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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3818/2023

ATA/280/2024 du 28.02.2024 ( PRISON ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3818/2023-PRISON ATA/280/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 février 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON intimée



EN FAIT

A. a. A______ est détenu à la prison de Champ-Dollon depuis le 10 mai 2023, en attente de jugement.

b. Il est de langue maternelle anglaise et, lors de son arrivée, une version anglaise du règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04) lui a été remise.

c. Selon le rapport d’incident du 6 novembre 2023, un agent de détention avait dû se rendre dans la cellule d’A______ à la suite d’un « appel cellule ». En ouvrant, il avait constaté qu’A______ et un codétenu se disputaient concernant un vol d’affaires alors que le premier se préparait pour son transfert de cellule. L’intervention du gardien avait permis de calmer les détenus. Il avait pu refermer la porte.

À la suite d’un second appel, le même gardien, accompagné d’un collègue, avaient à nouveau dû intervenir. En ouvrant la cellule, ils avaient constaté que ces mêmes codétenus échangeaient des coups. Les gardiens avaient dû intervenir pour les séparer et appeler du renfort.

d. Les détenus ont tous deux été placés en cellule forte durant un jour. La conduite ainsi que la fouille se sont déroulées sans contrainte.

e. Il ressort de la sanction qu’A______ a été entendu le jour-même sur les faits, avec l’assistance du gardien anglophone, qui lui a traduit tous les documents. Il a contesté les faits qui lui étaient reprochés, contrairement à son codétenu qui les a admis. Il a signé avoir reçu la décision de sanction du 6 novembre 2023 d’un jour de cellule forte.

f. Le dossier ne fait pas apparaître qu’A______ aurait déjà été sanctionné par le passé.

B. a. Par acte expédié le 16 novembre 2023 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), A______ a recouru contre la décision de sanction.

Le jour de l’incident, il avait eu une vive discussion avec son codétenu et leurs cris avaient alerté les gardiens qui les avaient immédiatement conduits en cellule forte. Il avait admis les faits, soit une violente dispute verbale, mais contestait la violence physique, les menaces ou les insultes. Il n’y avait par ailleurs aucune trace permettant d’attester de ces violences.

Le placement en cellule forte n’était pas contesté, mais la date de son jugement approchant, il craignait que la mention de violences physiques à l’encontre d’un détenu sur la décision de sanction ne lui porte préjudice.

Il avait signé le document car il n’était pas en mesure de lire le français.

b. La prison a conclu au rejet du recours.

Il y avait eu deux appels successifs. Lors de la seconde intervention, les deux gardiens avaient aperçu des échanges de coups.

Un agent de détention anglophone avait été appelé afin de traduire les faits reprochés à A______, de sorte qu’il était en mesure de comprendre la nature des griefs émis à son encontre et de s’exprimer sur ceux-ci. Son codétenu avait admis les faits. Il n’y avait dès lors pas lieu de s’écarter du rapport établi.

Le comportement de violences physiques envers un codétenu – avéré – d’A______ contrevenait au règlement de la prison et la sanction était conforme au droit et proportionnée.

c. Dans le délai imparti, A______ a renoncé à répliquer.

d. Sur ce, la cause a été gardée à juger le 22 janvier 2024.

EN DROIT

1.             1.1 Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

1.2 L'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 1re phr. LPA).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pourvu que le tribunal et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant. Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/20/2022 du 11 janvier 2022 consid. 2b et les arrêts cités).

1.3 En l'espèce, le recourant n'a pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision querellée. Cela étant, il a exposé de façon circonstanciée les raisons pour lesquelles il estime qu’elle doit être modifiée, ce qui est suffisant pour comprendre qu'il est en désaccord avec cette décision et souhaite son annulation.

1.4 Bien que la sanction ait été exécutée, le recourant conserve un intérêt actuel à l'examen de la légalité de celle-ci, dès lors qu'il pourrait être tenu compte de la sanction contestée en cas de nouveau problème disciplinaire ou de demande de libération conditionnelle (ATF 139 I 206 consid. 1.1 ; ATA/679/2023 du 26 juin 2023 consis. 2 ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 2 ; ATA/50/2022 du 18 janvier 2022 consid. 2).

     Le recours est donc recevable.

2.             Selon l’art. 61 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (al. 1 let. a) et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (al. 1 let. b). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (al. 2).

3.             Le recourant se plaint implicitement d’une constatation inexacte des faits, puisqu’il conteste que des violences physiques aient eu lieu entre lui et son codétenu et qu’elles soient mentionnées comme motif de la sanction.

3.1 Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, font l'objet d'une surveillance spéciale. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3e éd., 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

3.2 Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04), dont les dispositions doivent être respectées par les détenus (art. 42 RRIP). En toute circonstance, ceux-ci doivent observer une attitude correcte à l'égard du personnel pénitentiaire, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP). Il est interdit aux détenus, notamment, d'une façon générale, de troubler l'ordre et la tranquillité de l'établissement (art. 45 let. h RRIP).

3.3 Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu'à la nature et à la gravité de l'infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

     À teneur de l'art. 47 al. 3 RRIP, le directeur ou, en son absence, son suppléant sont compétents pour prononcer a) la suppression de visite pour 15 jours au plus, b) la suppression des promenades collectives, c) la suppression des activités sportives, d) la suppression d’achat pour 15 jours au plus ou encore g) le placement en cellule forte pour 10 jours au plus. Le directeur peut déléguer ces compétences à un membre du personnel gradé (art. 47 al. 7 RRIP).

3.4 De jurisprudence constante, la chambre de céans accorde généralement valeur probante aux constatations figurant dans un rapport de police, établi par des agents assermentés sauf si des éléments permettent de s'en écarter (ATA/719/2021 précité ; ATA/1339/2018 du 11 décembre 2018 et les arrêts cités). Dès lors que les agents de détention sont également des fonctionnaires assermentés (art. 7 de la loi sur l'organisation des établissements et le statut du personnel pénitentiaires du 3 novembre 2016 - LOPP - F 1 50), le même raisonnement peut être appliqué aux rapports établis par ces derniers (ATA/738/2022 du 14 juillet 2022 consid. 3d ; ATA/36/2019 du 15 janvier 2019).

3.5 Le principe de la proportionnalité, garanti par l'art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101), se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P. 269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/219/2020 du 25 février 2020 consid. 6d et la référence citée).

3.6 En matière de sanctions disciplinaires, l'autorité dispose d'un large pouvoir d'appréciation ; le pouvoir d'examen de la chambre administrative se limite à l'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 2 LPA ; ATA/498/2022 du 11 mai 2022 consid. 5f ; ATA/383/2021 du 30 mars 2021 consid. 4e).

4.             En l’espèce, les faits reprochés au recourant ressortent du rapport du 6 novembre 2023. Les échanges de coups ont été constatés par deux gardiens et admis par le codétenu du recourant. Le rapport fait également état de deux « appels cellule », ce qui contredit la version du recourant, selon laquelle lui et son codétenu auraient été placés directement en cellule forte, sans que des coups n’aient été échangés.

     Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter de la version des faits qui ressort du rapport du 6 novembre 2023, à savoir que lors de la seconde intervention des gardiens, ces derniers ont dû séparer les détenus qui échangeaient des coups, faisant ainsi preuve de violence l’un envers l’autre.

Le recourant a pu être entendu sur les faits reprochés, assisté d’un gardien anglophone, et a, à la suite de son audition, signé la sanction du 6 novembre 2023. C’est donc à tort qu’il se plaint d’avoir signé la sanction sans en comprendre le contenu.

Le recourant ne conteste ni le type ni la quotité de la sanction. Le placement en cellule forte pendant un jour est, dans tous les cas, proportionné au vu du comportement du recourant qui ne peut être toléré en régime carcéral. Le maximum autorisé de ce type de sanction étant de dix jours, un jour semble approprié pour des actes de violence commis envers un détenu.

La mention selon laquelle le recourant a fait preuve de violence physique envers son codétenu ne peut quant à elle être supprimée, puisqu’elle décrit le comportement qui a conduit à la sanction et que celui-ci correspond à la réalité, comme cela a été démontré plus avant.

En tous points mal fondé, le recours sera rejeté.

5.             La procédure étant gratuite, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 novembre 2023 par A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 6 novembre 2023 ;

 

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeant : Eleanor McGREGOR, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Valérie LAUBER, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. MEYER

 

 

la présidente siégeant :

 

 

E. McGREGOR

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :