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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/379/2024

ATA/320/2024 du 04.03.2024 ( ANIM ) , ACCORDE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/379/2024-ANIM ATA/320/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 4 mars 2024

sur effet suspensif

 

dans la cause

 

A_______ recourante
représentée par Me Sandy ZAECH, avocate

contre

SERVICE DE LA CONSOMMATION ET DES AFFAIRES VÉTÉRINAIRES intimé

_________



Attendu, en fait, que :

1) A_______, née le ______ 1939, exploite depuis de très nombreuses années un élevage de chiens (lévriers whippets) et une pension pour chiens et chats à B_______ (ci-après : la pension). Elle détient également des animaux à titre privé.

2) Des autorisations d'exploiter lui ont ainsi été délivrées en 1985, 1994 et 2009. Cette dernière autorisation, valable jusqu'au 31 décembre 2019, fixait la capacité maximale de sa pension à 40 chiens et 40 chats. Durant la période 2009-2019 ainsi qu'au début de l'année 2020, plusieurs contrôles inopinés ont été effectués par le service cantonal de la consommation et des affaires vétérinaires (ci-après : SCAV), et quelques signalements ont été adressés à ce dernier par des particuliers insatisfaits du séjour de leur animal.

3) Le 6 mars 2020, le SCAV a délivré une nouvelle autorisation d'exploitation (1_______) à A_______. La capacité maximale était toujours fixée à 40 chiens et 40 chats. Deux contrôles inopinés ont été effectués les 27 août 2020 et 17 février 2021. Il ressortait du second contrôle que dans deux boxes, des pièces de carrelages étaient cassées et devaient être remplacées.

4) Le 4 mars 2021, le SCAV a délivré une nouvelle autorisation d'exploitation (2______) à A_______. La capacité maximale était toujours fixée à 40 chiens et 40 chats. En septembre 2021, à la suite d'un signalement, le SCAV a enquêté sur le décès d'un chat, survenu à la suite de son séjour au sein de la pension. Le 27 septembre 2021, le SCAV a ainsi adressé à A_______ un courrier « ayant valeur d'avertissement » pour cause de non-respect des conditions et charges de son autorisation d'exploiter.

5) Lors d'un contrôle inopiné effectué le 20 juillet 2023 par le SCAV, il a constaté un certain nombre de manquements (extincteur non fixé, manque général d'entretien, pièces de carrelage cassées, grilles d'écoulement sales, fissure et trous dans le béton des parties extérieures de chenils, écrans entre enclos usés et cassés, médicaments périmés, un chat malade, notamment).

6) Par décision du 11 septembre 2023, après un échange de correspondance avec l'intéressée, le SCAV a, entre autres choses, interdit à A_______ de détenir des animaux dans des enclos présentant un risque pour les animaux et lui a ordonné de procéder à une mise en conformité au plus tard le 30 septembre 2023. Cette décision est entrée en force.

7) Le 7 décembre 2023, le SCAV a procédé à un contrôle (annoncé) de la pension. Il résulte du rapport d'inspection qu'étaient détenus cinq chiens à titre privé, ainsi que quatre petits chiens et quatre chats en pension. Aucun point négatif n'a été constaté. Il est indiqué sous « autres remarques » : « on constate un soin apporté au nettoyage des installations ».

8) L'intéressée ayant sollicité une nouvelle autorisation d'exploiter, le SCAV a délivré le 15 décembre 2023 une telle autorisation (3_______), valable jusqu'au 31 décembre 2025 et déclarée immédiatement exécutoire nonobstant recours.

Une personne en sus de A_______ était commise à la garde des animaux et titulaire du certificat fédéral de capacité de gardien d'animaux. La capacité maximale était fixée à douze chiens et douze chats, animaux détenus à titre privé inclus, sans motivation sur ce point.

9) Par courrier du 19 décembre 2023, A_______ a demandé au SCAV de modifier l'autorisation en fixant la capacité maximale à 20 chiens et 15 chats, comme elle l'avait demandé. Avec un maximum de douze chiens il lui était impossible de tenir les engagements qu'elle avait donnés à ses clients qui avaient acheté un de ses whippets.

10) Le SCAV lui ayant indiqué le 11 janvier 2024 ne pas vouloir modifier sa décision, A_______ lui a répondu le 18 janvier 2024 qu'elle entendait faire recours contre la limitation de la capacité maximale.

11) Le 30 janvier 2024, le SCAV a transmis les deux courriers précités à la chambre administratives comme valant recours.

12) Le 31 janvier 2024, une avocate s'est constituée pour A_______ et a demandé un délai pour compléter le recours, ce qui lui a été accordé.

13) Le 2 février 2024, A_______ a introduit une requête en restitution de l'effet suspensif au recours.

L'autorisation de 2021 prévoyait une capacité de 40 chiens et 40 chats sans inclure les animaux détenus à titre privé. Elle détenait actuellement dix chiens à titre privé, soit cinq pour elle et cinq pour sa fille ainsi que pour des amis. Si l'autorisation contestée était mise en œuvre, elle ne pourrait plus prendre que deux chiens en pension et ne pourrait dès lors plus honorer ses engagements professionnels à l'égard de ses clients, ni faire face à ses propres charges et à celles liées à l'élevage, pour lequel elle n'avait pas besoin d'autorisation car elle n'avait que deux nichées par année. Il s'agissait de sa seule source de revenus hormis une petite retraite. Se séparer des chiens détenus à titre privé, dans l'urgence, constituerait une atteinte au bien-être desdits animaux.

L'exécution immédiate de l'autorisation attaquée lui causait donc un préjudice irréparable, tandis qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne l'imposait.

14) Le 12 février 2024, le SCAV a conclu au rejet de la requête de restitution de l'effet suspensif au recours.

L'autorisation 2______ n'était valable que jusqu'au 31 décembre 2023. Restituer l'effet suspensif en maintenant l'autorisation précitée, alors qu'elle était expirée, reviendrait à accorder à la recourante un régime juridique dont elle ne bénéficiait pas, à tout le moins depuis le 15 décembre 2023.

Si la chambre administrative devait accorder la restitution de l'effet suspensif à la décision querellée, la recourante se trouverait dans une situation où elle n'a aucune autorisation de faire de la pension pour plus de cinq animaux, le régime de l'autorisation 2______ ayant expiré le 15 décembre 2023 ; elle devrait cesser complètement son activité dès lors qu'elle détenait déjà cinq animaux à titre privé. Le refus de la requête était ainsi dans l'intérêt même de la recourante.

15) Sur ce, la cause a été gardée à juger sur la question de l'effet suspensif.

Considérant, en droit, que :

1) Selon l'art. 9 al. 1 du règlement interne de la chambre administrative de la Cour de justice du 26 mai 2020, les décisions sur effet suspensif sont prises par la présidente de ladite chambre ou par le vice-président, ou en cas d'empêchement de ceux-ci, par un juge.

2) La recevabilité du recours sera examinée dans l'arrêt au fond, mais l'on peut déjà relever à ce stade que selon la jurisprudence, une décision incidente refusant la récusation de la personne appelée à statuer sur un recours cause en principe un préjudice irréparable (ATA/1281/2022 du 20 décembre 2022 consid. 1 ; ATA/666/2018 du 26 juin 2018 consid. 2a).

3) a. Aux termes de l'art. 66 LPA, sauf disposition légale contraire, le recours a effet suspensif à moins que l'autorité qui a pris la décision attaquée n'ait ordonné l'exécution nonobstant recours (al. 1) ; que toutefois, lorsqu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose, la juridiction de recours peut, sur la demande de la partie dont les intérêts sont gravement menacés, retirer ou restituer l'effet suspensif (al. 3).

b. L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

c. Selon la jurisprudence, un effet suspensif ne peut être restitué lorsque le recours est dirigé contre une décision à contenu négatif, soit contre une décision qui porte refus d'une prestation. La fonction de l'effet suspensif est de maintenir un régime juridique prévalant avant la décision contestée. Si, sous le régime antérieur, le droit ou le statut dont la reconnaissance fait l'objet du contentieux judiciaire n'existait pas, l'effet suspensif ne peut être restitué car cela reviendrait à accorder au recourant d'être mis au bénéfice d'un régime juridique dont il n'a jamais bénéficié (ATF 127 II 132; 126 V 407 ; 116 Ib 344).

Lorsqu'une décision à contenu négatif est portée devant la chambre administrative et que le destinataire de la décision sollicite la restitution de l'effet suspensif, il y a lieu de distinguer entre la situation de celui qui, lorsque la décision intervient, disposait d'un statut légal qui lui était retiré de celui qui ne disposait d'aucun droit. Dans le premier cas, il peut être entré en matière sur une requête en restitution de l'effet suspensif, aux conditions de l'art. 66 al. 2 LPA, l'acceptation de celle-ci induisant, jusqu'à droit jugé, le maintien des conditions antérieures. En revanche, il ne peut être entré en matière dans le deuxième cas, vu le caractère à contenu négatif de la décision administrative contestée. Dans cette dernière hypothèse, seul l'octroi de mesures provisionnelles, aux conditions cependant restrictives de l'art. 21 LPA, est envisageable (ATA/70/2014 du 5 février 2014 consid. 4b ; ATA/603/2011 du 23 septembre 2011 consid. 2 ; ATA/280/2009 du 11 juin 2009 ; ATA/278/2009 du 4 juin 2009).

d. Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/1112/2020 du 10 novembre 2020 consid. 5 ; ATA/1107/2020 du 3 novembre 2020 consid. 5).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HÄNER, Vorsorgliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess in RDS 1997 II 253‑420, 265).

e. L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

4) Lorsque l'effet suspensif a été retiré ou n'est pas prévu par la loi, l'autorité de recours doit examiner si les raisons pour exécuter immédiatement la décision entreprise sont plus importantes que celles justifiant le report de son exécution. Elle dispose d'un large pouvoir d'appréciation qui varie selon la nature de l'affaire. La restitution de l'effet suspensif est subordonnée à l'existence de justes motifs, qui résident dans un intérêt public ou privé prépondérant à l’absence d’exécution immédiate de la décision ou de la norme (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1161/2013 du 27 février 2014 consid. 5.5.1).

5) Lorsqu'une autorité judiciaire se prononce sur l'effet suspensif ou d'autres mesures provisoires, elle peut se limiter à la vraisemblance des faits et à l'examen sommaire du droit (examen prima facie), en se fondant sur les moyens de preuve immédiatement disponibles, tout en ayant l'obligation de peser les intérêts respectifs des parties (ATF 139 III 86 consid. 4.2 ; 131 III 473 consid. 2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2D_34/2018 du 17 août 2018 consid. 3).

6) En l'espèce, le régime juridique relatif à la capacité maximale d'animaux pouvant être détenus par la recourante résulte d'autorisations d'exploiter successives mais continues, au moins depuis 1985. Depuis au moins 2009, et jusqu'au 15 voire au 31 décembre 2023, cette capacité était de 40 chiens et 40 chats, apparemment sans compter les animaux détenus à titre privé, et elle est passée dans l'autorisation attaquée à douze chiens et douze chats, incluant les animaux détenus à titre privé, alors que la recourante avait demandé qu'elle soit fixée à 20 chiens et 15 chats. On doit donc considérer qu'il s'agit sur ce point d'une décision (partiellement) négative.

Il résulte toutefois de ce qui précède que précédemment et pendant au moins quatorze ans, la recourante a bénéficié d'une capacité plus élevée. Il est donc faux de dire qu'elle n'a jamais bénéficié d'un tel régime juridique, et le raisonnement de l'intimé perd dès lors de vue la jurisprudence susmentionnée selon laquelle il peut dans de tels cas être entré en matière sur une requête en restitution de l'effet suspensif, aux conditions de l'art. 66 al. 2 LPA.

Restituer l'effet suspensif aurait en l'occurrence pour effet de maintenir l'objet du litige, car l'exécution immédiate de la décision attaquée pourrait avoir des effets irrémédiables, par exemple si la recourante devait se séparer des animaux qu'elle détient à titre privé ou si elle ne parvenait plus à payer ses charges et devait abandonner son entreprise. L'on ne constate par ailleurs pas d'intérêt public prépondérant à une exécution immédiate. En effet, la décision attaquée ne motive pas la baisse de la capacité maximale. Dans son écriture, l'intimé la justifie par le prononcé de la décision du 11 septembre 2023 qui constatait de nombreux manquements, sans prendre en compte le contrôle subséquent du 7 décembre 2023, lors duquel la situation apparaît s'être presque intégralement normalisée.

Dans la mesure toutefois où la recourante a elle-même demandé à ce que la capacité de sa pension soit limitée à 20 chiens, et qu'elle déclare que la limite de 12 chats contenue dans la décision attaquée lui sied en l'état, il y a lieu d'accorder la restitution seulement partielle de l'effet suspensif, de sorte que jusqu'à droit jugé dans la présente cause la recourante sera admise à détenir 20 chiens (y compris les animaux détenus à titre privé) et 12 chats.

7) Le sort des frais sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

restitue partiellement l’effet suspensif au recours ;

dit que jusqu'à droit jugé au fond, la capacité maximale de la pension pour chiens et chats exploitée par la recourante sera de 20 chiens (y compris les animaux détenus à titre privé) et 12 chats ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Sandy ZAECH, avocate de la recourante ainsi qu'au service de la consommation et des affaires vétérinaires.

 

 

Le président :

 

 

 

C. MASCOTTO

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :