait pas être entendue à titre de témoins (art. 31 let. a LPA) compte tenu des liens familiaux les unissant et ne pourrait être auditionnée qu’à titre de renseignement. D’autre part, ces faits ne sont pas déterminants pour l’issue du litige, conformément aux considérants qui suivent.

La chambre de céans dispose ainsi d'un dossier complet lui permettant de trancher le litige en toute connaissance de cause. Il ne sera donc pas donné suite aux demandes d'audition.

3.             La recourante se plaint d’une violation de son droit d’être entendue, l’autorité intimée ayant prononcé la décision du 17 novembre 2023 sans l’interpeller au préalable.

3.1 Dans une procédure initiée sur requête d'un administré, celui-ci est censé motiver sa requête en apportant tous les éléments pertinents ; il n'a donc pas un droit à être encore entendu par l'autorité avant que celle-ci ne prenne sa décision, afin de pouvoir présenter des observations complémentaires. Reste réservée l'hypothèse où l'autorité entendrait fonder sa décision sur des éléments auxquels l'intéressé ne pouvait s'attendre (ATA/277/2021 du 2 mars 2021 consid. 5c ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, p. 519 s., n. 1530).

3.2 En l’espèce, la recourante a initié une demande auprès de l’hospice général le 18 juillet 2023. Conformément à ce qui précède, elle était censée motiver sa requête en apportant tous les éléments pertinents et n’avait pas un droit à être entendue par l’autorité avant que celle-ci ne prenne sa décision, étant rappelé que la précédente demande, récente, avait été dûment instruite par l’hospice. De surcroît, la requête avait été déposée environ deux semaines après la notification de l’arrêt de la chambre administrative confirmant le bien-fondé de la décision d’arrêt d’aide financière à compter du mois de décembre 2022 au vu de la fortune détenue par l’intéressée de plus de CHF 90'000.- à fin octobre 2022. Enfin, cette dernière a pu faire valoir ses arguments dans le cadre de l’opposition du 21 août 2023.

Le grief sera rejeté.

4.             La recourante invoque une violation de l’art. 12 Cst.

4.1 Selon l'art. 12 Cst., quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. L'art. 39 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst - GE - A 2 00) contient une garantie similaire.

4.2  L'art. 12 Cst. ne garantit pas un revenu minimum, mais uniquement la couverture des besoins élémentaires pour survivre d'une manière conforme aux exigences de la dignité humaine, tels que la nourriture, le logement, l'habillement et les soins médicaux de base. L’art. 12 Cst. se limite, autrement dit, à ce qui est nécessaire pour assurer une survie décente afin de ne pas être abandonné à la rue et réduit à la mendicité (ATF 139 I 272 consid. 3.2 et les références ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_239/2014 du 14 mai 2014 consid. 4.3).

4.3 En l’espèce, la recourante ne démontre pas que ses besoins élémentaires ne seraient pas garantis de manière suffisante conformément aux considérants qui suivent. 

5.             La recourante invoque une violation de l’art. 11 al. 1 let. a LIASI.

5.1 En droit genevois, la LIASI et le RIASI concrétisent ces dispositions constitutionnelles, en ayant pour but de prévenir l'exclusion sociale et d'aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1 LIASI). Les prestations de l'aide sociale individuelle sont l'accompagnement social, des prestations financières et l'insertion professionnelle (art. 2 LIASI). La personne majeure qui n'est pas en mesure de subvenir à son entretien ou à celui des membres de la famille dont il a la charge a droit à des prestations d'aide financière. Celles-ci ne sont pas remboursables sous réserve notamment de leur perception indue (art. 8 al. 1 et 2 LIASI). Elles sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI).

5.2 Ont droit à des prestations ordinaires d'aide financière instaurées par l'art. 2 let. b LIASI, les personnes majeures ayant leur domicile et leur résidence effective sur le territoire du canton de Genève (art. 11 al. 1 let. a LIASI).

La condition du domicile et de la résidence effective sur le territoire du canton de Genève est une condition cumulative qui a pour effet que des prestations d'aide financière complète ne sont accordées qu'aux personnes autorisées à séjourner dans le canton de Genève, soit aux personnes d'origine genevoise, aux confédérés et aux étrangers bénéficiant d'un titre de séjour (ATA/817/2019 du 25 avril 2019 ; ATA/1232/2017 du 29 août 2017).

La notion de domicile est, en droit suisse, celle des art. 23 et 24 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), soit le lieu où une personne réside avec l'intention de s'y établir (art. 23 al. 1 in initio CC). La notion de domicile contient deux éléments : d'une part, la résidence, soit un séjour d'une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits et, d'autre part, l'intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence qui doit être reconnaissable pour les tiers et donc ressortir de circonstances extérieures et objectives. Cette intention implique la volonté manifestée de faire d'un lieu le centre de ses relations personnelles et professionnelles. Le domicile d'une personne se trouve ainsi au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites, compte tenu de l'ensemble des circonstances. Le lieu où les papiers d'identité ont été déposés ou celui figurant dans des documents administratifs, comme des attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales constituent des indices qui ne sauraient toutefois l'emporter sur le lieu où se focalise un maximum d'éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l'intéressé (ATF 141 V 530 consid. 5.2 ; 136 II 405 consid. 4.3 ; 134 V 236 consid. 2.1). Ce n'est pas la durée du séjour à cet endroit qui est décisive, mais bien la perspective d'une telle durée (arrêts du Tribunal fédéral 5A.398/2007 du 28 avril 2008 consid. 3.2 ; 5A.34/2004 du 22 avril 2005 consid. 3.2). Du point de vue subjectif, ce n'est pas la volonté interne de la personne concernée qui importe, mais les circonstances reconnaissables pour des tiers, qui permettent de déduire qu'elle a cette volonté (ATF 137 II 122 consid. 3.6 = JdT 2011 IV 372 ; 133 V 309 consid. 3.1 et les arrêts cités ; arrêt du Tribunal fédéral 5A.398/2007 précité consid. 3.2).

Nul ne peut avoir en même temps plusieurs domiciles (art. 23 al. 2 CC), mais chacun doit avoir un domicile. Ainsi, en l'absence d'un domicile volontaire et légal, l'art. 24 CC établit des règles subsidiaires qui permettent de définir un domicile fictif (arrêt du Tribunal fédéral 2C_478/2008 du 23 septembre 2008 consid. 3.4). Toute personne conserve son domicile aussi longtemps qu'elle ne s'en est pas créé un nouveau (art. 24 al.1 CC).

5.3 Le demandeur doit fournir tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d'aide financière (art. 32 al. 1 LIASI). La LIASI impose ainsi un devoir de collaboration et de renseignement. Le bénéficiaire ou son représentant légal doit immédiatement déclarer à l'hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d'aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression (art. 33 al. 1 LIASI ; ATA/1446/2019 du 1er octobre 2019 consid. 5a). Le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l'hospice » concrétise cette obligation de collaborer en exigeant du demandeur qu'il donne immédiatement et spontanément à l'hospice tout renseignement et toute pièce nécessaires à l'établissement de sa situation économique (ATA/93/2020 du 28 janvier 2020 consid. 3a).

5.4 L’art. 35 LIASI décrit six cas dans lesquels les prestations d'aide financière peuvent être réduites, suspendues, refusées ou supprimées.

Tel est notamment le cas lorsque le bénéficiaire ne répond pas ou cesse de répondre aux conditions de la LIASI (art. 35 al. 1 let. a LIASI), lorsqu'il ne s'acquitte pas intentionnellement de son obligation de collaborer telle que prescrite par l'art. 32 LIASI ou lorsqu’il refuse de donner les informations requises, donne des indications fausses ou incomplètes ou cache des informations utiles (art. 35 al. 1 let. d LIASI).

Selon la jurisprudence, la suppression ou la réduction des prestations d'assistance doit au surplus être conforme au principe de la proportionnalité, imposant une pesée de l'ensemble des circonstances. Il faut alors prendre en considération la personnalité et la conduite du bénéficiaire des prestations, la gravité des fautes qui lui sont reprochées, les circonstances de la suppression des prestations ainsi que l'ensemble de la situation de la personne concernée (ATF 122 II 193 ; ATA/1271/2017 du 12 septembre 2017 consid. 6c ; ATA/357/2017 du 23 mars 2017).

5.5 En l'espèce, la recourante a sollicité une aide financière de l’hospice les 17 et 18 juillet 2023 en passant dans les locaux de l’autorité intimée. L’arrêt de la chambre de céans du 27 juin 2023 venant d’être notifié, une décision négative a été prononcée le 21 juillet 2023. À la suite de l’opposition faite par la bénéficiaire, le SEC a effectué trois passages à son domicile au ______, route de D______, sans jamais qu’elle ne s’y trouve. Les jours et les heures de passage étaient variés, soit des jeudi et lundi, à 10h15, 14h et 17h.

L’intéressée n’a donné aucune explication pouvant justifier son absence de l’appartement, ni a fortiori de justificatifs prouvant le motif de son absence. Elle n’a de même produit aucune pièce à même de confirmer la réalité de sa domiciliation à la route de D______, malgré son obligation de collaborer à l’établissement des faits. Elle a, par exemple, mentionné dans sa demande du 9 octobre 2023 avoir des frais de garde pour sa fille. Outre qu’elle n’a fourni aucune information sur cette dépense tout en cochant qu’elle s’acquittait d’une cotisation AVS pour personne sans activité lucrative, une localisation de la maman de jour ou de la crèche proche de la route de D______ aurait pu être un indice en sa faveur. Or, aucun renseignement de ce type n’a été versé à la procédure.

D’autres éléments s’ajoutent à ce manque, fautif, de collaboration. La mère de l’intéressée, seule présente le 23 octobre 2023, n’a pas proposé à l’enquêteur de le faire entrer pour qu’il puisse vérifier la présence des affaires de sa fille et sa petite‑fille de l’appartement, ni même de la contacter pour avoir son accord avec une telle visite.

Le concierge de l’immeuble a de même confirmé, tant le 19 octobre que le 23 octobre 2023 qu’il n’avait pas vu la bénéficiaire et sa fillette de trois ans au ______, route de D______ depuis mi-septembre 2023, au contraire de la mère de la bénéficiaire, quotidiennement présente. Il a encore attesté de ce fait par téléphone à l’enquêteur le 30 octobre 2023.

Cette conclusion tend à confirmer les constatations et doutes émis lors du premier rapport du SEC. En effet, lors de la première enquête, personne ne se trouvait dans l’appartement les mardi 18 octobre 2022 à 15h30, jeudi 3 novembre à 7h00, lundi 28 novembre à 15h45. La mère de la bénéficiaire avait ouvert le lundi 29 novembre 2022 à 7h30 indiquant que sa fille était à l’intérieur, malade. Le contrôleur avait constaté la présence de la bénéficiaire et de sa fille. Le mardi 6 décembre 2022 à 10h20, alors qu’un rendez-vous était convenu, personne n’était présent. Le nombre de cartons constatés lors de la visite domiciliaire en automne 2022, l’intitulé de certains « chaussures de luxe », « sacs de luxe », « vêtements de luxe », et le fait que les passeports de toute la famille étaient dans les cartons alors que la bénéficiaire venait d’indiquer que ses affaires restaient au ______, route de D______, seul son ex-mari déménageant, avaient notamment poussé l’enquêteur à émettre des réserves quant au fait que la bénéficiaire resterait dans le logement seule avec sa fille. Le rapport concluait dès lors qu’« il serait pertinent d’effectuer des contrôles terrain passé quelques temps ». La fin du rapport mentionnait encore que le SEC avait découvert que l’ex-mari était propriétaire de biens immobiliers en France, non déclarés lors de l’audition et que le couple n’avait pas produit les contrats d’achat/vente des biens immobiliers malgré plusieurs demandes des enquêteurs.

En conséquence, le véritable lieu de vie de la recourante n’ayant pu être établi à Genève, la bénéficiaire ne remplissait pas la condition exigée par l'art. 11 al. 1 let. a LIASI pour pouvoir prétendre à cette aide.

Il n’est dès lors pas nécessaire d’analyser les autres griefs, étant toutefois relevé que les documents versés à la procédure pour justifier du dessaisissement de plus de CHF 90'000.- apparaissent en l’état peu probants, à l’instar, à titre d’exemple, du document de F______ Sàrl, pour la somme de 19'800 euros dont la première page fait défaut, où le numéro de l’appartement concerné est caviardé, et qui consiste en un devis et non une facture.

Il sera enfin rappelé que, comme le mentionne l’hospice dans ses écritures, un éventuel nouvel octroi de l’aide sociale financière est possible mais subordonné au dépôt d’une nouvelle demande de prestations, en temps voulu, accompagnée de tous les justificatifs permettant l’évaluation du droit à l’aide sociale financière de l’intéressée.

Au vu de ce qui précède, le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté.

6.             Le prononcé du présent arrêt rend sans objet la requête en mesures provisionnelles.

7.             Vu la nature du litige, il ne sera pas perçu d’émolument et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, la recourante succombant (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 décembre 2023 par A______ contre la décision de l’Hospice général du 17 novembre 2023 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Marc-Philippe SIEGRIST, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juge, Louis PEILA, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.


Genève, le 

 

la greffière :